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Que faut-il entendre par « territoire périurbain » ?

2.4. Les aCtivités éConomiQues

La nature hybride de l’espace périurbain est particulièrement manifeste eu égard aux activités économiques qui y jouent un rôle important d’interface. Ceci résulte d’abord de la disponibilité de l’espace et des ressources naturelles en proche proximité des marchés urbains. Ces marchés extra-urbains répondent à la fois aux besoins d’approvisionnement et à ceux de

consommation. L’exploitation des ressources dans les zones périurbaines est menée aussi bien par les gens qui y vivent que par un surplus des sous-employés urbains qui perçoivent l’hin- terland comme un refuge pour leur survie : « si tout va mal en ville, nous pouvons recourir à la nature pour manger » est le leitmotiv que l’on entend généralement. Un exemple « charnière » raconté est celui d’un commerçant polygame qui a une femme qui cultive en zone périurbaine et une autre en ville qui y vend les produits de la première. Les fonctionnaires sous-payés et/ ou leurs femmes constituent une part importante de ces cultivateurs périurbains. Il n’est pas rare de les voir faire la navette entre la ville et le champ avec un téléphone cellulaire dans une main et une machette ou une houe dans l’autre. Les gens vivant et/ou travaillant depuis plusieurs années dans ces milieux ont conscience que les ressources y deviennent de plus en plus rares. Ils sont obligés d’aller de plus en plus loin pour aménager leurs champs ou atteindre leurs zones de cueillette. Par ailleurs, ils ramènent de moins en moins de produits. Quant aux chasseurs, ils doivent camper dans la forêt durant des périodes de plus en plus longues avant de trouver la quantité de gibier qu’ils attrapaient dans le passé.

L’agriculture est la plus importante activité économique qui lie la zone périurbaine à la ville, le manioc et le maïs étant les principaux produits. C’est le mode de production qui différencie les techniques rurales de celles développées en zones périurbaines. La taille du champ, l’utilisation des semences améliorées, des pesticides et des engrais chimiques qui sont habituels dans les pratiques de l’agriculture urbaine, de même que la courte durée de la jachère en sont quelques exemples. L’agriculture périurbaine est pratiquée dans trois principaux types d’espaces : (i) agriculture « intra-parcellaire », (ii) aux abords du village et (iii) de plus en plus éloignée dans le terroir villageois. Les types de récolte et les conditions finales de leur utilisation dépendent de là où se pratique l’agriculture. Les légumes consommés au sein des ménages sont cultivés dans la parcelle et accessoirement aux abords du village. Le « maraîchage » (jardinage commercial) est pratiqué en permanence sur des terrains situés à proximité du village. Les tomates, poireaux, céleri, choux, carottes, etc. qui y poussent sont destinés à être vendus sur le marché urbain. Dans tous ces cas, la tâche est manuelle et est exécutée avec des outils rudimentaires (hache, houe, machette, binette, râteau, etc.). Une quatrième catégorie de l’espace agricole est la « plantation », dont les superficies varient entre 5 et 30 hectares. Ces champs, considérablement plus vastes, sont acquis par les membres de l’élite urbaine et sont exploités à l’aide d’un matériel moderne avec une finalité exclusivement commerciale.

La collecte du bois de feu et la production du charbon de bois sont les deuxièmes prin- cipales activités économiques. Partout en Afrique centrale, les populations urbaines dépen- dent de manière vitale des makala (charbon de bois) pour la cuisson des aliments. Même les quelques ménages qui ont accès à l’électricité ou au gaz sont invariablement tenus à se ravitailler en makala comme une source d’énergie d’appoint, pour préparer certains mets ou en cas de pénurie d’énergie. La déforestation des zones périurbaines et la dégradation de leurs sols résultent principalement de la production du charbon de bois, surtout autour des zones urbaines les plus vastes. Alors que le charbon de bois est produit à environ 20 km de Lubumbashi et de Brazzaville, Kinshasa est approvisionnée par des zones distantes d’au moins 80 km. Dans certains cas, le bois utilisé pour fabriquer les makala est un sous-produit de l’aménagement des terres à des fins agricoles, tandis que dans d’autres cas, les arbres sont coupés spécialement pour la production du charbon de bois (Trefon, 1999). Il est transporté par camions pour Kinshasa mais aussi par vélo pour Lubumbashi : le mode de transport est un bon indicateur de l’accroissement de la pénurie d’une ressource. Un exemple du caractère hybride des politiques relatives au charbon de bois vient de nos recherches à Lubumbashi. Les

producteurs et les transporteurs de charbon de bois ont à se soumettre à une forme hybride d’autorité : ils doivent négocier aussi bien avec le chef traditionnel qu’avec les agents de l’État responsables des questions environnementales. L’accès à la ressource, de même que le droit de la transporter après sa transformation, sont conditionnés par un minutieux mélange de bonnes relations sociales, tributs traditionnels et taxes modernes.

Une troisième activité économique en zone périurbaine d’Afrique centrale à laquelle s’ap- plique notre hypothèse de système hybride est l’élevage des animaux. Les porcs et les poules d’abord, mais aussi les canards sont élevés dans des conditions qui rappellent les pratiques villageoises où les animaux divaguent librement et se nourrissent eux-mêmes. Ceci s’oppose aux systèmes semi-industriels où ils sont enfermés dans des enclos ou des cages, nourris avec des aliments achetés dans le commerce et soignés par des produits vétérinaires provenant de la ville. Comme les fermes semi-industrielles sont relativement coûteuses à monter, elles ont tendance à rester les initiatives des élites urbaines politiquement bien placées. La pisciculture (notamment du tilapia et du poisson-chat) et des exemples de plus en plus nombreux de petit élevage de lapin et de cobaye sont également visibles. Un handicap à ces initiatives, de même que pour l’agriculture périurbaine, est le vol généralisé. Cela va du cas d’un ouvrier qui dérobe quelques poissons ou un peu de feuilles de manioc jusqu’à celui des soldats affamés qui pillent tout ce qu’ils trouvent sur leurs victimes. Ceci explique à quel point les investisseurs potentiels dans ces espaces peuvent être réticents.

L’analyse des pratiques du commerce et des affaires donne également une expérience utile dans les spécificités de la « périurbanité ». En échange des produits alimentaires qu’ils culti- vent, élèvent ou récoltent hors de la ville, les habitants des zones périurbaines sont largement dépendants des médicaments, des aliments manufacturés (farine importée, huile de table, boîtes de conserve, sel, sucre, le « cube maggy ») et des autres produits de première nécessité (savon, bougie, stylos et papier, piles, cigarettes, etc.), qui proviennent de la ville. Le degré d’extrême micro-commerce est une tendance qui est frappante partout en Afrique centrale. Du fait d’un pouvoir d’achat limité, il est possible d’acheter une seule cigarette, un petit sachet de deux ou trois morceaux d’ail, la moitié d’une boite de tomate ou le quart d’un oignon.

Les espaces périurbains sont des lieux où se manifeste de manière remarquable le dyna- misme extrêmement développé des populations obligées de relever constamment le défi de la précarité. Une des illustrations de ce pouvoir d’adaptabilité est l’utilisation généralisée de la moto aux fins de transport des biens et des personnes. La moto est l’innovation d’aujourd’hui qui équivaut à la vulgarisation des téléphones mobiles il y a 15 ans. Ces engins, qui sont désor- mais accessibles à un prix abordable, viennent notamment des usines chinoises ou indiennes et aident véritablement la population congolaise. Leur entretien est facile et le rapport qualité / prix suscite l’engouement, d’autant plus qu’elles sont bien adaptées aux pistes en terre du monde périurbain, même en saison de pluie. L’image d’un vélo lourdement chargé et péniblement poussé par un homme cède de plus en plus la place à celle d’un garçon enfourchant fièrement une moto avec un sac de manioc, un bidon d’huile de palme ou même une chèvre arrimée sur le porte-bagage. Là où il fallait plusieurs jours d’efforts pour acheminer à dos d’homme ou à vélo des sacs de denrées alimentaires, la moto le fait en une journée.

2.5. ConCLusions

Les espaces périurbains d’Afrique centrale considérés dans cet article ne sont ni ruraux, ni urbains, mais plutôt mi-ruraux, mi-urbains. Il n’y a guère de doute que la pression démo- graphique va continuer à s’exercer sur ces zones et que l’environnement va y être de plus en plus dégradé. De même, les populations vivant dans ces espaces vont devoir faire face à une compétition de plus en plus forte pour accéder à la terre destinée à l’habitat et à l’agriculture. L’accès aux infrastructures de base (transport, santé, éducation, eau potable) restera une préoc- cupation quotidienne pour les gens ordinaires. Leurs activités économiques peuvent les aider à satisfaire aux besoins immédiats mais cela est loin de pouvoir servir de soubassement à un développement durable. En même temps, ils continueront à inventer de nouvelles stratégies leur permettant de poursuivre la recherche de l’amélioration de leur bien-être et de rêver à d’autres mondes : la grande ville voisine ou encore un paradis plus lointain.

Les défis avec lesquels ils vivent s’expliquent surtout par des défaillances politiques profondément enracinées. Les administrations étatiques et les autorités traditionnelles ne se sont jamais totalement accommodées les unes aux autres. Cette juxtaposition hybride entraîne des tensions et des conflits entre tous ces acteurs. En conséquence, le moyen de s’en sortir est de passer par l’acceptation consensuelle, par les parties prenantes à tous les niveaux, de ce contexte hybride de gouvernance. Dans cette situation caractérisée par l’ambiguïté, l’oppor- tunisme, la cupidité et des relations de pouvoir stratifiées, atteindre un tel consensus demeure un défi écrasant.

BiBLiograpHie

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développement dans le monde : un monde