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Les franciscains

Si certains religieux rédempteurs – mercédaires ou trinitaires – ont été persécutés en Afrique du Nord, le martyre n’est pas le but principal de leur mission, comme ce sera le cas pour l’un des deux grands ordres missionnaires du XIIIème siècle : les franciscains104. Une des missions franciscaines qui a fortement marqué les esprits, se déroule en 1220, l’année qui suit le premier chapitre de l’ordre, au cours duquel il a été défini que le Maroc et la Berbérie seraient des territoires privilégiés d’évangélisation. Il s’agit de l’expédition de cinq frères franciscains à Marrakech, où ils moururent martyrisés le 16 janvier 1220. Selon des textes hagiographiques du XIVème siècle, les cinq frères se rendent dans un premier temps à Séville, où ils tentent de pénétrer dans une mosquée pour y prêcher l’évangile. Indignés, les musulmans les chassent, puis les livrent au roi de Séville, face auquel ils insultent le prophète et l’islam. Décrétant qu’ils sont fous, le roi les enferme d’abord, puis les transfère à Marrakech, où il sont accueillis par Don Pedro, le frère du roi du Portugal qui sert en qualité de mercenaire auprès du calife almohade Abū Yaʿqūb Yūsuf. Après avoir été arrêtés une première fois pour avoir prêché en présence du calife, les cinq frères sont bannis de la ville. Ils fuient à Ceuta, mais regagnent rapidement la capitale almohade, où ils se mettent à prêcher en place publique. Jetés en prison, ils sont privés de nourriture pendant vingt jours, avant d’être libérés à la demande de la communauté chrétienne de Marrakech. Ils reprennent ensuite leur apostolat, ce qui amène leurs propres coreligionnaires à leur faire quitter la ville. Obstinés, ils y reviennent, prêchent à nouveau, sont arrêtés et conduits devant le calife, devant lequel ils persistent à insulter Muḥammad et le Coran, ce qui leur permet d’obtenir – enfin – la palme du martyre. Ayant appris la persécution des cinq missionnaires, saint François aurait déclaré : « je peux vraiment dire maintenant que j’ai cinq frères »105. Si l’on en croit Thomas de Célano, le fondateur de l’ordre a lui-même cherché activement le martyre, mais en a été

104

BRUNSCHVIG,R.,La Berbérie orientale…, p. 458 : « Le plus souvent, les massacres de rédempteurs auxquels

il a été fait allusion plus haut résultaient d’une réaction de la foule musulmane contre la propagande religieuse dont ils accompagnaient leur ministère. Et encore cette propagande était-elle assez limitée, et d’ordinaire occulte, de la part des trinitaires ou mercédaires qui se rendaient en Berbérie. Au contraire, les deux grands ordres missionnaires qu’a vu naître le commencement du XIIIème siècle, franciscains et dominicains, plaçaient ouvertement au centre le leur activité la propagation de la foi ; et, de bonne heure, l’Afrique du Nord s’est trouvée visée par leurs tentatives d’apostolat ».

105 Cité dans T

OLAN,J., Les Sarrasins…, p. 289. La mort des cinq frères à Marrakech serait également à l’origine de la décision d’Antoine de Padoue de rejoindre l’ordre des frères mineurs.

empêché par trois fois106. Tout au long du XIIIème siècle, on compte plusieurs martyrs franciscains au Maghreb et en Berbérie. A la même époque que la mission des cinq franciscains à Marrakech, plusieurs religieux emmenés par le frère Gilles, se rendent à Tunis pour y chercher le martyre. Cependant, confrontés notamment à l’hostilité de la communauté chrétienne de Tunis, ils n’y parviennent pas107. Dans le reste du Maghreb et en Andalousie, « six frères furent martyrisés à Ceuta en 1227, deux à Valence en 1228, cinq à Marrakech en en 1232 […] ; dix autres franciscains connurent le martyre au Proche-Orient entre 1265 et 1269 ; sept à Tripoli en 1289 »108. Comment comprendre la motivation et les buts à l’origine de cette soif de persécution ? Tout d’abord, entendant renouer avec la vie apostolique, les frères mineurs mettent la mission auprès des infidèles, et particulièrement des musulmans, au centre de leur vie109. Cependant, on constate que la plupart des franciscains envoyés en terre d’Islam durant les trois premiers quarts du XIIIème siècle, ignorent complètement la langue, les coutumes et la religion des musulmans110. Cet apparent paradoxe s’explique par le fait que leur but n’est pas d’établir un dialogue, de convaincre par la parole ou d’exposer aux Sarrasins la vérité de l’Evangile, au contraire, ils entendent édifier les foules, en montrant qu’ils sont prêts à donner leur vie pour leur foi. Bonaventure, général de l’ordre de 1257 à 1274, place le désir du martyre au centre de la vie spirituelle franciscaine, comme étant l’expression la plus aboutie de l’amour pour Dieu111. Comme le remarque J. Tolan : « pour Bonaventure, ce désir du martyre est la force motrice des missions franciscaines ; la conversion des infidèles est un objectif louable, mais tout à fait secondaire »112. Malgré le zèle

106 Cf. T

HOMAS DE CELANO, Vie de saint François, introd., trad. et notes par D. Vorreux, Paris, Editions franciscaines, 1967. En 1212, François se serait embarqué une première fois pour la Terre Sainte, afin de prêcher l’évangile, mais suite à un naufrage, il est contraint de rebrousser chemin. Changeant de destination, il se met en route pour le Maroc, mais tombe malade en Espagne et renonce à son entreprise. Finalement, en 1219, il rejoint les forces croisées à Damiette, traverse les lignes ennemies et prêche l’évangile au sultan égyptien al-Malik al- Kāmil Nāṣir al-Dīn, qui l’écoute, mais le renvoie finalement sans se convertir. Après cette troisième tentative, François renonce à sa quête du martyre.

107 Cf. B

RUNSCHVIG,R.,La Berbérie orientale…, p. 459. Ce dernier rapporte que quelques années plus tard, le

frère Elu a été martyrisé dans un lieu inconnu de Berbérie.

108 T

OLAN,J., Les Sarrasins…, p. 292.

109

Aux frères ressentant l’appel de la mission, la règle des frères mineurs (Regula non bullata) prescrit cependant deux manières de vivre parmi les musulmans : soit discrètement, sans provocation et en pourvoyant aux besoins de la communauté chrétienne, soit en professant haut et fort la parole chrétienne, quitte à souffrir le martyre et à mourir persécuté.

110

TOLAN,J., Les Sarrasins…, p. 295 : « Les auteurs franciscains du XIIIème siècle ne connaissent guère l’islam ; pour eux, comme pour les missionnaires eux-mêmes, connaître la nature de l’erreur des Sarrasins n’eût pas servi à grand-chose. Après tout, les Apôtres n’avaient pas appris la théologie païenne et n’avaient pas non plus débattu avec les doctes païens ; ils s’étaient bornés à prêcher l’Evangile et à braver la mort pour témoigner du Christ ».

111

DANIEL,E.R.,« The Desire for Martyrdom : A Leitmotiv of St Bonaventure », Franciscan Studies, 32 (1972), p. 85 : « The desire for martyrdom is, therefore, a step in the ascent to God and a component of evangelical perfection. It is finally the motivating factor in the ideology of the Franciscan mission. Bonaventure recognized that the desire for martyrdom was the primary motivation of the Franciscan missionaries ».

112

des frères mineurs, l’ardeur des martyrs n’a cependant provoqué aucune conversion au christianisme parmi les populations musulmanes, peu familières d’une telle approche de la spiritualité113. Du côté musulman, il est intéressant de remarquer la réserve des autorités, qui rechignent à mettre à mort ceux qu’elles considèrent avant tout comme des fous. Même les textes hagiographiques très orientés rapportent que le martyre n’est accordé aux frères qu’après des provocations multiples et répétées114. Bien que cela n’empêchera pas d’autres frères de rechercher la couronne du martyre, le Pape Honorius III, en 1226, promulgue une bulle dans laquelle il enjoint les franciscains partant en terre musulmane à se montrer discrets et à éviter de provoquer les musulmans, car cela met en péril les communautés chrétiennes habitant, ou commerçant, au Maghreb et en Ifrīqiyya115. A partir de la deuxième moitié du XIIIème siècle, l’apostolat franciscain est remis en question au sein de l’ordre par Roger Bacon qui critique les procédés de ses frères missionnaires et qui désire leur substituer une méthode basée sur l’argumentation rationnelle. Sa position reste cependant largement marginale et lui vaut l’hostilité de sa hiérarchie et deux ans d’emprisonnement116.

113 Les archives de l’ordre présentent souvent la conversion d’Abū Zayd, souverain de Valence, comme ayant été

provoquée par le martyre de deux frères franciscains. En 1229, ce dernier avait exécuté pour blasphème deux frères mineurs. Lorsque ses terres furent envahies par les troupes de Jacques Ier d’Aragon, il se convertit au christianisme pour garder ses possessions. Malgré des buts politiques évidents, ce geste fut attribué par de nombreux chrétiens au pouvoir miraculeux des martyrs. « The fact that the ruler, Abū Zayd, converted to Christianity not longer after ordering the execution of two Italian Franciscans who had attempted to assail Islam publicly in Valencia city must have fortified Franciscan enthusiasts in their belief in the efficacity of the practice of preaching even unto martyrdom » (cf. KEDAR,B.Z., Crusades and Mission, European Approaches toward the

Muslim, Princeton, Princeton University Press, 1984, p. 136).

114 Les frères véhiculent une vision extrêmement négative de l’islam et leurs provocations, très radicales,

consistent essentiellement à insulter le Prophète et à dénigrer l’enseignement du Coran. Malgré ces blasphèmes violents et répétés, rares sont les frères qui ont été persécutés, sans avoir été préalablement bannis ou emprisonnés.

115 On remarque à plusieurs reprises, même dans les textes hagiographiques, que les communautés chrétiennes

travaillant au Maghreb ou en Berbérie sont hostiles au travail des missionnaires, qui, par leur attitude agressive, mettent leurs coreligionnaires dans des situations périlleuses et risquent de rompre la bonne entente nécessaire au commerce. Par exemple, il est intéressant de noter que ce sont les chrétiens qui expulsent pour la seconde fois les cinq martyrs de Marrakech. Comme on l’a signalé plus haut, en 1219, des marchands chrétiens de Tunis ont rembarqué de force vers l’Europe des missionnaires trop enthousiastes. Au siècle suivant, lorsqu’il est expulsé de Bougie, les autorités musulmanes confient Raymond Lulle à des marins chrétiens qui l’enferment sur leur bateau, pour ne le laisser descendre qu’une fois parvenu sur l’autre rive de la Méditerranée. Cet épisode est rapporté dans : RAYMOND LULLE,La Vita Coetanea, trad. R. S. de Franch, Paris-Fribourg, Academic Press

Fribourg, « Vestigia », 2008, pp. 171-202.

116 Vose, R., Dominicans, Muslims, and Jews in the Medieval Crown of Aragon, Cambridge, Cambridge

University Press, 2009 : « Bacon’s ideas received no sympathetic hearing, and he may spent time in prison for disobedience. According to one later chronicle, his teaching were finally condemned by Jerome de Ascoli (Franciscan minister general 1274-9) on suspicion of containing aliquas novitates suspectas ».

Les dominicains

L’influence de Raymond de Peñafort

Si une approche rationnelle de la mission franciscaine auprès des musulmans ne sera mise en place que dans la seconde moitié du XIIIème siècle par Raymond Lulle, dès la fondation de l’ordre, les frères dominicains la mettront au centre de leur démarche. Religieux missionnaires par essence, les frères de saint Dominique adopteront un type de prédication basé sur une connaissance approfondie de la culture et des textes religieux et philosophiques des populations à convertir. Envoyé par Innocent III auprès des cathares dans le but de les ramener dans le giron de l’Église catholique, Dominique comprend rapidement que seuls des prédicateurs très bien armés intellectuellement pourraient argumenter contre les chefs albigeois, savants et grands connaisseurs des Ecritures117. Imprimée par son fondateur, cette orientation intellectuelle de la prédication déterminera durablement l’ordre et la nature des missions dominicaines auprès des communautés juives et musulmanes. Le grand artisan des campagnes des prêcheurs en Espagne et en Afrique du Nord est Raymond de Peñafort, général de l’ordre de 1238 à 1240118. Né vers 1175-1180 dans la noble famille de Peñafort, il étudie le trivium et le quadrivium à l’école cathédrale de Barcelone, avant de se rendre à Bologne, en 1210, pour y étudier le droit. Docteur en 1216, il enseigne à l’université jusqu’en 1219, date à laquelle il accompagne l’évêque Bérenger IV et rentre à Barcelone, où il est nommé chanoine de la cathédrale, puis prévôt du chapitre, avant de quitter le clergé séculier pour rejoindre l’ordre dominicain (1222). Dans les premières années de sa vie religieuse, Raymond de Peñaford prend part à la fondation de l’ordre des mercédaires, dont on a brièvement indiqué le rôle dans le rachat des captifs chrétiens119. Après avoir été chargé de différentes missions par le Saint-Siège – notamment prêcher en faveur de l’expédition majorquine de Jacques Ier –, Raymond de Peñafort est appelé à Rome par Grégoire IX, dont il devient le confesseur, puis le chapelain. Dans le cadre de ses fonctions, il prend une part active à l’introduction de l’Inquisition dans les royaumes de la couronne d’Aragon. A la

117 H

INNEBUSCH,W.A., Brève histoire de l’ordre dominicain, trad. G. Bedouelle, Paris, Cerf, 1990, p. 29 : « De plus, le caractère de l’hérésie cathare avait conduit Dominique à une autre conviction. Les chefs albigeois étaient des hommes austères, savants, bien formés dans les Ecritures et des prédicateurs convaincants. Leur exemple fit réfléchir Dominique sur le type d’Ordre qu’il voulait fonder : ses membres de devraient pas seulement être soumis aux obligations normales des religieux, mais étudieraient également l’Ecriture de façon continue ».

118 Nous tirons l’essentiel des éléments bibliographiques qui vont suivre de l’article « Raymond de Penyafort »

du Dictionnaire de théologie catholique, T. XIII, Paris, Letouzey, 1937, pp. 1806-1823.

119

demande du Pape, il rédige également une nouvelle compilation de toutes les décrétales et décisions pontificales, destinée à remplacer les recueils antérieurs. Suite à des problèmes de santé, Raymond quitte Rome en 1236 et rentre en Espagne. Deux ans plus tard, le chapitre général de l’ordre réuni à Bologne pour élire le remplaçant de Jourdain de Saxe, désigne à l’unanimité Raymond de Peñafort maître général de l’ordre. Absent du chapitre, le futur saint n’accepte pas sans résistance sa nouvelle charge, qu’il abandonne deux ans plus tard (1240) pour se retirer au couvent de Barcelone. C’est à partir de cette période que Raymond s’attelle spécifiquement à la mise en place d’un apostolat efficace auprès des juifs et des musulmans d’Espagne. Confesseur du roi Jacques Ier, il prêche activement la croisade – notamment en Afrique du Nord –, instaure des séances de prêche auxquelles les juifs sont tenus d’assister, organise des controverses publiques entre religieux juifs et catholiques et surtout promeut la création de centres d’études de langues orientales, en Espagne et en Afrique du Nord, dans lesquels les futurs frères missionnaires se forment en langue en vue d’évangéliser les populations infidèles120. En ayant marqué durablement l’ordre dominicain par ses entreprises missionnaires, le futur saint meurt à Barcelone en 1275. Il sera béatifié par Clément VIII en 1601.

La prédication auprès des juifs

Les dominicains ont développé des méthodes distinctes concernant l’apostolat auprès des musulmans et des juifs. Partageant l’enseignement de l’Ancien Testament, les discussions avec ces derniers portent sur les thèmes scripturaires classiques de dissension, principalement la question de la Trinité et celle de la venue du Messie, à laquelle Raymond Martin consacre par ailleurs une œuvre entière : le Capistrum Iudaeorum. Dans la première partie de cet ouvrage, Raymond Martin répertorie et développe sept preuves démontrant que le Messie est venu – et qu’il s’agit de Jésus Christ –, et dans la seconde, il réfute sept objections rabbiniques contre l’Incarnation. La première partie repose sur l’interprétation d’autorités scripturaires déjà exploitées dans les œuvres des polémistes chrétiens antérieurs : G. Dahan relève que l’interprétation « la plus fréquemment produite et donnée pour irréfutable est la prophétie des soixante-dix semaines de Daniel (DN 9, 24-27), qui indiquerait avec précision le temps de la venue du Christ et la succession des évènements l’entourant »121. Les objections des juifs

120 Cf. infra, pp. 49-53. 121 D

AHAN,G., Les intellectuels chrétiens et les juifs au moyen âge, Paris, Cerf, 1990, p. 495. Dahan rapporte également une autre preuve scripturaire fréquemment citée par les polémistes chrétiens en général et par

contre la messianité de Jésus-Christ portent pour la plupart sur le fait que les promesses censées suivre sa venue n’ont pas été réalisées. En effet, l’Incarnation n’a pas été suivie d’une ère de paix universelle et le Christ n’a pas été auréolé de la gloire terrestre ménagée au Messie par le peuple d’Israël.

Autre grand axe de la polémique, la Trinité est rejetée par les juifs sous prétexte qu’elle s’oppose au monothéisme rigoureux professé dans l’Ancien Testament. Dans l’histoire des polémiques contre les Israélites au XIIIème siècle, G. Dahan distingue deux types de défense du dogme de la Trinité : premièrement, l’approche traditionnelle qui, s’appuyant sur la tradition patristique, s’efforce de montrer que la Trinité n’implique pas la pluralité, en insistant sur la consubstantialité et la coéternité des personnes. Deuxièmement, suite au développement de l’étude des langues orientales au sein des ordres mendiants, cet argumentaire sera enrichi d’une réflexion sur les noms hébreux de Dieu, qui, selon les hébraïsants chrétiens, contiendraient des preuves en faveur de la Trinité. G. Dahan explique que « l’essentiel de [la] démonstration est axé sur la désignation de Dieu par le terme Elohim, dont le pluriel indique la Trinité »122. Raymond Martin consacrera le premier chapitre du troisième livre du Pugio Fidei à l’analyse de cette question.

Si la polémique contre les juifs sera menée surtout par écrit – dans les fameux traités

Contra Iudaeos, genre littéraire dont Raymond Martin fournira un des exemples les plus

aboutis123 –, elle sera également l’occasion de disputes publiques opposant des moines chrétiens – souvent des convertis –, à d’éminents représentants de la communauté juive. Deux célèbres rencontres ont eu lieu en 1240 et en 1263, respectivement à Paris et Barcelone. La première de ces disputes marque un durcissement dans les controverses entre juifs et chrétiens124. Ce débat a pour origine les accusations contre les ouvrages des juifs, rapportées au Pape Grégoire IX par un juif récemment converti au christianisme : Nicolas Donin. La dénonciation des blasphèmes et des erreurs que contiendrait le Talmud, trouve un écho favorable auprès du Saint-Siège qui enjoint les rois de France, d’Angleterre et des provinces Raymond Martin en particulier ; il s’agit de la « prophétie fameuse sur Judah de Gn 49, 10 ; on peut résumer ainsi leur interprétation : ‘celui qui doit être envoyé’, ‘l’attente des nations’ est le Messie, qui est venu quand le sceptre a été ôté de Judah, c’est-à-dire quand la royauté a cessé d’appartenir à la descendance de Judah ; or, le premier roi non juif sur Israël a été Hérode, contemporain de Jésus ; celui-ci est donc bien le Messie annoncé » (ibid.).

122 D

AHAN,G., Les intellectuels chrétiens…, p. 490.

123 Cf. infra, pp. 67ss. 124

SMILEVITCH,E., « Introduction », in : NAḥMANIDE, La dispute de Barcelone, Pairs, Verdier, 1984, p. 10 : « Concrètement, à partir de la controverse de 1240 à Paris, on ne discute plus, on dispute publiquement à l’ombre de l’Inquisition : la théologie y sert d’appendice à la politique. De ce tournant, les controverses de 1240 et de 1263 à Barcelone sont l’exact reflet ; c’est à travers elles que, pour la première fois, l’Inquisition intervient dans les relations entre Juifs et chrétiens ».

espagnoles, ainsi que les autorités ecclésiastiques – principalement l’évêque de Paris – et les dirigeants des nouveaux ordres mendiants à saisir, examiner et condamner les parties incriminées de ces ouvrages. A Paris, les consignes papales sont exécutées avec zèle : les livres juifs sont confisqués et une dispute publique est organisée125. Si l’on ignore la nature précise du déroulement des débats, on constate qu’ils n’ont pas été favorables aux docteurs juifs ; en effet, en juin 1242, les exemplaires des livres juifs saisis par les autorités sont brûlés en place de Grève. Ordonnés par le Innocent IV et exécutés sans indulgence par Odon de