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3. La Chaussée des Géants (Irlande du Nord)

3.3. Système de visite touristes/résidents secondaires / habitants

3.3.5. Systèmes spatiaux de visite

L’analyse des systèmes spatiaux de visite de la Chaussée des Géants est documentée grâce aux quatre cartes suivantes. Elles ont été réalisées en cumulant et en superposant les parcours de visite des individus ayant répondu aux entretiens qualitatifs et aux questionnaires et collectés par GPS lors des visites ou par retranscription à main levée sur des fonds de carte qui étaient fournis. L’ensemble de ces données permet de proposer une analyse fine des usages de l’espace par les visiteurs, qui dans un second temps se décline en fonction du type de visiteurs : touristes, résidents secondaires et habitants. En raison de problèmes techniques relatifs au fonctionnement des GPS sur site, seulement quinze tracés ont pu être utilisés pour la présente analyse. Ils sont complétés par 35 tracés réalisés à main levée par les touristes enquêtés (juillet 2016) et par quinze tracés papier, collectés lors des entretiens, auprès d’habitants, de résidents secondaires et de touristes (octobre 2015 et juillet 2016). Force est de constater qu’il serait également intéressant de croiser l’ensemble de ces parcours de visite avec d’autres critères comme les types de représentation du patrimoine ou la régularité de fréquentation du site. En effet, les parcours peuvent différer en fonction de la récurrence des visites, des habitudes, des usages (promener son chien par exemple)… Un visiteur qui découvre pour la première fois le site sera d’emblée attiré par les « pierres » en descendant vers la mer et en suivant la route du bas de falaise plutôt que par les hauts de falaise et le sentier qui le serpente, au-delà des « pierres », celles-ci étant le lieu d’attraction principal. Cette analyse, tout comme pour les autres sites, fera l’objet d’une valorisation ultérieure. Le segment le plus fréquenté, des parcours de visite de l’ensemble des visiteurs, est sans surprise celui qui descend du centre de visiteurs vers les « pierres » situées entre les anses de de port Ganny et Port Noffer (fig. 42) et qui constitue le haut lieu emblématique donnant d’ailleurs son nom à la « Chaussée » des Géants. La majorité des visiteurs s’arrête d’ailleurs après ce parcours d’environ 3,5 kilomètres et flâne sur les pierres hexagonales jusqu’au rivage. Cet itinéraire largement dominant dans notre échantillon est également le parcours réalisé par la navette qui lie le centre de visiteurs aux « pierres » et utilisée par les personnes à mobilité réduite, les personnes âgées et toutes celles qui ne souhaitent pas parcourir à pied les quelques kilomètres de distance et le dénivelé descendant à l’allée et ascendant au retour. La pratique du site est donc extrêmement réduite en raison de sa configuration spatiale limitée au littoral et aux hauts de falaises, contrairement à d’autres sites étudiés comme la mer de Wadden où l’espace est plus ouvert et beaucoup plus vaste.

Hormis ce segment très fréquenté, un prolongement est possible, et effectué par une plus faible partie des visiteurs, sur des sentiers. En bas de la falaise, le cheminement se poursuit vers l’est après la « Grand Causeway », avec un sentier qui grimpe à mi-versant de falaise pour joindre d’abord le monument naturel des « orgues », puis se poursuit, à plusieurs dizaines de mètres au-dessus de la mer, jusqu’à Port Reostan, dans un cadre sublime, où il s’arrête avant une partie de falaise qui a connu un éboulement.

Comme analysé précédemment avec les entretiens qualitatifs, le sentier du haut de falaise est parcouru également mais dans une moindre mesure et les habitants ou les résidents secondaires sont plus enclins à l’utiliser que les touristes généralement contraints par le temps réduit d’un tour organisé depuis Dublin ou Belfast. Par ailleurs, une première visite du site motive généralement les visiteurs à se concentrer sur les « pierres » alors que les hauts de falaise ne permettent que de contempler la vue sur le site. Le temps passé sur le site est donc un facteur déterminant pour le type de parcours réalisé.

Pour les visiteurs interrogés, le sentiment de liberté est très fort (92% de l’échantillon) malgré les aménagements réalisés pour canaliser le public dans le centre de visiteurs et le long des sentiers de bas et de haut de falaise, et malgré la forte concentration des itinéraires de visite le long des sentiers balisés dont il est rare de dévier. L’aménagement du site est ainsi réussi dans le sens où en dépit de ces contraintes, les visiteurs ne ressentent pas la canalisation des flux et leurs déplacements comme contraints et limités.

En dehors de ce segment de sentier sur-représenté, les visiteurs sont encore nombreux à emprunter le sentier du haut de falaise, légèrement plus long, majoritairement entre le centre de visiteurs et Shepherd’s Path et l’escalier qui permet de relier le bas au haut de la falaise. Cet itinéraire du haut de falaise est utilisé à l’aller vers les « pierres » en descendant vers le bas de falaise, soit au retour en remontant l’escalier, pour permettre d’effectuer une boucle et ne pas faire le simple aller-retour sur le principal chemin très emprunté et bitumé pour la navette. A cette boucle s’ajoute généralement un aller-retour sur le sentier du bas de falaise jusqu’à ce que les visiteurs buttent sur le sentier désormais fermé à partir de Port Reostan. Il s’agit ici d’un itinéraire plus extraverti, qui mobilise davantage les ressources spatiales du site, pour maximiser les points d’intérêt (pour ne pas dire « collectionner ») de la visite. Ce type de parcours témoigne également d’une recherche d’une nature plus sauvage et des vues spectaculaires qu’offrent les deux pointes d’Aird Snout et de Weir’s Snout dont les visiteurs s’approchent largement en sortant des sentiers balisés. Les visiteurs sont ici généralement seuls, en couples ou en petits groupes d’amis et recherchent un espace de ressourcement. Les mots associés à la première photographie (fig. 30) renvoient à ce sentiment d’immensité et de liberté, au désir de profiter de vues grandioses et à la volonté d’échapper un instant à l’oppression de la foule nombreuse qui emprunte le principal sentier du bas de falaise et qu’il est fréquent de rencontrer à la sortie de la navette près des « pierres ». Plus rares sont les parcours qui se développent plus loin sur les hauts de falaise allant jusqu’à Port na Tober au nord-ouest du site ou au-delà de Portnaboe vers Runkerry. Ce parcours correspond soit à des randonneurs pour lesquels la Chaussée des Géants n’est qu’un site parmi un itinéraire côtier beaucoup plus développé, soit à des visiteurs qui choisissent d’éviter le centre de visiteurs et son parking en empruntant le chemin à travers champ qui relie directement le sentier des falaises à la Causeway Coastal Route. Ces stratégies d’évitement, si elles se lisent de manière spatiale, sont parfois aussi décalées dans le temps : le soir ou le petit matin sont des horaires privilégiés pour les habitués du site.

Fig. 42 : parcours des visiteurs sur le site de Giant’s Causeway renseignés par GPS et tracés sur cartes papier.

Les parcours de visite des habitants montrent qu’Ils déploient une grande diversité d’itinéraires de visite (fig. 43). Ils témoignent d’une maîtrise importante des dispositions spatiales du site à la fois pour mieux profiter des vues et des principaux points d’intérêt et pour éviter à l’occasion le centre de visiteurs, le parking payant (en se garant plus loin sur la route de Dunseverick) et la portion de sentier la plus empruntée. Si les hauts de falaise sont appréciés pour leurs points de vue, les bas de falaise et la proximité qu’ils offrent avec la géologie du site sont aussi appréciés. Il est intéressant de remarquer ici que si nombreux sont les habitants à critiquer vivement les aménagements réalisés par le National Trust, ils restent encore attachés, malgré leur discours, aux « pierres » tout comme les touristes.

Fig. 43 : parcours des habitants sur le site de Giant’s Causeway renseignés par GPS et tracés sur cartes papier.

Les parcours de visite des touristes (fig.43) se conforment au corridor touristique décrit précédemment même si le sentier des hauts de falaises est clairement mobilisé par certains d’entre eux. Visiblement, certains touristes privilégient la promenade en solitaire, en s’affranchissant du tour commenté organisé par le National Trust.

Fig. 44 : parcours des touristes sur le site de Giant’s Causeway renseigné par GPS et tracés sur cartes Les parcours des résidents secondaires rencontrés (fig. 45) témoignent finalement d’une synthèse des deux types de parcours précédents. Certains sont des itinéraires construits « hors des sentiers battus » lorsqu’ils empruntent les portions les plus éloignées du sentier du haut de falaise ou qu’ils dévient par rapport à l’entrée principale du site, tandis que d’autres sont relativement conformes au « corridor touristique » qui se déploie du centre de visiteurs jusqu’aux « pierres ». Certains parcours de résidents secondaires sont des itinéraires hybrides empruntant des moments des parcours les plus fréquents des habitants ou des touristes.

Fig. 45 : parcours des residents secondaires sur le site de Giant’s Causeway renseignés par GPS et tracés sur cartes papier

Les sentiers sont donc pratiqués par tous les types de visiteurs et les parcours de visite tendent à une certaine homogénéité, et ce malgré de petites variantes en fonction des modes de résidence. Les parcours sont centrés sur le littoral et sur les « pierres » de la Chaussée des Géants et forment un « corridor touristique » très fréquenté. De manière ponctuelle, des visiteurs s’extraient de ce schéma et prennent l’initiative de parcourir les sentiers qui continuent en haut de falaise au-delà de Sheperd’s Path ou vers Portnaboe sur des distances plus longues, découvrant d’ailleurs que l’entièreté du site s’apprécie davantage ainsi. Quelques très rares visiteurs semblent également s’affranchir de la barrière de sécurité posée à Port Reostan pour interdire l’accès du sentier mis en danger par les risques d’érosion, témoignant à l’occasion d’une recherche plus grande de liberté.