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Chapitre II : La φιλία dans les relations internationales de Thasos (VIIe-Ier s.)

2.3.5. Considérations sur l’institution des juges étrangers

L’institution des juges étrangers émergea vers la fin du IVe siècle avec le concours des Diadoques. Le corpus des inscriptions qui reconnaissent les services de ces personnages avoisine trois cents attestations et s’étend du IIIe au Ier siècle, avec quelques cas isolés sous le Haut-Empire romain242. Les juges, qui étaient généralement accompagnés d’un ou de plusieurs secrétaires, intervenaient pour trancher des différends locaux ou internationaux. Au moins un ambassadeur, souvent le dikastagogue, était élu à l’assemblée et député dans une cité pour y mobiliser des citoyens aptes à accomplir la tâche exigée243. Les meilleurs hommes (ἄνδρες καλοὶ καὶ ἀγαθοί) étaient choisis parmi la communauté. Leur nombre variait, mais les candidats sélectionnés constituaient habituellement un corps impair pouvant totaliser cinq délégués. Dans le cas où une cité envoyait un, deux ou quatre juges, cela signifiait que ces derniers étaient jumelés à d’autres collèges commissionnés par la cité. Les tribunaux composites, ou panachés, tels que L. Robert les a qualifiés244, garantissaient un degré d’impartialité supérieur par rapport à un litige qui était réglé localement. Le temps requis pour réunir les ressources nécessaires s’étalait sur plusieurs semaines et il en fallait davantage pour regrouper des gens venant de diverses régions.

241 Pour la paraphrase ἄνδρες καλοὶ καὶ ἀγαθοὶ καὶ φίλοι, cf. R. K. Sherk, Roman Documents, no 21, col. I, l. 3.

Pour les éditions critiques des deux sources, voir les nos 20 et 21 et les commentaires aux p. 121-123. On se

reportera aussi à J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, nos 174 et 175 et les p. 37-55. On notera de plus que les

îles de Péparéthos et Skiathos ne restèrent entre les mains des Thasiens que pour peu de temps. À l’issue de la bataille de Philippes en 42, Antoine les remit aux Athéniens.

242 Au point de vue de la littérature, seuls Polybe et Plutarque mentionnent l’institution des juges étrangers. Le

corpus épigraphique s’est élargi depuis les recherches de L. Robert, qui comptait plus de 200 inscriptions sur les juges en 1971. A. Cassayre en dénombrait environ 300 en 2010. Sur les prémices de l’institution des juges et sur la contribution des Diadoques, cf. L. Robert, « Les juges étrangers dans la cité grecque », in

Choix d’écrits, Paris, Les Belles Lettres, 2007, p. 301-302 et 312-313 ; A. Cassayre, La Justice dans les cités grecques : De la formation des royaumes hellénistiques au legs d’Attale, Rennes, Presses Universitaires de

Rennes, 2010, p. 127 et p. 129-130.

243 Le dikastagogue détenait plusieurs charges. En plus de sa responsabilité de mobiliser des juges à l’étranger et

de les ramener dans sa cité, il devait pourvoir à leur sécurité au cours de leur séjour, puis décourager toute tentative de corruption de leur part. On se reportera à L. Robert, « Les juges étrangers dans la cité grecque », p. 304 ; A. Cassayre, p. 172 ; P. Hamon, « Juges thasiens à Smyrne : I. Smyrna 582 complété », p. 192-193.

Une fois le verdict rendu, la cité qui avait sollicité de l’aide votait un décret dans lequel elle remerciait les juges et, s’il y a lieu, leur(s) secrétaire(s), puis elle leur décernait les honneurs et les éloges. Un émissaire raccompagnait ensuite les juges dans leur patrie, où il remettait une copie du document à l’assemblée245. Les raisons qui justifiaient l’envoi de juges demeurent obscures, mais lorsqu’une cité les invitait, c’est parce qu’elle souhaitait surmonter une crise sociale qu’elle ne pouvait résoudre par elle-même246. Dans son étude sur la justice dans les cités grecques, A. Cassayre a recensé et classé les inscriptions qui référaient à des juges à l’intérieur de tableaux. Pour la moitié des cas où le contexte est connu, elle a observé que les questions financières et sociales avaient stimulé la réquisition de tribunaux étrangers (ξενικὸν δικαστήριον)247. Dans la mesure où ces derniers n’étaient pas informés de la situation intérieure de l’État étranger, leur objectivité risquait d’être plus élevée. La fonction de ces tribunaux reposait avant tout sur le rétablissement de l’ὁμόνοια248. Les décrets pour des juges et secrétaires thasiens s’alignent sur ce canevas et relèvent de cités localisées dans la partie orientale du monde grec : Samos, Milet, Tralles et Smyrne.

Les décrets de Samos (IIe s.)

Le premier des deux décrets de Samos (no 4) a été découvert par G. Daux, en 1922, et publié par L. Robert, en 1926 ; le second (no 5), composé de trois fragments, a été édité par J. Pouilloux et C. Dunant, en 1950. Dans les deux cas, le nom de la cité qui a réclamé des juges n’a pu être lu. À partir du formulaire, L. Robert a fait des comparaisons avec l’épigraphie de l’Asie Mineure et a inféré qu’il était question de Samos249. J. Pouilloux et C. Dunant ont envisagé la même alternative pour leur document : le mot χιλιαστύς et le passage où il se rencontre, [ἐ]πί τε φυλὴν καὶ χιλιασ[τύν] (l. 15), étaient typiques dans les inscriptions de la région. Les auteurs ont constaté que, si les gravures ne pouvaient appartenir

245 En ce qui a trait à la procédure de recrutement et l’octroi de privilèges, voir L. Robert, « Les juges étrangers

dans la cité grecque », p. 304-308 ; A. Cassayre, p. 170-172 ; P. Hamon, « Juges thasiens à Smyrne :

I. Smyrna 582 complété », p. 192-193.

246 A. Cassayre, p. 131-154. Malgré l’efficacité de son classement, l’auteure a reconnu la précarité de ses

résultats (p. 160). À dire vrai, le nom de la cité qui demandait ou de celle qui envoyait des juges a souvent disparu des stèles. Ainsi, ses tableaux pourraient nécessiter des changements en vue de nouvelles trouvailles.

247 Ibid., p. 162-168 et 354-355. Pour appuyer son argumentation, A. Cassayre a cité le décret d’Iasos pour des

juges rhodiens, qui furent convoqués à Iasos après que les troupes du dynaste Olympichos eurent détruit des récoltes et des habitations sur le territoire iasien. Voir aussi L. Robert, « Les juges étrangers dans la cité grecque », p. 307-308.

248 Dès l’instant où l’ὁμόνοια est interrompue, la cité ne peut plus assurer le fonctionnement de la justice d’une

manière adéquate. On se réfèrera à L. Robert, « Les juges étrangers dans la cité grecque », p. 308 ; A. Cassayre, p. 128 et 168.

249 L. Robert, « Inscription trouvée à Thasos », p. 250-259. Le manque de sources fait en sorte que cette

hypothèse est encore retenue par l’historiographie. L. Robert a préféré la restitution οἰκεῖοι à la ligne 12 plutôt que συγγενεῖς, car rien ne permet de justifier une συγγένεια entre Thasos et l’autre cité.

à une seule pierre, elles pouvaient toutefois correspondre au même événement. En effet, il arrivait souvent que des stèles individuelles soient érigées pour chacun des commissaires. L’hypothèse avancée par les trois spécialistes, que deux juges fussent honorés avec un secrétaire, nécessite une rectification250. En raison de l’état lacunaire des textes, le nombre de personnages impliqués ne peut être déterminé avec certitude. Un chiffre pair pose problème, attendu qu’il serait alors question d’un tribunal mixte et que plusieurs cités auraient dû être sollicitées251. Le nom incomplet Κύριος Ἀποδήμου pourrait dès lors référer à un juge et non pas à un citoyen, comme l’ont présumé J. Pouilloux et C. Dunant252. Au demeurant, il faudrait entrevoir l’intervention de trois juges pour obtempérer à la notion d’impartialité.

L. Robert, J. Pouilloux et Y. Grandjean n’ont pas fourni d’éclaircissements sur les relations de Samos avec Thasos. J. Cargill a exclu la participation de Samos à la seconde confédération253. Une attache économique peut être décelée à travers les recherches de L. Ghali-Kahil. Selon l’auteure, les céramiques de type mélien rassemblées à Thasos pourraient tirer leur origine de Samos, mais rien n’est confirmé254. Au début du IIIe siècle, Samos dut subir d’importants troubles sociaux pour que des gens de Myndos, de Milet et d’Halicarnasse viennent régler des conflits entre concitoyens (281)255. Il semble néanmoins que la cité fut peu attaquée par les puissances extérieures, même lorsque celles-ci s’efforçaient de conquérir l’Asie Mineure. La suprématie ptolémaïque pourrait expliquer que la cité échappa aux entreprises militaires des royaumes hellénistiques, mais elle ne fut pas épargnée par Philippe V, qui s’en empara en 200. À la paix d’Apamée (188), Samos fut placée sous l’influence des Attalides. Tout comme Thasos, elle fut convoitée par les acteurs

250 Ibid., p. 253. L. Robert avait relevé la présence de deux juges et d’un secrétaire, mais n’arrivait pas expliquer

le fait qu’un seul juge avait été honoré : « […] car on voit que la ville dont émane le décret avait demandé des juges et un secrétaire […]. Pour une raison qui nous échappe, ce décret a été rendu en l’honneur d’un seul juge ; un ou plusieurs autres décrets ont dû accorder les honneurs ordinaires au peuple de Thasos, au second juge et au secrétaire ». J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, p. 17, ont attribué le décret no 167 au second juge

et à son secrétaire : « […] la stèle déjà publiée aurait porté les décrets honorant la ville de Thasos et le premier juge, et la stèle nouvelle, ceux pour le second juge et le secrétaire ».

251 Tout au plus, une autre cité dont le nom est inconnu aurait pu être impliquée, mais tout porte à penser, selon

le classement d’A. Cassayre (p. 145), qu’elle jugea une cause différente.

252 J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, p. 16.

253 J. Cargill, Second Athenian League, p. 148-150. Samos était une dépendance d’Athènes et non pas son alliée. 254 L. Ghali-Kahil, La céramique grecque, p. 23 et 141-142 : « Il ne nous appartient pas ici de discuter de

l’origine du mélien ; parmi les dernières théories il en est qui s’efforcent de rattacher la fabrique à Paros ou à Samos, ce qui impliquerait des relations de commerce fort étroites de ces îles et de Thasos […] ». Quelques pistes des relations économiques entre Thasos et Samos au Ve s. sont soulevées dans l’article de F. Blondé,

A. Muller et D. Mulliez, « Le comblement d’un puits public à Thasos », BCH 115 (1991), p. 229-230, mais les données se montrent trop évasives et isolées pour pouvoir en tirer des enseignements utiles. Les auteurs ont dénombré huit amphores samiennes parmi le matériel acquis à Thasos.

255 Sur les relations diplomatiques de Samos avec Thasos et avec d’autres cités, cf. G. Shipley, A History of

Samos, 800-188 BC, Oxford / New York, Clarendon Press / Oxford University Press, 1987, p. 217 et p. 223 ;

de la scène internationale par le fait de sa position géographique près de l’Asie Mineure et de sa Pérée continentale. Les circonstances historiques ne permettent donc pas de saisir les motifs de l’envoi. A. Cassayre a déterminé que les documents coïncidaient avec la seconde moitié du IIe siècle256. À cette période, Rome fut appelée pour gérer un arbitrage entre Samos et Priène au sujet de disputes territoriales (avant 135). La cité fut peu après prise de force par Aristonicos, qui s’était soulevé contre le legs du royaume de Pergame aux Romains (133-129) et fut contrainte à son autorité jusqu’à ce qu’il soit vaincu par les légions257.

Le décret de Milet (seconde moitié du IIe s.)

La stèle a été retrouvée au port de Liménas en 1969. Elle a d’abord été datée du IIe siècle, mais A. Cassayre a réduit les balises chronologiques aux années 150-125258. Seuls l’entête, qui atteste la provenance de Milet, et les six premières lignes sont lisibles. Les lacunes rendent les noms de personnes impossibles à déchiffrer. À tenir compte des sept couronnes décernées, la mission thasienne à Milet devait être composée de cinq juges et d’un secrétaire, puisque l’une d’entre elles revenait sans aucun doute au peuple de Thasos259. Aucun indice ne permet de cibler les origines de la συγγένεια (no 6), mais O. Curty a indiqué que les parentés revendiquées par Milet reposaient sur les mythes fondateurs avec la Crète et la branche ionienne. Même si le recours à cette histoire demeure spéculatif, il est opportun de rattacher la συγγένεια à la tradition voulant que Sarpédon, fils d’Europe, et donc cousin de Thasos, ait emmené une colonie de Crétois à Milet260.

Les rapports entre Thasos et Milet auraient surtout été économiques. À la période archaïque, Milet aurait servi de relais commercial entre la Thrace et l’Égypte, mais les contacts avec Thasos ne sont pas attestés pour sûr261. Outre l’incursion d’Histiée à la période

256 A. Cassayre, p. 145.

257 Sur le contexte, cf. G. Shipley, History of Samos, p. 185-201 ; M. Sartre, L’Anatolie hellénistique : de l’Égée

au Caucase (334-31 av. J.-C.), Paris, A. Colin / VUEF, 2003, p. 198 ; A. Cassayre, p. 114 ; P. Briant,

P. Brun et E. Varinglioğlu, « Une inscription inédite de Carie et la guerre d’Aristonicos », in A. Bresson et R. Descat (éd.), Les cités d’Asie Mineure occidentale au IIe siècle a.C., Bordeaux / Paris, Ausonius / de

Boccard, 2001, p. 255-256.

258 Y. Grandjean, « Décrets pour des juges thasiens », no 2 et O. Curty, Parentés légendaires, no 59 ont situé le

document au IIe siècle. Une périodisation dans la seconde moitié du IIe siècle a été proposée dans SEG 29,

770, tandis que les années 150-125 ont été fixées par celle-ci. Les raisons qui justifient la réduction du cadre temporel ne sont point indiquées par A. Cassayre. À la n. 140 de la page 175, il est écrit qu’« un seul petit fragment, daté d’environ 150-125 av. J.-C. (BCH Suppl. V, 1979, p. 391-394) mentionne des juges thasiens venus à Milet, mais on ignore leur mission ». Y. Grandjean n’a pourtant pas fait cette distinction.

259 Y. Grandjean, « Décrets pour des juges thasiens », p. 393-394 ; O. Curty, Parentés légendaires, p. 145. 260 O. Curty, p. 145-146.

261 J. Pouilloux, Rech. I, p. 51-52. La présence de Thasiens en Égypte est attestée dès la période archaïque par la

archaïque, la carte Lieux de provenance des monnaies étrangères trouvées à Thasos, employée par J. Pouilloux et C. Dunant, montre que des Milésiens avaient peut-être visité Thasos durant la période hellénistique262. À cette époque, Milet essuyait de grandes difficultés sociales et financières. En 211-210, au lendemain d’une disette, la cité lança un emprunt public à cause du mauvais état des revenus263. Entre le IIIe et Ier siècle, elle était entrée à plusieurs reprises en guerre contre Priène, Héraclée du Latmos, Pidasa et Magnésie du Méandre pour des possessions territoriales264. Du côté diplomatique, elle déploya des juges à l’extérieur et n’en reçut qu’une seule fois265.

Le décret de Tralles (seconde moitié IIe – début Ier s.)

Le document a été repéré en 1965. Le nom de la cité qui a sollicité n’apparaît pas sur la pierre. Y. Grandjean a effectué un rapprochement avec Tralles, car les inscriptions de la cité utilisent des termes et des expressions identiques266. Les premières lignes se rapportent à l’ambassadeur mandaté à Thasos pour y déposer le décret honorant un juge et un secrétaire (no 7), mais la partie sur les privilèges alloués aux Thasiens n’a pas été récupérée. O. Curty s’est penché sur la mention de συγγένεια. Au même titre que Milet, ses explications demeurent hypothétiques. Il a pris pour point de départ un passage de Strabon, où il est dit que les Argiens et la peuplade thrace des Tralliens auraient fondé Tralles. Il a recoupé ces informations avec le fait que Thasos abritait à l’origine des éléments thraces et a proposé l’idée que cette tradition pouvait servir à établir la parenté entre les deux acteurs267. À l’exception du présent décret, les relations de Tralles avec Thasos restent inconnues.

Aux IIe et Ier siècles, Tralles éprouvait des ennuis d’ordre judiciaire, car elle convoqua des citoyens de Mylasa, de Phocée et de Ténos268. Les causes de ces requêtes ne peuvent être élucidées par le contexte historique. Depuis la paix d’Apamée, la cité était sous tutelle attalide. Lorsque le royaume de Pergame fut légué aux Romains, elle épaula Aristonicos dans

Ramesseum de Thèbes (IVe-IIIe s.). À ce sujet, cf. C. A. La'da, Prosopographia Ptolemaica. Tome X :

Foreign Ethnics in Hellenistic Egypt, Louvain, Peeters, 2002, nos E630-632. 262 J. Pouilloux et C. Dunant, Rech. II, entre les p. 10-11.

263 A. Bresson, « La conjoncture du IIe siècle a.C. », in A. Bresson et R. Descat (éd.), Les cités d’Asie Mineure,

p. 12.

264 Sur l’histoire de Milet à la période hellénistique, cf. P. Hermann, « Milet au IIe siècle a.C. », in A. Bresson et

R. Descat (éd.), Les cités d’Asie Mineure, p. 109-116 ; A. M. Greaves, Miletos : A History, Londres / New York, Routledge, 2002, p. 134-137 ; M. Sartre, L’Anatolie hellénistique, p. 116-117, 184 et 205-206.

265 D’après la recension d’A. Cassayre, Justice, p. 131-154, Milet aurait député des juges à Stratos, Érétrie,

Larisa, Gonnoi, Byzance, Smyrne, Samos et dans une cité éolienne.

266 Sur les différents points de comparaison, voir Y. Grandjean, « Décrets pour des juges thasiens », p. 404-406. 267 O. Curty, Parentés légendaires, p. 64.

sa rébellion contre Rome. Elle se rangea plus tard du côté de Mithridate VI, dont le portrait apparaît sur certaines de ses émissions d’or. Les Romains qui l’habitèrent furent conséquemment massacrés par l’armée pontique. L’intervention du Thasien pourrait répondre à l’un de ces deux événements. Il convient de souligner que les guerres exigeaient la mobilisation de ressources financières importantes et que les cités d’Asie Mineure étaient obérées à la suite des deux conflits269.

Le décret de Smyrne (ca. Ier s.)

Le décret de Smyrne est composé de deux fragments : le premier (l. 1-23) a été découvert par C. Fredrich, en 1904, au port de Thasos, et publié en 1909, dans le corpus

IG XII 8, 269, tandis que le second (l. 26-51) a été découvert par M. Sgourou, en 1997, dans

un sondage de la rue Mégalou Alexandrou. Par son écriture et son style, le document a été daté dans le courant du Ier siècle. Il intègre un dossier de sept inscriptions smyrniennes pour des juges étrangers 270 . Le peuple de Thasos et les cinq juges, dont deux sont connus - Bacchios, fils d’Aristodémos, et Démétrios, fils d’Archias - reçurent les éloges de Smyrne et des couronnes d’or dans le cadre des Dionysies. Les émissaires se virent concéder la proédrie et l’accès au Conseil en tout temps, ainsi que le droit de cité pour eux et leurs descendants. Les espaces sur la pierre ont incité P. Hamon à envisager la restitution de la

junctura συγγενὴς καὶ φίλος καὶ εὔνους (no 8). Le texte laisse entendre que les juges thasiens s’étaient dirigés à Samos pour y rétablir la concorde, mais la nature de la discorde n’est toutefois pas évoquée271.

Lors de la révolte d’Aristonicos, Smyrne, qui était libre depuis Apamée, résista aux attaques qui furent menées contre elle. À la création de la province d’Asie, elle devint l’un des principaux centres de la politique romaine : elle logeait des troupes républicaines et accueillait

269 On consultera l’entrée « Tralles » dans M. Grant, A Guide to the Ancient World : A Dictionary of Classical

Place Names, Bronx, H. W. Wilson, 1986, p. 665 ; G. M. Cohen, The Hellenistic Settlements in Europe, the Islands, and Asia Minor, Berkeley, University of California Press, 1995, p. 265-268 ; I. Savalli-Lestrade,

« Les Attalides et les cités grecques d’Asie Mineure au IIe siècle a.C. », in A. Bresson et R. Descat (éd.), Les

cités d’Asie Mineure, p. 82-84 ; M. Sartre, L’Anatolie hellénistique, p. 214-219 et 226-229.

270 Hormis Thasos, les autres documents couvrent un cadre chronologique qui s’étend du IIIe au Ier siècle. On

consultera L. Robert, « Note d’épigraphie hellénistique. Inscriptions relatives à des juges étrangers »,

BCH 48 (1924), p. 331 ; P. Hamon, « Juges thasiens à Smyrne : I. Smyrna 582 complété », p. 175-176.

A. Cassayre, p. 143-144.

271 On verra P. Hamon, « Juges thasiens à Smyrne : I. Smyrna 582 complété », p. 180-181 pour une traduction

de l’inscription, et p. 182 pour l’apparat critique qui concerne la junctura. Pour Astypalaia, cf. A. Cassayre, p. 451. C. J. Cadoux, Ancient Smyrna : A History of the City from the Earliest Times to 324 A.D., Oxford, Blackwell, 1938, p. 152-154, a étudié les documents en question. Il admet l’improbabilité que les deux événements soient survenus en même temps, mais les analogies syntaxiques supposent qu’ils n’ont pas été séparés par un grand intervalle de temps.

des légats pour traiter des litiges. Elle avait également fourni des effectifs à Rome durant la guerre sociale de 90-87 et lutta à ses côtés contre Mithridate. Les Smyrniens allèrent même jusqu’à se dépouiller de leurs vêtements pour les remettre à l’armée de Sylla qui était mal équipée pour affronter l’hiver (Tacite, Annales, IV, 56)272. Le décret des juges thasiens serait à insérer dans ce contexte, mais il ne peut être associé à l’un de ces événements. L’Anatolie et le nord de l’Égée furent régulièrement visités par les Phéniciens à la période archaïque. Il se pourrait dès lors que des liens commerciaux entre Smyrne et Thasos aient été consolidés à ce moment273. Jusqu’à ce jour, des céramiques de type mélien ont été localisées à Thasos et des timbres amphoriques thasiens à Smyrne. J. Pouilloux et C. Dunant ont inscrit Smyrne sur leur carte des monnaies étrangères inventoriées à Thasos274.