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D - La timidité des expérimentations

La méthode de l’expérimentation constitue sans doute l’un des éléments les plus originaux de la loi constitutionnelle de 2003. Le quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution permet en effet aux collectivités territoriales ou leurs groupements de déroger, à titre expérimental et pour un objet d’une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences.

Cette disposition est en rupture avec la tradition juridique française qui est fondée, depuis la Révolution, sur un double principe d’égalité et d’unité sur l’ensemble du territoire. Bien qu’encadrée strictement par la loi du 13 août 2004, elle ouvre de nombreuses possibilités pour un aménagement du territoire différencié.

Le mouvement nouveau n’a été toutefois que de faible ampleur.

1 - L’échec de l’expérimentation de la décentralisation des crédits d’entretien et de restauration des bâtiments et des objets classés ou

inscrits n’appartenant pas à l’Etat

L’article 99 de la loi du 13 août 2004 a prévu l’expérimentation, pendant quatre ans, de la décentralisation aux régions « ou à défaut aux départements » de la gestion des crédits destinés à l’entretien ou à la restauration des bâtiments et des objets classés ou inscrits n’appartenant ni à l’Etat, ni à ses établissements publics (soit théoriquement 95 % des biens classés ou inscrits).

38) Sur les 66 monuments, 44 transferts sont effectués au bénéfice de communes, 16 de départements et 6 de régions.

39) Les monuments concernés par ces transferts comprennent notamment 26 sites archéologiques, protohistoriques ou mégalithiques, 18 monuments du patrimoine religieux, quatre monuments antiques et trois parcelles de terrains adjacents à des édifices religieux, mais « seulement » 11 châteaux ou éléments de fortifications et trois monuments du patrimoine civil.

Quatre collectivités uniquement ont fait connaître leur intérêt pour l'expérimentation : le conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur, le département de l'Eure-et-Loir, le département du Lot et le département de la Savoie.

Finalement, seul le département du Lot a confirmé sa candidature à l'issue des délais fixés par le décret du 20 juillet 2005 et sa participation à l’expérimentation a été entérinée par un décret du 11 septembre 2007. La convention de gestion signée à l’automne 2007 porte sur un montant de 550 000 €, qui a été intégré à la dotation générale de décentralisation pour 2008 du département. Ce montant sera reconduit d’année en année pendant quatre ans.

Avec une seule expérimentation en l’état, le dispositif de l’article 99 est un échec. Sans doute la raison en est-elle le décalage structurel entre les financements accordés au titre des restaurations de bâtiments appartenant à l’Etat et ceux consentis aux propriétaires privés (ce que reconnaît le ministère de la culture lui-même dans son projet de budget pour 2009 en annonçant un rééquilibrage40), ce qui a pu faire craindre aux collectivités d’hériter surtout de charges et de peu de moyens.

2 - L’impact restreint de l’expérimentation de la décentralisation en matière de mise en œuvre de la protection judiciaire de la

jeunesse

L’article 59 de la loi du 13 août 2004 a prévu « l’expérimentation de l’extension des compétences des départements en matière de mise en œuvre de mesures de protection de l’enfance ordonnées par le juge »,

« les services de l’aide sociale à l’enfance devenant seuls compétents pour assurer les mesures d’assistance éducative ».

L’expérimentation, d’une durée de cinq ans, vise à unifier au sein des seuls services départementaux la mise en œuvre de mesures qui pouvaient relever de deux services, dont l’un de l’Etat, la protection judiciaire de la jeunesse, et d’unifier également des procédures conjointes, comme celle de l’habilitation des associations.

Cinq départements se sont déclarés intéressés officiellement, deux se sont retirés en cours du processus de conventionnement qui cadre les modalités de cette extension de compétences. Ces retraits ont été justifiés

40) Par ailleurs, l’extension par le projet de loi de finances pour 2009 des avantages fiscaux prévus par la loi du 1er août 2003 en faveur du mécénat de monuments historiques reposant entre des mains privées est venu dédoubler le dispositif traditionnel de financement.

par des désaccords sur les compensations financières ou sur les conditions de prise en charge de certaines catégories, notamment en situation de délinquance.

Au total, l’expérimentation n’a lieu que dans trois départements.

Alors que la revendication des départements, lors des concertations préalables à la loi, était forte pour simplifier un système jugé très complexe de répartition entre deux administrations différentes, l’une d’Etat, l’autre départementale, des décisions de justice de placement des mineurs, la mise en œuvre apparaît très décevante.

Le cadre très contraignant imparti à cette expérimentation, qui devait apporter de nombreuses garanties au juge se trouvant alors face au

« monopole » d’une seule administration qui avait en outre la possibilité de réguler les moyens budgétaires accordés, semble n’avoir pas été estimé suffisamment attractif par de nombreuses collectivités.

Au total, le champ des expérimentations a été ainsi très restreint.

Les collectivités comme les administrations d’Etat ont témoigné d’une défiance certaine envers cette procédure innovante, mais considérée comme un palliatif à une franche décision de transfert de compétences et par conséquent instable et risquée.

Il est regrettable que le pilotage du processus de décentralisation n’ait pas davantage incité à ouvrir un champ large et significatif d’expérimentations.

Compte tenu des critiques nombreuses et récurrentes sur l’absence de lisibilité de la répartition des compétences issue des premières lois de décentralisation, la reprise du mouvement de décentralisation en 2003 pouvait être l’occasion d’une refonte de l’organisation des attributions territoriales, clarifiant l’architecture des responsabilités entre les différents niveaux de collectivités.

Toutefois, la deuxième vague de décentralisation a privilégié la reconduction des répartitions existantes et des rapports de force entre collectivités plutôt que l’émergence - même progressive - d’une plus grande cohérence, en n’arbitrant pas clairement entre une meilleure répartition des compétences par échelons territoriaux.

Force est de constater que, faute d’une telle approche, la deuxième décentralisation n’a pas réussi à rendre plus lisible et compréhensible la répartition des compétences entre collectivités et entre celles-ci et l’Etat et les a même parfois rendues plus complexes encore.

Les pistes nouvelles comme le chef de file ou les expérimentations ont été en grande partie asséchées de leur contenu, limitant encore les chances de trouver des modes plus cohérents d’organisation.

Chapitre III

Un mouvement global de transfert de