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Chapitre III : Considérations sur le concept de réseau en études anciennes

3.5. Thasos et la théorie des réseaux : vers la création d’un réseau thasien de φιλία

Dans les sections précédentes, il a été montré que, pour les Grecs, la φιλία symbolisait plus qu’une simple formalité : elle figurait parmi les valeurs morales positives qui assuraient la sécurité et la stabilité des États et stimulait, seule ou en conjonction, la ratification d’accords bilatéraux ou multilatéraux. Il semble opportun de penser que les modalités et les circonstances de coopération internationale ont concouru à la création de réseaux de φιλία et que ces réseaux ont progressé à l’intérieur d’un système complexe de relations internationales, mais aussi que les contours peuvent être saisis grâce à la théorie des réseaux.

Le regard que les spécialistes en études anciennes ont posé sur la théorie des réseaux n’est pas sans importance pour l’analyse de la φιλία dans les relations internationales de Thasos. L’enquête réalisée au premier chapitre a prouvé que la φιλία a évolué dans un contexte dynamique, où chaque acteur pouvait et savait profiter d’une relation érigée sur celle-ci. Il faut toutefois spécifier qu’à elle seule la φιλία catalysait rarement les missions à l’étranger et que les πόλεις recherchaient et structuraient des rapports de φιλία en simultanéité avec d’autres types de relations. Il a également été constaté que la notion suscitait des échanges formels et informels : elle consolidait et encourageait les efforts diplomatiques, en protégeant et en promouvant les intérêts des Grecs et des acteurs dominants. Selon ses assises conceptuelles, il peut être admis que le mot φιλία correspond à un réseau et que des réseaux de φιλία peuvent être découverts par l’analyse des rapports extérieurs de Thasos.

Il est fort probable que les premiers réseaux de φιλία aient émergé au Ve siècle avec la Ligue de Délos ou la Ligue du Péloponnèse ; néanmoins, comme les décrets constitutifs de ces organisations ont disparu, il est inévitable de se reporter au prospectus de la seconde

348 K. Vlassopoulos, « Beyond and Below the Polis : Networks, Associations, and the Writing of Greek

confédération. Il est nécessaire d’observer que l’idée dominante du texte n’était pas la φιλία, mais bien la συμμαχία, et que l’εἰρήνη et la φιλία ne s’avéraient effectives et permanentes que dans le cadre de cette συμμαχία. La mention de φιλία ne doit pas être marginalisée pour autant. La seconde confédération permettait aux Athéniens d’honorer et d’actualiser les engagements de φιλία entre certaines cités, puis entre les Grecs et Artaxerxès II349. Les empreintes de φιλία antérieures à la seconde confédération invitent à ne pas sous-estimer la pertinence et la signification du concept dans le document. Pour Thasos, la φιλία s’inscrivait dans le prolongement de l’intervention d’Ekphantos.

À la lecture du prospectus, il pourrait être affirmé que Thasos se trouvait techniquement en état de συμμαχία, d’εἰρήνη et de φιλία avec au moins une soixantaine d’alliés350. D’un point de vue structurel cependant, la seconde confédération appartient à la catégorie des réseaux d’affiliation. Par conséquent, les membres n’auraient entretenu une φιλία que par l’entremise d’Athènes, qui canalisait et contrôlait la συμμαχία, l’εἰρήνη et la φιλία. Les échecs successifs de Thasos et de quelques autres cités à se dissocier de la Ligue de Délos ou de la seconde confédération renseignent effectivement sur la position dominante d’Athènes au Ve et au IVe siècle. En conformité avec la théorie des réseaux, Athènes accaparait le centre du réseau de συμμαχία, εἰρήνη et φιλία, tandis que les cités-membres étaient reléguées à la périphérie. Il est toutefois essentiel de délaisser l’approche athénocentriste pour examiner le réseau de φιλία thasien.

Au plus fort de sa puissance, la ligue de Délos cumulait approximativement trois cent trente membres et la seconde confédération soixante-dix. Si les cités ont déploré l’attitude impérialiste d’Athènes au Ve siècle, au moins trente-neuf d’entre elles se côtoyaient à nouveau au IVe siècle351. À l’exclusion d’Athènes, de Paros, de Néapolis, de Rhodes et de Samothrace, il n’est pas certain que Thasos ait maintenu des contacts directs avec les autres

349 L’εἰρήνη καὶ φιλία sont déclarées dans le traité d’alliance entre Athènes et Chios (384/3), où il est encore

question des anciens accords entre les Grecs et avec Artaxerxès II (P. J. Rhodes et R. Osborne, Greek

Historical Inscriptions, no 20, l. 9). Les συμμαχίαι de Méthymne (378/7), de Corcyre, d’Acarnanie et de

Céphallénie (375/4), stipulent que des ambassadeurs avaient juré les mêmes serments que les autres alliés, mais sans que la φιλία ait été évoquée (P. J. Rhodes et R. Osborne, nos 23-24).

350 Sur le total des entrées repérées par les chercheurs sur la pierre, huit demeurent indéchiffrables. Voir

C. A. Baron, « The Aristoteles Decree and the Expansion of the Second Athenian League », Hesperia 75 (2006), p. 379-395, a expliqué que l’effacement de la ligne 111 visait à corriger une erreur de répétition.

351 Pour cibler les participants de la ligue de Délos, on se réfèrera aux trois volumes de B. D. Meritt,

H. T. Wade-Gery et M. F. McGregor, The Athenian Tribute Lists, Cambridge, Harvard University Press, 1939-1950 ; à l’ouvrage de R. Meiggs, The Athenian Empire, Oxford, Clarendon Press, 1972, p. 234-254 et p. 524-561 ; à l’article de B. Paarmann, « Geographically Grouped Ethnics in the Athenian Tribute Lists », in T. H. Nielsen (éd.), Once Again : Studies in the Ancient Greek Polis, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2004, p. 77-109. En ce qui a trait à ceux de la seconde confédération, voir P. J. Rhodes, Greek Historical

membres de la confédération, puisqu’elles dépendaient avant tout de l’autorité d’Athènes. Les traces matérielles amènent à penser que certaines d’entre elles ont tôt ou tard collaboré avec Thasos ou avec ses citoyens352.

Les relations de Thasos avec Maronée et Abdère ont déjà été abordées quelque peu dans le second chapitre. La période archaïque fut caractérisée par un climat de dissension : Thasos et Maronée s’étaient disputé la possession de Strymè et Abdère avait dénoncé l’île aux Perses. Les querelles entre Thasos et Maronée ne s’étaient pas non plus estompées au IVe siècle, lorsqu’Athènes dut leur imposer un règlement à l’amiable à propos de Strymè353. Les deux cités paraissent malgré tout s’être réconciliées par la suite. Au IIe siècle, des similitudes frappantes se remarquent entre les effigies de Dionysos sur les tétradrachmes maronitains et thasiens. C. Dunant et J. Pouilloux ont exprimé l’idée que « s’adressant à la même clientèle, les deux cités, pour faciliter les échanges, avaient adopté un monnayage apparenté »354. Les contacts entre Thasos et Abdère semblent eux aussi s’être raffermis au fil du temps. En sus de la fréquence élevée de bronzes abdéritains à Thasos et les trouvailles d’anses d’amphores, l’épigraphie atteste la venue d’au moins trois Abdéritains dans l’île : Hermothestos (ca. 350), Tharsynôn (ca. 350) et Philippe (époque impériale)355. De plus, Abdère est énoncée aux côtés de Thasos dans la lettre de Dolabella (80-78)356. À n’en pas douter, l’aboutissement de la

352 On consultera l’annexe 2 sur la mobilité internationale des Thasiens et des étrangers à Thasos. De même, la

numismatique, bien qu’équivoque sur la tenue de rapports commerciaux, éclaire sur la dispersion des monnaies thasiennes à l’international et sur la provenance des monnaies étrangères à Thasos. À ce sujet, on consultera les cartes « Dispersion des monnaies thasiennes hors de Thasos » et « Lieux de provenance des monnaies étrangères trouvées à Thasos » élaborées par C. Dunant et J. Pouilloux, Rech. II, entre les p. 8-9 et 10-11. Outre Athènes, seule Ténédos se rencontre sur les deux cartes. On sait d’ailleurs que des pièces de l’Héraklès sôter thasien ont été surfrappées à Ténédos au Ier siècle (J. Pouilloux, Rech. I, p. 426). Pour ce qui

est des autres membres de la seconde confédération, les monnaies de quinze d’entre eux ont circulé à Thasos, sans démarcation temporelle stricte : Érésos, Méthymne, Byzance, Périnthe, Mytilène, Chios, Ténos, Chalcis, Ainos, Rhodes, Samothrace, Néapolis, Abdère, Maronée et Péparethos. Parmi ce groupe, Thasos avait entretenu des relations tendues avec Ainos à l’époque archaïque, au moment où des Thasiens furent expulsés de cette cité. Par ailleurs, le fait que Thèbes pratiquait le culte d’Athéna Propylaia la reliait possiblement à Thasos, où la déesse a reçu cette épithète (C. Dunant et J. Pouilloux, p. 229-230). À l’égard de Chios, il ne serait pas surprenant qu’elle ait effectué des échanges commerciaux avec Thasos, à l’image des liens que cette dernière avait forgés avec les autres îles (Paros, Cos, Rhodes, Samothrace, Samos, Lesbos, etc.).

353 Démosthène, Lettre de Philippe, 17.

354 Sur Maronée, cf. J. Pouilloux, Rech. I, p. 221-223 ; C. Dunant et J. Pouilloux, Rech. II, p. 5-6 et 10.

355 D’après leurs stèles commémoratives, Tharsynôn aurait reçu les honneurs à Thasos et Philippe y aurait été

enterré. Quant à Hermothestos, on ne connaît pas la raison de son voyage sur l’île. Au sujet d’Abdère, voir J. Pouilloux, p. 57 et 316-317, no 110 ; C. Dunant et J. Pouilloux, p. 10, 174, et 234-235, no 411.

356 C. Dunant et J. Pouilloux, Rech II, no 175, col. 1, l. 12 ssq. Aux pages 49-55, les auteurs ont suggéré que la

mention d’Abdère coïncide avec les honneurs et privilèges que Sylla avait promis aux cités restées loyales à la cause de Rome contre le roi de Cappadoce, Ariarathe IX. Dès lors, la lettre de Dolabella informerait des concessions accordées à Thasos et à Abdère.

seconde confédération redonna une plus grande souplesse aux relations internationales de Thasos, comme le révèle le graphique357 :

Figure 1 : Réseau de φιλία thasien, de la fin du IVe à la fin du Ier siècle, selon la mobilité internationale et les mentions honorifiques

La figure 1 appartient à la catégorie des réseaux relationnels et schématise les relations internationales de Thasos, à l’époque hellénistique, selon trois ensembles de couleurs358. Le groupe rouge rassemble les acteurs avec lesquels la cité partageait une φιλία depuis la période classique (Rhodes et Samothrace) ou seulement à la période hellénistique359. Le groupe bleu complète le dossier des juges et des citoyens qui ont prêté main-forte à des cités en s’y rendant ou à partir de leur lieu de résidence. Dans un cas comme dans l’autre, les Thasiens obtinrent les éloges et des privilèges de la cité qu’ils avaient tirée d’affaire, mais pas la φιλία. Enfin, le groupe jaune réunit les entrées où la φιλία n’est pas nommée et où les raisons qui ont entraîné le mouvement ou l’octroi de distinctions ne sont pas connues. Les unités de ces

357 Il n’a pas été question de façonner un graphique pour le réseau de la seconde confédération, car les variantes

spatio-temporelles et le corpus des sources sont trop vastes et complexes pour arriver à une représentation « fidèle » de la réalité.

358 On consultera l’annexe 2 pour bien comprendre toutes les statistiques qui seront étudiées et qui serviront à

l’analyse de la figure 1. Il est entendu par « Thasiens » ou « étrangers » tous les individus venant d’une région donnée, qu’ils soient citoyens dans leur cité ou esclaves.

359 Athènes a été exclue de ce groupe, car aucun document ne prévoit l’extension de la φιλία avec Thasos après

la seconde confédération. Il en est allé de même pour les autres membres (Paros, Ainos, Érésos et Mytilène), puisqu’on ne peut véritablement saisir l’étendue des relations entre ces cités et Thasos durant la seconde confédération. Thessalonique a été coloriée en rouge sur le seul fait des liens de φιλία entre Thasos et Rome, qui impliquait dans le processus les autorités romaines installées à Thessalonique.

Thasos Samos Smyrne Tralles Milet Samothrace Assos Rhodes Rome Lampsaque Cos Larisa Paros? Téroné Amphipolis Athènes Delphes Istros Oropos Rhénée Spalauthra Thèbes Thessalonique

Wadi Abou Diyeiba Achaïe Ainos Béotie Éphèse Épire Érésos Galatie Lysimacheia Macédoine Mallos Mytilène Néapolis Olynthe Parion Philippes Phrygie? Alexandrie Délos

ensembles peuvent être scindées en deux catégories : (1) les endroits où des Thasiens sont allés ou ont été loués ; (2) les origines des étrangers qui sont venus à Thasos ou y ont été loués. En chiffres, la combinaison des informations compilées dans l’annexe 2 et reproduites par la figure 1 a mené aux résultats suivants :

Thasiens à l’étranger ou loués

à l’étranger

Étrangers à Thasos

ou loués à Thasos Total

IIIe-IIe s. >10 / 11 >14 >24 / 25

IIe-Ier s. >41 26 >67

Datation floue 2 5 7

Total >53 / 54 >45 >98 / 99

Figure 2 : Tableau statistique sur la mobilité internationale et les mentions honorifiques des Thasiens à l’étranger et des étrangers à Thasos

Au premier abord, les chiffres transcrits tiennent compte de la disponibilité et de la fiabilité des sources littéraires et épigraphiques. Leur importance ne doit néanmoins pas être surestimée, d’autant plus que les cités énumérées dans l’annexe 2 n’ont pas forcément entretenu des relations continues avec Thasos. Les signes « > » dénotent une incapacité à évaluer le nombre exact d’individus concernés par les textes, mais on sait que là où ils sont employés, leur somme est supérieure à celle qui est avancée. La figure 2 illustre le fait que le mouvement des Thasiens à l’étranger ou des étrangers à Thasos s’était accru à la basse époque hellénistique. Il en est de même pour les titres décernés aux Thasiens ou aux étrangers. Le déséquilibre flagrant entre les cas inventoriés pour la haute et la basse époque hellénistique se traduit par le manque de renseignements sur Thasos entre 323 et 196. La même réalité est reflétée dans le prochain tableau :

Thasiens à l’étranger ou loués

à l’étranger

Étrangers à Thasos

ou loués à Thasos Total

IIIe-IIe s. 1 >2 >3

IIe-Ier s. >31 >10 >41

Total >32 >12 >44

Figure 3 : Tableau statistique sur la mobilité internationale et les mentions honorifiques des Thasiens et des étrangers du point de vue des relations de φιλία

La figure 3 vise à situer la φιλία dans les processus de mobilité internationale et d’attribution des honneurs. En comparant les totaux des deux dernières figures, il est possible de voir que le corps des Thasiens ou des étrangers s’étant déplacés ou ayant été loués constitue presque la moitié de tous les cas. Il semble ainsi que les Thasiens furent plus actifs

sur la scène extérieure que les étrangers à la basse époque hellénistique, mais aussi que les fonctions assumées par ceux-là inspiraient et animaient les relations de φιλία. Parmi les décrets qui confirment l’octroi de la φιλία, les chercheurs ont partiellement ou entièrement restitué le nom de deux délégués chargés d’en apporter une copie à Thasos. À l’égard de la φιλία / amicitia entre Thasos et Rome, on ne connaît à ce jour qu’une seule ambassade de nombre indéterminé qui s’est adressée au Sénat sous Sylla et au moins cinq Thasiens qui ont côtoyé les autorités romaines de Thessalonique. Les Thasiens profitèrent de chaque occasion pour réitérer leurs liens de φιλία et firent en sorte que les décisions prises par le Sénat soient appliquées à la lettre par les autorités romaines de Thessalonique. Après la déclaration de Flamminus et la venue de Lucius Sterninus à Thasos en 196, deux Pompée furent élus

patronus par la cité et un certain Gaius Agellios fut honoré. Enfin, lors de la bataille de

Philippes, Thasos avait hébergé les troupes républicaines de Brutus et Cassius avant que Marc-Antoine ne débarque dans la cité.

Les résultats enregistrés dans cette dernière sous-partie découlent essentiellement de la théorie des réseaux. Les aspects méthodologiques de la SNA ont été accentués par la configuration de graphes et de tableaux-matrices. Le réseau conçu pour la figure 1 appartient à la catégorie des réseaux relationnels en établissant le type de relation qui rattachait Thasos aux cités. Les flèches qui y sont dessinées indiquent la direction des individus ou des honneurs. Les interprétations de ce réseau considèrent la multiplexité des rapports, par exemple le recoupement de relations politiques, diplomatiques, économiques et religieuses. En association avec les informations amassées sur la seconde confédération, la SNA aide à appréhender les dynamiques du réseau de φιλία thasien à travers le temps. Les facteurs qui en définissent et modifient les contours sont par-dessus tout exogènes, puisque la φιλία fut plus souvent offerte à Thasos que le contraire. Les analyses peuvent être poussées un peu plus loin en soulevant les trois caractéristiques inhérentes à l’existence d’un système mondial, soit la présence de processus, de centres et de formes de changements.

Dans ses fondements théoriques, la seconde confédération fut établie sur les principes de la συμμαχία, de l’εἰρήνη et de la φιλία, mais il est impossible de jauger la portée de la φιλία. Après que Thasos eut rejoint la κοινή εἰρήνη de Philippe II, un amenuisement des liens entre Thasos et les membres de la seconde confédération se perçoit. Entre la fin du IVe et le Ier siècle, seulement quatre cités auraient reçu des Thasiens (Athènes, Paros ?, Rhodes et Samothrace), alors que Thasos aurait accueilli des individus originaires d’Ainos, d’Athènes, d’Érésos, de Mytilène, de Néapolis et de Rhodes. À la période hellénistique, les rapports de

Thasos avec l’étranger augmentèrent. La plupart des cités où des Thasiens s’étaient déplacés ou auxquelles ils avaient porté secours avaient en retour conféré ou renouvelé la φιλία. Mais les motifs qui conduisirent les Thasiens à l’étranger ne se restreignaient pas à ces personnages. On discerne notamment un négociant, [P]isistrate, fils de Mnésistratos, à Istros (début IIIe s.) ; un [A]rotès, fils d’Arotos, vainqueur aux Eleutheria de Larisa (début IIe s.) ; des théores-proxènes et des initiés aux Mystères de Samothrace (IIe-Ier s.) ; et peut-être un A[lex]andros, qui aurait été historien-conférencier à Paros (fin IIe ou début Ier s.). Le prestige de riches notables thasiens se constate encore chez Nossikas, fils d’Héras (300 a.C.) ou les fils de Pempidès, Hestiaios et Dionysodôros (IIe-Ier s.). Pour ce qui est des étrangers à Thasos, deux frères, Symmachos et Satyriôn, achetèrent la citoyenneté thasienne (début IIIe s.) ; des juges venus de Parion (IVe-IIIe s.) et de Cos (IIIe s.) ; des ambassadeurs chargés d’apporter des décrets à Thasos ([Zénodot]e, fils d’Aristomaque, vraisemblablement dans la seconde moitié du IIe siècle, et Thémistos, fils de Phanodikos, au Ier siècle) ; et plusieurs épitaphes. Même si les sources demeurent muettes à ce sujet, le cabotage de navires marchands dans les eaux thasiennes doit être considéré. En dernier lieu, il faut noter les incursions du roi Philippe V et de son général Métrodore (202), de Lucius Stertinius (196), des armées pontiques de Mithridate VI Eupator (entre 88-85), et des troupes de Brutus et Cassius lors de la bataille de Philippes (42).

Les allées et venues ou les services des Thasiens et des étrangers incitaient les échanges de biens. Thasos avait exporté du marbre à Samothrace et de ses timbres amphoriques ont été découverts à Samothrace, à Smyrne et à Rhodes. À l’inverse, de la céramique mélienne provenant de Smyrne et de Samos a été trouvée à Thasos. La circulation des séries monétaires thasiennes et des monnaies étrangères à Thasos pourrait tout aussi bien révéler les zones d’activités mercantiles. Nossikas et Dionysôdoros auraient usé de leurs moyens financiers pour venir en aide aux cités de Lampsaque, Assos et Rhodes. Le premier avait par exemple acquitté la rançon de prisonniers capturés durant un combat naval ainsi que les frais de leur retour à Lampsaque. Par ailleurs, il va de soi que la bataille de Philippes (42) avait nécessité un transport de marchandises, puisque les troupes républicaines avaient utilisé Thasos comme base de ravitaillement. En synchronisme avec ces mouvements de personnes et de biens, des mouvements d’idées peuvent être décelés.

Selon l’argumentation de J. Ma, l’application, la diffusion et l’exposition des décrets dans un lieu public favorisait l’enracinement de liens durables entre les acteurs de la scène internationale, tout en garantissant la perpétuité et le renforcement des valeurs et des idéaux

grecs. L’échange de φιλία était accompagné et soutenu par les concepts de συγγένεια (Tralles et Milet), d’οἰκειότης (adjectif oἰκεῖος dans les textes de Samos), d’εὔνοια (Samos, Milet, Smyrne, Tralles et Assos) et de συμμαχία (Rome). Les contacts directs avec le Sénat et les autorités romaines de Thessalonique ne pouvaient qu’optimiser la transmission bilatérale de connaissances : les Thasiens participaient à l’exportation de la culture grecque vers Rome et à l’importation de la culture romaine vers le monde grec. Le titre de patronus accordé aux deux Pompée et l’hospitalité allouée aux troupes républicaines de Brutus et Cassius témoignent d’une ouverture à la culture et aux stratégies militaires romaines.

Le sondage sur les mouvements de personnes, de biens et d’idées permet d’apprécier le rôle des centres. La figure 1 montre que les puissances de la scène internationale avaient été visitées par des Thasiens ou qu’elles leur avaient octroyé les honneurs à la période hellénistique. Les relations entre Thasos et Alexandrie (centre religieux, culturel, scientifique,