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A. Berthier répertorie sept manuscrits du Pugio Fidei5, Kaeppelli dix6, alors que P.F. Fumagalli en dénombre onze et identifie deux rédactions du texte7. Selon ce dernier, dans son état premier – le Pugio parvus –, le texte de Raymond Martin n’était composé que des deux premiers livres, sans les citations en hébreu. Les manuscrits de cette famille sont au nombre de quatre :

1. Sevilla, Biblioteca Capitular y Colombina ms. 82.1.17, XIVème, 122 fol.

2. Madrid, Real Biblioteca de San Lorenzo de El Escurial ms. K II 19, 1405, 84 fol. 3. Toulouse, Bibliothèque municipale ms. 219, 1405, 90 fol.

4. Paris, BNF fonds lat. ms. 3356, XVème, 100 fol.

Le rechercheur italien répertorie ensuite sept manuscrits comportant une version complète du

Pugio Fidei, qui tous ne contiennent pas les citations hébraïques originales :

5. Paris, Bibliothèque sainte Geneviève ms. 1405, XIIIème, 430 fol. (latin et hébreu) 6. Salamanca, Biblioteca de la Universidad ms. 2352, XIVème, 293 fol. (latin et hébreu) 7. Paris, BNF fonds lat. ms. 3357, XIVème-XVème, 231 fol. (seul. latin)

8. Tarragona, Biblioteca Pública ms. 89, 1438-39, 340 fol. (seul. latin)

9. Coimbra, Biblioteca da Universidade ms. 720, XVème, 313 fol. (latin et hébreu) 10. München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 24158, XVème, 206 fol. (seul. latin) 11. Paris, Bibliothèque Mazarine ms. lat. 796, 1650-51, 1541 fol. (latin et hébreu)

Le ms. sainte Geneviève 1405

Parmi ces manuscrits, le ms. sainte Geneviève 1405 a fait l’objet d’une attention particulière de la part de P.F. Fumagalli qui pense qu’il s’agit du manuscrit autographe de Raymond Martin8. En effet, dans le catalogue des manuscrits de la bibliothèque sainte Geneviève9, ce manuscrit est daté de la fin XIIIème ou du début XIVème. Il est écrit sur parchemin et s’étend

5 B

ERTHIER,A., «Un maître orientaliste du XIIIème siècle… », pp. 281-282.

6 K

AEPPELI,T., Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, vol. 3, Rome, 1980, pp. 282-283.

7

F.P. Fumagalli consacre deux articles très détaillés à la tradition manuscrite du Pugio Fidei : « I trattati medievali Adversus judaeos... » ; et le second en hébreu « The Original and Old Manuscript of Raimundus Martini’s Pugio Fidei », in : Proceedings of the Ninth World Congress of Jewish Studies, Jerusalem, August 4-

12, 1985, vol. I : The History of the Jewish People (From the Second Temple Period Until the Middle Ages),

Jerusalem, 1986, pp. 93-98.

8 Le premier à avoir signalé les particularités du ms. St Geneviève, est Ch. Merchavia, dans un article en hébreu

publié en 1976 : MERCHAVIA, CH., « Al nosha’ôtâw ha-‘ivriyyôt šel sefer Pugio Fidei be-ktav yad S.te Geneviève », Kiryat Sefer, 51 (1975-76), pp. 283-288.

9

sur 430 folios. La reliure est du XVIème siècle, les lettrines sont en couleur et les titres rubriqués. Selon les notices bibliographiques inscrites au verso du premier folio et au recto du deuxième, on apprend que ce manuscrit provient de la bibliothèque du conseiller du roi de France, Michel de l’Hospital (env. 1505-1573), dont le père est d’origine juive10. Les preuves du caractère autographe du ms. avancées par P.F. Fumagalli sont fondées sur le fait qu’il compte un tiers de citations hébraïques en plus que l’édition imprimée et que les deux chapitres finaux du ms. sont également uniques11.

Une analyse attentive du premier livre du Pugio Fidei comme il se présente dans notre manuscrit, permet d’apporter des indices supplémentaires en faveur du caractère autographe de cet ouvrage. Ce premier livre se répartit sur quatre cahiers, dont les deux premiers sont composés de quatre bi-folios et les deux suivants de cinq bi-folios. Les cahiers 2 et 3 contiennent chacun un folio rajouté. Le folio 14 est rajouté au centre du deuxième cahier, l’alternance chair/peau n’est pas respectée et le talon du folio apparaît entre son verso et le folio 1512. Le folio 21 est rajouté entre les deux premiers folios du 3ème cahier. Son talon est visible entre les folios 27 et 28. C’est au sommet de ce folio que l’on trouve la première des deux annotations qui permettent de déterminer que cet exemplaire est l’autographe de Raymond Martin. En effet, le texte du folio 21 ne s’insère pas à la suite du folio 20v, mais s’intègre dans le corps du texte, plus bas que le milieu du folio 22r. Les indications qui permettent de situer la place du rajout sont extrêmement claires. Dans le coin gauche au sommet du folio 21r, se trouve un signe en forme de nœud accompagné de la légende suivante :

Verte hoc folium et scribe hanc cartam a principio usque in finem ubi est tale signum.13 On retrouve ce même signe au folio 22r avec comme indication :

Verte precedens folium, et scribe hic, a principio folii usque in fine, ubi est tale signum.14

10

Selon P.F. Fumagalli « Michel fu a Milano, studiò a Padova sei anni (diritto, lettere e lingue antiche) ; nominato ambasciatore al Concilio di Trente, soggiornò quattro mesi a Bologna » (cf. P.F. FUMAGALLI, « I trattati medievali Adversus judaeos... », p. 532).

11 Les preuves avancées par P.F. Fumagalli concernent surtout les citations hébraïques présentes dans la

troisième partie du Pugio Fidei, pour plus de détail cf. FUMAGALLI, P.F., « I trattati medievali Adversus

judaeos… », pp. 529-533 et « The Original and Old Manuscript of Raimundus Martini... », pp. 93-98.

12 Pour l’analyse de ce folio, cf. infra, p. 116. 13 Pugio Fidei, ms. St Geneviève 1405, folio 21r.

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L’ordre est on ne peut plus clair : le rédacteur de la notice s’adresse au scribe en lui laissant les indications nécessaires sur l’ordre dans lequel il devra recopier le texte. On peut affirmer que cette injonction provient de l’auteur pour deux raisons : d’abord, ce genre de notes marginales est fréquent lorsqu’on a affaire à un manuscrit dont les cahiers ont été reliés dans le désordre. Dans ce cas-là, le scribe qui remarque le problème le signale de cette façon : « Verte folium et lege (ou quaere) ad tale signum… » et non scribe comme dans le cas présent. De plus, notre manuscrit n’a pas été victime d’une erreur de reliure. En effet, le rajout consiste en une longue citation tirée d’un ouvrage du médecin al-Rāzī – Šukūk ʿalā Ǧālīnūs (Contre Galien) –, qui s’insère dans le chapitre XV, qui démontre qu’Aristote n’a pas défendu l’éternité du monde par des raisons nécessaires15. La cohérence du rajout, le fait que celui-ci soit constitué d’un texte arabe qui ne fut jamais traduit en latin et le verbe impératif scribe et non lege ou quaere nous permettent défendre la thèse que l’auteur lui-même est à l’origine de cette note marginale.

La seconde indication prouvant le caractère autographe du manuscrit se trouve à la fin du chapitre XII, précisément au folio 18v. Raymond Martin clôt ce chapitre en citant le premier vers de la Genèse qu’il transcrit de la manière suivante : « In principio creauit Deus con-celum et con-terram ». L’explication de l’utilisation de ce ‘con’ se trouve dans la marge de gauche. On y lit ceci :

Non scribatur hoc

Nota quod pro isto ‘con’, quod interpres latinus exclusit, in hebraico est ‘eth’, quod significat apud eos quandoque ‘cum’. Sic autem ut dicit Rabi Moyses, in ductore nutancium, trigesimo capitulo secunde partis, sumitur in hoc loco cum dicitur, creavit Deus eth celum, et eth terram. Per quod datum apud hebreos intelligi quod simul cum celo et cum terra, creauit deus alia eis pertinentia.16

15 Pour une analyse détaillée de ce passage et de la traduction de Martin, cf. infra, pp. 235-243. 16 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 18v :

Comme nous l’indique la première phrase, cette note n’est pas faite pour être reproduite mais doit rendre attentif le scribe à la forme particulière dans laquelle est rédigé ce vers de la Genèse. L’auteur de cette note ne veut pas que le scribe, par habitude, rédige ce verset sous une forme plus commune, il donne alors en marge l’explication philologique qui l’a conduit à préférer la variante qu’il propose.

Ces deux annotations marginales attestent selon toute vraisemblance que le ms. SG1405 a été rédigé par l’auteur lui-même. En effet, les indications sur l’utilisation de la lettre ‘eth’ – rédigée par la même main que le corps du texte – n’ont pu être fournies que par une personne connaissant l’hébreu. L’insertion du folio 21, qui contient une traduction d’un passage d’une œuvre d’al-Razi qui ne fut jamais traduite en latin, n’a pu être effectuée que par un arabisant possédant une connaissance très importante de la littérature scientifique en langue arabe. Ces deux conditions nécessaires font de Raymond Martin pour ainsi dire le seul rédacteur possible du manuscrit. Plus généralement, le ms. sainte Geneviève 1405 est un ouvrage de grande qualité : l’écriture, la formation des lettres et la régularité des abréviations reflètent le soin particulier que prit Raymond Martin à rendre son exemplaire le plus lisible possible. D’autres éléments plus particuliers témoignent en faveur de cet effort de clarté, nous les signalerons au fur et à mesure de l’analyse détaillée du premier livre.