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Dans cette section de notre développement, il s’agira de comprendre les ressorts de la reconnaissance des élites religieuses et traditionnelles . C'est-à-dire ce qui expliquerait leur réputation, autrement dit les bases de leur légitimité. Plus précisément, il s’agira d’évoquer les fondements, voire les sources de la légitimité de ces élites traditionnelles et religieuses, sans lesquelles elles ne seraient pas reconnues. En effet, il apparaît que le prestige dont sont encore, peu ou prou, auréolées les élites religieuses et traditionnelles au Bénin repose sur la reconnaissance de leur existence et de leur poids. Cette reconnaissance se justifierait par une certaine légitimité qui leur est prêtée par certains de leurs concitoyens, légitimité qu’il est nécessaire d’apprécier à travers ses fondements. La question de la légitimité est liée, en partie, à ses modes d’acquisition et d’expression, sans oublier les stratégies qui lui permettent d’être confortée369. Comment peut-on apprécier, par exemple, l’expression des faits religieux et traditionnels dans l’État béninois ?

Christian de Souza a confirmé le caractère religieux du peuple béninois en affirmant, quant à son degré de religiosité, qu’il était quantifiable « à peu près à 60% en ce qui concerne les fidèles des religions animistes. Les religions animistes, disons que c’est 41 spiritualités au total. Il y a 60% de Béninois qui, quelque part, ont encore des contacts avec ces réalités religieuses »370. L’ancien directeur de la

369

Jeanne BECQUART-LECLERCQ, « Légitimité et pouvoir local », op. cit., p. 238 370

Entretien avec Christian de SOUZA, le 19 août 2009. C. de Souza a été directeur de la Radio Nationale du Bénin (de 2006 à 2013), et comptait parmi les porte-parole de Chacha VIII, chef de la collectivité familiale de Souza du Bénin-Togo-Ghana-Nigéria. Monsieur de Souza est diplômé d’une école de journalisme à Dakar, et âgé d’une cinquantaine d’années. Il nous a reçu dans son bureau, habillé en tenue traditionnelle, le 22 août 2009, à Cotonou. Christian de Souza a été nommé, après son poste de directeur de la Radio Nationale, conseiller technique aux Médias du ministre de la Communication, des Technologies de l’Information et de la Communication (il avait aussi été un collaborateur du ministre du Plan, Bruno Amoussou, auparavant). Il a été, depuis lors, désigné comme secrétaire permanent de la Commission Nationale, chargé du passage de l’Analogique au Numérique. M. de Souza nous a fait un compte rendu du pouvoir social de la chefferie religieuse et traditionnelle du Bénin, mais aussi des relations entre élites politiques, religieuses et traditionnelles, avant, pendant et après la transition démocratique de 1989-1990. Il nous a résumé le pouvoir social des élites traditionnelles et religieuses au

Radio Nationale, pour illustrer l’univers religieux dont serait imprégnée une majorité non négligeable de Béninois, nous a rapporté une pensée de feu Mgr Isidore de Souza, archévêque de Cotonou, datant de 1971. C’était avant que ledit prélat ne fasse connaissance avec les dirigeants du marxisme béninois qui fut proclamé en 1974. L’Archévêque de Souza avançait que l’on ne pouvait être à la fois communiste et Béninois car la culture nationale était empreinte de religiosité. Il estimait, de façon générale, qu’il était inconcevable que « l’Africain puisse renier tous les dieux, à commencer par ses propres dieux et ceux qui ont été importés, et dire que maintenant on se retrouve dans une sit uation athéiste n’était pas possible »371. Suite à ces observations, le Bénin apparaîtrait comme un État relativement religieux, car, d’après Christian de Souza, même sous le marxisme béninois, les communistes et les révolutionnaires, en réalité, « ne l’étaient à aucun niveau »372.

Outre les caractéristiques religieuses du Bénin, comme nous l’avons déjà mentionné, la société est assez marquée par des faits coutumiers et traditionnels, car les élites traditionnelles y jouent un rôle important. Avant l’indépend ance, par rapport à la France, dans maintes localités où étaient constitués des espaces politiques précoloniaux, sur lesquels sera fondé l’État dahoméen, aujourd’hui béninois, existait un souverain occupant plusieurs fonctions, notamment « homme politique, chef de famille, personnage religieux, juge », tout en revêtant « l’ensemble des attributs de la puissance publique »373. D’ailleurs, le chef traditionnel incarnerait encore au Bénin une personne institutio nnelle valable, capable, car au-dessus du commun des mortels, et devant, à ce titre, remplir des devoirs primordiaux. C’est ce qui expliquerait d’après le journaliste de Souza que, perçu comme une personnalité morale, le chef traditionnel soit « difficilement

Bénin et dans la Sous-région, mais surtout celui du Chacha de Ouidah. M. de Souza nous a enfin expliqué les conditions du sacre du roi d’Abomey, entre autres, dont dépendrait le Chacha actuel, successeur du ‘‘représentant’’ symbolique des Agoudas. Voir à propos des fonctions actuelles de M. de Souza :

GAMAI Léonce, « Bénin : la Commission Nationale du passage de l’Analogique au Numérique installé mardi prochain », La Nouvelle Tribune, 18 octobre 2013 in

http://www.lanouvelletribune.info/index.php/politique14/16413-benin-la-commission-nationale-du-passage-de-l-analogique-au-numerique-installe-mardi-prochain consulté le 13 mars 2014.

371 Ibid. 372

Ibid. 373

Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs, Rapport d’évaluation de la gouvernance, op. cit., p. 75.

contestable » et souvent respecté, écouté, voire obéi dans les sociétés traditionnelles, notamment rurales374.

Comme manifestations d’autorité, nous avons observé que les rois et chefs traditionnels supérieurs parlaient d’eux-mêmes à la troisième personne du singulier (ils disaient par exemple : « Le roi a dit. »), mais aussi à la première personne du pluriel. Ils étaient également appelés, par ceux qu’ils considéraient comme leurs « sujets », à partir de leur nom de pouvoir ou royal, toujours avec déférence. Les rois (et dans une moindre mesure certains chefs traditionnels supérieurs) possèdent des sièges de distinction, sculptés, parfois sur mesure, avec quelques symboles de pouvoir. Le Chacha de Ouidah, par exemple, possède un semblant de trône, lequel est en réalité un fauteuil moderne mais surélevé. Celui-ci comporte à droite et à gauche, à ses bordures et à ses pieds, de grandes statues d’éléphants en bois. L’éléphant est l’animal emblématique du Chacha, puisque c’est l’un de ses surnoms en langue fon, c'est-à-dire Adjinakou. Dans les litanies familiales (véritables panégyriques) destinées à louer le patriarche de la famille de Souza, le premier Chacha, Francisco Félix de Souza, il est fait allusion à un éléphant qu’il incarnerait. Ce dernier serait imperturbable aux regards hostiles d’un loup, mais, selon toute vraisemblance, il pourrait plutôt s’agir d’un chacal. En effet, il nous paraît peu crédible de croiser dans la savane dahoméenne, au début du XIXème siècle, un canis lupus, membre de la famille des canidés375.

Le Chacha VIII, par ailleurs, portait, souvent, comme tenue officielle d’apparat une redingote ou une veste, symbole de modernité, pour marquer l’appartenance de sa lignée paternelle, issue du patriarche des Souza, à une ascendance d’origine lusitanienne, donc occidentale. De plus, sa tête était d’habitude recouverte, à l’instar des précédents Chachas, selon les traditions familiales, par une calotte de velours376. Cette mode était également usitée par Francisco Félix de Souza, patriarche de la famille, comme le montre son portrait peint. Il y est représenté comme l’aventurier Garibaldi qui aurait intégré la mode africaine d’un chef yorouba, par le port d’une grande calotte377. Toutefois, ce couvre-tête, tel que décrit par ses contemporains du premier Chacha, pourrait

374

Entretien avec Christian de SOUZA. 375

Casimir AGBO, Histoire de Ouidah : Du XVI au XXe siècle, Avignon, P. U., 1959, pp. 224-225.

376

Pierre VERGER, Flux et reflux de la traite des nègres entre le golfe de Bénin et Bahia de todos os santos : du dix-septième au dix-neuvième siècle, Paris & La Haye, EPHE & Mouton, 1968, portraits n° 24 & 26.

377

plutôt ressembler à une kippa juive378. Par contre, les grands chefs coutumiers, notamment des souverains traditionnels, d’ethnies nago, tchabè, baatonu, dendi et

datcha, s’habillaient en tenue traditionnelle, de luxe, rappelant la tenue yorouba

traditionnelle, dite en langue locale agbada. Courante au Bénin, à l’occasion de grandes libations culturelles, elle ressemble à la tunique d’origine arabe (cette tenue est parfois appelée Djarabou ou Djalabou, terme qui semble être une corruption ou déformation du mot Djellaba, désignant la tunique vestimentaire arabe) qui l’a, probablement, à l’origine, influencée. Au niveau de des tenues de ces monarques traditionnels, il y a tout de même certaines nuances qui nous échappent, dont quelques broderies et couleurs qui varient selon les circonstan ces.

D’autre part, au niveau toujours des marques visibles de leur autorité, e ntre autres, comme symboles de pouvoir, les rois nagos, à l’instar du monarque traditionnel de Kétou, ont souvent deux manches réalisés à partir d’une queue de cheval. Chez le roi de Kétou, l’un peut bénir et l’autre maudire une personne au choix, suivant un certain cérémonial.

Contrairement à ses pairs, que nous venons de citer, le roi d’Abomey, quant à lui, a l’habitude de porter un pagne au-dessous d’un torse nu et, sur son cou, des amulettes et des colliers. Cette mode semble plus ou moins similaire à celle des personnages d’importance de l’antique Egypte. Le roi d’Abomey porte également une calotte décorée de dessins symboliques en maintes couleurs vives379. Il possède d’autre part divers attributs divers de pouvoir comme : un sceptre ; une récade royale en forme de crosse ou de hache ; des sandales et un cache-nez pour filtrer l’air qu’il respire (puisque n’étant pas un mortel comme les autres, il est censé respirer un air de qualité). Lorsqu'il sort, sa cour, composée de femmes, le protège du soleil avec un parasol, tourné dans un sens donné. Les visiteurs ne

378

Ibid., p. 465 379

Pour un aperçu de l’habillement du roi d’Abomey, voir une de ses photos, à l’occasion de l’intronisation d’un chef traditionnel dans Flore S. NOBIME, « Intronisation à Abomey par Sa Majesté Dédjanlangni Agoli-Agbo : Massif déploiement de personnalités à l’intronisation de Dah Houédjissin Woudji-Woudji », L’événement Précis, 3 septembre 2013 in

http://levenementprecis.com/?p=21219 consulté le 13 mars 2014. Dans la photo insérée dans cet article, le roi d’Abomey y manifeste son autorité en donnant une onction et une récade (comme il l’a fait avec Chacha VIII qui relève à l’origine de son aire de commandement) ou sceptre de commandement au nouveau chef traditionnel.

Voir aussi la photo des deux rois d’Abomey (le roi Béhanzin a accepté le couronnement unique du roi Agoli Agbo, quelque temps avant sa mort) sur le site de la Préfecture d’Abomey in

paraissent en présence des souverains et chefs traditionnels, de même que devant le grand pontife du vôdoun, qu’en se déchaussant (ce n’est pas le cas du Chacha, chez qui la salutation peut se faire, après également une invitation à rentrer dans le salon personnel, par un baise main, suivant les usages de la noblesse portugaise et brésilienne des XVIIIème et XIXème siècles) et en se tenant à distance respectable d’eux, qui seuls ont le droit d’être chaussés. Ce n’est qu’après avoir donné d’avance nos présents symboliques à leurs responsables du protocole, qui les leur présentaient, que nous avons été reçu. Ainsi, en face des rois traditionnels de Djougou, Kika, Abomey, Dassa, Savè et Kétou, nous nous sommes agenouillé et déchaussé, en guise de respect aux monarques selon les coutumes, tandis que certains visiteurs, originaires desdites localités, se sont prosternés, en se couchant quasiment le ventre au sol, prononçant des paroles de reconnaissance de leur soumission, attendant une bénédiction royale et une autorisation à se relever. Les usages traditionnels et religieux qu’il fallait respecter, nous avaient été notifiés au préalable par le protocole attaché au service des élites religieuses et traditionnelles rurales. Ainsi, au commencement de nos entretiens avec les souverains traditionnels, l’objet de notre recherche était souvent expliqué par un intermédiaire. Après ce prélude, les élites traditionnelles et religieuses s’adressaient le plus souvent directement à nous en français, comme pour nous montrer leur capacité d’adaptation à la modernité, bien qu’elles soient enracinées dans une tradition culturelle et cultuelle. En effet, la plupart d’entre elles avaient un certain niveau d’instruction, parfois même universitaire. Par ailleurs, outre le fait que certains se laissaient prendre en photos par des invités ou étrangers comme nous, ils usaient, pour leur commodité, de plusieurs immeubles, meubles, produits et services modernes : téléphones ; réfrigérateurs ; maisons en durs équipées de plusieurs équipements modernes ; voitures ; voyage en avion ; etc.

Par ailleurs, les élites traditionnelles « temporelles » et religieuses endogènes, surtout (mais c’était parfois le cas pour certaines élites religieuses issues de religions modernes), ont eu, le plus souvent, à cœur de nous expliquer leur généalogie culturelle et historique à travers la lignée ancestrale de leurs prédécesseurs. Elles décrivaient souvent leur cursus personnel et les conditions de leur intronisation, comme pour légitimer leur autorité. C’est ainsi par exemple que la représentation de la chefferie traditionnelle peut être comprise à travers la place qu’occupe la tradition dans les communautés béninoises et dans l’État. En fonction de ce statut, on peut essayer de mesurer sa portée à travers la légitimité sur laquelle elle s’appuie.

§A : LES FONDEMENTS DE LA LEGITIMITE DES ÉLITES TRADITIONNELLES

La légitimité des élites traditionnelles repose sur l’autorité, notion que le politologue Daniel Gaxie définit comme une « aptitude socialement reconnue (et prescrite) à connaître d’un domaine de la réalité »380. L’autorité suppose une différenciation et une hiérarchisation entre ceux qui exercent un ascendant sur ceux qui leur sont assujettis. En somme, l’autorité pourrait être définie comme un « ascendant qu’exerce sur nous toute puissance morale que nous reconnaissons comme supérieure à nous » ; en ce sens, l’autorité politique pourrait être alors « un ascendant particulier reconnu et exercé dans le domaine politique »381.

D’autre part, Michel Dobry établit une corrélation entre le charisme et l’autorité, puis il analyse cette dernière comme une qualité inhérente à une personne susceptible de susciter une confiance sur laquelle autrui pourrait se reposer382. L’autorité personnelle n’est pas conquise indéfiniment dans la mesure où elle ne peut s’entretenir « qu’au travers d’actions qui la réaffirment pratiquement par leur conformité aux valeurs que reconnaît le groupe »383. Les leaders sont donc liés à des normes de leur groupe qu’ils se doivent d’incarner, participant ainsi au « capital collectif », proportionnellement à « son apport », quant au prestige de leur communauté384.

L’élite traditionnelle s’appuie sur son autorité pour acquérir un certain pouvoir d’ordre social. J.-P. Poitou nous donne une représentation du pouvoir en ces termes :

« Les fondements du pouvoir sont formés de toutes les ressources dont dispose A, et qui peuvent d’une façon ou d’une autre constituer un renforcement pour B. Les moyens sont les modalités d’utilisation de ses ressources par A pour obtenir de B qu’il modifie son comportement : promesses, menaces, sanctions, etc. La portée du pouvoir de A, c’est l’ensemble des actions de B que A peut obtenir lorsqu’il exerce son

380

Daniel GAXIE, Le cens caché : inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris, Du Seuil, 1978, p. 241.

381

Daniel GAXIE & Patrick LEHINGUE, Enjeux municipaux : La constitution des enjeux politiques dans une élection municipale, Paris, PUF, 1984, p. 36.

382

Pierre BOURDIEU, « Les modes de domination », art. cit., p. 129. 383

Ibid. 384

pouvoir. Enfin le degré du pouvoir de A est défini en termes de probabilité.385 »

Comment qualifier alors, sur cette base théorique, l’autorité et l’importance des élites traditionnelles ?

D’aucuns estiment que l’autorité des élites traditionnelles s’expliquerait par leur fiabilité, découlant de leurs préceptes moraux, guidés par la crainte que leur inspirerait les dieux vénérés386. La personnalité morale d’un roi serait donc difficilement contestable dans la mesure où ce dernier s’appuie sur des religions traditionnelles dont les répercussions seraient immédiatement ressenties par les populations rurales, d’après leurs croyances. En effet, affirme Christian de Souza : « C’est dû au fait que, dans la religion traditionnelle, dans l’Afrique traditionnelle, on les appelle souvent les sages. Un sage ne peut rendre qu’un jugement sage. Et à s’y méprendre soi-même, quand on fait une introspection intérieure de la décision rendue par un roi, on voit que ce n’est pas injuste. Pourquoi il ne peut pas rendre aussi la décision injuste ? Parce qu’il a prêté serment sur un dieu africain qui n’aime pas l’injustice, qui le guide. Aujourd’hui, on peut prêter serment sur la Bible et le Coran et faire complètement le contraire parce qu’on peut ne pas avoir la sanction. Mais la lecture que les Africains ont des religions traditionnelles, quand tu transgresses, la sanction ne tarde pas à arriver. C’était l’autre garant de l’équité sociale. Le Dieu invisible, de par ses principes, on est obligé de respecter ses principes, et tout le monde. Il y a une sorte de convention partagée par tout le monde et ça allait très bien.387 »

Certaines communautés pourraient croire en la crédibilité du chef traditionnel à cause du caractère sacré de son serment, qui l’obligerait à respecter ses engagements. Si tel n’est pas cas, il s’exposerait à des dieux endogènes punitifs.

De la personnalité des rois au Bénin émane un caractère sacré, lequel confère ainsi, à une tête couronnée, des caractéristiques hors du commun. Celles-ci font du souverain traditionnel un être vraiment à part. Tel est le cas du roi à Savè comme l’avait déjà mentionné Palau-Marty, qui écrivait à ce sujet : « L’Oba de Sàbé est un roi sacré ; pour acquérir son pouvoir mystique, le futur roi doit se

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J.-P. POITOU, « Modèles formalisés du pouvoir », art. cit., p. 601. 386

Entretien avec Christian de SOUZA. 387

soumettre à divers rituels et effectuer plusieurs périodes de retraite »388. Le roi, en raison de sa personnalité exceptionnelle, doit éviter de dévoiler sa personne et ses actes quotidiens à tous. Son aura mystique et puissante est confortée par une cérémonie où il va, symboliquement et matériellement, à travers l’oba oje, « manger le roi », auquel il succède, action perçue comme un « rite essentiel qui fait acquérir au roi la force sacrée »389.

Le roi de Savè se livre donc à une séance de manducation d’une partie du précédent roi, décédé. Plus précisément, il se livre à la consommation de la langue de ce dernier à laquelle est mêlée une liqueur, renversée dans le crâne du même défunt monarque, où ont macéré des feuilles préparées par un jeune homme vierge du lignage Basolo390. En ingérant l’ensemble de ces éléments, censés être sacrés, « l’homme appelé au trône assimile la force mystique qui lui donne son pouvoir et le fait devenir réellement roi »391.

Le roi constitue une sorte d’intermédiaire entre le spirituel et le profane, car, nous explique Palau-Marty : « Le personnage royal, trait d’union entre deux mondes, nous conduit tout naturellement dans le domaine de la Religion »392. Le roi c’est aussi cet être-là qui assure l’équilibre de la société qu’il incarne avec l’environnement dans lequel cette dernière s’insère. Il est donc impératif que la succession royale ne soit pas interrompue afin que « l’ordre et la vie se trouvent rétablis », après le bouleversement causé par la mort du monarque antérieur393.

Le roi n’étant pas un mortel comme les autres, sa mort, entourée de mystères, est censée affliger l’ensemble du royaume ; c’est pourquoi elle est annoncée symboliquement comme « la tombée de la nuit »394. D’ailleurs, dans l’ancien Danhomè, attenter à la vie d’un homme de sang princier, c’était commettre un grand sacrilège dans le royaume395.

La particularité de la personne du roi fait donc de lui un être en quelque sorte prédestiné, car n’est pas désigné qui veut, mais plutôt celui qui obéit à des