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Traitements de niches et « nichebusters » : le luxe des maladies rares

1 Le modèle des blockbusters : de l’âge d’or à la recherche d’alternatives

1.3 Des stratégies de profit alternatives

1.3.2 Traitements de niches et « nichebusters » : le luxe des maladies rares

Si la croissance des génériques est importante à Novartis, la variante des nichebuster constitue véritablement le revirement stratégique du groupe. Le modèle des nichebusters : une fusion entre traitement de niche et revenus d’un blockbuster, est une stratégie qui se concentre sur des thérapies très spécialisées, des cancers rares, des maladies orphelines (orphan diseases) ou des thérapies génétiques personnalisées. Le traitement est initialement destiné à un nombre de personnes réduit. En Suisse et en Europe, une pathologie est caractérisée « d’orpheline » dès lors qu’elle touche au maximum 5 personnes sur 10'000 (Stalder & SwissMedic, 2018). Aux USA, cette dernière se définit par un seuil maximal de 200'000 personnes sur l’ensemble du territoire. En outre, afin d’inciter la recherche sur les maladies orphelines, certains États ont assoupli leurs conditions de mise sur le marché et ont aménagé des avantages fiscaux en matière de R&D. Le caractère lacunaire de la recherche permet aux firmes de facilement justifier le potentiel de leur traitement et de rencontrer très peu de concurrence sur le marché. Ainsi, du fait du niveau faible de la demande et du statut particulier de ces nouveaux traitements, la concurrence s’est progressivement déplacée sur l’apport thérapeutique et non sur le prix de vente des produits finaux. Un chemin de croissance qui conduit Novartis à détenir, depuis 2019, le record du traitement le plus cher jamais commercialisé, le Zolgensma (onasemnogene abeparvovec anciennement AVXS-101), un traitement génétique vendu aux USA à hauteur de 2,1 millions de dollars l’unité :

« Price is not the main variable determining its revenues. Prices are secondary because what looms large is the technological competition. The most innovative product will assure greater sales and, most important, greater profits and profit rates due to higher innovation rent. » (Rikap, 2019).

34 Dans un second temps, le pari est fait, par les compagnies pharmaceutiques, de trouver à partir d’un premier traitement orphelin, des utilisations annexes vers des pathologies plus répandues dans la population. Une pratique qui fait écho au Salami Slicing dont l’objectif est de multiplier l’utilisation d’un même traitement vers différentes nécessités thérapeutiques – modifiant mécaniquement son statut de niche à celui de nichebuster (Gagnon, 2015). Cette technique, sans rentrer dans les détails juridiques, est connue en Europe sous le nom de « Swiss-type Claim ». Née en Suisse au milieu des années 1980, dans une déclaration d’utilisation de l’Institut Fédéral de la Protection intellectuelle (IPI), elle permet à une firme de breveter plusieurs fois l’utilisation d’une substance chimique. Schématiquement, le procédé protège l’utilisation d’une substance (X) normalement conçue dans le cadre d’un traitement (Y), mais dont on découvre une utilisation nouvelle dans le cadre d’un traitement (Z) (Liu & La Croix, 2015). Cette pratique permet d’étendre la commercialisation du produit, et d’accéder à de nouvelle position de monopoles y compris lorsque le brevet protégeant l’entité moléculaire est échu (Gagnon, 2015) (Herder, 2013).

Chez Novartis, c’est en 2018 que la stratégie des traitements de niche est assumée publiquement, le label du groupe étant modifié en : « Focused medicines company powered by transformation advanced therapy platforms and data science. » Ce positionnement fait suite à une longue série de fusions-acquisitions de firmes biotechnologiques spécialisées dans le domaine de l’oncologie et des thérapies génétiques (Figure 6.). En 2015 Novartis conclut un accord avec la multinationale GlaxoSmithKline pour un échange d’actifs (asset swap deal) pour un montant dépassant les 16 milliards de dollars (GSK, 2015). Novartis cède ses divisions de vaccins en échange des divisions oncologiques de GSK. Enfin, le spin-off d’Alcon en 2019, valorisé lors de son entrée en bourse à 25 milliards de dollars finalise l’installation du groupe sur le modèle des nichebusters. En 2019, son unité oncologique comprenait 79 programmes de développement, dont 20 en phases finales sur un total, toutes unités confondues, de 164. Comme nous l’avons vu, sur la liste annuelle des médicaments caractérisés d’orphelins par l’Union Européenne, Novartis se positionne deuxième avec dix traitements. De ces dix, huit sont installés dans le top vingt des meilleures ventes du groupe. Ils cumulent, à eux seuls, 9.6 milliards de chiffre d’affaires soit 20% du total de ce dernier en 2019.

35 Figure 6. Liste et valeurs des principales fusions et acquisitions d’entreprises biotechnologiques de Novartis listée par ordre chronologique décroissant.

Sources : Rapports annuels 1997-2020, les valeurs manquantes sont complétées par un traitement de l’actualité qui suit l’acquisition, notamment le magazine FiercePharma et RTS info.

Novartis biotech corporate tree

Firmes Valeur de la transaction Dates

Vedere Bio 280 million $ 2020

The Medicine Company 9700 millions $ 2019

Xiidra 5300 millions $ 2019

IFM tre 1600 millions $ 2019

CellforCure undisclosed 2018

Endocyte 2100 millions $ 2018

AveXis 8700 millions $ 2018

Advanced Accelerator Applications 3100 millions $ 2017

Encore Vision 456 millions $ 2017

Ziarco 420 millions $ 2017

Selexys 665 millions $ 2016

Admune Therapeutics 256 millions $ 2015

Spinifex 312 millions $ 2015

Unité Oncologie GSK 16000 millions $ 2015

CoStim Ph. 248 millions $ 2014

Genoptix 480 millions $ 2011

Zheijiang Tianyan 125 millions $ 2011

Alcon 12900 millions $ 2010

Corthera 120 millions $ 2009

Nektar Pulmonary division 115 millions $ 2008

Speedel 939 millions $ 2008

Protez Pharma. 102 millions $ 2008

Neutec Pharma 606 millions $ 2006

Chiron Corporation 5100 millions $ 2005

Idenix Pharma. 334 millions$ 2003

Systemix 70 millions$ 1997

36 La période des nichebusters se développe donc grâce au recours intensif d’actifs extérieurs.

Formulé autrement, la capacité productive de Novartis se concentre sur des technologies et des traitements en cours de développement, voir déjà commercialisés, et ce, aux dépens des innovations issues de ses propres centres de recherches.

Une forme d’externalisation de la production de l’innovation qui prend différentes formes.

Du simple contrat de sous-traitance (Contract Research Organization ou CRO) qui s’occupe du recrutement de volontaires dans un essai clinique ou de la gestion de certaines tâches opérationnelles. Jusqu’à la fusion-acquisition de firmes ayant déjà développé un composant prometteur. C’est le cas par exemple de l’acquisition d’Advanced Accelerator Applications (AAA), en 2017, pour son traitement oncologique du Lutathera (lutetium Lu 177). Des cas intermédiaires peuvent exister, notamment des coentreprises (joint-venture) ou l’achat de licences (in-licencing) qui permettent d’externaliser la création d’un produit en échange d’un paiement à la compagnie innovatrice. La firme biotechnologique Speedel constitue un cas emblématique : issue des laboratoires de Ciba-Geigy, elle devient indépendante en 1997.

Cette dernière est acquise à nouveau en 2008 afin d’acquérir la licence exclusive sur le Tekturna (SPP 100) un traitement cardiovasculaire prometteur à l’époque.

1.3.3 Les restructurations contemporaines du capital de Novartis : la croissance des actifs