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Raymond Martin consacre un seul chapitre à la réfutation de la doctrine des naturalistes, qui veut que l’âme meure avec le corps. Dans un premier temps, les raisons avancées par Raymond Martin contre ses adversaires proviennent de considérations théologiques et, dans un deuxième temps, d’arguments philosophiques. Avant de considérer le problème sous ces deux aspects, le dominicain propose en guise d’introduction quelques réflexions générales sur la survivance de l’âme : pour lui, la croyance en l’immoralité est avant tout utile (utilis) à l’homme, en ce qu’elle le conduit à aimer Dieu – bonheur ultime et permanent –, à fuir le péché, à dédaigner les choses impermanentes et à vivre pacifiquement et selon la raison. A l’inverse, rien n’est plus damnable que de ne pas croire en l’immortalité de l’âme : cela amène

53 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 8r ; éd. de Voisin, p. 199 : « Ut enim, ait Boetius de Consolatione, qui fedis

immundisque libidinibus, gule videlicet, atque luxurie immergitur, sordide suis voluptate detinetur ; et ita sit, ut, qui probitate deserta homo esse defierit, cum in divinam conditionem transire non possit, vertatur in beluam ».

54 Cf. B

OUYGES,M.,Essai de chronologie des œuvres de Ġazālī…, pp. 28-29.

55 A

L-ĠAZĀLĪ, Mīzān al-ʿamal (Le critère de l’action), éd. S. Duniyā, Le Caire, Dār al-Maʿārif, 1964, p.311 ; trad. franç AL-ĠAZALI, Le critère de l’action (Mīzān al-ʿamal), trad. par H. Hachem, Pairs, Maisonneuve, 1945, p. 86 : « Celui dont la préoccupation est ce qui entre dans son ventre a pour valeur ce qui en sort ».

،هنطب يف لخدي ام هتنھ ناك نم هنم جرخي ام هتمھ تناك

.

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l’impie à mépriser Dieu et les choses permanentes, à commettre des actes mauvais, à vivre de manière inique et à se comporter comme une bête57. A cette dernière constatation – confirmée par l’autorité du Psaume 4958 –, Raymond Martin ajoute que l’immortalité de l’âme humaine est une conséquence de la création de l’homme à l’image de Dieu : bien qu’il n’en soit pas conscient, la similitude avec son créateur provient de ce qu’il est en possession d’une âme raisonnable et qui, du fait de cette similitude, est immortelle. Dès lors, celui qui se comporte comme une bête déchoit de sa dignité d’homme et sera condamné aux tourments et à la mort59. Raymond Martin convoque plusieurs autorités pour corroborer cette thèse, dont celle de Boèce qui, dans un passage de la Consolation (IV, prose 3), affirme que ceux qui ont opté pour le vice sont déchus de leur nature et ne peuvent plus être appelés du nom d’homme60.

Après avoir décrit les conséquences provoquées par la thèse des naturalistes sur la nature humaine, Raymond Martin affirme que l’immortalité de l’âme peut être démontrée, d’une part, grâce aux Ecritures et, d’autre part, à l’aide de certains arguments philosophiques61.

Preuves tirées des Ecritures

A partir des textes sacrés, le dominicain va proposer deux raisonnements : le premier fondé sur la justice divine et le second sur plusieurs cas attestés de résurrections. En ce qui concerne le premier argumentaire, Raymond Martin déclare tout d’abord que Dieu est juste, en se basant sur l’autorité de plusieurs psaumes. Ensuite, il affirme que la justice divine s’illustre

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Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 8v ; éd. de Voisin, p. 200 : « Anime vero immortalitas, cum scitur aut creditur, nihil est salubrius, nihil utilius ; cum autem ignoratur et non creditur, nihil est damnosius nihil indecentius. Nihil – inquam – cum scitur aut creditur utilius, quia facit summum et permanens bonum, quod quidem Deus est diligere, abhorrere peccata, rationabiliter vivere, despicere transitoria, conversari pacifice. Nihil vero, cum ignoratur et non creditur, est damnosius, quia facit Deum et quicquid permanet contemnere, perpetrare scelera, transitoria diligere, inique conversari, bestialiter vivere. ».

58 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 8v ; éd. de Voisin, p. 200 : « Unde Propheta dicit – Ps.

XLIX – : Homo in honore

et id est cum non intelligit, assimilatus est bestiis et comparatus eis ».

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Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 8v ; éd. de Voisin, p. 200 : « Homo – inquam – est a Deo in honore positus rationis, secundum quam factus est ad sui ymaginem conditoris ; et non intelligit quod sicut factus est ad Dei ymaginem quantum ad rationem, sic quoque factus est ad Dei similitudinem quantum ad rationis immortalitatem. Et idcirco erroris sui iudicio assimilatus est bestiis, et comparatus eis, cum post mortem non credit restare hominibus aliquid amplius quam iumentis. [...]Si non cognoscis te, o rationalis anima, sine fine victuram, quippe quia es ad ymaginem, atque similitudinem, conditoris tui creata. Si te – inquam – talem non cognoscis ac tantam, egredere a rationali dignitate, et perge ad mortem, de malo semper in peius ».

60 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 8v ; éd. de Voisin, p. 200 : « Ut enim, in libro de Consolatione, ait Boetius :

Conversi in malitiam humanam quoque a misere naturam. Evenit igitur, ut quem transformatum viriis videas, hominem existimare non possis ». A ce propos, R. Martin cite également Bernard de Clairvaux et le livre de la Sagesse (II, 22).

61 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 8v ; éd. de Voisin, p. 200 : « Anime igitur immortalitatis, duobus modis

par le fait que Dieu rétribue chacun selon ce qui lui revient. Enfin, il précise que les récompenses et les châtiments qui attendent les justes et les méchants n’adviendront pas dans cette vie mais dans la suivante. Synthétisant son raisonnement, le dominicain conclut qu’étant donné que la justice divine s’exerce dans la vie future, il s’ensuit nécessairement que l’âme est immortelle, car elle doit survivre au corps pour recevoir son jugement62.

Le second argumentaire produit à partir de texte religieux consiste à démontrer l’immortalité de l’âme en regroupant des cas attestés de résurrection : en effet, si le corps ressuscite, cela prouve que l’âme lui survit. Raymond Martin rapporte quatre cas mentionnés dans l’Ancien et le Nouveau Testament : la résurrection du fils de la veuve de Sarepta par Elie (I Rois 17, v. 20-22), dont il donne une traduction du passage accompagnée de l’original hébreu63 ; celle du fils de la Sunamite par Elisée (II Rois, 4, v. 33-38)64 ; celle de Lazare (Jean, 11, v. 38-44) ; et enfin, celle du Christ lui-même65. Pour des raisons de brièveté, Raymond Martin se contente de faire référence à ces trois derniers cas, sans citer les passages bibliques dans lesquels ils sont exposés.

Pour le dominicain, la réalité de ces cas de résurrections n’est pas seulement attestée par l’autorité de l’Ecriture, mais également par de nombreux témoignages66 qui peuvent être considérés comme valables et sincères, s’ils remplissent les conditions qu’il a présentées dans la sixième partie du Capistrum Judaeorum67. Dans notre chapitre du Pugio Fidei, il nous en propose trois : un témoignage peut être considéré comme valable (1) s’il a été attesté par la

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Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 9r ; éd. de Voisin, p. 201 : « His sic premissis, reducamus eadem in ordinem rationis, et dicamus : cum Deus sit iustus, ut primo dictum est, propter quod redditurus est cuique quod meretur, ut secundo probatum est, hoc autem non fiat in hac vita, ut rei evidentia docet, et tertio ostensum est, hominum animas non mori cum corporibus, ut Deus vere iustus appareat, consquens est ».

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Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 9r ; éd. de Voisin, pp. 201-202 : « Secundum item ex sacris eloquiis sumentes rationem, aliqua premittemus : quorum primum est, quod in tertio libro regum – XVII –, Eliam prophetam dixisse scriptum est : Domine Deus meus, numquid etiam super istam viduam, cum qua ego hospitor, malefecisti

interficiendo filium eius ? Et mesus est se super puerum tribus vicibus, et invocavit Dominum, et dixit : Domine Deus meus, revertatur queso anima pueri istius super medium eius. Et audivit Dominus vocem Elie, et reversa est anima ipsius pueri super medium eius, et vixit ».

64 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 9r-v ; éd. de Voisin, p. 202 : « Secundo premittendum est id, quod quartus liber

Regum testatur, videlicet Heliseum, dum adhuc viveret, filium Sunamitis ».

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Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 9v ; éd. de Voisin, p. 202 : « Tertio et ultimo de illis, quos Christus et Apostoli ceterique Sancti etiam in diebus nostris suscitaverunt mortuis, causa brevitatis pretermittentes, solum Lazarum sufficit offerre in medium, cuius animam Dominus Iesus Christus ad cadaver in monumento iam quatriduanum, iamque prefetidum tam publice revocavit. Et quod suam quoque animam propriam, postquam coram tot millibus Iudeorum occisus fuit, tertia die resumpsit ».

66 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 9v ; éd. de Voisin, p. 202 : « Constat itque nobis Christi, et aliorum plurimorum

resurrectio mortuorum, non solum per scripturas, sed etiam per crebrerrimas, ut ita dixerim, famas ».

67 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 9v ; éd. de Voisin, p. 202 : « Fama quippe tunc sincera, perfectaque decernitur, et

vue ou par un autre sens68 ; (2) si le nombre des personnes qui transmettent l’histoire en question est tel qu’il est impossible qu’ils aient produit un mensonge cohérent et dont la fausseté n’ait pas été éventée69 et (3) si tout au long de la chaîne de transmission du témoignage l’histoire n’a pas subi d’altération70. Selon le dominicain, en plus de ces cas de résurrection, de nombreux autres faits et éléments historiques nous sont parvenus par ce biais et ont été vérifiés au moyen de ces critères : c’est le cas de l’existence et des doctrines de personnages historiques tels que Platon, Aristote, Hippocrate et d’autres ; c’est également par ce moyen que nous savons qui sont nos parents et les membres de nos familles71.

Ainsi, étant donné que les cas de résurrection énoncés plus haut sont attestés, tant par le témoignage des Ecritures que par celui de l’opinion, Raymond Martin tire la conclusion suivante de sa seconde démonstration tirée des Ecritures : puisqu’il est certain que les âmes du Christ, de Lazare et de beaucoup d’autres sont revenues dans les corps après en avoir été séparées, il est faux de prétendre que l’âme rationnelle meurt avec le corps72.

Les preuves philosophiques

Suite à ces deux raisonnements établis sur les textes religieux, Raymond Martin démontre l’immortalité de l’âme par certains arguments philosophiques. Tout d’abord, il va prouver que l’âme ne peut être détruite, car sa nature n’a rien de commun avec celle des choses corruptibles. Ensuite, il va analyser la relation qu’entretient l’âme et le corps en empruntant plusieurs passages du chapitre 79 du deuxième livre de la Summa contra gentiles de Thomas d’Aquin. Son analyse va le mener à conclure que l’âme rationnelle ne dépend d’aucun organe pour son fonctionnement, ce qui est confirmé par l’autorité d’Avicenne, d’Aristote et des

68 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 9v ; éd. de Voisin, p. 202 : « Fama quippe tunc sincera, perfectaque decernitur, et

efficax ad probandum, ut in Capistro Iudeorum, sexta ratione, plenius est ostensum ; cum primo res, que per eam asseritur, visu, vel alio sensu percipi potuit ».

69 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 9v ; éd. de Voisin, p. 202 : « Secundum cum multitudo narrantium est talis ac

tanta, quod impossibile est secundum consvetudinem eam concordare potuisse ad confingendum mendacium, ita quod hoc omnino, atque perpetuo lateret omnes alios, presentes, et absentes, nec non et subsequentes ».

70 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 9v ; éd. de Voisin, p. 202 : « Tertio, cum talis multitudo alteri consimili

multitudini, vel maiori, et illa alteri, atque sic deinceps semper successive narraverit, et sine interruptione catene istiusmodi usque ad presens tempus narratio pervenerit, nunquam in medio tantum extenuata, quod devenerit ad singulos, vel ita paucos, quod potuerint verisimili concordasse, vel convenisse ad tale confingendum mendacium ».

71 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 9v ; éd. de Voisin, p. 202 : « Et per talem modum indubitanter scimus multa, que

narrari audivimus, et ea nunquam vidimus, ut fuisse Platonem, Aritotilem, Ypocratem, Moysem et Mahometum et alios huius tam bonos quam malos [...]. Per hunc quoque modum scimus, qui sunt parentes nostri, qui consanguinei et cetera eiusmodi ».

72 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 10r ; éd. de Voisin, p. 203 : « Cum autem animam Christi, et Lazari,

multorumque aliorum animas post mortem ad corpora redisse, ut preostensum est, sit certissimum ; animas rationales interire cum corporibus erit huius rationis necessitate falsissimum ».

Ecritures. Bien que les preuves présentées jusqu’ici suffisent à démontrer que l’âme est immortelle, Raymond Martin ajoute une discussion de la conception galénique de l’âme.

L’incorruptibilité de l’âme

Selon le dominicain, la destruction d’une chose survient pour quatre raisons : (1) un défaut de la cause, (2) une division des parties du tout, (3) la destruction de la forme ou (4) la destruction du sujet73. De l’avis de Raymond Martin, l’âme rationnelle ne peut être détruite par aucun de ces moyens : en effet, la cause de l’âme est Dieu qui est incorruptible et éternel ; ensuite, elle ne possède pas de parties, car si elle en avait sa nature serait quantitative et elle ne pourrait recevoir les formes dépourvues de quantité. L’âme rationnelle n’est pas non plus corruptible selon le troisième mode, car elle n’est pas composée de matière et de forme et elle n’a pas de contraires qui seraient susceptibles d’engendrer sa destruction, puisqu’elle peut recevoir toutes les formes74. Enfin, elle ne peut être détruite selon le quatrième mode, étant donné que ni son être ni son opération ne dépendent d’un corps pour exister75.

Raymond Martin analyse ensuite la nature du lien qui unit l’âme et le corps ; d’une part, il constate qu’il n’est pas aussi fort que celui qui unit l’accident à son substrat et, d’autre part, il n’est pas aussi faible que celui qui lie un corps à un lieu76. En fait, la dépendance de l’âme vis-à-vis du corps est similaire à celle de l’amant vis-à-vis de l’aimé, de l’artisan à son outil ou du soldat à son cheval77. Autrement dit, l’âme n’est pas détruite avec le corps, bien

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Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 10r ; éd. de Voisin, p. 203 : « Idem quoque probatur per considerationem nature destructibilis sic : omne quod destruitur, aut hoc erit ex defectu cause, quemadmodum destruitur dies per solis abscessum ; aut divisione partium integralium, ut domus, vel navis divisis partibus ; aut destructione forme, ut destruitur aqua cum transit in aerem et contra ; aut destructione subiecti, ut destructo pariete destruitur pictura, que est in pariete ».

74 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 10r ; éd. de Voisin, p. 203 : « Quod autem non habeat contrarium, sic probatur :

nihil est receptivum sui contrarii ; intellectus est receptibilis omnis forme ; non ergo habet aliquam formam contrariam ».

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Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 10r ; éd. de Voisin, p. 203 : « Quarto denique modo non est anima destructibilis, quia esse ipsius, vel virtus eis, non dependet a corpore. Omnis namque substantia, cuius operatio non dependet a corpore, nec ipsa dependent a corpore, sed ipsa operatio substantie intellective, in quantum huiusmodi, non dependet ex corpore, scilicet intelligere ; ergo nec substantia dependet ex corpore tali dependentia quod destruatur, cum ab eo separatur ».

76 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 10r ; éd. de Voisin, p. 203 : « Unde notandum, quod sunt quedam, que ita

vehementer dependent ab aliis, quod ab eisdem sine omnimoda sui destructione nequeant separari : talis autem est dependentia accidentium, et formarum materialium a suis subiectis. Quorundam vero dependentia ita est debilis, quod facillime solvitur absque dependentis destructione : et talis est dependentia corporum a locis suis. Dependentia igitur anime rationalis a corpore, ut quidam ait philosophos, non est fortis iuxta primum modum, nec debilis iuxta secundum ».

77 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 10r ; éd. de Voisin, pp. 203-204 : « Anima itaque sic dependet a corpore, ut

que le dominicain remarque qu’elle est affaiblie par cette perte – insistant par là sur le rôle du corps dans le bon fonctionnement de l’âme, comme cela est exemplifié par le cas des personnes âgées ou des infirmes, dont les facultés intellectuelles sont affaiblies à mesure que le corps se dégrade78.

Arguments tirés de la Summa contra gentiles II, 79

Le dominicain propose ensuite cinq arguments démontrant l’immortalité de l’âme, empruntés au chapitre 79 du deuxième livre de la Summa contra gentiles. Le premier de ces arguments part de la prémisse selon laquelle rien ne se corrompt à partir de ce en quoi réside sa perfection ; or, la perfection de l’âme réside dans une certaine séparation d’avec le corps, à la suite de laquelle la science et la vertu sont parfaites : dans le premier cas par la considération des réalités plus immatérielles et dans le deuxième cas par la libération des plaisirs du corps79. En deuxième lieu, Raymond Martin rejette l’objection selon laquelle la perfection de l’âme – évoquée dans le premier argument – consisterait dans sa séparation d’avec le corps, selon son opération seulement, alors qu’elle serait corrompue selon l’être80. En effet, chaque chose opère en tant qu’elle est un étant et cette opération découle de sa nature propre ; aussi, l’opération d’une chose peut être rendue parfaite uniquement dans la mesure où sa substance est rendue parfaite. Aussi :

Si igitur operatio anime secundum operationem suam perficitur in relinquendo corpus, atque corporea substantia sua in esse suo non deficiet per hoc, quod a corpore separatur.81

Troisièmement, Raymond Martin, suivant toujours Thomas, affirme que l’âme rationnelle est immortelle, car son opération propre – la pensée – est incorruptible, puisqu’elle a pour objet les universaux et les réalités incorruptibles. Quatrièmement, postulant que tout ce qui est reçu l’est selon le monde de celui qui reçoit, et considérant que l’intellect reçoit les formes en tant ad hanc dependentiam ydoneum ; item, sicut dependet artifex ab instrumento plurimum sibi necessario in diversis operibus ; item, sicut miles ab equo suo ».

78

Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 10r-v ; éd. de Voisin, p. 204 : « Et hec est causa, quare quandoque senes desipiunt, et infirmi sunt : nequid [folio 10v] siquidem intellectus exercere proprios actus, in quibus nunquam ei corpus communicat, circa curam, et reprobi corporis regimen nimirum occupatus, sicut scriptum est corpus, quod corrumpitur, aggravat animam. Notandum, quod dicit aggravat et non destruit... ».

79

Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 10v ; éd. de Voisin, p. 204 : « Perfectio autem anime humane consistit in abstractione quadam a corpore. Perficitur enim anima scientia et virtute : Secundum scientiam autem tanto magis perficitur, quanto magis immaterialia considerat. Virtutis autem perfectio consistit in hoc, quod homo corporis passiones non sequatur, sed eas secundum rationem temperet et refrenet. Corruptio igitur anime non consistit in hoc quod a corpore separetur. ».

80 Pugio Fidei, ms. SG1405, f. 10v ; éd. de Voisin, p. 204 : « Nec obviet quispiam dicens, quod perfectio anime

consistit in separatione ipsius a corpore secundum operationes, corruptio autem in separatione secundum esse. Nos enim talem ostendimus non recte obviare ».

81

qu’elles sont intelligibles en acte – autrement dit immatérielles, universelles et incorruptibles –, le dominicain conclut que l’intellect est incorruptible82. Le cinquième argument affirme que si une puissance de l’âme est affaiblie par l’affaiblissement du corps, cela ne peut être que par accident. Dans le cas de l’âme sensitive, on constate que la dégradation de l’organe entraîne un affaiblissement de la faculté ; cependant, cela advient accidentellement, car si un vieillard voyait au travers de l’œil d’un jeune homme, sa vue serait parfaite. Il en va de même pour l’intellect :

Si autem in operatione intellectus accidat fatigatio, aut impedimentum propter infirmitatem corporis, hoc non est propter debilitatem ipsius intellectus, sed propter debilitatem virium, quibus intellectus indiget, videlicet imaginationis, memorative, et cogitative virtutum.83

Interrompant la présentation des arguments empruntés à la Summa de l’Aquinate, Raymond Martin revient sur le présupposé qui veut que l’intellection ne nécessite pas d’organes pour se produire. Pour ce faire le dominicain catalan va s’appuyer sur l’autorité d’Avicenne, dont il cite un passage du traité de l’âme du kitāb al-Naǧāt. De ce résumé du

Šifāʾ, le dominicain extrait un chapitre, dans lequel le philosophe persan affirme que si la