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I. INTRODUCTION GÉNÉRALE

I.1. Le mercure

I.1.4. Le mercure en Arctique

La région Arctique

L’Arctique est la région entourant le pôle nord, généralement délimitée par le cercle polaire qui se situe à la latitude 66° 33’N (délimitation de la nuit polaire et du soleil de minuit), ou encore par la courbe isotherme, à l’intérieur de laquelle la moyenne des températures pour le mois le plus chaud (juillet) ne dépasse jamais 10°C et qui correspond d’un point de vue écologique à la limite au-delà de laquelle les arbres ne poussent plus (Figure I.4a).

L’Arctique est constitué principalement d’un océan gelé en surface ou banquise, dont la superficie augmente avec les hivers lors du gel et s’amenuise en période estivale lors du dégel, et des terres qui se situent à l’intérieur du cercle polaire arctique et qui incluent les cinq pays riverains, Canada (Nord du territoire canadien : le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut), États-Unis (Alaska), Russie (Sibérie), Norvège (archipel de Svalbard) et Danemark (Groenland). Toutefois, d’un point de vue géopolitique, les régions des pays subarctiques tels que la Suède, la Finlande et l’Islande sont communément rattachées à l’Arctique (Figure I.4b).

Figure I.4. Carte de l’Arctique (4a, délimitation géographique d’après Stonehouse, 1989 & AMAP, 1998 ; 4b, délimitation géopolitique)

L’écosystème arctique

L’Arctique, au Nord, se distingue de l’Antarctique, au Sud, par la présence de populations humaines résidentes. Ces peuples arctiques se sont adaptés au fil des siècles aux conditions de vie extrêmes, i.e. froid, nuit polaire, ou encore végétation restreinte, en puisant nourriture et outils nécessaires directement de la nature.

L’Arctique offre une grande diversité de mammifères terrestres, i.e. ours polaire, renne ou caribou, bœuf musqué, renard polaire, lièvre arctique, lemming, et de mammifères marins, i.e. béluga, narval, morse, et diverses espèces de baleines et de phocidés. Grand nombre de ces mammifères ont ainsi été chassés par les peuples nomades Arctiques pendant des siècles pour leur viande, la fabrication de vêtements, de « toits », d’outils et de jeux. Aujourd’hui, si cette activité de chasse n’est plus une question de survie, la chasse à la baleine, au phoque ou à l’ours polaire occupe encore une place importante dans la vie de ces peuples nordiques. Celle-ci reste pratiquée pour des aspects alimentaires (consommation de leur viande), économiques (commerce des fourrures) et culturels, et la chasse aux phoques s’avère être la principale source de viande prélevée directement dans la nature.

Cycle du mercure en Arctique

Le mercure élémentaire gazeux Hg0 est la forme majoritaire du mercure dans l’atmosphère. Celui-ci, émis dans les moyennes latitudes par des sources naturelles ou anthropiques, est dispersé sur une grande échelle et gagne les régions polaires principalement au gré des courants atmosphériques. Là, il se dépose par dépôts secs et humides atmosphériques après oxydation.

Le cycle du mercure apparaît d’autant plus complexe en Arctique que récemment, des pluies de mercure appelées Atmospheric Mercury Depletion Event (AMDE), ont été enregistrées dans les régions de hautes latitudes, Arctique (Schroeder et al., 1998) et Antarctique (Ebinghaus et

al., 2002). Dans les régions arctiques, ces pluies de mercure ou diminutions des concentrations de

mercure gazeux atmosphérique se déroulent au printemps boréal et apparaissent étroitement corrélées à la diminution des concentrations d’ozone O3 à l’interface océan/air/neige. Elles consistent en l’oxydation rapide du mercure élémentaire gazeux Hg0 par des espèces halogénées réactives, principalement des composés dérivés des atomes de brome Br résultant de l’effet du rayonnement solaire sur les sels marins apportés par les embruns océaniques (Lindberg et al.,

2002). Le mercure converti dans sa forme organique Hg2+ très réactive, se dépose par dépôt sec et humide (neige) à la surface neigeuse (Figure I.5). Des incertitudes demeurent quant au devenir de ce métal après son dépôt, et quant à l’ampleur des phénomènes d’imprégnation et de réémission du mercure qui se produisent à l’intérieur du manteau neigeux. Dommergue et al. (2003) ont toutefois estimé que seule une petite part du mercure déposé était réémise sous forme de gaz élémentaire vers l’atmosphère et qu’il était donc probable que plus de 90% du mercure était libéré dans l’écosystème lors de la fonte des surfaces neigeuses au printemps. Ainsi, à la fonte du manteau neigeux, le mercure non réémis passerait dans le milieu aquatique, où il serait transformé en méthylmercure pour finalement être bioaccumulé dans la chaîne marine trophique. Or, ces pluies de mercure dans les régions polaires interviennent au tout début du printemps, au moment des explosions de production ou bloom algal, et pourraient ainsi conduire à une entrée importante de mercure biodisponible dans les chaînes trophiques arctiques (Nilsson & Huntington, 2002).

Figure I.5. Transport du mercure des moyennes latitudes aux régions polaires et pluies de mercure (d’après Macdonald

et al., 2003)

Ainsi, la voie atmosphérique semble être la voie essentielle d’acheminement du mercure vers les régions arctiques (Figure I.6). Toutefois, les apports fluviaux, estimés comme largement inférieurs aux apports atmosphériques, contribuent aussi au transport de ce métal vers

l’écosystème arctique et constituent des sources de mercure localement importantes (Figure I.6 ; Nilsson & Huntington, 2002). Enfin, l’océan, réceptacle des dépôts atmosphériques et des apports fluviaux de mercure, pourrait jouer un rôle important mais encore mal connu dans le cycle du mercure en Arctique. Il semble en effet probable que les échanges entre l’air et l’océan dans cette région du globe diffèrent de ceux rapportés pour les autres océans, de par la couverture de glace qui formerait une barrière à l’émission vers l’atmosphère du mercure accumulé dans la couche superficielle océanique et qui pourrait alors contribuer à augmenter les concentrations de mercure dans le milieu marin (Nilsson & Huntington, 2002 ; Macdonald et al., 2008).

Figure I.6. Voies principales de transports des contaminants vers l’Arctique (masses d’air atmosphérique, fleuves et courants) (d’après Macdonald et al., 2005)

Bioaccumulation du mercure en Arctique

Les composés organiques du mercure tels que le méthylmercure s’accumulent dans les organismes marins. Biodisponible, le méthylmercure est, en outre, biomagnifié dans la chaîne trophique, i.e. sa concentration augmente tout au long de la chaîne alimentaire, un prédateur présentant ainsi une imprégnation par le mercure plus importante que sa proie (Figure I.7 ; Cossa

et al., 1990).

Situés au sommet du réseau trophique marin arctique, et à la longévité relativement élevée, les prédateurs supérieurs marins tels que le phoque annelé et l’ours polaire, accumulent tout particulièrement cet élément au cours de leur vie. Ainsi, des concentrations de mercure importantes sont retrouvées dans leurs tissus, résultant de cette bioaccumulation et bioamplification (Dietz et

al., 1996).

Figure I.7. Bioaccumulation du méthylmercure dans la chaîne alimentaire

De manière similaire, la consommation de viandes de mammifères marins issues de la chasse traditionnelle expose les populations arctiques à de fortes concentrations de mercure. Ainsi, il a été montré que les Groenlandais consommant muscle et foie de phoques étaient exposés à des concentrations de méthylmercure qui dépassaient les doses hebdomadaires tolérables de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) (Johansen et al., 2004). Larsen et al. (2002) estiment

ainsi l’exposition alimentaire au mercure des Groenlandais vivant au Groenland comme étant 10 fois plus importante que celle des Groenlandais résidant au Danemark et se traduisant par des concentrations de mercure dans le sang beaucoup plus élevées chez les habitants du Groenland (Figure I.8). De même, les concentrations de mercure mesurées dans le foie et le rein des Groenlandais sont plus élevées que celles rapportées dans d’autres études sur les populations humaines du Danemark, de la Norvège, de la Suède, de l’Espagne, de la Pologne, de la Corée et du Japon, bien qu’elles restent cependant plus faibles que celles mesurées dans les populations des Iles Féroé (Julshamn et al., 1989).

Figure I.8. Comparaison des concentrations de mercure dans le sang des Groenlandais vivant au Groenland et au Danemark (d’après AMAP, 1998 & Hansen, 1988)