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Au chapitre V, débute une discussion sur les erreurs des philosophes qui va se poursuivre jusqu’à la fin du premier livre du Pugio Fidei. Cette critique est introduite par deux chapitres (V et VI), dans lesquels Raymond Martin détermine ce qu’il convient de garder ou de rejeter parmi les doctrines des philosophes. Pour ce faire, il va se reposer principalement sur l’analyse des dangers de la philosophie que Ġazālī résumait dans le Munqiḏ min al-ḍalāl. Adoptant les conclusions du penseur sunnite, Raymond Martin déclare que si tout n’est pas à rejeter au sein de cette science, trois positions demeurent irréconciliables avec la foi : l’éternité du monde – qui sera discutée du chapitre VII au chapitre XV1 ; l’ignorance par Dieu des étants singuliers – traitée entre les chapitres XVI et XXVI2 ; et la négation de la résurrection des corps – réfutée au chapitre XXVI3.

Les chapitres V et VI sont intéressants à plus d’un titre. Tout d’abord, la construction dont ils font l’objet dans le ms. SG1405 est particulièrement remarquable : on identifie une rédaction primitive du texte, où les deux chapitres n’en formaient qu’un ; ce n’est qu’à l’occasion d’une seconde intervention de l’auteur qu’un titre et un numéro de chapitre ont été rajoutés dans la marge droite du folio 12v4. Ensuite, plusieurs sous-titres ont été rajoutés à l’encre rouge dans les marges du ms., afin de rendre plus visibles les articulations d’un raisonnement qui court sur quatre folios. Troisièmement, ces deux chapitres comptent plusieurs ajouts marginaux – notamment aux folios 13r et 14v – qui témoignent de plusieurs étapes de travail sur le texte. Comme dans la plupart des cas sur l’ensemble du manuscrit, ces ajouts reproduisent des raisonnements cohérents et homogènes, qui ne sont pas le fait d’un scribe – qui aurait omis quelques phrases et les aurait rajoutées ensuite dans la marge de sa copie –, mais qui sont révélateurs du travail de l’auteur qui précise et amplifie son propre texte. Enfin, en plus d’avoir été augmentée par des ajouts marginaux, l’analyse des chapitres V et VI a été prolongée sur un folio supplémentaire. En effet, en analysant la reliure du manuscrit, on constate que le folio 14 a été rajouté au centre du deuxième cahier, l’alternance 1 Cf. infra, pp. 134-243. 2 Cf. infra, pp. 244-321. 3 Cf. infra, pp. 322-343. 4

chair/peau n’est pas respectée et le talon du folio apparaît entre son verso et le folio 15. Au folio 13v un autre indice confirme l’ajout ultérieur du folio 14 : à la jonction entre la fin du chapitre VI et le début du chapitre VII, débute une nouvelle phrase (Si autem adhuc magis...) qui est rédigée dans la marge de droite et qui est prolongée par un trait menant au sommet du folio 14, au recto et au verso duquel se poursuit le chapitre VI5. Cette intercalation du folio 14 est signalée au bas du folio 13v par un signe formé d’un trait vertical coupé par trois traits horizontaux, que l’on retrouve également au sommet du folio 15r6. Ces deux signes permettent au lecteur – ou au scribe – de retrouver l’endroit où se poursuit le chapitre VII, interrompu au bas du folio 13v et poursuivi au sommet du folio 15r. Les étapes de construction des chapitres V et VI, visibles dans le ms. SG1405 amènent de nouvelles preuves en faveur de la thèse selon laquelle nous avons affaire à l’autographe de Raymond Martin7.

Du point de vue du contenu, les chapitres V et VI sont composés en grande partie d’une paraphrase réarrangée de divers passages du Munqiḏ min al-ḍalāl de Ġazālī. Après une brève introduction, le chapitre V débute par une apologie générale de la philosophie, tempérée cependant par la présentation de deux dangers, dans lesquels sont susceptibles de tomber les imitateurs des philosophes. C’est à la suite de ces considérations qu’ont été interpolés le titre (De errore nimis credentium auctoritati philosophorum) et le numéro du nouveau chapitre VI8. Celui-ci contient en premier lieu une discussion de la supériorité de la révélation prophétique sur la connaissance philosophique. Les arguments empruntés à Ġazālī sont confirmés par l’autorité d’Augustin et par le fait que les théories philosophiques se contredisent sur plusieurs points. Dans la rédaction primitive du manuscrit, ces considérations clôturaient le chapitre, qui a cependant été prolongé, au folio 14, par un rassemblement

5 Somment du folio 13v :

6

Pied du folio 13v, marge de droite, et sommet du folio 15r, marge de gauche :

13v 15r

7 Cf. supra, pp. 70ss.

8 On remarque d’ailleurs que les numéros des chapitres suivants ont subi des modifications, afin qu’ils

correspondent à la nouvelle numérotation. L’interpolation du chapitre VI est donc postérieure à une première rédaction de l’ensemble du livre I du Pugio Fidei.

conséquent d’autorités confirmant la supériorité de l’étude de la théologie sur celle de la philosophie.

Chapitre V

En guise d’introduction, Raymond Martin annonce qu’il va approfondir ici la discussion des thèses à propos desquelles les philosophes se sont principalement fourvoyés9, qu’il avait amorcée au chapitre I du premier livre du Pugio Fidei10. Pour illustrer sa méthode, le dominicain cite un passage du Deutéronome (14,7), dans lequel Yahvé prescrit au peuple d’Israël les animaux qu’il pourra, ou ne pourra pas consommer : à l’image du Seigneur, Raymond Martin se propose ici de séparer ce qui est condamnable de ce qui est acceptable dans les doctrines des philosophes11.

Il commence sa discussion des positions des philosophes en reconnaissant qu’ils ont été studieux, qu’ils se sont intéressés à de nombreuses sciences, qu’ils ordonnèrent correctement et dont ils tirèrent des conclusions dignes d’intérêt. Les sciences en question sont la géométrie, science des nombres ; l’arithmétique, science des mesures ; et la dialectique, qui est une balance (statera), par laquelle l’intellect discerne le vrai du faux12. Explicitement attribuée à Ġazālī (ut dicit Algazel in libro Almonqid min Addalel), cette analyse se retrouve en partie, au deuxième chapitre de la troisième partie de l’autobiographie spirituelle du penseur sunnite. Alors qu’il présente chacune de six branches qui composent la philosophie13, ce dernier affirme que la première d’entre elles, la mathématique – qui comprend l’arithmétique (ḥisāb), la géométrie (handasa) et l’astronomie (ʿilm haī’aat al-

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Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 11v ; éd. de Voisin, p. 207 : « Qui sunt principales philosophi, quid egerint, et in quibus vehementer erraverint, in fine primi capituli est aliquantulum tactum. Hic ergo convenit, de pertinentibus ad eos parum latius loqui ».

10 Cf, supra, pp. 81-88. 11

Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 11v-12r ; éd. de Voisin, p. 207 : « Porro cum in lege Deut. XIV, v. 7, Dominus vellet ostendere immundiciam cameli et leporis, ciregrilli et porci, quod erat in eis laudabile, premisit, quod autem vituperabile, subiunxit : “camelus – inquit – et lepus et ciregilli, quia ruminant, sed ungulam non findunt, immunda sunt vobis. Porcus vero quia ungulam quidem findit, sed non ruminat immundus, erit vobis”. Nos ergo exemplo ipsius Domini, que fuerint in philosophis commendabila, premittamus, que vero digna vituperio evaginato, pugione iuvante domino iugulemus ».

12 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 12r ; éd. de Voisin, pp. 207-208 : « Sunt ergo commendandi philosophi ex eo,

quod vehementer fuerint studiosi, qua propter subtiliter adinvenerunt et ad congruum ordinem deduxerunt multas scientias seculares, ut arithmeticam, que est scientia numerorum, et geometriam, que est scientia mensurarum et cognoscendi comparationum linearum ad invicem, et figurarum, et dialecticam, que est velut statera qua intellectus ab errore defenditur, et verum a falso sine personarum acceptione discernitur. ».

13 Les six branches de la philosophie sont : les mathématiques, la logique, les sciences naturelles, la

ʿālm) – n’a aucun rapport, positif ou négatif, avec les sciences religieuses14

. On constate que l’agencement des informations est ici quelque peu différent que celui proposé par Raymond Martin dans le Pugio Fidei : d’une part, les trois branches du savoir que Ġazālī évoque ne sont pas des divisions de la philosophie en général, mais des mathématiques en particulier, et d’autre part, ce dernier ne mentionne pas la dialectique15, mais fait référence à l’astronomie. Raymond Martin mentionne cependant cette science quelques lignes plus bas : après avoir à nouveau déclaré que les propos des philosophes au sujet de la géométrie et de l’arithmétique n’ont rien de répréhensible, Raymond Martin ajoute que c’est également le cas d’une grande partie de l’astronomie, qui traite des mouvements du ciel, du cours des planètes, des éclipses de lune et de soleil16.

Bien que l’astronomie ne s’oppose pas à la religion, Raymond Martin met en garde son lecteur contre l’amalgame qui est souvent fait entre celle-ci et l’astrologie. En effet, de l’observation des étoiles, certains affirment obtenir des informations qui se révèlent fausses et produites sans preuve ni démonstration. L’astronomie pâtit de cette situation, car les auteurs de ces allégations se présentent sous le nom d’astronome, alors qu’ils ne méritent ni celui-ci, ni celui de philosophe. Parmi eux, les astrologues les plus habiles et les plus dangereux sont ceux qui invoquent les démons, car par leur intermédiaire ils obtiennent certaines révélations et connaissances des choses futures, qu’ils prétendent ensuite avoir obtenues grâce à la pratique de l’astrologie. Autrement dit, Raymond Martin – qui considère visiblement que la démonomanie permet de connaître l’avenir –, dénonce les astrologues qui utilisent cette méthode afin d’obtenir des pronostications, dont ils attribuent ensuite les résultats à l’observation des astres17. En tant que telle, cette critique de l’astrologie ne se trouve pas chez

14 Al-Munqiḏ min al-ḍalāl…, p. 74 (20) : « Les mathématiques : elles comprennent l’arithmétique, la géométrie

et l’astronomie. Elles n’ont aucun rapport, positif ou négatif, avec les questions religieuses. Elles traitent plutôt d’objets soumis à la preuve, irréfutables une fois compris et connus. Mais elles présentent un double risque ».

ةيضايرلا امإ : يھ لب ،ًاتابثإو ًايفن ةينيدلا روملأاب اھنم ءيش قلعتي سيلو ،ملاعلا ةئيھ ملعو ةسدنھلاو باسحلا ملعب قلعتتف اھتفرعمو اھمھف دعب اھتدحاجم ىلإ ليبس لا ةيناھرب رومأ . لوت دقو ناتفآ اھنم تد . 15

La description que fait R. Martin de la dialectique (que est velut statera, qua intellectus ab errore defenditur,

et verum a falso sine personarum acceptione discernitur) correspond en substance à ce que Martin dit de la

logique quelques pages plus loin : « Elle n’a rien à voir avec la foi, qu’elle n’approuve ni ne désavoue. Elle se borne à examiner les méthodes, les arguments et les raisonnements par analogie ; les conditions des prémisses de la preuve et les modalités de leur agencement ».

تايقطنملا امأو

:

ناھربلا تامدقم طورشو ،سيياقملاو ةلدلأا قرط يف رظنلا يھ لب ،اتابثإو ًايفن نيدلاب اھنم ءيش قلعتي لاف

اھبيكرت ةيفيكو

. Cf. Al-Munqiḏ min al-ḍalāl…, p. 76 (22).

16 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 12r ; éd. de Voisin, p. 208 : « In hiis, ut dicit Algazel in libro Almonqid min

Addalel, parum vel nihil reprehensibile inveniuntur philosophi dixisse ; ymmo quidquid fere in duabus primis scientiis – et in magna parte astronomie dicitur de motibus celorum, de cursu planetarum et adequatione eorum, de eclipsi solis et lune et aliorum multorum istiusmodi – demonstrative et quasi ad occulum ostenditur ».

17 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 12r ; éd. de Voisin, p. 208 : « Excepta dum taxat per planetas, et etiam alias

Ġazālī, bien que le penseur sunnite n’accorde aucune validité à cette discipline et qu’il se

moque amèrement de ceux qui y croient :

Pourtant cette fausse science [l’astrologie] a ses fidèles, eussent-ils constaté cent fois son imposture ! Qu’on leur dise : « le soleil est au milieu du ciel, tel astre est tourné vers lui, et l’ascendant est tel signe du zodiaque : si tu portes un habit neuf à ce moment-là, tu seras tué dedans ! » – cela suffirait pour qu’ils ne missent point cet habit, dussent-ils mourir de froid, même si l’astrologue en question leur a déjà menti à maintes reprises !18

Les deux dangers des sciences

Mise à part les problèmes spécifiques à l’astrologie, Raymond Martin remarque que les sciences précédemment citées, bien que conformes à la vérité sur beaucoup de points, comportent deux dangers19 : l’orgueil et la remise en cause des prophéties. Dans le Pugio

Fidei, ces deux problèmes sont liés l’un à l’autre et concernent moins les véritables

philosophes, que ceux qui les imitent maladroitement. Le premier danger est décrit par le dominicain comme une tumeur, par laquelle les ignorants enflent et qui a pour effet qu’ils se croient supérieurs aux autres hommes ; on les remarque au fait qu’ils ont toujours à la bouche les noms des grands philosophes. A l’image d’une excroissance de chair sur l’œil qui enténébrerait la vision, la présomption des ignorants leur voile l’intellect, les empêchant ainsi d’être illuminés par la lumière du verbe divin20.

Le second danger est lié au premier ; tout du moins, il concerne les mêmes individus : les ignorants qui n’ont pas saisi l’ordre et les subtilités d’une pratique raisonnée de la philosophie. Manquant de discernement, ils pensent que celui qui est expert dans telle science est nécessairement compétent dans telle autre ; or, l’expert en musique ne connaît pas le droit, ni le juriste la logique, etc… Selon Raymond Martin, cette attitude intellectuelle permet de imposuerunt astronomie quidam, qui nequaquam merentur nominari philosophi. Nec possemus sub certo concludere numero, quotiens falsiloquos invenimus, et inventos audivimus illos qui in hoc peritissimi dicebantur astronomi, quod nomen ipsi sibi arrogant non sine multa ipsius artis et veritatis iniuria. Inter quos illi quidem videntur peritiores, qui sunt demoniaci, vel qui ministerio demonum ac revelatione aliqua futura predicunt, que ad excusationem sui attribuunt arti ».

18 Al-Munqiḏ min al-ḍalāl…, p. 118 (52-53) :

ةرم ةئام هبذك برج هلعل ،مجنم ةرابعب هعمسي كلذ نا لاا . مجنملا لاق ول ىتح ،هقيدصت دواعي لازي لاو ] هل " :[ تناك اذإ دج ًابوث تسبلف ،ينلافلا جربلا وھ علاطلاو ،ينلافلا بكوكلا اھيلإ رظنو ،ءاسملا طسو يف سمشلا يف تلتق تقولا كلذ يف ًادي بوثلا كلذ "! هبذك فرع دقو مجنم نم هعمس امبرو ،ديدشلا دربلا هيف ساقي امبرو ،تقولا كلذ يف بوثلا سبلي لا هنإف تارم !

19 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 12r ; éd. de Voisin, p. 208 : « Hec autem scientie, licet sint vere et ad multa utiles,

duas tamen maximas gignunt corruptiones ».

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Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 12r ; éd. de Voisin, p. 208 : « Prima quidem corruptio atque pernicies que ex predictis scientiis nascitur est presumptionis atque superbie cornu, et quidam tumor, quo inflati cunctos qui eas nesciunt vel non suscipiunt, sicut ipsi infra se conspiciunt et nullum hominem reputant, in ore cuius frequenter non insonuerit Euclides et Batlaymus, Socrates et Pocrat, Yflaton et Arcetatalis. Et nequeunt videre miseri lumen verbi divini occulis intellectus, sicut nequeunt occuli carnis videre lumen solis faciei tumore depressi ».

distinguer l’ignorant du savant, car plus quelqu’un est mauvais dans son domaine, plus il prétend être expert en toute chose21. A l’exception d’un petit nombre d’experts, ce second danger touche tous ceux qui pratiquent l’étude de la philosophie ; lorsqu’ils sont confrontés aux paroles des prophètes, cela a pour conséquence qu’ils les trouvent simples et grossières, comparées aux théories des philosophes. Dès lors, ils méprisent les prophètes et cela d’autant plus que ceux-ci sont en contradiction avec ceux-là. En effet, ils prétendent que si les prophéties étaient vraies, des hommes aussi intelligents que les philosophes en auraient saisi la vérité et suivi les enseignements. A nouveau, cette attitude permet de reconnaître un esprit faible : il n’accepte la vérité que si elle est dite par certains hommes, alors qu’il devrait juger les hommes à l’aune de la vérité22.

Le double danger lié à la pratique de la philosophie contre lequel Raymond Martin met en garde son lecteur trouve un écho dans le Munqiḏ min al-ḍalāl, bien que les deux textes soient assez différents : premièrement, le double danger auquel Ġazālī fait référence ne concerne pas la pratique de la philosophie, mais celle des mathématiques23. Le premier problème que le penseur sunnite attribue à cette science s’apparente au second danger évoqué par Raymond Martin ; encore que, pour l’auteur du Munqiḏ min al-ḍalāl, c’est le sentiment d’exactitude qui se dégage de la pratique des mathématiques qui peut poser problème, et non l’orgueil qu’en tire celui qui les pratique. En effet, pour Ġazālī, celui qui étudie les mathématiques est frappé par l’exactitude ce cette science et par la conviction des démonstrations qui y sont présentées. Le risque est alors qu’il reconnaisse aux autres sciences

21 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 12r ; éd. de Voisin, p. 208 : « Secunda protinus ex ista prolabitur et ex eo, quod

isti minus prudenter et caute attendunt in istis scientiis congruitatem ordinis, rationum evidentiam, et subtilitatem earum, et pene cuncta ad occulum demonstrari ; et obstupescunt mirantes philosophorum scientiam atque prudentiam, et omnino credentes, quoniam quemadmodum ista, sic et alia universa nuda fuerint eorum intellectui et aperta. Non considerantes quoniam non oportet necessario expertum esse in fisica qui invenitur bene doctus in musica, vel si reperiatur quis in iure peritus, nequaquam sequitur quod in logica sit versatus. Ymo vix aut nunquam qui perfectus est in quibusdam scientiis, potest esse perfectus in aliis. Tanto enim minor quisque invenitur ad singula, quanto plus intentus est circa multa ».

22 Pour l’origine de cette dernière remarque, cf. al-Munqiḏ min al-ḍalāl…, p. 81 (25) : « C’est là le tort des

esprits faibles : ils ne reconnaissent la vérité que dans la bouche de certains hommes, au lieu de reconnaître les hommes lorsqu’ils disent la vérité ».

لا ،لاجرلاب قحلا نوفرعي ،لوقعلا ءافعض ةداع هذھو قحلاب لاجرلا

.

On doit cependant relever que le contexte de la remarque de Ġazālī est assez différent que celui dans lequel R. Martin l’insère. En effet, par cette remarque, le penseur sunnite entend dénoncer l’attitude du musulman qui ne reconnaît pas la validité d’une science, sous prétexte qu’elle a été élaborée par des non-musulmans.

23 Pour Ġazālī, les mathématiques présentent un danger particulier lié au fait qu’elles se trouvent à la base des

autres sciences. Les dangers qu’elles présentent en elles-mêmes, risquent dès lors de s’étendre aux autres sciences : « Le risque est considérable. En conséquence, il convient de blâmer les mathématiques. Quoique sans rapport avec la religion, celui qui les étudie risque la contagion de leurs vices. Peu s’en occupent sans échapper au danger de perdre la foi ».

ئدابم نم تناك امل نكلو ،نيدلا رمأب قلعتت مل نإو اھناف ،مولعلا كلت ضوخي نم لك رجز بجي اھلجلأ ةميظع ةفآ هذھف ىوقتلا ماجل هسأر نع لحنيو نيدلا نم علخنيو لاإ اھيف ضوخي نم لقف ،مھمؤشو مھرش هيلإ ىرس مھمولع

.

la même valeur démonstrative24, ce qui est une erreur, notamment dans le cas de la métaphysique, comme Ġazālī s’est employé à le démontrer dans le Tahāfut al-falāsifa. Cette attitude intellectuelle conduit à l’irréligion – et Raymond Martin approuve cette constatation – car, dès lors qu’un versant d’une science sera déclaré contraire à la foi, l’apprenti chercheur rejettera la religion, prétextant que si celle-ci était vraie elle aurait été reconnue comme telle par les savants. Ġazālī objecte à cette allégation l’idée – également reprise par le dominicain – selon laquelle celui qui est expert dans une science ne l’est pas dans toutes. En outre, si, comme les mathématiques, certaines sciences sont fondées sur des preuves solides, d’autres, comme la métaphysique, relèvent de la conjecture25.

Si certains éléments sont communs au second danger auquel conduit la philosophie selon Raymond Martin, et à celui qu’entraîne en premier lieu l’étude des mathématiques du point de vue de Ġazālī ; en revanche, rien ne rapproche les deux autres périls présentés respectivement par l’un et l’autre auteur. Si la première mise en garde du dominicain concerne l’orgueil que provoque la philosophie chez celui qui la pratique, le second danger qu’attribue

Ġazālī aux mathématiques concerne ses détracteurs. En effet, le penseur sunnite met en garde

le musulman qui, voulant défendre la foi à tout prix, rejette toutes les sciences, y compris celles qui ne causent aucun tort à la religion. Cette attitude est dangereuse, car elle provoque le mépris de l’homme instruit vis-à-vis de la foi. Aussi :

Ceux qui croient défendre l’islam en rejetant les sciences philosophiques, lui causent, en réalité, le plus grand tort. La révélation n’a d’attitude ni affirmative, ni négative dans ce domaine, et ces sciences ne s’opposent nullement à la religion.26