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I. INTRODUCTION GÉNÉRALE

I.2. Contexte global du changement climatique

La Terre se réchauffe et les plus grands changements sont attendus dans les régions polaires au cours du siècle. Cette dernière décennie, l’Arctique a commencé à sentir les effets ce réchauffement global : la banquise s’amenuise, le permafrost dégèle, la limite des arbres se déplace vers le nord, et d’autres changements associés à la faune et la flore sont enregistrés depuis quelques années dans l’écosystème arctique (Nilsson & Huntington, 2002 ; ACIA, 2004).

I.2.1. Impacts du changement climatique sur le biotope

Depuis la fin des années 70, l’épaisseur et l’étendue de la glace de l’océan Arctique diminue (Serreze et al., 2007), modifiant ainsi l’habitat d’espèces telles que le phoque annelé ou l’ours polaire. Les espèces les plus spécialisées sont aussi les plus sensibles aux variations de leur habitat et des ressources alimentaires qui s’y trouvent et donc, les plus sujettes à l’extinction dans le cas d’un changement profond de leur environnement (Laidre et al., 2008). Mesurer les effets des variations environnementales sur les espèces des niveaux trophiques les plus élevées reste toutefois difficile en raison du décalage des réponses décelables au niveau de la population (Thompson & Ollason, 2001).

Ainsi, en ce qui concerne le phoque annelé, une pluie hors saison ou des températures douces au printemps peuvent conduire à l’effondrement prématuré des tanières dans lesquelles les femelles phoques annelés mettent bas, exposant ainsi les phoques nouveau-nés au froid et à une potentielle prédation et affectant par là-même le développement et la survie de ces nouveau-nés (Stirling & Smith, 2004).

Les ours polaires, eux, exploitent la banquise comme habitat, l’utilisant pour chasser le phoque (Stirling & Archibald, 1977), pour trouver un partenaire et se reproduire (Ramsay & Stirling, 1986), ou pour se déplacer sur de longues distances (Amstrup et al., 2000, 2001). Le réchauffement climatique conduit non seulement à la réduction de la surface de ce territoire mais aussi à l’augmentation de son instabilité résultant de la diminution de son épaisseur. Toutefois, ces changements variant avec la latitude, les différentes sous-populations d’ours polaires sont confrontées différemment au réchauffement climatique, répondant sans doute de manière différente les unes des autres à ces changements environnementaux (Stirling & Derocher, 1993).

Une des premières conséquences du changement climatique impactant directement cette espèce dans certaines régions est la formation de la banquise qui a lieu plus tardivement en automne et une

débâcle, qui intervient plus tôt au printemps (Stirling & Parkinson, 2006). Sortant de plusieurs mois d’hivernation, les ours polaires voient leur poids être au plus bas au début de printemps, au mois de mars, juste avant la naissance des bébés phoques annelés. Les ours polaires dépendent alors du succès de leur chasse au printemps et en saison estivale pour maximiser leurs réserves corporelles dont ils auront besoin pour survivre, se reproduire ou encore pour allaiter leurs petits le reste de l’année (Stirling, 2002). Ainsi, les facteurs influençant la reproduction ou la survie des phoques comme vu précédemment ou encore, affectant le territoire de chasse de l’ours polaire pourront avoir une profonde incidence sur l’écologie de la population de l’ours polaire (Stirling & Derocher, 1993). Or, des suivis de l’état du corps des adultes ours polaires, mâles et femelles, ainsi que de la production d’oursons à l’ouest de la baie d’Hudson au cours des années 80 et 90 indiquent de toute évidence que le changement climatique a déjà une incidence sur cette population, en raison d’un stress alimentaire accru pour les individus de cette population forcés de séjourner plus longtemps à « terre », avec pour conséquence probable, un déclin significatif dans le nombre d’individus de cette population (Stirling et al., 1999 ; Stirling & Parkinson, 2006). On peut s’attendre à ce qu’un accès plus réduit aux phoques force ces animaux à consommer des sources alternatives de nourriture pour survivre (Stirling & Parkinson, 2006), des baies ou diverses charognes jusqu’à leurs congénères, comme en témoigne les cas de cannibalisme observés plus nombreux cette dernière décennie (Derocher & Wiig, 1999 ; Amstrup et al., 2006).

Enfin, il conviendra de considérer les changements qui pourraient affecter l’abondance ou la distribution des ressources de ce biotope ou de tout organisme au bas de la chaîne alimentaire arctique et susceptible de se répercuter sur les prédateurs supérieurs, notamment le plancton, les copépodes ou diverses espèces de poissons telles que la morue qui vivent en étroite association avec la glace.

I.2.2. Impacts du changement climatique sur le cycle du mercure

Transport du mercure vers l’Arctique

Comme expliqué dans le paragraphe I.1.4., le cycle du mercure en Arctique est très complexe. Or, des variations dans les phénomènes météorologiques et la température de l’air en lien avec le réchauffement climatique vont jouer un rôle déterminant dans le transport et la distribution du mercure en Arctique. Ainsi, une modification des masses ou des courants aériens affectera le transport de ce métal vers l’Arctique, tandis qu’un changement de température aura un effet direct physique sur le transport du mercure vers les régions arctiques, modifiant les

caractéristiques de ce métal telles que volatilité, solubilité et adsorption sur les particules (Nilsson & Huntington, 2002 ; AMAP, 2009a). Ainsi, des températures plus élevées à des latitudes plus basses vont augmenter la volatilisation du mercure comme celles d’autres contaminants (AMAP, 2009b). Combinée à cette volatilisation, un transport accru des masses d’air des moyennes latitudes vers l’Arctique, comme il a lieu lors des phases à index d’Oscillation Arctique (OA) positif, pourrait ainsi augmenter la délivrance du mercure à l’Arctique (Nilsson & Huntington, 2002 ; AMAP, 2009b). L’index OA reflète la pression relative atmosphérique au niveau de la mer dans la région du haut Arctique comparé aux moyennes latitudes de l’hémisphère Nord (45ºN). Un index positif indique des pressions atmosphériques plus basses au Pôle Nord et plus hautes aux latitudes moyennes. La stratosphère tend à se refroidir durant cette phase, et cela entraîne un vent d'Ouest très fort dans l’hémisphère Nord, et des températures froides dans les régions arctiques, tandis que les températures enregistrées en Europe et en Asie sont plus chaudes qu'à l'accoutumée. Plus chaud, l’air humide est alors transporté des moyennes latitudes vers l’Arctique. Un index OA négatif correspond à la situation inverse, hautes pressions dans les régions polaires et basses pressions aux latitudes moyennes, ce qui diminue la force du vent d'Ouest. Les températures au Groenland et dans l’Est du Canada sont supérieures à la normale et l’air froid circule alors de l’Arctique vers les moyennes latitudes. L’index OA était faible et variable entre les années 50 et la fin des années 80, à partir desquelles il est devenu très positif pour une décennie (Figure I.11). Par la suite, dans les années 2000, cet indice est retourné à son profil initial (AMAP, 2009b). Ainsi, les variations de l’OA affectent de manière importante le transport des contaminants vers l’Arctique d’une année sur l’autre. Par ailleurs, l’OA influence aussi le débit des rivières et la circulation océanique et donc, indirectement, la distribution de la glace dans l’océan Arctique.

Figure I.11. Évolution de l’index d’Oscillation Arctique (OA) hivernal (mois de janvier/février/mars) sur la période 1950 – 2002 (d’après les données de David W. J. Thompson, du département de sciences atmosphériques, Université de l’État du Colorado, États-Unis)

Effet sur le devenir du mercure en Arctique

Associée au changement climatique, une modification de l’abondance ou de la fréquence des précipitations et des chutes de neige affectera la déposition du mercure en Arctique (Nilsson & Huntington, 2002).

Par ailleurs, la réduction de la surface de la banquise tendra à modifier les interactions du mercure entre les différents compartiments du biotope, augmentant les échanges de mercure entre l’océan et l’atmosphère et affectant la localisation et l’intensité des dépôts liés aux pluies de mercure ou AMDE sur l’océan (Macdonald et al., 2005, 2008). En outre, le mercure stocké dans l’océan pourra être plus facilement réémis du milieu marin vers l’atmosphère (AMAP, 2009b). Aux variations de la couverture de glace, de la fonte des glaciers et du permafrost, les variations du débit des rivières et l’augmentation de l’érosion côtière qui en résulteraient, ou encore l’altération de la circulation océanique sont autant de phénomènes qui sont affectés par le changement climatique et qui pourront à leur tour influencer le cycle du mercure et les chaînes alimentaires, altérant les flux de carbone organique et de mercure ou encore, changeant les dynamiques des processus de méthylation et déméthylation (Macdonald et al., 2008).

Enfin, à l’ensemble de ces phénomènes vient s’ajouter une certaine complexité des processus biologiques. En effet, une température plus élevée va avoir tendance à augmenter l’activité microbienne ; or, au fur et à mesure que les écosystèmes arctiques deviennent plus productifs en réponse à ces températures plus élevées, l’accumulation des contaminants dans les chaînes alimentaires pourrait alors augmenter, conduisant à des niveaux de mercure plus importants dans celles-ci (AMAP, 2009b).

Ainsi, l’influence « nette » du changement climatique sur le cycle du mercure, son comportement, son devenir, les niveaux de celui-ci dans les différents compartiments du biotope arctique et enfin, les conséquences de la composante mercure/changement climatique demeurent donc difficilement prédictibles.