• Aucun résultat trouvé

Les touristes : la Giants Causeway, un espace de décalage entre leurs représentations et la réalité

3. La Chaussée des Géants (Irlande du Nord)

3.3. Système de visite touristes/résidents secondaires / habitants

3.3.4. Typologie des visiteurs

5.3.4.4. Les touristes : la Giants Causeway, un espace de décalage entre leurs représentations et la réalité

Si les positions des acteurs précédemment évoqués : gestionnaire, habitants permanents, voire résidents secondaires, se fondent en fonction de représentations qui peuvent être divergentes, mais qui existent en référence à un même espace, on perçoit que les touristes pratiquent et perçoivent le site en fonction d’espaces de représentation différents. Nous faisons le choix pour cette partie de présenter les rapports au site des quatre touristes rencontrés lors de notre enquête qualitative, en présentant leur opinion un par un.

La pratique rare du site : quand la résidente secondaire adopte les codes touristiques

La limite entre résident secondaire et touriste, du point de vue des pratiques de promenades et de visite ainsi que de représentations du site, est parfois mouvante. Une résidente secondaire rencontrée durant l’enquête a indiqué une rare fréquentation du site. La dernière

fois, ce fut il y a quatre ans, pour faire visiter le site à des amis anglais, au moment de l’ouverture du centre des visiteurs. Il est intéressant de noter qu’elle connaît très bien le site pour avoir vécu durant son enfance dans une petite ville à proximité : Ballymoney. Cependant, elle s’est installée depuis dans la campagne périurbaine au sud de Belfast, et n’a pas du tout les mêmes positions que les habitants permanents : pour ou contre. L’entretien conduit avec elle révèle une position d’extériorité, de touriste vis-à-vis du site. En matière de pratiques, elle déclare avoir utilisé lors de cette dernière visite l’audioguide.

Elle sait que l’entrée et le prix du parking coûtent chers : « but I think this is really expansive

for a family to go and visit it from here » pour les visiteurs, mais ne développe pas de critique

vis-à-vis de cela. Cependant, sa position vis-à-vis du centre est sans recul sans critique, elle le trouve agréable pour sa fonction touristique : « I think probably for tourists who never been

here I bet yeah, it looks nice, it is nice when you go inside yes, it’s lovely, i think it is good for people who are not seing that before ».

Son attention à l’environnement n’est pas portée sur les problématiques d’accès, mais sur des perceptions immédiates de certains éléments. En arrivant sur le site, elle indique être marquée par les odeurs marines agréables : « the first thing when you’re driving that you see

is that the sea is beautiful but smell, run down the window of the car and you get that smell from the sea ». Une fois sur place, c’est la préoccupation pour la protection de certains

éléments qu’elle met en avant. Elle indique une crainte que les pierres de la Causeway soient détruites : « the stones just when you go down yeah, you wouldn’t like to see them destroyed

in anyway », ce qui révèle un rapport au site bien différent de celui des autres résidents

secondaires.

Fig. 39 : carte mentale et tracé du parcours de la résidente secondaire n°5. La relative déception de la visite due à la méconnaissance de l’ensemble du site

Un autre rapport au site exprime un décalage, chez une touriste française, entre une représentation grandiose du site, et une perception décevante de la Causeway. D’une part, cette personne a réalisé le parcours touristique « minimal », c’est-à-dire seulement jusqu’à la Grande chaussée, elle a déclaré lors de l’entretien : « Je ne vois pas l’intérêt de monter là haut.

Pour les falaises ? Moi j’ai fait les falaises de Moher, là il n’y a rien d’extraordinaire, je ne vais pas me taper 5 kilomètres » (TOU. 3). On relève clairement qu’elle est orientée par le parcours

principal, et ne perçoit pas les possibilités d’appréciation du site au-delà de ce principal corridor : « Par contre, sur les falaises de Moher, j’ai fait jusqu’au bout, tout le sentier, même

au-delà de ce qui est protégé parce que c’était impressionnant, c’était beau vous voyez !? ».

Elle recherche alors les motifs qui lui permettraient une meilleure appréciation, comme une météo de tempête :

« Je suis un peu déçue parce que je pensais que c’était plus imposant que ça, et en plus on le voit à marée basse ! Alors peut-être qu’avec la tempête ? Il nous avait montré des photos là, c’est peut-être plus extraordinaire », ou bien l’audioguide, mais qui ne la

satisfait pas non plus : « Oui, j’ai pris l’audioguide mais il m’a gonflé. Il est dans la poche

vous voyez.

Enquêteur : pourquoi il vous a gonflé ?

Ben parce que c’est marrant et tout, mais pour nous montrer une botte, des orgues, pfff enfin, moi je suis venu voir ça [elle montre les pierres], et dans mon guide vert j’ai tout sur la formation, ça ne m’apporte rien de plus. Je l’ai pris parce qu’on me l’a donné ».

L’ensemble de ces propos révèle que la touriste est ici encombrée par plusieurs « aides » à la visite : l’information sur place du chemin principal, l’audioguide, son Guide Vert, et d’autre part est marquée par la référence de sa visite antérieure des Cliffs of Moher, qui vont l’empêcher de percevoir que le site de la Giants Causeway est bien plus intéressant si l’on poursuit le cheminement plus loin.

La surprise des aménagements et du degré d’ouverture du site au public

Un jeune touriste français (n° 2) a fait la boucle complète du site : il s’est rendu jusqu’à l’amphithéâtre, puis a remonté les escaliers du Shepherd Path (fig. 40). Du fait d’une visite en soirée, sur le conseil de ses amis irlandais, il a pratiqué le site en mode solitaire, à l’écart du flux important de la journée : « la solitude et la méditation. Le fait d’être venu ça faisait un

peu recueillement, le fait de venir comme ça tout seul, de rester en haut de la falaise, sans bruit juste avec l’océan devant ».

Il ne comprend pas l’aménagement de la route goudronnée pour aller jusqu’au site, car il s’attendait à un sentier à partir du début du périmètre du site :

« je trouve la route-là qui descends assez horrible surtout quand on est vu d’en haut,

vu d’en haut là du chemin qui longue là en haut sur la falaise. J’trouve que ouai c’est… enfin c’te route goudronnée là… d’ailleurs je ne sais pas trop pourquoi, pourquoi ils ont fait c’te route parce que ‘fin elle se coupe à un moment, puis après il n’y a plus rien, je ne sais pas c’est bizarre ».

D’autre part, il regrette aussi la fermeture du sentier à flanc de falaise du fait de l’éboulement de l’amphithéâtre, un sentiment de manque de liberté lui est venu à partir du blocage du sentier :

« quand on va sur le chemin là à un moment on est bloqué. C’est pour ça que j’ai pris

les pierres, au début j’avais prévu de longer à flanc de falaise un peu tout le long et puis après j’ai vu que c’était, que c’était fermé ». Il a une perception radicale de ce qu’il

faudrait pour le site : « je préférerais venir là et qu’il y ait absolument rien du tout. Enfin

Cependant, avec les éboulements avérés sur les falaises un peu plus loin, il est impossible de laisser ouvert le sentier. D’un autre côté, il a conscience d’avoir visité un site du patrimoine mondial et est déjà étonné de la grande liberté de parcours qu’il a pu avoir, en comparaison d’autres sites qu’il a visité, et en prévision d’une fréquentation future qui, par son importance, amènerait davantage de canalisation : « j’imagine que peut-être il y aura plus de touristes donc

ce sera encore… ce sera plus possible de venir le soir comme ça et ça sera encore plus, plus dirigé. Plus fermé » (TOU. 2).

Fig. 40 : carte mentale et tracé du parcours du touriste n°2.

La perception d’un décalage entre la fréquentation du site et l’aménagement touristique du territoire

Enfin, nous pouvons présenter la position d’un couple de touristes allemand qui a effectué la visite du site de manière classique. La carte mentale et le tracé du parcours (fig. 41) présentent une expérience de visite au niveau du corridor principal, avec des cheminements sur les pierres des chaussées. Leur rapport au site semble très paysager au sens visuel : « walking

around, taking pictures, enjoying the landscape»…. it’s a great landscape, rough landscape».

Fig. 41 : carte mentale et tracé du parcours du couple de touristes n°1

avant leur présence sur place. Ils le visitent dans le cadre d’un court séjour, en étant hébergés dans un cottage près du site. Ils relativisent sa valeur et le remettent dans le contexte des différents sites du littoral : « it’s just one part of the all coastal area we have here. So there are

a lot of spots you can on the coast around, every two miles and find somewhere you can have a nice view and have a nice time ». Ainsi, ils sont étonnés par la forte fréquentation touristique

sur le site lui-même, qui est due à un acheminement important d’excursionnistes par les «coaches». À partir de là, ils soulignent le manque d’équipements d’hébergement sur le territoire : « … I think the people here are really taking care of it. This, this visitor center I think

it’s good for the tourist thing but when you take a look around so you don’t get a lot of hotels or whatever » (TOU. 1). Leur position semble indiquer un souhait, ou une suggestion, de voir

ce territoire avec davantage d’aménagements pour les touristes.