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4.2 LES MODELES DE L’ACTIVITE : SITUER L’ACCEPTATION DANS LE REEL DE L’ACTIVITE

4.2.2 Les théories de l’action : pour une visée située de l’activité

Les paradigmes situationnistes représentent une rupture épistémologique importante par rapport aux théories cognitivo-computationnelles qui ont longtemps prévalu. Ces dernières envisageaient l’action humaine comme une manipulation de symboles physiques qui se conformait en tout point aux projections de l’individu ; le sujet étant guidé par un plan initial qui l’aide à contrôler les actions. En réaction, les théories situées vont fournir une théorie de l'organisation de l’action « entendue comme un système émergeant in situ de la dynamique

des interactions » Conein et Jacopin (1994). 4.2.2.1 Les théories de l’action

Différentes théories constituent les paradigmes centraux des approches situées. Après avoir rappelé leurs caractéristiques, nous verrons ce qu’elles apportent dans la compréhension de l’acceptation en situation.

a) L’action située

Avec la théorie de l’action située, Suchman (1987) considère l’usager comme un être intentionnel, motivé et situé dans des contextes macro-sociaux et micro-sociaux, lesquels ont des incidences sur la construction de l’action (Quéré, 1997). Cette expression (action située) souligne le fait que « tout cours d’action s’appuie essentiellement sur les circonstances

matérielles et sociales de la situation. Plutôt que de désincarner l’action de ces circonstances et de le représenter comme un plan rationnel, notre approche consiste à étudier la manière dont les gens utilisent les circonstances pour agir de manière pertinente» (Suchman, 1987, p.

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rôle et leur statut dans l’organisation et la réalisation de l’action (Bégin & Clot, 2004). Le plan est donc une ressource quand il est produit avant l’action ; il joue alors le rôle d’orientation de l’action sans pour autant déterminer le cours de l’action. Le plan peut aussi être produit a posteriori, c'est-à-dire être une reconstruction sui generis qui vise à prendre l’action pour objet de réflexion après son effectuation. Mais, en aucun cas, le plan ne peut rendre compte de l’action effective car celle-ci émerge des « circonstances ». Les plans sont le fruit de l’action. Ils « aident les sujets à faire sens de l’action » (Grison, 2004 ; p 29).

b) La cognition située

La cognition située se propose d’aller plus loin dans la compréhension de la formation de l’action. Notamment, comment les processus cognitifs instigateurs de l’action dépendent de l'environnement et de la situation dans lesquels elle se déploie (Lave, 1985 ; Scribner, 1985). Il s’agit d’étudier la « cognition en pratique » en tant que pratique sociale et distribuée. Ces processus cognitifs, tels que la mémoire, le calcul, l’apprentissage, les représentations sont

« des produits de l’action située » définis comme une des « ressources » de l’action

permettant une « adaptation aux contingences de nos interactions locales avec

l’environnement » (Visetti, 1989, cité par Valléry, 2002, p 27). Les processus de résolution ne

sont plus seulement approchés comme des stratégies mentales finalisées (dépendant uniquement de mécanismes internes), mais comme des processus qui se structurent dans la situation-problème. Apprendre, se souvenir ou mémoriser sont ainsi des aptitudes qui reposent sur l’exploitation des ressources de l’environnement.

c) La cognition distribuée

Les études d’Hutchins et de Heat (Hutchins, 1994 ; Heath et Luff, 1994) sur la cognition distribuée et de Cicourel (1994) sur la co-construction progressive de l’action entre acteurs sont, de ce point de vue, très intéressantes et prolongent les analyses de la cognition située. Hutchins (1994) insiste sur la dimension à la fois située et collective de la cognition en la considérant, non pas comme un processus mental se produisant exclusivement dans la tête d’un individu, mais survenant plutôt à travers les interactions entre les membres d’un groupe de travail et leur recours à des ressources externes (outils, environnement physique). Ces ressources sont considérées comme le prolongement des capacités cognitives des êtres humains. Elles cumulent le savoir de ceux qui les ont construites et manipulées au fil du temps. Par conséquent, le travail n’est pas le résultat unique d’un effort individuel, mais plutôt d’un système fonctionnel collectif.

4.2.2.2 Ce que nous apportent les théories de l’action dans la compréhension de l’acceptation en situation…

La distinction entre l’action planifiée et l’action située établie par Suchman permet de réexaminer les modèles de l’acceptabilité technologique à l’aune de ces conceptions situées On peut en effet mettre en perspective la manière dont cette auteure envisage le plan et ses

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limites dans l’activité et la façon dont les modèles de l’acceptabilité sociale ambitionnent les intentions d’usage ; à savoir, comme des sortes de plans d’usage auxquels les gens se conformeraient.

Comme on l’a vu, ces modèles présupposent, à l’instar du paradigme computationnel-cognitif, l’existence d’une capacité du sujet à anticiper les incidences possibles des technologies par le biais d’un ensemble d’affirmations et de présupposés d’arrière-plan auxquels les attitudes et les actions seraient des réponses. Les intentions d’usage seraient en quelque sorte une planification des comportements d’usage qui peuvent être prévisibles, formalisables et mesurables.

Or, si l’on se réfère aux théories de l’action située et de la cognition située, il ressort que les logiques d’action ne peuvent être anticipées, puisqu’elles sont contingentes des circonstances de la situation « en train de se faire ». L’utilisateur aura beau tout prévoir, envisager les différentes incidences des TIC sur son activité ; la concrétisation de ses attentes ou de ses inquiétudes ne pourra être la simple exécution de ses prévisions. L’usage et l’usager vont s’ajuster aux circonstances, réagir aux événements, saisir les opportunités. Ce qui était donc prévu et attendu en termes d’impacts et d’usage, peut être remis en cause dans le cours de l’action, selon les aléas et les possibles de la situation.

Toutefois, et toujours selon ce paradigme de l’action située, les intentions d’usage peuvent se révéler une ressource pour l’usage quand elles jouent un rôle d’orientation des conduites d’usage attendues vis-à-vis des technologies à venir. Comme le remarquait Suchman (1987) à propos de la fonction ‘’inspiratrice’’ du plan (produit avant l’action), ces intentions donnent en quelque sorte la possibilité d’imaginer l’outil dans ses pratiques et son système de travail, même si ces représentations vont nécessairement bouger et se reconfigurer du fait même de l’implémentation du dispositif (comme on l’a vu par les théories des activités). Cette projection permettrait à l’individu de se préparer, de se positionner vis-à-vis de l’arrivée du système et de trouver d’éventuelles ressources supplémentaires pour l’intégrer.

On a par ailleurs pu reprocher aux théories de l’action de s’être insuffisamment intéressées à la construction du sujet dans une perspective développementale (Quéré, 1999)44 ; à la différence des théories de l’activité. Issu de ces derniers paradigmes évolutionnistes, le courant de la clinique de l’activité se propose d’articuler le fonctionnement du sujet (vision synchronique) et son développement (vision diachronique) dans le cadre de l’activité.

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Plus précisément pour Quéré (1999), la cognition située et la cognition distribuée en restent au fond à une conception procédurale de la pensée, alors qu'elles prétendent s'en détacher. De plus, elles ignorent totalement l'importance des institutions sociales et des pratiques qui pourtant contribuent significativement à économiser nos efforts intellectuels. Enfin, elles manquent la question du sens, lié au contexte sociohistorique.

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