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dans l’offre des soins de santé en territoire périurbain : équilibre entre légitimité et

15.3.3. tradipraticiens et offre des soins de santé

Soixante pourcent des tradipraticiens déclarent avoir reçu leurs pouvoirs de parents tandis que 40 % disent les avoir reçus par révélation, en songe. D’autres auteurs, tels Tonda (2001), ont également rapporté les sources de pouvoirs des tradipraticiens africains, disant que parmi les tradipraticiens rencontrés à N’Dali (Bénin), on comptait les prêtres et autres prophètes charisma- tiques, les guérisseurs aux pouvoirs rattachés aux vertus des plantes, les guérisseurs s’appuyant sur les forces mystiques, ceux qui utilisent les thérapies à base de massages, et les devins ou autres marabouts. Cependant, à N’Dali, on a également retrouvé une autre catégorie de tradipraticiens, formée de « charlatans » qui sont, en réalité, des vendeurs ambulants et à l’étalage, représentant un groupe hétérogène de soignants difficilement classables dans un ou l’autre type de médecines puisqu’ils utilisent tour à tour des produits et des savoirs de natures différentes.

La totalité des tradipraticiens rencontrés exerçait dans l’illégalité, sans autorisation d’ou- verture et sans autorisation de pratiquer l’art de guérir, sans aucun document administratif exigé par le Ministère de la Santé. Les contraintes imposées par l’administration publique à cet effet sont perçues par les tradipraticiens comme étant tout simplement de la prédation, ce qui a été relevé dans d’autres études en milieu périurbain (Trefon, 2011) où il a été constaté que

dans le contexte de crise économique et de l’échec de l’État, celui qui a la moindre forme de pouvoir ou d’autorité l’exploite afin de maximiser ses gains ou ses avantages. Et malgré cette absence quasi généralisée d’autorisation de pratiquer, le degré du contrôle politique diminuant par rapport à la capitale et à la ville, tous les tradipraticiens exercent leur art, sachant jouer le jeu avec la nature prédatrice des fonctionnaires, comme l’a constaté Trefon (2011), dans le territoire périurbain de Maluku : « quand nous pouvons éviter un représentant de l’État, nous le faisons. S’il est inévitable, nous négocions et payons la plus petite quantité possible ». Bien entendu, ce qui est payé ne va pas dans les caisses de l’État, du moins pas celles qui sont situées en dehors de la poche du fonctionnaire percepteur. Les larges poches de l’heureux fonc- tionnaire peuvent contenir plusieurs types de motivation pour laisser faire le tradipraticien, comme on peut le voir ailleurs (Trefon, 2011) : pots-de-vin, argent pour « acheter des haricots pour les enfants (madesu ya bana) ou simplement une promesse de rendre pareille au prochain passage ». Même dans le domaine des soins de santé, les autorités traditionnelles et les agents de l’État se disputent légitimité, pouvoir, accès aux ressources dans un processus de négocia- tion interminable. Alors que l’Administration de la Santé s’estime en droit de légiférer sur le fonctionnement du tradipraticien, ce dernier s’estime légitime, mandaté par ses ancêtres et reconnu par les membres de sa collectivité, de même qu’en comparaison, les chefs coutumiers se considèrent comme propriétaires fonciers et gardiens de la terre garantissant la continuité entre les ancêtres et les générations à venir, du moment que la Loi Bakajika – qualifiée par les chefs coutumiers d’illégitime fiction inventée à Kinshasa – attribue les sols et les sous-sols à l’État (Trefon, 2011).

Les tradipraticiens ont justifié leur fonctionnement dans « l’illégalité » pour trois raisons : le coût de nombreux documents administratifs à payer, l’obligation d’intégrer l’Association des Tradipraticiens et la crainte manifeste envers les intellectuels, les praticiens de la biomé- decine et la composition de l’Association des Tradipraticiens. Ils estiment que l’État ne peut pas leur refuser de pratiquer un art qui leur a été legué par les ancêtres. Ces difficultés ont également été évoquées à N’Dali (Bénin). En effet, la recherche menée à N’Dali souligne que les tradipraticiens ont un faible pouvoir d’achat, étant donné que selon eux, « un guérisseur traditionnel doit offrir ses services sans demander une quelconque rémunération et c’est seu- lement après satisfaction que le patient peut décider de récompenser son soigneur comme il l’entend et selon ses propres moyens. Et selon la tradition, le pouvoir de guérir ne doit jamais être vendu sous peine d’échapper à son pourvoyeur. Les seules contreparties directes sont les frais que représentent l’achat des matériaux utilisés et leurs recherches » (Pesse, 2006). Aussi, pour subvenir à leurs besoins, ils exercent chacun un métier, le temps de soigner leurs patients. La recherche menée à N’Dali parle aussi de la méfiance des tradipraticiens à intégrer l’Association des Tradipraticiens, notamment à cause de la confusion que la colonisation a induite dans la population sur les critères de détermination des qualifications médicales. En effet, selon la tradition africaine, les communautés profitaient d’une sorte d’autocontrôle concernant les tentatives d’impostures puisqu’elles étaient restreintes et que par conséquent, tout le monde se connaissait. Un inconnu qui arrivait dans le village ne pouvait pas passer inaperçu et risquait par la même occasion de se faire découvrir en cas de dérapage (escroquerie, incapacité, sorcellerie). Dans ce cas, les sanctions pouvaient aller du banissement au lynchage, ce qui dissuadait les aventuriers. Contrairement à cela, la plupart des communautés actuelles sont beaucoup plus grandes et peuplées, ce qui empêche leur autorégulation par un système similaire à celui qui existait auparavant. Dans ce contexte marqué par l’indéfinition, les « charlatans » jouissent encore d’une certaine liberté d’action.

Vingt pourcent de tradipraticiens déclarent avoir été sollicités à collaborer avec la bio- médecine dans le traitement de certaines maladies, notamment le mbasu. Quarante pourcent déclarent avoir orienté des patients vers des centres de la biomédecine et 60 % ne collaborent ni avec les personnels de la biomédecine, ni avec d’autres tradipraticiens.

à la question de savoir ce qu’il faudrait faire pour qu’ils s’intègrent dans la politique des soins de santé primaires, 100 % de tradipraticiens recommandent la suppression des barrières administratives. Ils disent ne pas comprendre pourquoi l’État exige d’acheter autant de docu- ments avant de pratiquer alors que le pouvoir de guérir leur a été octroyé par plus grand que l’État – les ancêtres –, pourquoi ils devraient s’affilier à une Association des Tradipraticiens dont ils ignorent les us et coutumes, et pourquoi ils ne devraient pratiquer que dans un local dédié aux soins (Ministère de la Santé Publique, 2002), ce qui ne cadre pas nécessairement avec tous les types de soins, comme le montrent certains auteurs (Manzambi Kuwekita & Reginster, 2013a). Tous estiment qu’ils amélioreraient la qualité de leurs services s’ils pouvaient fréquen- ter et apprendre leur métier dans une école moderne de médecine traditionnelle. Ils déclarent tous ne pas s’ouvrir à la biomédecine, aux intellectuels et Associations des Tradipraticiens dont ils redoutent la superficie, et ne considérent pas le fait de s’y opposer comme étant de « l’illégalité ».

15.4. ConCLusions

Cette étude avait pour but de connaître la perception du rôle du tradipraticien à Kisenso, le niveau du recours des populations à la médecine traditionnelle, les motifs de recours ainsi que les conditions d’intégration du tradipraticien dans les politiques de développement local.

Les principaux résultats de l’étude montrent que (i) les populations périurbaines se compor- tent comme en milieu rural : elles utilisent le tradipraticien et les plantes médicinales plus que les populations urbaines ; (ii) tous les tradipraticiens fonctionnent dans l’illégalité ; (iii) selon la population ils sont compétents et offrent des soins efficaces ; (iv) la BCZS et les services municipaux leur reprochent un dosage imprécis des produits manipulés hors normes d’hygiène, l’insalubrité des lieux et des matériels ; (v) les tradipraticiens suggèrent la révision de l’arrêté organisant la médecine traditionnelle : supprimer les barrières intellectuelles à l’exercice de cette profession, telles les barrières financières et administratives liées à l’achat de plusieurs documents, supprimer la limitation de la pratique dans un local dédié et supprimer l’affiliation à une Association des Tradipraticiens.

Pour que le tradipraticien collabore en toute confiance et contribue à l’élargissement de l’offre des soins, sous la supervision de la zone de santé, il conviendrait de le former et l’in- former, lui accorder les mêmes privilèges que les agents de l’État, intégrer ses activités dans le paquet minimum et le paquet complémentaire d’activités. L’adaptation de l’Arrêté Ministériel n° 1250/CAB/MIN/S/CJ/KIZ/62/2002 serait une nécessité pour que soit trouvé un équilibre entre la légitimité réclamée et l’illégalité contestée par les tradipraticiens.

Quant à la manière d’intégrer les acteurs non étatiques dans les politiques de développe- ment local, les acteurs de la zone de santé ont proposé le processus suivant : (i) inventorier les structures et/ou les acteurs œuvrant dans la zone de santé et/ou la commune, (ii) faire les états des lieux pour identifier leur degré de fonctionnement, (iii) accorder les autorisations

aux structures qui remplissent les conditions de fonctionnement et (iv) aider celles qui ne remplissent pas ces conditions à les remplir par la formation du personnel ou la subvention des acteurs / structures.

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