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4. Trajectoires et motivations à l’usage de l’e-cigarette

4.1. Trajectoires de consommation croisées du tabac et de l’e-cigarette

Les effets du croisement de trajectoires de l’usage d’e-cigarette et du tabac les plus étudiées sont de 2 types : l’efficacité de l’e-cigarette dans sa capacité à réduire voire à arrêter une consommation tabagique, chez les fumeurs ; la possibilité que l’usage d’e-cigarette facilite l’entrée dans le tabagisme chez les vapoteurs naïfs de tabac, notamment chez les adolescents et les adultes jeunes.

4.1.1. Efficacité de l’e-cigarette et facteurs associés

• Efficacité de l’e-cigarette en population générale

Le dernier rapport de l’enquête Eurobaromètre publié en 2017 (38) rapporte que chez les Européens, la majorité (52 %) des fumeurs ou anciens fumeurs ayant au moins essayé l’e- cigarette pensait que celle-ci ne les avait pas aidés à réduire le tabac. Seuls 14 % des vapoteurs déclaraient avoir arrêté le tabac grâce à l’e-cigarette. Dix-sept pourcents des dualistes rapportaient une réduction de leur consommation de tabac et 10 % des vapoteurs ayant réussi à stopper le tabac avec l’e-cigarette avaient rechuté par la suite. Enfin, 5 % des vapoteurs annonçaient une augmentation de la consommation de tabac.

Des essais cliniques randomisés ont été menés en Nouvelle-Zélande, en Italie et au Royaume Uni entre 2013 et 2017 (51–53). L’usage de l’e-cigarette avait tendance à favoriser la diminution et l’arrêt du tabac, sans différence statistiquement significative établie. Il n’y avait pas d’efficacité démontrée en termes d’arrêt du tabac. Cependant, les e-cigarettes utilisées dans ces études étaient des e-cigarettes de 1ère génération, les « cigalike ». Elles sont moins puissantes que les e-cigarettes de 2ème et 3ème générations, plutôt utilisées à l’heure actuelle. Néanmoins, dans l’essai pilote de Meier, l’e-cigarette apparaissait comme un bon substitut au tabac, indépendamment de la présence de nicotine. En effet, une diminution de la dépendance tabagique comportementale était observée, que l’e-cigarette contienne ou non de

35 la nicotine, sans symptômes de sevrage associés. De plus, l’utilisation d’e-cigarette nicotinée réduisait chez les fumeurs la satisfaction procurée avec les cigarettes classiques.

Dans une méta-analyse publiée en 2016, Kalkhoran et Glantz retrouvaient que les chances d'arrêter de fumer étaient 28 % plus faibles chez ceux qui utilisaient des e-cigarettes que chez ceux qui n'en utilisaient pas. Il n’était pas démontré d’association significative entre l’usage d’e-cigarette et l’arrêt du tabac chez les fumeurs utilisant l’e-cigarette, indépendamment de leur motivation à arrêter de fumer (54).

En 2014, Farsalinos et al. ont mené une enquête via un questionnaire en ligne incluant plus de 19 000 participants vapoteurs. L’âge moyen des participants était de 39 ans et les e- cigarettes utilisées étaient en majorité des e-cigarettes de 2ème et 3ème génération. Les vapoteurs étaient 81 % à déclarer avoir arrêté le tabac (55). La revue de la littérature Cochrane faite par McRobbie et al en 2014 (56) montrait que par rapport à l’usage de l’e-cigarette sans nicotine, l’utilisation d’e-cigarette avec de la nicotine augmentait les chances d’arrêt du tabac à long terme. Elle aiderait également les fumeurs à réduire leur consommation de tabac d’au moins de moitié. La mise à jour de cette revue, publiée en 2016 par Hartmann-Boyce (57), retrouvait que les e-cigarettes contenant de la nicotine aidaient les fumeurs à s’abstenir de fumer pendant au moins 6 mois par rapport à une e-cigarette placebo. L’efficacité de l’e- cigarette était également retrouvée par Zhu et al. dans une étude en 2017 : les vapoteurs étaient plus susceptibles que les non vapoteurs d’essayer d’arrêter et également de réussir à arrêter de fumer. L’étude retrouvait une association statistiquement significative entre l’augmentation de la prévalence d’usage de l’e-cigarette et l’augmentation de la proportion d’arrêts tabagiques aux Etats-Unis (58). Dans une enquête qualitative menée essentiellement auprès d’adultes jeunes de moins de 29 ans en 2016, Cooper et al. rapportaient également l’efficacité de l’e-cigarette dans l’arrêt du tabac, avec une place importante de la personnalisation de l’e-cigarette dans le processus d’arrêt (36). En revanche, l’étude transversale de Popova et Ling publiée en 2013 retrouvait que l’utilisation de l’e-cigarette favoriserait les tentatives d’arrêt chez les fumeurs ayant l’intention d’arrêter de fumer mais il n’était pas retrouvé d’association avec un arrêt du tabac réussi (59).

Les études observationnelles prospectives retrouvent des résultats contradictoires. Manzoli et al. a mené une étude de cohorte sur 24 mois en Italie publiée en 2017 qui montrait que les vapoteurs exclusifs sont plus susceptibles de cesser le tabac que les dualistes et les fumeurs non vapoteurs (60). Polosa et al. en 2014 ont montré dans une étude prospective sur 24 mois également en Italie qu’il y avait une relation positive entre l'utilisation de l’e-cigarette

36 et la réduction ou la cessation de la cigarette, même chez les fumeurs qui n'avaient pas l'intention d'arrêter (61). Adkison et al., en 2013, dans une étude prospective internationale conduite pendant un an aux Etats-Unis, au Royaume Uni, au Canada et en Australie, a retrouvé que les vapoteurs étaient plus susceptibles de réduire leur consommation de tabac que les non vapoteurs mais la proportion de fumeurs ayant arrêté le tabac ne différait pas entre les vapoteurs et les non vapoteurs (37). Dans une étude prospective menée par Grana et al. aux Etats-Unis en 2014, l'utilisation de la cigarette électronique n'était pas associée à une réduction de la consommation ou à l’arrêt du tabagisme un an plus tard (62).

Différentes enquêtes transversales menées sur internet par des questionnaires en ligne entre 2011 et 2013 retrouvaient des résultats disparates : entre 31 % et 91 % des vapoteurs déclaraient avoir cesser leur usage du tabac selon des durées d’abstinence tabagique variables (63–66).

En France, des résultats similaires ont été trouvés dans l’enquête ETINCEL, menée par l’OFDT en 2014 : 84 % des vapoteurs estimaient avoir arrêté la cigarette grâce à l’e- cigarette (39). Une étude qualitative menée auprès de 24 vapoteurs français en 2016 montrait que les 11 vapoteurs exclusifs avaient tous arrêté le tabac (34). Cependant, les premiers résultats parus en 2015 de la cohorte CONSTANCES menée par Goldberg évaluant les trajectoires croisées de consommation du tabac et de l’e-cigarette à un an montraient que parmi les vapoteurs ex-fumeurs, 11,1 % avaient rechuté, 24,1 % avaient tout arrêté et 11,1 % étaient devenus dualistes (67).

• Facteurs associés à l’efficacité de l’e-cigarette

L’arrêt du tabac grâce à l’e-cigarette semble influencé par la durée du vapotage ainsi que sa fréquence. Dans une étude, l’utilisation à long terme (au moins 2 ans) de l’e-cigarette était associée à un taux d’arrêt du tabac plus élevé que l’utilisation à court terme, indépendamment de l’intention des fumeurs d’arrêter de fumer (68). De même, les vapoteurs quotidiens auraient entre 3 à 6 fois plus de chance d’arrêter de fumer que les non vapoteurs. Cette association n’était pas retrouvée avec les vapoteurs occasionnels (69,70).

37 • Efficacité de l’e-cigarette comparée aux TNS

Par rapport aux TNS, Bullen et al. en 2013 ne retrouvaient pas de supériorité de l’e- cigarette comparativement aux patchs nicotiniques chez des fumeurs voulant arrêter le tabac (51). A l’inverse, l’e-cigarette apparaissait comme supérieure chez les fumeurs qui tentaient d’arrêter le tabac sans aide ou avec d’autres TNS dans l’étude transversale de Brown et al. en 2014 (71). Ces résultats étaient confortés par l’étude prospective de Zhuang et al. en 2016 qui concluait que l’e-cigarette avait surpassé les TNS classiques chez ceux qui tentaient d’arrêter le tabac (68).

• Efficacité de l’e-cigarette en cas de poursuite simultanée de l’usage du tabac Chez les vapo-fumeurs (ou dualistes), les études sont également contradictoires en termes d’arrêt de la consommation tabagique. La plupart des études retrouvaient que les dualistes étaient plus susceptibles d’avoir l’intention d’arrêter et d’essayer d’arrêter de fumer (55,60,72,73). En revanche, Vickerman et al. et Manzoli et al. retrouvaient que les dualistes étaient moins susceptibles d’arrêter de fumer (60,74). En France également, les études sont disparates sur les dualistes. L’étude transversale de Kinouani et al. faite entre 2013 et 2016 a recruté en ligne des étudiants comprenant le français sur plusieurs campus universitaires en France et hors de France. Cette étude retrouvait que les dualistes étaient plus motivés pour arrêter de fumer et ont essayé d’arrêter plus souvent que les anciens vapoteurs ou les fumeurs non vapoteurs (75). Pasquereau et al., dans une étude prospective sur 6 mois publiée en 2017 arrive à ce même constat sur les tentatives d’arrêt du tabac (76). L’étude qualitative de Fontaine et al. menée en 2016 retrouvait que parmi les dualistes, la moitié avait réduit sa consommation de tabac et l’autre moitié avait rechuté (34). De même, les premiers résultats de l’enquête CONSTANCES parus en 2015 retrouvaient que près de la moitié des dualistes avaient rechuté (67).

• Efficacité de l’e-cigarette en population de jeunes adultes

La majorité des études évaluant l’efficacité de l’e-cigarette est davantage effectuée en population générale. Peu le sont chez des adultes jeunes et elles sont également contradictoires. Ainsi, l’étude qualitative de Cooper et al. (36) constatait une efficacité rapportée de l’e-cigarette dans l’arrêt du tabac dans une population majoritairement jeune, de

38 moins de 29 ans. En revanche, l’étude prospective observationnelle conduite sur 3 ans de Sutfin et al. publiée en 2015 chez des adultes jeunes concluait que l’e-cigarette n’encourageait pas la cessation de la consommation tabagique. Au contraire, elle contribuait au maintien du tabac chez ceux qui avaient essayé l’e-cigarette (77). Les schémas d’utilisation de l’e-cigarette dans cette population jeune sont également peu décrits. Dans une étude qualitative menée par Camenga et al. en 2015 chez des adolescents et des adultes jeunes, les participants avaient décrit 3 schémas pour arrêter de fumer avec l’e-cigarette : la réduction du taux de nicotine dans l’e-liquide jusqu’à l’arrêt complet, l’alternance prolongée cigarette/e-cigarette (dualistes) et l’utilisation exclusive de l’e-cigarette à long terme (78).

4.1.2. Initiation à l’usage du tabac après vapotage

L’initiation au tabac via l’e-cigarette est la seconde trajectoire la plus étudiée. Elle a été explorée chez les adolescents et les adultes jeunes. Dans la population générale, l’enquête de Farsalinos et al. faite en 2014 retrouvait que seul 0,5 % des vapoteurs étaient des non- fumeurs à l’origine (55). Selon l’enquête Eurobaromètre 2017, 3 % des non-fumeurs ont déjà essayé de vapoter (38). En France, les premiers résultats de l’enquête CONSTANCES montraient que sur un suivi d’un an, aucun usager exclusif de cigarette électronique n’est devenu fumeur. Ces résultats sont néanmoins préliminaires et nécessitent un suivi de plus longue durée (67).

Des études prospectives ont été menées chez des adultes jeunes pour examiner le rôle de l’e-cigarette dans l’initiation au tabac. En 2016, Unger et al. ont suivi des jeunes hispaniques américains durant un an (âge moyen : 23 ans). Les vapoteurs réguliers qui ne fumaient pas avant l’étude avaient 3 fois plus de risque de fumer au bout d’un an. Par ailleurs, le fait de vapoter n’était pas associé à l’arrêt du tabac chez ces jeunes hispaniques fumeurs (79). En 2017, Spindle et al. ont publié une étude prospective sur un an mené chez des étudiants américains (âge moyen 18,5 ans). L’expérimentation des e-cigarettes et l’usage actuel (au moins 1 bouffée dans les 30 derniers jours) prédisait une initiation du tabagisme un an plus tard, même après avoir tenu compte des facteurs sociodémographiques, de l'usage du tabac et des drogues et de divers facteurs intrapersonnels (80). L’étude prospective américaine de Loukas et al. de 2018 a suivi sur 1,5 an des étudiants âgés de 18 à 25 ans naïfs de la cigarette (81). Onze pourcents des étudiants qui ne fumaient pas au départ sont devenus fumeurs avec une proportion significativement plus importante parmi les vapoteurs (20,1 %)

39 que parmi les non vapoteurs (8,4 %). L’initiation au tabac apparaît ainsi plus importante chez les vapoteurs que les non vapoteurs en population jeune.

Dans une revue de la littérature de Gautier et al. en 2016, l’e-cigarette était significativement associée chez les adolescents et les adultes jeunes à l’initiation ainsi qu’au maintien du tabagisme. La probabilité à un an d’initier une consommation de cigarette chez des jeunes adultes vapoteurs était 8,3 à 12,7 fois supérieure à celle des non vapoteurs. Chez les adolescents, le fait d’avoir vapoté augmentait de 75 % le risque à un an de fumer une cigarette traditionnelle (82).

Enfin, dans une enquête menée chez des adolescents américains et publiée en 2014, Dutra et Glantz retrouvaient que les e-cigarettes pouvaient contribuer à la dépendance nicotinique. Parmi les adolescents ayant déjà essayé de fumer, l’usage d’e-cigarette était associé avec l’entrée dans une consommation tabagique et avec des chances plus faibles d’arrêter le tabac (83).