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la rivière Lukaya à Kinshasa

8.5. ressourCes natureLLes au profit de La viLLe

Lorsqu’on évoque le bassin de la Lukaya, c’est tout logiquement d’abord à la ressource eau que l’on pense. à Kimwenza, la REGIDESO a installé un captage en eau de surface pour alimenter en eau potable certains quartiers de la capitale, alors que les populations rurales proches de l’unité de production n’ont pas accès à l’eau. Quelques bornes fontaines ont cepen- dant été installées dans le bassin mais rencontrent peu de succès, les habitants doutant de la bonne qualité de l’eau issue d’une rivière qu’ils savent polluée. La turbidité élevée de la rivière

génère des coûts de traitement élevés et parfois provoque l’arrêt du pompage tant la charge en matières en suspension est élevée. à cet usage fort de la rivière, s’ajoutent d’autres utilisations, notamment en eau agricole.

Selon la FAO (2012), la production de fruits et légumes dans les zones urbaines et périurbaines présente un avantage comparatif indéniable par rapport aux zones rurales pour l’approvisionnement des villes en produits frais, mais extrêmement périssables, tout au long de l’année. Elle permet de créer des emplois locaux, de réduire les coûts de transport des aliments et la pollution, de réaliser des ceintures vertes autour des villes et de recycler les déchets urbains pour en faire des ressources productives. La FAO (2012) précise que les rivières et cours d’eau qui arrosent Kinshasa sont favorables à une agriculture urbaine qui se développe en crête de berges.

En effet, le maraîchage est très fortement développé en bordure de la rivière Lukaya fournis- sant l’eau pour l’arrosage. C’est notamment le cas dans le quartier de Kimwenza où les maraî- chers tentent désormais de s’organiser en coopérative pour mieux approvisionner les différents marchés de Kinshasa. La proximité des marchés urbains incite les maraîchers à améliorer leurs pratiques culturales, à diversifier leurs spéculations en ajoutant aux légumes traditionnels (ama- rante et oseille par exemple) des cultures plus rentables telles les aubergines, les choux ou les tomates appréciés par les citadins (FAO, 2012). Ces derniers, pour autant qu’ils soient motorisés, viennent le week-end s’approvisionner directement sur les marchés de Cité Verte, Matadi Kibala et Matadi Mayo. Cet approvisionnement en légumes frais et vivres du terroir meilleurs marchés qu’en ville leur rappelle les saveurs du village comme les binzo et mpose (chenilles) ou encore le

mansanga mbila bien tapé (vin de palme). En effet, les productions offertes à la consommation

urbaine par l’espace périurbain sont généralement celles qui satisfont les besoins de l’alimen- tation de base. On peut expliquer le fait par le mode de peuplement de la ville : les immigrants qui ont constitué la première population de la ville provenaient (et proviennent peut-être encore) majoritairement de la région proche et ont gardé en ville la culture alimentaire qui était la leur et qui est devenue celle de la ville. à mesure que la ville étend le bassin de recrutement de ses immigrés, l’alimentation des citadins tend à se diversifier et la zone d’approvisionnement à s’élargir vers de nouveaux espaces (Kashimba Kayembe, 2007).

Outre cette importante production maraîchère, le bassin de la Lukaya héberge aussi de gros élevages industriels de volailles et de porcs. La proximité de la ville limite les déplacements et permet l’approvisionnement de ces élevages en intrants, aliments et produits vétérinaires indispensables à ce type d’élevage.

Les ressources minérales sont quant à elles exploitées au profit des grands chantiers de Kinshasa en réponse aux besoins croissants de matériaux de construction tant au centre-ville qu’en périphérie. Les exploitations se développent autant de manière industrielle qu’artisanale. La géologie favorable de la vallée, correspondant au grès d’Inkisi, a permis l’implantation de plusieurs carrières industrielles d’extraction de pierres, avec un impact non négligeable sur la qualité de la rivière. Les activités d’extraction artisanale de sable et de caillasse dans le lit de la rivière sont essentiellement pratiquées par des jeunes venus de part et d’autre de la ville pour acquérir rapidement des revenus. Un extracteur de sable assidu peut ainsi gagner jusqu’à 500 dollars mensuellement. Des casseurs de pierre, souvent des femmes et même des enfants, fournissent aussi de petites quantités de roches de divers calibres à la disposition d’éventuels preneurs en bordure des voies d’accès.

La fourniture de bois de chauffe et de makala est aussi importante dans cette zone, transfor- mant le paysage en une savane où les ligneux sont de plus en plus clairsemés et laissant un sol nu sensible à l’érosion. à une production artisanale pour un usage local, s’ajoutent des filières organisées produisant des stocks de makala déposés le long de la route vers Matadi et qui sont chaque jour transportés par camion vers la ville. Ces moyens de transport permettent d’acheminer des quantités importantes vers Kinshasa, vidant ainsi le territoire de production de ses ressources, les campagnes de reboisement étant bien trop timides pour équilibrer les prélèvements.

Suite à ces diverses pressions liées à l’exploitation des ressources, les espaces naturels du bassin versant se réduisent de plus en plus. Cependant, la vallée de la Lukaya conserve encore quelques sites remarquables, offrant des espaces de détente et de loisirs pour les Kinois (par exemple le lac Ma Vallée, les petites chutes de la Lukaya et d’autres sites touristiques aménagés en bordure de la rivière). L’aspect biodiversité et conservation de la nature est illustré par l’im- plantation du sanctuaire Lola ya Bonobo dédié à l’accueil et à la protection des bonobos.

Toutes ces activités de production, auxquelles s’ajoutent les pressions en termes d’habitat conduisent à une situation foncière où la terre devient de plus en plus rare.

8.6. Le fonCier, Les terres CoLLeCtives de pLus en pLus rares Le bassin de la Lukaya n’échappe pas non plus aux conflits fonciers, particulièrement exa- cerbés et révélés dans les zones périurbaines où État et autorités coutumières cohabitent. En précisant que le sol et le sous-sol appartiennent à l’État, la Loi Bakajika de 1966 attribue aussi à l’État la propriété des terres rurales en excluant les communautés villageoises qui auparavant avaient la propriété de ce patrimoine foncier collectif placé sous la responsabilité des chefs de terre. Mais cette loi a toujours posé problème pour les communautés rurales qui voyaient en elle « an illegitimate fiction invented in Kinshasa for political reasons » (Trefon, 2011). Dans les faits, le droit coutumier est toujours d’actualité mais les terres collectives se réduisent comme peau de chagrin dans le bassin de la Lukaya. Les chefs coutumiers cèdent, sous la pression d’investisseurs privés soucieux de développer leurs activités, des terres ancestrales occupées par une communauté d’usagers. C’est le cas des maraîchers obligés de libérer les parcelles pour permettre l’extension d’un site d’exploitation d’une carrière. Ce patrimoine foncier traditionnel est aussi dilapidé en faveur de concessionnaires qui acquièrent parfois plusieurs centaines d’hec- tares, immobilisant ainsi une ressource de plus en plus rare, sans la mettre en valeur et aux dépens des communautés locales qui se voient dépossédées de leurs espaces de vie et de travail.

Ces transactions sont gérées dans un premier temps par le droit coutumier mais l’État inter- vient cependant par la suite. Aussi, lors de l’achat à un chef de terre, il convient au nouveau propriétaire de faire enregistrer l’acquisition auprès de l’administration des affaires foncières qui délivrera un titre de propriété. Dans ces zones proches des villes, l’État est bien présent tandis qu’il est pratiquement absent dans les contrées éloignées, un pays vaste comme la République Démocratique du Congo étant confronté à la difficulté de rendre l’État présent partout.

Toutes ces pressions sur les ressources naturelles et sur le foncier observées dans le bassin versant de la Lukaya rendent la cohabitation difficile entre ville et campagne. C’est donc une rivière sous pression tentant de s’accommoder de la croissance urbaine qui a poussé les usagers de la Lukaya à s’organiser en créant un comité de rivière (Figure 8.2), celui-ci étant engagé dans une démarche de GIRE, en référence à l’expérience wallonne des contrats de rivière.

figure 8.2. Tous unis autour de la rivière Lukaya, atelier de travail en juin 2013. Photo : F. Rosillon.

8.7. une gestion ConCertée Qui réunit usagers LoCaux, autorités traditionneLLes et état

Le souci congolais de mieux gérer ses ressources en eau s’est traduit en 2007 par l’or- ganisation d’un premier colloque international sur la problématique de l’eau en République Démocratique du Congo (OGEC, 2007). Lors de ce colloque, une communication relative à la présentation des contrats de rivière (Rosillon & Detienne, 2007) a suscité un vif intérêt auprès des participants qui ont par ailleurs souhaité en faire une des 23 recommandations de ce colloque (OGEC, 2007).

Le modèle wallon de contrat de rivière, déjà testé depuis 2003 au Burkina Faso (Rosillon et al., 2005), a donc servi de référence méthodologique au projet Lukaya tout en adaptant la méthodologie aux réalités du bassin versant et en restant fidèle au concept universel de gestion intégrée et participative. Rappelons que le contrat de rivière constitue :

– un outil de gestion participative des ressources en eau ; – un espace de dialogue et de rencontre entre les usagers ;

– une approche intégrée qui tient compte des préoccupations de chacun dans le respect de l’environnement et des ressources en eau ;

– l’engagement volontaire des acteurs de l’eau ;

– un outil de renforcement des capacités locales et de lutte contre la pauvreté.

Cette démarche contractuelle s’adresse donc à des acteurs en proie à des enjeux locaux au sein d’un territoire bien circonscrit, espace fédérateur d’une communauté d’usagers rassemblés au sein de l’Association des Usagers du Bassin de la Rivière Lukaya (AUBR/L).

Avant de définir un programme opérationnel d’actions à mettre en œuvre, un état des lieux et un diagnostic quant à l’impact des activités sur l’environnement ont été réalisés. Aussi, les premières études et inventaires de terrain (Jacmain, 2010) ont permis de mettre en évidence quelques problématiques risquant d’entraver une gestion durable et équilibrée du bassin versant Lukaya, particulièrement les pressions dues à la périurbanisation du bassin versant, et d’identifier les principaux acteurs concernés à rassembler au sein du comité de rivière. à ce jour, le projet est entré dans la phase d’élaboration du plan de gestion GIRE Lukaya, com- prenant le programme d’actions. Il bénéficie d’un appui du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) qui souhaite expérimenter dans le bassin de la Lukaya certaines recommandations de son rapport post-conflit en République Démocratique du Congo (Partow, 2011 ; Partow, 2012) à propos de la protection des bassins versants. Le PNUE adhère donc à cette approche GIRE à une échelle locale, tout en prenant en compte, dans ce programme, la restauration des services écosystémiques, la gestion des risques et la lutte contre les catas- trophes.

Mais revenons sur l’organisation des acteurs qui, ici, illustre bien cette ambiguïté entre État, autorités traditionnelles et acteurs locaux, particulièrement remarquée en zone périurbaine. En fait, selon Trefon & Kabuyaya (2015), les administrations étatiques et les autorités traditionnelles ne se sont jamais totalement accommodées les unes aux autres, cette situation générant des tensions et conflits. Le moyen de s’en sortir, toujours selon Trefon (2015), doit passer par l’acceptation consensuelle dans un contexte hybride de gouvernance. Or, c’est justement dans cet esprit que se développe un contrat de rivière dont le moteur repose sur la concertation et la recherche de consensus en créant un espace de dialogue entre acteurs au sein d’un comité de rivière.

Lors de la mise en place de ce comité, les usagers se sont en fait organisés en deux sous- comités, un pour la partie amont du bassin versant (le territoire de Kasangulu), l’autre pour la partie aval (la commune de Mont Ngafula). Les acteurs locaux ont souhaité que les services de l’État interviennent en appui technique du processus, le statut de membre de la structure de participation étant réservé aux usagers et autorités locales. Le fait de se situer en zone périurbaine a aussi permis d’intégrer d’autres acteurs dans ce processus de concertation : ONGs, experts nationaux et internationaux, universités et centres de recherche. Ceux-ci accompagnent les services de l’État au sein du comité technique en apportant leur expertise aux comités de rivière.

La méfiance vis-à-vis des services de l’État manifestée par les usagers en début de projet a pu être atténuée dès l’instant où un espace de dialogue a permis aux uns et aux autres de se rencontrer et d’exprimer les craintes et espoirs de collaboration. Aujourd’hui, le Ministère de l’Environnement, de la Conservation de la Nature et du Développement Durable (MECNDD), au travers de la Direction des Ressources en Eau, prend sa place dans ce projet initié par une association d’usagers locaux de l’eau. Le contrat de rivière contribue donc à briser la glace, il jette des ponts de collaboration d’abord timides et par la suite de plus en plus engagés, rendant possible la mise en œuvre d’actions innovantes dans le bassin versant.

8.8. aCtions innovantes de revégétaLisation aux portes