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Rapports au patrimoine des parties prenantes

3. La Chaussée des Géants (Irlande du Nord)

3.2. Système d’acteurs et pratiques de protection/gestion du site

3.2.5. Rapports au patrimoine des parties prenantes

Les critères de classement de l’UNESCO : un débat sur l’hybridité des lieux nature /culture

Les enjeux contemporains de la gestion du site portent sur l’hybridité des lieux à l’heure où les paysages culturels apparaissent en force dans la liste des sites patrimoniaux mondiaux. Le

traitement de la mise en récit du site (avec un appel aux légendes des géants) et le story- telling de la patrimonialisation et de la touristification du site (à travers les images du Visitor Center, les récits des audio-guides sur les premiers touristes de l’époque victorienne…) peuvent ici être interrogés alors que nous sommes dans un site dit « naturel ». Quelle est la vraie nature du site de la Chaussée des Géants ? Les gestionnaires du site proposent une vision où l’hybridité des patrimoines naturel, culturel et immatériel s’impose, et cela dès les origines du classement.

La Chaussée des Géants est classée par l’UNESCO en 1986 et plusieurs études en 1985 réalisées par l’UICN et L’ICOMOS permettent de retracer les débats sur la Valeur Universelle Exceptionnelle du site (VUE) et sur les critères retenus pour la labellisation du site. Dans le bref résumé, proposé par l’UNESCO sur son site (whc.UNESCO.org), il est écrit que la Chaussée des Géants et sa côte constituent une zone spectaculaire d’importance géologique mondiale. La description courte fait état des 40 000 colonnes de basalte de forme polygonale régulière et du pavement. Le vocabulaire employé utilise les termes de « décor spectaculaire inspiré des légendes des géants traversant la mer à grande enjambées ». Il est aussi rappelé que le site est célébré depuis 300 ans par les artistes et les scientifiques et qu’il attire des visiteurs depuis lors. Il est intéressant de voir que ces deux derniers points avaient été évoqués par l’ICOMOS (qui propose et valide des critères de classement culturels pour le comité du patrimoine mondial) à travers le critère ii (« témoigner d’un échange d’influences considérables pendant une période donnée (…) sur les arts et la création des paysages »). En 1985, l’ICOMOS écrit : « Le site appartient aussi au patrimoine culturel (…) ayant exercé une

influence considérable sur le développement des arts pendant la période pré-romantique et romantique ».

L’ICOMOS ajoute que les influences celtiques (la légende du géant Finn Mac Cool) a eu un grand retentissement en Europe à partir de 1760 et cite les auteurs majeurs qui ont contribué à la renommée du site tant au niveau littéraire que pictural.

Néanmoins, ce sont les critères naturels, évalués par l’UICN, qui seront choisis pour l’inscription, et ce sans prendre en compte les recommandations de l’ICOMOS. Les critères vii et viii sont donc les deux critères retenus pour l’inscription de la Chaussée des Géants et sa côte. Le critère vii peut se résumer ainsi : « représenter des phénomènes naturels ou des aires de beauté naturelles esthétiques exceptionnelles ». Il s’agit du premier critère naturel pour l’UICN. Il se traduit dans les faits par les phrases suivantes : « Les colonnes et le basalte massif

de la falaise au bord du plateau d’Antrim offrent un spectacle d’une beauté naturelle exceptionnelle. L’importance des portions de roche visibles et la qualité des colonnes apparentes des falaises et de la Chaussée sont autant d’éléments d’une importance considérable ».

Le critère vii permet quant à lui de « représenter les grands stades de l’histoire de la terre (processus géologique, éléments géomorphologiques) ayant une grande signification. Il se traduit ainsi pour la Chaussée des Géants : « L’activité géologique de l’ère tertiaire est

clairement illustrée par l’alternance bien visible de coulées de lave et de lits interbasaltiques sur la côte de la Chaussée. L’interprétation de cette alternance a permis l’analyse détaillée des événements tertiaires dans l’Atlantique Nord. La jointure extrêmement régulière des colonnes de basalte tholéiitique est une caractéristique spectaculaire visible de manière exemplaire à la Chaussée des Géants. La Chaussée elle-même est une formation unique constituant une section horizontale superlative à travers les laves basaltiques en colonnes ».

Les débats sur l’hybridité des lieux étaient donc déjà présents au moment de la reconnaissance internationale du site comme patrimoine mondial. La mise en récit des lieux aujourd’hui atteste une prise en compte complète de cette dimension culturelle, par les gestionnaires du site. Elle est présente à la fois dans la mise en scène de la légende du géant Finn Mac Cool (mis en dessin animé) dans le Visitor Center. Elle réapparait avec les audio- guides qui retracent l’histoire de la mise en tourisme des lieux aux XIX e et XX e siècles, en

proposant des pastilles sonores concernant la vie de personnages de cette époque.

Les débats sur l’interprétation patrimoniale

L’histoire des théories sur l’origine des colonnes basaltiques de la Chaussée des Géants est complexe. C’est à la fois une histoire des mythes populaires du géant Finn Mac Cool qui aurait créé les « pierres » et qui dérive des poèmes « gaéliques » d’Ossian, barde écossais du IIIe

siècle, traduits et publiés en anglais par le poète James Macpherson entre 1760 et 1763. En réalité, le poète se serait inspiré de textes folkloriques et aurait ainsi écrit une supercherie littéraire dont le succès européen sera néanmoins très important. C’est aussi l’histoire d’une origine, pensée comme divine il y a 6 000 ans, théorie théologique à laquelle sont encore attachés aujourd’hui les tenants du créationnisme. Et c’est enfin l’histoire d’une théorie géologique qui a mis près de deux siècles à se structurer et a largement participé à comprendre le volcanisme en Europe. Cette explication géologique est également à relier au champ scientifique de la géomorphologie qui explique la dynamique du site et les affleurements basaltiques (Smith, 2005).

Le nouveau dispositif d’interprétation (panneaux d’explication, projection de film, séquences sur « site » de l’audio-guide) se fait un relai de l’ensemble de ces théories. Si les géomorphologues estiment que la géomorphologie du site est régulièrement oubliée au profit des aspects géologiques, plus profond est le débat qui est apparu au sujet des théories créationnistes. Dès juillet 2012, le National Trust a alors été pris à parti notamment sur les réseaux sociaux lorsqu’un groupe Facebook est créé et intitulé « Remove the creationist view

exhibits at the giants causeway visitors centre ». Dans un premier temps, le gestionnaire a

tenté d’expliquer sa posture intégratrice dans les médias :

The National Trust has defended its decision to include the references to creationist theory at a new state-of-the-art visitors centre at the Giant's Causeway in Northern Ireland. Speaking on BBC Radio Ulster Graham Thompson, Causeway project director said: "Over the past five or six years we have had a thorough appraisal at what should be contained in the Causeway visitors centre, we have a huge range of exhibits, audio tours, films and how the Causeway itself links into history. "Central to everything is how the Causeway was formed and the National Trust position is that we believe and accept the mainstream scientific idea that the Causeway was formed by volcanic eruption 60 million years ago. "In the scientific and formation elements we base everything on fact.

"It's a fact that in the late 17th and early 18th century, there was a series of debates about how the Causeway was formed, and it's a fact that today there are still debates about the formation of the Causeway. "The exhibit is about that debate, as opposed to how the Causeway was formed. "We have a respectful position which allows people to have debate."

Northern Ireland evangelical umbrella group, the Caleb Foundation, welcomed the inclusion of the exhibit. In a statement, its chairman, Wallace Thompson, said: "We have worked closely with the National Trust over many months with a view to ensuring that the new Causeway visitor centre includes an acknowledgement both of the legitimacy of the creationist position on the origins of the unique Causeway stones and of the ongoing debate around this. "We are

pleased that the National Trust worked positively with us and that this has now been included at the new visitor centre". He added: "We fully accept the Trust's commitment to its position on how the Causeway was formed, but this new centre both respects and acknowledges an alternative viewpoint and the continuing debate, and that means it will be a welcoming and enriching experience for all who visit». (BBC News, 5 juillet 2012).

Puis, dans un second temps, les textes proposés dans l’interprétation ont été revus pour éviter les malentendus :

A new piece of audio, approximately 20 seconds long, now replaces the previous recording. Graham Thompson, project director for the Giant's Causeway, said the change would clear up "any misunderstanding there may have been". According to myth the Giant's Causeway was built by giant Fionn McCool. He said: "The National Trust only endorses the scientific explanation of the origins of the stones, yet recognises that others have alternative beliefs. "The National Trust is content that this review is complete." Previously the audio which accompanied the exhibit said that questions had been raised about the formation of the rocks. "Young Earth Creationists believe that the earth was created some 6000 years ago," it said. "This is based on a specific interprÉtation of the bible and, in particular, the account of creation in the book of Genesis," it said. "Some people around the world, and specifically here in Northern Ireland, share this perspective." The new audio now says there is a "clear understanding among scientists that the heat of the earth was the driving force behind the formation of the Giant's Causeway". It adds that the earth is "far older than had previously been thought". "All the scientific evidence points to a volcanic origin for the columns of the Giant's Causeway, around 60m years ago. "However, not everyone agrees with the scientific view. There are some people who believe - often for religious reasons - that the earth was formed more recently: thousands of years ago rather than billions." According to myth, the Giant's Causeway was built by giant Finn McCool (BBC News, 3 octobre 2012).