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La Constitution béninoise traite dans son préambule de la « dimension temporelle, culturelle » du citoyen, mais aussi de sa dimension « spirituelle »354. Les droits culturels et religieux de la personne humaine sont respectés au Bénin comme en disposent les articles 9, 10, 11, 14 et 23 du titre II de la dite Constitution355. La tradition ancestrale semble être constitutionnellement reconnue à travers certaines mentions, notamment celles inscrites dans l’article 53 de la Constitution, qui imposent au président de la République de prêter serment lors de son investiture « devant Dieu, les mânes des ancêtres, la Nation et devant le Peuple béninois, seul détenteur de la souveraineté »356.

De l’examen de ces textes constitutionnels, il appert que la religion et la tradition sont garanties par la loi fondamentale béninoise, même si ceux qui en sont les gardiens n’ont aucun rôle, ni autorité, consacrés officiellement357. Ainsi, dans le droit administratif béninois, les élites traditionnelles et religieuses n’ont, par exemple, aucun rôle à jouer dans le cadre de la décentralisation.

Mais si les élites religieuses et traditionnelles ne sont aucunement reconnues par les textes juridiques béninois, comme acteurs au niveau des communes, elles sont perçues, de facto, par leurs concitoyens, comme de réelles autorités morales jouissant d’un certain respect, voire d’une considération non négligeable. C'est pourquoi dans l'effectivité des relations interpersonnelles, qu’ils

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Gouvernement du Bénin, Constitution de République du Bénin : Loi N° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin , p. 2 in

http://www.gouv.bj/sites/default/files/Loi-N-90-32-du-11-decembre-1990-portant-Constitution-de-la-Republique-du-Benin.pdf consulté le 20 octobre 2013.

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Ibid., pp. 6-8. 356

Ibid., p. 15. 357

Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs, Rapport d’évaluation de la gouvernance, op. cit., p. 74.

développent tous les jours avec leurs administrés, les maires sont tenus (s'ils souhaitent éviter les difficultés dans l’exercice de leurs fonctions, au niveau de leur gestion administrative des affaires municipales) d’établir de bonnes relations avec les élites traditionnelles et religieuses des localités dont ils ont la charge. Les maires tiennent donc compte de ces élites religieuses et traditionnelles dans certains domaines, comme nous l’expliciterons progressivement. Parce que les lois du pays ne correspondent pas à ces réalités mentionnées précédemment, le gouvernement béninois, sous la présidence de Boni Yayi, s’est interrogé sur la possibilité d’associer, de manière officielle, les leaders religieux et traditionnels à ses décisions dans certaines matières, afin d’améliorer le développement de l’État. Le gouvernement a ainsi prévu d’aménager juridiquement un statut, de même qu’un rôle, pour ces élites religieuses et traditionnelles, en définissant leurs attributions et limitations face aux élus de la nation qui occupent des postes politico-administratifs, tels que les maires, par exemple, afin d’éviter les conflits entre elles et ces derniers. Toutefois, avant que d’expliciter, plus amplement, le changement qui s’initie progressivement, il est important de faire un état des lieux de la position des élites religieuses et traditionnelles dans l’histoire béninoise.

Avant l’arrivée des colons français, la chefferie traditionnelle (dans une moindre mesure la chefferie religieuse endogène aussi car associée naguère au pouvoir temporel précolonial) constituait le socle des systèmes sociopolitiques de toutes les régions comprises dans les limites de l’État béninois actuel, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. Pour autant, de nos jours, ladite chefferie n’a plus aucun pouvoir temporel officiel dans l’État laïc358. Elle aura donc connu divers aléas dans ses rapports avec l’administration étatique moderne dirigée par la Franc e coloniale, entre 1892 et 1960. Il peut être fait état des mêmes difficultés pour cette chefferie traditionnelle, dans ses relations avec les gouvernants « indigènes » dahoméens et béninois, de 1960 à nos jours.

Bien que le Bénin soit un État laïc démocratique, depuis 1990, décentralisé au niveau des communes depuis 2003 et doté d’un régime présidentiel (dans lequel le président de la République détient, sans partage, le pouvoir exécutif), on ne peut occulter de facto la présence et l’importance relative de ses élites religieuses et traditionnelles, même si celles-ci ne sont pas reconnues de jure. Suivant de telles considérations, les élites légales-rationnelles ont coutume d’instaurer des relations

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Ministère chargé des Relations avec les Institutions (MCRI)/ Direction des Relations avec les Organisations de la Société Civile, Forum National des Rois et des Dignitaires du Bénin : Rapport Général, op. cit., p. 3.

avec ces dernières, en fonction de leurs perceptions, variant en fonction du temps et de l’espace. Ainsi donc les relations que ces élites-légales rationnelles, notamment politiques, contractent avec les élites religieuses et traditionnelles suivent un cours différent en fonction des périodes, des localités dans lesquelles elles se nouent et des visions respectives entretenues, de part et d’autre.

Pierre Osho, ancien ministre d’État du gouvernement de Mathieu Kérékou estimait à ce sujet que de nombreuses élites politiques de son pays reconnaissaient qu’il y avait urgence à préserver le patrimoine culturel béninois, incarné par les élites traditionnelles et religieuses359. La réalisation du projet de la route de l’esclave, connu sous la dénomination Ouidah 92, confirme cette tendance sous la présidence de Nicéphore Soglo360. Au cours de cet événement, bon nombre de Béninois, mais aussi de personnes issues de la diaspora africaine, vivant aujourd’hui, bien qu’Afro-descendants, de l’autre côté de l’Afrique, ont exprimé leur engouement en faveur des cultes endogènes, notamment du vôdoun. De même, l’attachement au passé et aux traditions perpétuées peut être symbolisé à travers l’institution de la chefferie traditionnelle361. Dans ce contexte, les coutumes apparaîtraient alors comme des « dispositions psycho sociologiques » pour des Africains de la région subsaharienne, en l’occurrence, du Bénin, ce qui expliquerait alors l’importance que revêt la chefferie traditionnelle à leurs yeux362. L’histoire de la chefferie traditionnelle au Bénin présente certaines particularités363. Ainsi, en étudiant différentes périodes, on peut s’apercevoir que la position dans l’État des chefs traditionnels a connu divers sorts. Affectée, voire diminuée, sous la colonisation et le Dahomey indépendant, la chefferie traditionnelle a été plus ou moins réprimée à partir de la période marxiste. Mamoudou Gazibo qualifiait alors l’État béninois, qui avait adopté l’idéologie communiste, d’Afro-marxiste, contrairement à Pierre Osho qui le définissait plutôt

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Entretien avec Pierre OSHO. 360

Entretien avec Pierre OSHO. Lire, à propos de Ouidah 92, également Nassirou BAKO -ARIFARI & Pierre-Yves LE MEUR, « La chefferie au Bénin : une résurgence ambiguë » in Claude-Hélène PERROT et François-Xavier FAUVELLE-AYMAR (dir.), Le retour des Rois : les autorités traditionnelles et l’État en Afrique contemporaine, op. cit., pp. 131-132.

361 Ibid. 362

Ibid. 363

À propos de l’histoire de la chefferie traditionnelle, nous nous s ommes appuyé sur les ouvrages sur le Bénin (cf. Bibliographie) et les entretiens avec : Nouhoum ASSOUMAN, deux fois député à l’Assemblée nationale du Bénin ; Christian de SOUZA, directeur de la Radio Nationale du Bénin ; Issa Démolè MOKO, ancien ministre de la décentralisation sous la présidence de Thomas Boni YAYI ; Pierre OSHO et Entretien avec Félix Abiola IROKO. Nous donnerons plus de détails sur certains de ces entretiens dans les notes de bas de page suivantes.

comme populaire. A partir des années 1970, avec l’avènement au pou voir du Général Kérékou, les élites traditionnelles, mais aussi les élites religieuses, seront assimilées à des forces rétrogrades à réprimer. Le gouvernement d’alors estimait qu’elles retarderaient le développement de l’État béninois. C’est pourquoi ces élites indexées choisiront la discrétion afin de ne pas être contraintes plus sévèrement encore. La politique de répression s’assouplira à partir des dernières années de la période marxiste, ce qui permettra à certains leaders religieux , par exemple, d’être appelés à siéger au sein de l’Assemblée Révolutionnaire. Il en sera de même pour quelques leaders traditionnels qui auront pu faire entendre leurs voix à travers leurs représentants siégeant dans ladite assemblée. La raison qui explique cette considération, par les élites politiques, des leaders religieux et traditionnels, c’est l’aura, non négligeable, qui est encore la leur auprès d’une partie de la population béninoise.

Plusieurs expériences empiriques, personnellement réalisées, viennent étayer ce constat dans maintes contrées béninoises, notamment dans la commune de Ouidah. Celle-ci présente des caractéristiques sociales aussi bien urbaines que rurales. Nous précisons que si les relations entre élites politiques, religieuses et traditionnelles à Ouidah ont servi d’illustration à notre thèse, pour analyser certaines situations, nous avons également interprété le fruit de nos recherches sociologiques dans les communes d’Abomey, Dassa, Kétou, Savè et Djougou , auprès des rois traditionnels. Nous avons pu également recueillir les avis des rois d’autres localités, notamment à Cotonou. Nous avons eu ainsi un entretien téléphonique, depuis Cotonou, avec le second roi d’Allada, Dossou Sagittaire, aujourd’hui décédé. Nous avons rendu, à deux reprises, visite au roi de Kika, à son domicile (il s’agit d’une localité du Nord du Bénin qui relève de l’aire culturelle et ethnique baatonu) dans la capitale économique béninoise.

Mais pour mieux appréhender le poids du traditionnel et du religieux au Bénin dans les consciences humaines, nous nous sommes surtout concentré, pour un aperçu synthétique, sur notre expérience empirique à Ouidah, que nous avons visité plusieurs fois. A ce sujet, nous nous sommes appuyé sur les recueils de nos entretiens, mais aussi sur des souvenirs personnels. Nous avons considéré, nous ne le répéterons jamais assez, que cette région présentait des traits communs avec d’autres communes béninoises, citadines comme rurales, quant à la perception du traditionnel et du religieux dans le pays. Cette collectivité décentralisée, comportant des arrondissements constitués de quartiers de villes et de villages, est bordée par l’Océan Atlantique et située dans le département de l’Atlantique qui

avoisine celui du Littoral. De nombreuses manifestations culturelles et cultuelles animent la vie sociale de cette commune depuis des siècles. De tels événements y expliqueraient l’existence d’une politique municipale très orientée sur une valorisation de sa dimension traditionnelle et religieuse364. Une bonne partie de la population indigène de Ouidah, où les couvents des religions traditionnelles sont visibles dans la plupart des arrondissements, pour ne pas dire tous, nous a paru fidèle à ses libations culturelles et cultuelles, d’après les résultats de nos enquêtes365. Les autorités municipales, constatant cet attachement, auraient projeté d’associer, au mieux, les leaders traditionnels et religieux dans le processus de développement de leur commune et dans les tentatives de conciliation , suite aux différends pouvant y naître entre citoyens366. Ainsi, les élites politiques élues au sein de la municipalité de Ouidah n’excluraient donc pas l’éventualité d’entretenir des liens avec les élites religieuses et traditionnelles, même si ces dernières se réclament d’une légitimité autre que la leur. De tels rapports sont susceptibles d’entraîner des conséquences sur le système sociopolitique, à l’échelle aussi bien locale que nationale.

En somme, la religion, comme la tradition, a encore une forte prégnance au Bénin, même si la Constitution de cet État ne donne aucun rôle officiel à jouer aux leaders qui en sont les garants. Une telle place pourrait s’expliquer à partir de la représentation sociale que se font certains Béninois des élites religieuses et traditionnelles.

Le mode de gouvernance du système politico-administratif qui rend le plus compte de la réalité sociopolitique béninoise nous paraît être alors mieux traduit, rappelons-le, par la vision foucaldienne (laquelle évoque une multiplicité de

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Entretien avec Landry Médard HENNU, le 22 août 2009. L’entretien avec L. M. Hennu, secrétaire général adjoint de la Mairie de Ouidah, s’est déroulé dans son bureau de la Mairie. Âgé d’une trentaine d’années, originaire de Ouidah, il n’appartient à aucun parti politique. M. Hennu a occupé son poste administratif à maintes reprises à l’occasion de plusieurs élections communales. Au moment de la réalisation de notre entretien, il en était à son deuxième mandat, à ce poste, bien qu’apolitique. M. Hennu nous a permis de faire le point sur les pouvoirs sociaux des élites religieuses et traditionnelles au Bénin, surtout à Ouidah. Il nous a parlé des diverses collaborations ayant lieu, de facto, entre la commune et les institutions religieuses et traditionnelles, au regard de leurs ressources et de leur capacité de mobilisation. Il nous a permis d’avoir une idée précise sur quelques élites religieuses et traditionnelles les plus importantes de la commune de Ouidah.

365 Ibid. 366

pouvoirs coexistant les uns à côtés des autres)367. Nous postulons que l’administration politique, au niveau central et local, a recours à d’autres infra -autorités, notamment les élites religieuses et traditionnelles, pour co -administrer les affaires publiques. Et ce, dans la mesure où le Bénin pourrait être considéré, dans les faits, comme une société plurale où la nation est structurée par des clivages très importants autour de la religion, de l’ethnie et de la culture368. Le mode gouvernemental béninois reposerait donc, de facto (nous attirons prudemment l’attention sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une structuration de l’ État organisé par son droit constitutionnel), dans certains domaines, sur un principe consensuel, si on tient compte des arrangements très fréquents des autorités publiques avec les institutions sociales que constituent ces élites religieuses et traditionnelles. L’État qui en découle pourrait, à cet effet, être qualifié, dans les faits, de démocratie de sociation, d’après le critère établi par Luc Sindjoun , rapporté dans notre introduction. Les institutions religieuses et traditionnelles pourraient être apparentées, dans un tel concept, à des segments sociaux qui sont présents dans le système sociopolitique béninois.

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Michel FOUCAULT vu par Pierre ANSART Pierre, « Contrôle social » in André AKOUN et Pierre ANSART (dir.), op. cit., p. 114. Voir aussi ces liens sur des commentaires et exposés ici dans Sébastien MALETTE, La ‘‘gouvernementalité’’ chez Michel Foucault, Université Laval, Faculté de Philosophie, Québec, mémoire de maîtrise en philosophie, 2006, pp. 58-59 in

www.theses.ulaval.ca/2006/23836/23836.pdf , Thomas BERNS, « Souveraineté, droit et gouvernementalité. A partir des Six Livres de la République de Jean Bodin », Centre de Philosophie du Droit de l’Université Libre de Bruxelles, pp.1 -3 in

http://www.philodroit.be/IMG/rtf/gouvern_borrelli.rtf et Thomas BERNS, « Souveraineté, droit et gouvernementalité», Centre de Philosophie du Droit de l’Université Libre de Bruxelles, Arch. Phil. Droit, n° 46, 2002, pp. 353-356 in

http://www.philosophie-droit.asso.fr/APDpourweb/22.pdf sites consultés le 17 mars 2014. 368

Voir Luc SINDJOUN, « La démocratie est-elle soluble dans le pluralisme culturel ? Eléments pour une discussion politiste de la démocratie dans les sociétés plurales », Université de Yaoundé II, Colloque International Francophonie – Commonwealth Démocratie et sociétés

plurielles (Yaoundé 24 – 26 janvier 2000), p. 22, http://www.tutsi.org/demo.pdf consulté 3 août

SECTION I : LA RECONNAISSANCE DES