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La vie

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Raymond Martin est né avant 1230, dans le village de Subirats situé à 25km à l’ouest de Barcelone sur la route de Tarragone2. Il prend l’habit de frères prêcheurs au couvent des dominicains de la capitale catalane et il est généralement convenu qu’il entame son noviciat entre 1235 et 1240. La première mention officielle de son existence remonte à 1250 ; elle est attestée dans les actes du chapitre de la province d’Espagne, à l’occasion de son affectation au

studium linguarum de Tunis3. Il est difficile d’estimer l’âge de Raymond Martin au moment de son arrivée dans la capitale ḥafṣide. Cependant, considérant la spécificité d’une telle mission, il y a fort à parier que les autorités dominicaines aient envoyé en Ifrīqiyya des frères mûrs et expérimentés et non des adolescents. Dans cette perspective, il est probable que Raymond Martin ait une vingtaine d’années au moins au début de ses études de langues orientales au studium tunisien, ce qui ferait de 1230 le terminus ante quem de sa naissance.

Plus aucun document officiel ne mentionne notre auteur jusqu’en 1264, où son nom apparaît dans une lettre rédigée par Jacques Ier, qui le nomme au sein d’une commission chargée d’expurger les ouvrages des juifs de blasphèmes éventuels4. Rien n’empêche de

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La vie de Raymond Martin est rapportée dans plusieurs articles ou chapitres d’ouvrages consacrés à la prédication chrétienne contre les juifs au XIIIème siècle. La grande majorité de ces publications rapporte plus ou moins complètement les éléments rassemblés par A. Berthier dans son article : BERTHIER, A., «Un maître orientaliste du XIIIème siècle : Raymond Martin O.P. », Archivum fratrum praedicatorum, 7 (1936), pp. 267-311. Récemment, G. Hasselhoff a repris et rassemblé en une présentation détaillée les éléments principaux de la vie de Martin qui ont été découverts et mis en lumière depuis l’article de Berthier ; cf. HASSELHOFF,G.K.,« Some Remarks On Raymond’Martini’s (c. 1215/30 – c. 1284/94) Use Of Moses Maïmonides », Trumah, 12 (2002), pp. 133-148. Notre présentation de la vie de R : Martin est une synthèse des ces deux études.

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G. Hasselhoff propose 1215 comme terminus post quem de la naissance de R. Martin et rejette l’hypothèse selon laquelle il serait issu d’une famille de juifs convertis : « He was either born to a Christian family or he was a Jewish-born converso. It seems more likely that he was brought up by Christian parents because in the very few sources on him he is never referred to as a converso » (cf.HASSELHOFF,G.K.,« Some Remarks… », p. 134). Selon A.L. Williams, l’hypothèse selon laquelle Martin serait issu d’une famille juive a été avancée la première fois au XVème siècle par Petrus Nigrinus : « it is not until de fifteenth century that Peter Niger, a Dominican, says that Martini had been a Jew for forty years before his conversion, and part of the time a Rabbi » (cf. WILLIAMS, A.L., Adversus Judaeos, A Bird’s-Eye View of Christian Apologiae until the Renaissance, Cambridge,

Cambridge University Press, 1935, p. 248).

3 Cf. supra, p. 51.

4 Cette lettre, écrite par Jacques Ier le 27 mars 1264, est reproduite par H. Denifle dans son article sur les sources

de la dispute de 1263 : « … quod, cum vobis ostensa fuerint, si ea excusare potestis, non fore blasfemas nostri Domini Ihesu Christi et beate Marie matris eius, ad cognitionem et iudicium super hoc assignatorum a nobis, videlicet venerabilium episcopi Barchinonensis, fratris Raymundi de Pennaforti, fratris A. de Segarra, fratris R. Martini et fratris P. de Genioa, non teneamini dampnare aliquid vel levare de eisdem ». (cf. DENIFLE H., « Quellen zur Disputation Pablos Christiani mit Mose Nahmani zu Barcelona 1263 », Historisches Jahrbuch der

supposer qu’il soit rentré en Espagne avant 1264, et ceci d’autant plus qu’il a vraisemblablement assisté à la controverse de 1263, même si aucun document n’atteste sa présence. Durant sa première période tunisienne d’étude, Raymond Martin rédige le De secta

Machometi et l’Explanatio simboli apostolorum. En 1267, alors qu’il se trouve à Barcelone, il

termine la rédaction du Capistrum Iudaeorum. L’année suivante il se rend à nouveau en Tunisie, pour rentrer définitivement en novembre 1269. Le retour de Raymond Martin est attesté dans le Llibre dels feyts de Jacques Ier : échoué à Aigues-Mortes avec la flotte qu’il devait emmener combattre en Terre Sainte, le roi rapporte qu’il a été averti de la présence de Raymond Martin et d’un autre frère, qui venaient de débarquer en provenance de Tunis. Le roi n’a cependant pas eu l’occasion de rencontrer les deux moines, car ils sont partis immédiatement pour Montpellier5. Deux repères chronologiques nous renseignent encore sur la fin de la vie de Raymond Martin : en 1278, il termine la rédaction du Pugio Fidei et en 1281, le chapitre provincial d’Estella le nomme responsable du studium d’hébreu du couvent de Barcelone, où il aurait notamment été le professeur d’Arnaud de Villeneuve6.

Aux faits documentés jalonnant la vie de Raymond Martin, des chroniqueurs de différentes époques ont intercalé d’autres évènements plus ou moins avérés. Tout d’abord, on trouve l’hypothèse selon laquelle il aurait étudié quelques années à Paris, sous la direction d’Albert le Grand, avant d’être envoyé en Tunisie7. Aucune source médiévale ne vient confirmer cette hypothèse, dont la première mention date de 1651 : à l’occasion de la publication du Pugio Fidei par Joseph Voisin, Yves Pinsard, prieur du couvent de prêcheurs de Paris, écrit une lettre à ce dernier, dans laquelle il dresse une liste des dominicains célèbres qui séjournèrent à Saint-Jacques : « Ex innumeris suis operibus inique spoliatis, nominandi veniunt Albertus Magnus, inter discipulos eius D. Thomas, et sodalis huius Raymundus

5 Le Llibre dels feyts…, § 490, p. 340 : « Alors que j’étais au port, un de mes chefs cuisiniers me dit qu’il était

descendu dans une barque et qu’il avait rencontré frère Pere Cenra et frère Ramon Martí, qui venaient d’arriver de Tunis ; ils lui auraient demandé quelle était cette nef, et on leur avait répondu que c’était celle du roi, qui avait rebroussé chemin à cause du mauvais temps. Alors que je pensais qu’ils m’attendraient, ils partirent pour Montpellier ». Cet évènement est également rapporté par Pierre Marsili en 1313, dans ses Chroniques de la vie de Jacques Ier, le passage est reproduit dans l’introduction de THOMAE AQUINATIS, Liber de Veritate Catholicae

Fidei contra errores Infidelium, vol. I, éd. P. Marc, Paris, Marietti, 1967, pp. 610-611. Marsili ajoute à

l’anecdote cette description de R. Martin : « Erat frater iste dignus memoriae Frater Raimundus Martini persona multum dotata, clericus multum sufficens in Latino, philosophus in Arabico, magnus rabbinus et magister in Hebraico, et in lingua Chaldaica multum doctus. Qui de Sobiratis oriundus, nedum Regi, verum sancto Ludovico regi Francorum et illi bono regi Tunicii charissimus et familiarissimus habebatur ». A. Berthier interprète ainsi le fait que Martin refuse de rencontrer le roi : « Le roi, averti de la présence des deux religieux dans la ville, demande à les voir. R. Martin et son compagnon se dérobent et prennent le chemin de Montpellier avant que le roi n’ait débarqué. Peut-être voulaient-ils, par cette attitude, marquer leur désapprobation au prince qui abandonnait si tôt l’expédition » (BERTHIER,A., «Un maître orientaliste du XIIIème siècle… », p. 268).

6 Cf. supra, p. 53.

7 Dans cette éventualité, on peut supposer qu’il aurait connu Thomas d’Aquin qui étudie également au couvent

Martini Barcinonensis »8. L’importante postériorité du témoignage rend bien évidemment difficile la confirmation de cette affirmation, dont la validité a notamment été contestée par J.I. Saranyaya9. Cependant, comme le souligne A. Cortabarria, « le séjour de Raymond Martin à Paris n’a rien d’impossible, puisqu’on sait que d’autres dominicains espagnols ont étudié dans cette ville »10. Pour sa part, P. Ribes y Montané avance un certain nombre de preuves indirectes allant dans le sens d’un séjour parisien de Raymond Martin. Premièrement, le chercheur espagnol souligne la grande proximité qu’entretiennent les couvents de Sainte- Catherine et de Saint-Jacques, dès la fondation de celui-ci dont le premier lecteur – l’espagnol Miguel de Fabra – a été formé au couvent parisien de l’ordre. Deuxièmement, la présence dans la bibliothèque du couvent barcelonais d’œuvres d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin, un à deux ans après leur rédaction « supone un intenso intercambio literario, muy difícil en aquellos tiempos sin la presencia de dominicos barceloneses estudiando en París, o sin frecuentes viajes de los predicadores de santa Catalina a la Cuidad del Sena »11. Troisièmement, P. Ribes y Montané rapporte, d’une part, le témoignage de Pierre Marsili, qui affirme que Raymond Martin a été moine pendant cinquante ans et, d’autre part, celui de l’historien catalan Francisco Diago12, qui affirme avoir vu un document de 1284 portant la signature de Raymond Martin, ce qui ferait de cette date le terminus post quem de sa mort. Soustrayant à cette date cinquante années de vie monastique, P. Ribes y Montané situe l’entrée de Raymond Martin dans l’ordre entre 1235 et 123813. Ensuite, en considérant qu’un frère dominicain étudie huit ans dans son propre couvent, avant d’étudier la théologie au

studium général, et que jusqu’en 1248 l’ordre dominicain ne possède que celui de Paris, il est

fort probable que Raymond Martin se soit trouvé à Saint-Jacques à l’époque où Albert y enseigne14. P. Ribes y Montané ajoute deux raisons supplémentaires censées confirmer le

8 R

AYMUNDUS MARTINI, Pugio Fidei Fidei adversus Mauros et Judaeos, cum observationibus Joseph Voisin et

Introductione J. Benedicti Carpozovi, Leipzig, 1687, p. 112.

9 S

ARANYAYA,J.M., « La creación ‘ab aeterno’. Controversia de Santo Tomás y Raymundo Martí con san Buenaventura », Scripta Theologica, 5 (1973), pp. 127-174, cf. particulièrement pp. 150-151.

10 C

ORTABARRIA,A.,« L’étude des langues… », p. 224. En outre, Martin affiche à plusieurs endroits du Pugio

Fidei une certaine admiration pour le maître de Cologne qu’il appelle « magister in theologia et philosophus

magnus », cf. par exemple Pugio Fidei, éd. Voisin, p. 555.

11 R

IBES Y MONTANE, P., « San Alberto Magno, Maestro y fuentes del apologeta medieval Ramon Marti »,

Doctor Communis, 33 (1980), p. 174.

12

Francisco Diago est l’auteur d’une Historia de la Provincia de Aragón de la Orden de Predicadores, rédigée en 1599, dans laquelle il consacre à Martin une notice biographique.

13 R

IBES Y MONTANE, P., « San Alberto Magno, Maestro y fuentes… », p. 175 : « En efecto, según el cronista Pere Marsili, Martí ‘ad ingressu ordinis quinquagessimum annum agens, tam reverenda canitie dives, eius sensibus etiam propter tantum senium minime immutatis, Barcinone quievit’. Ahora bien, Francisco Diego constata : ‘He visto firma suya en un Aucto hecho en el convento primer dia de julio de mil y dozientos y ochenta y cuatro’. […] Personalmente fecharía su profesión hacia 1238 ».

14 R

IBES Y MONTANE, P., « San Alberto Magno, Maestro y fuentes… », p. 175 : « Si se tiene en cuento que, antes de pasar al estudio general para cursar teología, los profesos curaban cuatros años de Lógica o Filosofía, se

séjour parisien de Raymond Martin : premièrement, l’aristotélisme-avicennisant caractérisant la pensée du catalan et sa connaissance des philosophes arabes. Selon nous, ces deux raisons sont assez faibles, car, d’une part, on aura l’occasion de constater que Raymond Martin ne développe pas de réflexion philosophique propre et que la plupart des arguments structurant le début du Pugio Fidei sont systématiquement empruntés aux œuvres de Thomas, d’Albert et des penseurs arabes. D’autre part, suivant les injonctions d’Humbert de Roman15, Raymond Martin a lu, traduit et travaillé les auteurs arabes avant tout dans un but apologétique, et non dans la visée scientifique qui était celle d’Albert. La preuve en est que beaucoup de textes de penseurs arabes utilisés par Raymond Martin ne sont pas des textes philosophiques, mais des écrits religieux. Dans ce contexte, il n’est pas concluant d’affirmer que le goût que Raymond Martin porte aux textes arabes lui ait été insufflé par Albert de Grand.

Un autre séjour parisien de Raymond Martin a fait l’objet de spéculations. Plusieurs chercheurs, dont G. Hasselhoff, soutiennent que Raymond Martin se serait rendu à Paris en 1269, dès son retour de Tunisie, et cela pour deux raisons : premièrement, convaincre saint Louis de diriger la huitième croisade contre Tunis, et deuxièmement, pour assister Pablo Christiani dans ses disputes contre les Juifs. Concernant la première raison, il faut relever que les motifs du détournement de la huitième croisade sur Tunis ont fait l’objet de très nombreuses spéculations, sur lesquelles on ne peut revenir ici en détail. Une théorie longtemps acceptée veut que le roi ait décidé d’accéder au désir de son frère, Charles d’Anjou, qui voulait se réapproprier le tribut que Tunis payait aux Hohenstaufen, à l’époque où ces derniers régnaient sur la Sicile. Cette explication a cependant été révisée, en considérant notamment le fait que les velléités dominatrices de Charles d’Anjou étaient avant tout tournées vers l’Adriatique et que des pourparlers concernant le tribut de Tunis étaient sur le point d’aboutir16. Malgré tout, la décision de saint Louis d’attaquer Tunis pourrait provenir d’un autre motif impliquant les frères prêcheurs en général et Raymond Martin en particulier : selon Geoffroy de Beaulieu, moine dominicain, confesseur du roi et auteur d’une biographie adiestraban uno o dos años en la enseñanza un par de años con el Lector, y que hasta 1248 la Orden de Predicadores no tuvo más estudio general que el de París, la conclusión lógica es afirmar que Ramón Martí tuvo que ser discíplo de san Alberto Magno ».

15 Cf. supra, p. 50. 16

Pour plus de détails sur le rôle de Charles d’Anjou dans la huitième croisade, cf. LONGNON,J., « Les vues de Charles d’Anjou pour la deuxième croisade de saint Louis : Tunis ou Constantinople ? », in : Septième

centenaire de la mort de saint Louis, Actes des colloques de Royaumont et de Paris (21-27 mai 1970), Paris, Les

Belles Lettres, 1976, pp. 183-195. Cf. notamment, p. 186 : « Ce prince ambitieux et aventureux [i.e. Charles d’Anjou] est porté naturellement, comme ses prédécesseurs les Normands, et même Frédéric II et Manfred, à regarder au-delà des mers, surtout vers l’est, vers Corfou, l’Epire, l’Albanie, l’empire de Constantinople, dont le dernier empereur latin, Baudouin II, chassé par Michel Paléologue, cinq ans plus tôt, trouve refuge auprès de lui ». J. Richard défend la même hypothèse dans son livre consacré à saint Louis : RICHARD,J., Saint Louis,

de saint Louis, ce dernier aurait entretenu, tout au long de 1269, une correspondance avec les autorités hafisdes. Cette même année, une ambassade tunisienne a été reçue à Paris et le roi aurait notamment invité ses hôtes à assister au baptême d’un juif converti, le neuf octobre, jour de la fête de Saint-Denis. A cette occasion, il aurait affirmé qu’il serait prêt à passer le reste de sa vie dans les prisons sarrasines, s’il pouvait faire en sorte que l’émir ḥafṣide reçoive le baptême17. Ces velléités royales reposent sur des informations fournies par des ‘personnes dignes de foi’, dont l’identité n’est pas précisée, qui auraient entendu le désir de l’émir al- Mustanṣir de se convertir au christianisme, si l’occasion lui en était offerte18. Considérant que l’on sait qu’en 1269, Raymond Martin débarque à Aigues-Mortes en provenance de Tunis on peut imaginer qu’il s’en va relayer au roi le désir de conversion d’al-Mustanṣir, avec qui, si l’on en croit Pierre Marsili, il était très ami19.

En 1269, Raymond Martin a pu se trouver à Paris pour une seconde raison, qui lui aurait également donné la possibilité de se rendre à la cour du roi : assister son confrère Christiani dans ses polémiques contre les Juifs. En outre, J. Shatzmiller et G. Hasselhoff ont montré que certains développements de la troisième partie du Pugio Fidei – qui portent notamment sur la messianité de Jésus, sur sa résurrection et sur la réprobation des Juifs – sont repris textuellement des thèses que Pablo Christiani a défendues contre les Juifs à Barcelone et à Paris20. En tout état de cause, la réception à la cour de saint Louis d’une ambassade en

17 G

AUFRIDO DE BELLOLOCO, Vita Ludovici Noni, in : Rerum Gallicarum et Francicarum scriptores, éd. M. Bouquet, Paris, Imprimeries Royales, T. XX, 1840, p. 22 : « ‘Dicite ex parte mea domino vestro regi, quod ego tam vehementer salutem animae ipsius desidero, quod, vellem esse in carcere Sarracenorum omnibus diebus vitae meae, ibidem claritatem solis non visurus de caetero, dummodo rex vester et gens sua ex vero corde fierent Christiani’ ».

18Vita Ludovici Noni…, p. 21 : « Siquidem antequam Dominus Rex hanc crucem ultimam assumpsisset, multos

nuncios receperat a rege Tunicii, et similiter Rex noster plures nuncios remiserat ad eumdem. Dabatur etenim sibi a fide dignis intelligi, quod dictus rex Tunicii bonam voluntatem ad fidem christianam haberet, et valde de facili posset fieri christianus, dummodo occasionem honorabilem inveniret ; et quod salvo honore suo, et absque metu Sarracenorum suorum hoc complere valeret. Unde Rex catholicus cum multo desiderio quandoque dicebat : ‘O si possem videre, quod fierem tanti filioli comptare et patrinus !’ ». Pour J. Longnon, il ne fait aucun doute que les dominicains résidents à Tunis sont ces personnes dignes de foi : « Telles auraient été les raisons de saint Louis et les suggestions qu’on lui aurait faites, suivant Geoffroy de Beaulieu, qui était bien placé pour être informé, car il était non seulement confesseur du roi, mais religieux dominicain, et les dominicains, qui avaient des missions en Tunisie, étaient vraisemblablement ces ‘personnes dignes de foi’ qui ‘donnaient à entendre’ et faisaient des suggestions » (LONGNON,J., « Les vues de Charles d’Anjou pour la deuxième croisade… », p. 192).

19 Pour R. Vose, il ne fait aucun doute que Raymond Martin était au service du roi de France, pour lequel il

devait accomplir des missions diplomatiques ou d’espionnage : « Why would two Dominicans from Barcelona be needed in the service of the king of France ? Diplomatic communication, perhaps accompanied by espionnage, seems the best answer » (cf. Vose, R., Dominicans, Muslims, and Jews…, p. 229).

20 S

HATZMILLER J.,La deuxième controverse de Paris…, p. 30 : « Il est significatif que dans son Pugio Fidei,

l’œuvre polémique chrétienne la plus significative de l’époque, Raymundus Martini, qui avait collaboré avec Paulus Christiani en Espagne, suivait le programme de celui-ci tel qu’il était exposé à Barcelone et à Paris. […] Surtout dans la troisième subdivision, distinctio tertia, de la dernière partie de sa grande somme on trouve répétées presque mot à mot les thèses et les thèmes de Paulus Christiani […]. Il faut ajouter que deux chapitres de cette dernière section du Pugio Fidei , intitulés Les rites qu’il de faut pas observer à la lettre et La Nouvelle

provenance de Tunis, d’où il arrivait lui-même, et les polémiques contre les juifs menées par son confrère Christiani, rendent très probable la présence de Raymond Martin à Paris cette même année 1269. Cet éventuel second séjour parisien de Raymond Martin permettrait également d’expliquer certaines orientations de la première partie du Pugio Fidei : comme nous aurons l’occasion de le voir en détail, cette partie de l’œuvre du dominicain catalan est largement tributaire de la Summa contra gentiles de Thomas (achevée en 1265). Selon plusieurs chercheurs, ce dernier serait arrivé à Paris à la fin de l’année 126821 et il aurait pris part à différentes querelles portant sur des thèmes qui se retrouvent dans la première partie du

Pugio Fidei. Dans ce contexte, il n’est pas exclu que le climat parisien anti-averroïste de la fin

des années soixante ait incité Raymond Martin à rédiger la première partie du Pugio Fidei, en l’orientant résolument contre les thèses défendues par le Commentateur qui y fait l’objet de vives critiques. En d’autres termes, considérant que les critiques et les attaques de Raymond Martin portent au premier plan sur les thèses philosophiques condamnées par Ġazālī et véhiculées par Averroès, il n’est pas exclu qu’elles trouvent leur origine dans les polémiques