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Les restructurations contemporaines du capital de Novartis : la croissance des

1 Le modèle des blockbusters : de l’âge d’or à la recherche d’alternatives

1.3 Des stratégies de profit alternatives

1.3.3 Les restructurations contemporaines du capital de Novartis : la croissance des

La restructuration du capital de cette période est particulièrement intéressante à analyser puisqu’il ne s’agit pas uniquement d’un déplacement des secteurs d’activités qui est à l’œuvre, mais d’une modification du type de capital investi par Novartis. À cette occasion, les dynamiques de croissance des actifs du groupe nous renseignent sur l’accumulation stratégique du capital des vingt dernières années.

Une dynamique s’initie en 2005, avec l’acquisition des firmes génériques Eon Labs et Hexal, puis en 2006 avec l’acquisition des parts restantes de Chiron pour un montant de 5.7 milliards de dollars. Le point culminant remonte à l’année 2010, avec l’achat de 77% du capital d’Alcon, pour un montant de 12.9 milliards de dollars. La croissance totale des actifs entre 2009 et 2010 atteint 30% et fait basculer les actifs intangibles au rang d’actifs majoritaires du groupe (Figure 7.). L’intégration d’Alcon, de son unité de produits ophtalmologiques et chirurgicaux, est motivée par un accès direct aux droits de propriété

37 sur les produits vendus (Currently marketed & marketing know-how) et au capital technologique (Technologies) valorisés lors de l’acquisition à 16.5 et 5.3 milliards de dollars -soit environ 18% du total des actifs du groupe en 2010 (Novartis, 2010). Les dix dernières années sont marquées par un déclin du capital matériel (bâtiments, machines, équipements) relativement à son expansion immatérielle (brevet, marques déposées et goodwill). Un déclin qui débute dès la fusion, mais qui est contenu durant la période des blockbusters. La croissance du Goodwill, en parallèle à la croissance des autres intangibles, est expliquée par les multiples acquisitions et renforce le point selon lequel le renouveau stratégique des activités du groupe s’appuie majoritairement sur l’accumulation des capitaux extérieurs plutôt que sur le développement interne de nouveaux traitements.

Figure 7. Composition du capital de Novartis en pourcentage total des actifs entre 1996 et 2019

Sources : Rapports annuels Novartis 1996-2019

À cet égard, Baranes (2016), dans ses travaux sur la firme américaine Pfizer, nous propose d’utiliser la mesure des actifs tangibles nets (ATN) calculés en soustrayant, la somme des actifs intangibles et des passifs, au total des actifs de la firme :

0%

5%

10%

15%

20%

25%

30%

1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019

Immobilisations corporelles Goodwill Actifs intangibles identifiables

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« Because solvency requires that total assets are greater than total liabilities, net tangible assets helps measure the enterprise’s reliance on control over social relations qua intangible assets to remain a going concern. » (Baranes 2016)

Chez Novartis, l’effondrement de l’ATN en 2010 (Figure 8.) met en perspective la dépendance de ses investissements aux capitaux intangibles. C’est-à-dire, la nécessité d’accéder aux innovations ou aux droits sur des traitements commercialisables. Pourtant, contrairement à l’entreprise Pfizer, l’ATN de Novartis ne passe jamais en dessous de la barre du zéro -le niveau le plus bas en 2019 s’élevant à 240 millions de dollars.

Figure 8. Niveau des actifs tangibles et intangibles et mesure des actifs tangibles nets à Novartis entre 2003 et 2019 en millions $.

Sources : Rapports annuels Novartis 1996-2019

Une des raisons principales est que Novartis maintient en vie une partie de ses unités de production matérielles. Ces dernières sont majoritairement constituées de centres de recherches : les Novartis Institutes for BioMedical Research (NIBER). Six instituts responsables des activités de R&D du groupe, progressivement reconvertis en centre de développement. La stratégie consiste ainsi à acheter les droits de propriété d’un traitement prometteur et à terminer son développement avant sa mise sur le marché. Une activité que nous analysons dans le prochain chapitre de ce travail.

0 20000 40000 60000 80000 100000 120000 140000 160000

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 Total des actifs Actifs tangibles nets Passifs

39 En matière de rentabilité des actifs, la mesure du ROA (return on assets) nous éclaire sur la capacité du groupe à générer du profit à partir de ces actifs. Le ROA est composé d’un ratio de profitabilité –bénéfice net sur chiffre d’affaires et d’un ratio de rotation de ses actifs -chiffre d’affaires sur actifs totaux. La mesure met en lumière la dualité des activités productives de l’industrie pharmaceutique : d’un côté, le ratio de rentabilité (échelle de gauche) reflète la capacité de Novartis à maintenir une position de monopole sur le prix de ses ventes, de l’autre le pourcentage de rotation de ses actifs (échelle de droite) reflète sa capacité à transformer ses investissements (de recherche, de développement ou de marketing) en capitaux pourvoyeurs de revenus. À cet égard, Mary O’Sullivan (2019) souligne que les ambitions marchandes ainsi que les ambitions capitalistes d’une firme se reflètent dans la valeur du ROA (O’Sullivan, 2019) (Figure 9).

Figure 9. Composition du ROA de Novartis de 1993 à 2019

Sources : Rapports annuels Novartis 1996-2019

La tendance à la baisse, dès les années 2010, du ratio de profitabilité du ROA fait suite à l’érosion des revenus du groupe produite par l’expiration du brevet sur le Diovan dès 2011, puis sur le Gleevec dès 2015. Une diminution qui est renforcée, à moyen terme, par le déclin du ratio de roulement des actifs. Il faut attendre 2018 pour que le ROA retrouve son niveau de 2009, grâce à l’augmentation soutenue de la profitabilité des activités du groupe, qui

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019

ROA Marge nette Roulement des actifs

40 compensent un ratio de roulement des actifs très bas. La différence de composition du ROA de 2009 et de celui de 2019, similaires en apparence, nous renseigne sur les nouvelles conditions qui structurent la rentabilité des capitaux à Novartis (Tableau 2.). Premièrement, la reprise de la profitabilité telle qu’expérimentée au début des années 2000 est de retour que récemment. Elle fait suite à une longue période de restructuration du groupe vers de nouvelles sources de profits. L’intégration du modèle des nichebusters semble, progressivement porter ses fruits en matière de profitabilité bien que nécessitant un niveau d’actif plus élevé que la période précédente. La diminution presque constante du ratio de roulement des actifs nous renseigne sur la diminution du pouvoir de chaque unité de capital à la participation du chiffre d’affaires. Son niveau élevé durant les années 2000, fait écho à la concentration du modèle des blockbusters. Au contraire, l’intensité en capital – analytiquement le ratio inverse des actifs sur le chiffre d’affaires - est croissante et indique une dépendance de plus en plus grande de la firme à sa base capitaliste.

Tableau 2.Décomposition du ROA de Novartis de 2009 et de 2018

Sources : Rapports annuels Novartis 1996-2019

En conclusion, cette section nous éclaire sur les stratégies de profit alternatives qui existent à Novartis. Si la voie des médicaments génériques s’implante rapidement, le virage sur les traitements de niche s’impose véritablement ces dernières années. Ce modèle intègre la notion de valeur thérapeutique et se destine principalement aux maladies rares ou aux besoins médicaux non satisfaits. Enfin, l’accumulation de capitaux intangibles extérieurs devient centrale. La réussite du modèle étant conditionné à la capacité du groupe d’agréger, puis de commercialiser, les flux d’innovations soutenus provenant de la périphérie.