• Aucun résultat trouvé

B. La « guerre » contre le paludisme

3. Les traitements et les résistances

Le paludisme est une maladie qui peut être guérie si elle est prise en charge rapidement et efficacement. Le médicament le plus ancien et efficace est la quinine, qui provient de l’écorce d’un arbre appelé Chinchona. C’est un alcaloïde naturel avec des propriétés antipaludique, antipyrétique et analgésique. La quinine est utilisée depuis des centaines d’années par les indigènes du Pérou et de l’Equateur pour soigner les fièvres. En 1620 en Amérique latine, les pouvoirs curatifs de cette poudre sont reconnus et les fièvres réagissant à ce traitement sont identifiées. Elle sera importée en Europe à partir du XVIIème siècle. De nombreux effets secondaires sont répertoriés, par exemple : des acouphènes, symptôme le plus fréquent, des céphalées, des troubles visuels…..Cependant, la quinine est encore utilisée de nos jours en cas de grossesse ou pour traiter les formes sévères du paludisme (Parija and Praharaj 2011).

Les premiers produits de synthèse sont apparus aux alentours de la première guerre mondiale. Il y a plusieurs grandes familles : les amino-8-quinoléines, qui ciblent les formes hépatocytaires, les sporozoïtes et les gamétocytes ; les amino-4-quinoléines, les arylamino alcools, les antifolates et les dérivés d’artémisinine, qui attaquent les formes intra- érythrocytaires. De plus, les antifolates touchent les sporozoïtes et les dérivés d’artémisinine ciblent les gamétocytes. L’artémisinine et ses dérivés (artésunate, artéméther) sont des traitements rapides, efficaces et ont des coûts plus faibles (White et al. 2009). Malgré des molécules avec des cibles et des fonctionnements différents, des parasites résistants apparaissent plus ou moins rapidement (Tableau 1) (Sinha, Medhi, and Sehgal 2014).

Tableau 1 : Résumé des différents antipaludiques utilisés et date d’apparition des 1ères résistances (d’après

(Sinha, Medhi, and Sehgal 2014; Wongsrichanalai et al. 2002).

Famille du composé Nom de la molécule Date de mise en circulation Date d’apparition de la première résistance

Amino-8-quinoléines Primaquine 1928 Amino-4-quinoléines Chloroquine 1945 1957 Amodiaquine 1947 Aryl-Amino-Alcool Quinine 1630 1910 Mefloquine 1977 1982 Halofantrine 1988 1993 Antifolates Proguanil 1948 1949 Pyriméthamine 1962 1967 Artémisinine et ses dérivés Artémisinine 1971 1980 Artésunate 1975 2008 Artéméther Atovaquone 1996 1996

35

Le rôle des quinolines n’est pas encore clairement défini mais il semblerait qu’elles bloquent le processus de dégradation de l’hème. Le parasite utilise l’hémoglobine pour sa croissance et la dégrade en globine et en hème. Ce dernier, étant toxique pour le parasite, va être stocké dans la vacuole digestive sous forme d’hémozoïne (ou pigment malarique) pour que le cycle de développement puisse continuer. En empêchant cette étape, l’hème sous forme libre va s’accumuler et causera la mort du parasite (Slater 1993).

La chloroquine, un composé de la famille des quinolines, est très utilisée dans la lutte contre le paludisme. La résistance de P. falciparum à cette molécule s’expliquerait par des phénomènes de mutations sur certains gènes. En effet, le parasite élimine plus facilement la chloroquine lorsque le gène PfCRT est muté, gène codant pour un transporteur vacuolaire (White 2004; Foley and Tilley 1997). Une étude de 2013 montre que des mutations sur le gène PfMDR1 permettraient au parasite P. falciparum d’acquérir une résistance à la chloroquine (Elbadry et al. 2013). Cependant, il a été récemment démontré que la résistance à la chloroquine serait corrélée à un défaut du catabolisme de l’hémoglobine. Une diminution des parasites résistants à cette drogue a été observée en Afrique et en Asie (Lewis et al. 2014).

Les antifolates bloquent la voie métabolique des folates, qui sont des facteurs clés dans la synthèse de l’ADN. La pyriméthamine bloque la dihydrofolate reductase (DHFR) et la sulfadoxine (famille des sulphonamides) inhibe la dihydropteroate synthetase (DHPS). Une étude, réalisée sur différentes souches de P. vivax, a démontré que des mutations sur le gène dhfr expliqueraient la résistance (Imwong et al. 2003).

Le mécanisme d’action de l’artémisinine et de ses dérivés est encore sujet à débat. Deux hypothèses sont émises : la première suggèrerait la génération de radicaux libres par ces produits, engendrant l’alkylation des protéines ; et la deuxième serait le blocage de l’ATPase du réticulum sarco-endoplasmique par l’artémisinine (Krishna et al. 2006).

Les parasites évoluant rapidement, la résistance aux drogues apparait très vite après les premières utilisations. De plus, dans de nombreuses régions, des résistances à plusieurs médicaments ont été identifiées tels que la chloroquine, les antifolates et la méfloquine (Wongsrichanalai et al. 2002). Depuis 2001, l’OMS a donc mis en place une Combinaison Thérapeutique à base d’Artémisinine (CTA) pour les cas de malaria sans complication. Les CTA sont utilisés généralement dans les zones où la résistance à la chloroquine a été établie. L’artémisinine a une demi-vie courte, en lui associant un composé avec une demi-vie plus longue, les cas de résistance sont diminués (Eastman and Fidock 2009; Woodrow and Krishna 2006). Plusieurs CTA existent : artésunate/amodiaquine, artésunate/sulfadoxine- pyriméthamine, artésunate/méfloquine, artéméther/luméfantrine et dihydroarthémisinine/pipéraquine. La CTA est choisie en fonction des résistances aux drogues partenaires identifiées sur le terrain. De plus, l’OMS recommande d’administrer une dose unique de primaquine en plus de la CTA car elle serait plus efficace pour éliminer les gamétocytes. Cependant, dans les zones où des multi-résistances existent, les CTA sont peu efficaces (Rogers et al. 2009).

36

En outre, il a été montré ces dernières années que des résistances aux CTA apparaissent. L’étude de Julianna Martha Sa montre que différents degrés de résistance à l’amodiaquine et à la chloroquine sont présents en Afrique et Amérique du Sud. En effet, plusieurs mutations sont possibles sur les gènes, Pfmdr1 et Pfcrt, en fonction de l’historique des pressions médicamenteuses utilisées dans les différentes zones (Sá et al. 2009). De plus, ces deux composés appartiennent à la même famille, ce qui augmenterait la résistance croisée, comme cela a été observé pour la méfloquine et l’halofantrine (Rojas-Rivero et al. 1992). Effectivement, si deux composés appartiennent à la même famille ou ont le même mode d’action, la résistance croisée est possible. L’utilisation des CTA est efficace mais des cas de résistance à l’artémisinine commencent à émerger dans l’Asie du Sud, notamment au Cambodge et en Thaïlande (Amaratunga et al. 2012; A. M. Dondorp et al. 2009, 2012; Kyaw et al. 2013; Noedl et al. 2008; Phyo et al. 2012 ; Rogers et al. 2009).

En 2014, différentes équipes ont découvert que la résistance à l’artémisinine est corrélée avec le « kelch propeller domain » situé sur le chromosome 13 (K13) de P. falciparum. La résistance serait liée à une mutation du gène PF3D7_1343700 sur le domaine K13. Selon les populations étudiées, entre 2001 et 2012, 17 mutations différentes ont été répertoriées sur le gène. Il s’agit d’un polymorphisme d’un seul nucléotide (appelé SNP) c’est-à-dire qu’une seule paire de base est différente pour le même gène dans chacun des cas. Certaines SNP sont prédominantes telles que C580Y. La conséquence d’une mutation sur le « kelch propeller domain » est la diminution de la clairance parasitaire c’est-à-dire l’augmentation du temps d’élimination des parasites par l’hôte (Ariey et al. 2014; Ashley et al. 2014; F. Huang et al. 2015; Isozumi et al. 2015; Ouattara et al. 2015; Takala-Harrison et al. 2014).

Selon un rapport de l’OMS, la diminution de l’efficacité des CTA serait due à une résistance à l’un des deux composés. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte comme l’environnement, les résistances déjà existantes, la dose et la durée des médicaments utilisés (Global report on Antimalarial Drug efficacy and Drug Resistance: World Health Organization. 2000–2010). Il est donc essentiel et primordial de poursuivre les recherches sur de nouveaux traitements possibles.