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Ce que nous apportent les modèles de l’acceptabilité sociale a priori dans la compréhension de

3.2 LES MODELES POUR PRONOSTIQUER ET MODELISER LES INTENTIONS D’USAGE :

3.2.2 Ce que nous apportent les modèles de l’acceptabilité sociale a priori dans la compréhension de

Cette seconde partie nous a permis d’aborder l’acceptabilité sociale des technologies à travers différents modèles d’analyse, déclinés selon trois approches. Pour rompre avec un certain déterminisme de la première orientation (basée sur les caractéristiques de l’utilisateur et/ou de la technologie et/ou de l’organisation), les deux dernières orientations mettent l’accent sur l’importance des processus psychologiques de représentation a priori (croyances, attitudes, appréciation, etc.) dans le phénomène d’acceptation d’une TIC. Ces modèles utilisent une grande variété de concepts souvent dérivés les uns des autres, ce qui rend difficile leur comparaison et l’évaluation de leurs apports respectifs. Enfin, si ceux-ci présentent un intérêt non négligeable pour anticiper les raisons d’un possible rejet des technologies, ils restent cependant, à notre avis, assez limités pour appréhender les conditions effectives de l’acceptation. Nous allons nous en expliquer dans les paragraphes qui vont suivre.

a) Des modèles prédictifs pour évaluer l’acceptabilité

Le principal attrait de ces approches « a priori » portent donc sur les prédictions qui peuvent être faites concernant l’usage d’un produit avant sa mise en service. Elles se proposent de modéliser les comportements futurs probables des utilisateurs à partir d’un certain nombre d’indicateurs fonctionnels et socio-cognitifs. En l’absence d’utilisation et de confrontation

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effectives à l’outil, ces modèles donnent la possibilité d’anticiper les raisons -essentiellement subjectives- du rejet ou de l’acceptation d’une technologie sur la base de diverses dimensions : l’utilité perçue, l’utilisabilité perçue, les influences sociales supposées intervenir et les conditions supposées de déploiement de la technologie... (Bobillier Chaumon & Dubois, 2009).

Les démarches que ces modèles déploient (mesures quantitatives à partir de questionnaires et d’échelles de mesure) permettent en outre de se livrer rapidement et de manière assez systématique à un recensement des intentions d’usage sur une grande cohorte d’utilisateurs pressentis ou effectifs. Ces modèles fournissent aussi des indicateurs très précis qui peuvent être - toutes choses étant égales par ailleurs - réutilisés, comparés, et enrichis dans différents contextes et finalités d’usage (domestique, commercial, professionnel, loisirs…) et pour différentes cibles d’utilisateurs (salariés, homme-femme, juniors-séniors…). Enfin, selon les promoteurs de ces modèles (Vanketech, Moris, Davis & Davis, 2003), les résultats obtenus permettent d’agir sur les conditions d’implémentation des futures technologies (accompagnement, communication, formation, marketing…) ainsi que sur la conception par des recommandations ergonomiques et fonctionnelles qui sont injectées dans le cycle de développement.

Pourtant, en dépit du fait que les variables utilisées par ces modèles sont intéressantes pour cadrer et baliser un certain nombre d’éléments sur lesquels une satisfaction a minima doit être obtenue pour assurer l’usage des systèmes, ces pré-requis ne sauraient laisser présager que l’acceptation est définitive et qu’elle se conforme en tous points à ces croyances a priori. Nous allons nous en expliquer en évoquant deux grands types de réserves qui nous semblent assez rédhibitoires, compte tenu de notre champ de recherche en psychologie du travail, et qui vont nous conduire à relativiser la portée empirique de ces approches dans l’analyse des processus d’acceptation technologique en situation.

b) Limites et réserves sur les modèles de l’acceptabilité sociale a priori 1) D’abord des réserves d’ordre épistémologique.

Les critères utilisés pour repérer, voire anticiper les raisons de possibles réticences au changement technologique paraissent insuffisants pour comprendre les motifs réels de non-acceptation de ces outils, une fois implémentés dans leurs contextes effectifs d’usage.

En effet, dans ces modèles prédictifs de l’acceptabilité, l’intention est conçue comme une forme d’engagement de l’individu par rapport à ses comportements futurs, permettant ainsi de prévoir ses conduites possibles vis-à-vis des technologies proposées (en termes d’intentions d’usage ou de maintien de l’usage). Nous pensons au contraire, et nous l’argumenterons notamment plus en amont avec les modèles de l’activité (Ie. Vygostki, 1997 ; Engoström, 2001, Suchman, 1987…) que c’est aussi la situation qui détermine, oriente et rend possible la réalisation ou non de ces comportements et pas uniquement les attitudes ou les

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caractéristiques personnelles des individus. En d’autres termes, si les individus rationalisent ou justifient un comportement possible en l’attribuant à leurs opinions et leurs perceptions, celui-ci peut être complètement différent une fois incarné dans le contexte de sa réalisation. Les attitudes deviendraient ainsi une conséquence du comportement et non l’inverse. Encore dit autrement, c’est l’expérience de l’objet technique dans son environnement d’utilisation effectif qui déterminerait les attitudes favorables ou non à son égard.

Une autre réserve porte sur la manière dont l’acceptabilité situe la technologie. Celle-ci est perçue comme un objet totalement indépendant et autonome par rapport à l’utilisateur et à l’environnement socio-organisationnel dans lequel elle est implémentée. Toute se passerait comme si les composantes d’un système d’activité (individu/technologie/activité) sont des entités hétérogènes qui se juxtaposent les unes aux autres dans les situations d’usage, sans possibilités articulations et d’interactions entre elles. De ce fait, les représentations internes (attitudes, perceptions, cognitions..) et les facteurs situationnels (type d’organisation en présence, utilité perçue du système, marges de manœuvre…) évalués par l’acceptabilité seraient en quelque sorte des modèles figés, cristallisés une fois pour toute, sans possibilité de reconfiguration dans et par l’usage. Or, comme l’a montré notamment Rabardel (1985), les conditions de réalisation de l’interaction H/M conduisent à modifier les propriétés de la technologie et à ré-ajuster les conduites humaines en conséquence, par le processus de genèse instrumentale.

De même, l’outil n’existe pas en soi ni de manière isolé. Il s’inscrit et s’incarne socialement dans des pratiques, dans des habitudes, dans des communautés sociales qui vont aussi guider son usage et transformer ses caractéristiques. C’est donc un objet social dont les enjeux économiques, sociologiques, culturels ou encore psychologiques sont bien plus essentiels que les simples apports techniques. Dans cette perspective, on pourrait dire que la technologie est socialement et psychologiquement façonnée afin d’être acceptée en situation d’usage.

Une dernière réserve reprise de Brangier, Dufresne & Hammes-Adélé (2009) porte sur ce qu’ils appellent le problème de la rétroaction de l’usage sur l’acceptation. Ils indiquent que les études des impacts des technologies sur les personnes, leurs attitudes et l’organisation du travail devraient aussi reposer sur des études longitudinales et pas seulement sur des enquêtes ponctuelles par questionnaires. A titre d’illustration, le TAM ne s’intéresse pas aux effets consécutifs à l’usage d’une technologie, et donc à la rétroaction de l’utilisation d’une technologie sur l’utilisabilité et l’utilité perçues ainsi que sur son intention d’usage. Le feedback de l’utilisation n’est pas prévu par le TAM.

De ce point de vue, l’acceptabilité sociale pourrait être vue comme la première étape d’un processus plus large d’appropriation de la technologie par l’individu. Elle serait alors à envisager comme un fait initial de la relation humain-technologie-organisation, mais certainement pas comme un processus structurant et explicatif de la durée, de la forme et de

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l’intensité de cette relation homme-machine. La temporalité est plutôt exclue des études de l’acceptabilité sociale ; elle est souvent évaluée soit avant, soit dans un délai très court après son introduction (quelques semaines à quelques mois).

2) Une seconde série de réserves d’ordre méthodologique

− Un outil de mesure partiel et partial. Le questionnaire par échelle de mesure est la méthodologie privilégiée pour évaluer l’acceptation et cela ne serait pas sans poser un certain nombre de difficultés selon Brangier, Hammes & Bastien (2010). D’abord, le questionnaire réduit la connaissance de la réalité du travail des personnes impactées par la technologie. Ensuite, bien que le questionnaire puisse conclure statiquement à un lien entre la perception des technologies et les intentions d’usage, il ne donne qu’une vue réduite à un nombre limité de variables du sens donné par les personnes à leur acceptation ou à leur rejet. Enfin, on peut se poser la question de ce que ces méthodes quantitatives évaluent réellement au final (Bobillier Chaumon & Dubois, 2009b) : est-ce la manière dont les individus s’imaginent les incidences d’une technologie par rapport à un contexte d’usage hypothétique et selon différents indicateurs fournis par les échelles de mesure ? (i.e. satisfaction personnelle, utilité et facilité apparente du système, confiance dans ses

capacités (contrôle perçu), conditions d’accompagnement…). Ou bien, ces outils

n’évaluent-ils pas plutôt l’expérience projetée des individus, par rapport à des systèmes similaires ? Autrement dit, l’acceptabilité sociale, telle qu’elle est formulée et évaluée par les questionnaires, ne prédirait pas les intentions d’usage sur les outils à venir mais recenserait plutôt les ressentis des usages passés.

− Des technologies indifférenciées. Dans certaines études, les technologies sont évaluées globalement, sans distinction les unes des autres. On demande alors aux personnes de se positionner sur ‘’Les’’ technologies en général ; comme internet, les smartphone, les logiciels bureautiques, la banque électronique…. L’acceptation est en quelque sorte appréhendée comme étant indépendante des contenus applicatifs. Il n’y donc pas d’analyse spécifique effectués selon les caractéristiques techniques, les domaines fonctionnels ou encore les finalités d’usage des outils. Or, les objectifs de l’utilisateur (professionnels, métiers, loisirs, …) dépendent fortement des possibilités des environnements technologiques. Un progiciel métier n’aura ainsi pas les mêmes impacts et ne sera pas perçu de la même façon en termes d’enjeux professionnels qu’un dispositif de communication comme un smartphone, qui lui-même propose diverses fonctionnalités… Les caractéristiques des technologies modifient les niveaux d’acceptation et peuvent remettre en cause le principe même de l’acceptation.

- De nouvelles modalités d’interaction ignorées. Les technologies innovantes comportent des facteurs de changement qui ne peuvent pas toujours être anticipés de manière a

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interactions humain-humain et humain-système. C’est aussi créer de nouveaux usages et agir sur les pratiques existantes » (Mollard & al., 2012). Il apparaît donc difficile de

prédire autant les capacités d’utilisation que les effets (bénéfiques, négatifs) de tels dispositifs qui n’ont pas d’équivalent dans l’expérience ou dans l’environnement proche de l’utilisateur. Les facteurs inhérents à la complexité de ces nouveaux systèmes ne peuvent être perçus a priori, puisqu’ils ne se dévoilent qu’à l’usage, et l'information qui sert de base à l’évaluation de l’acceptabilité reste également partielle30.

En définitive, les théories de l’acceptabilité sociale admettent l’existence d’une capacité du sujet à anticiper les apports possibles des technologies par le biais d’un ensemble d’affirmations et de présupposés d’arrière-plan auxquels nos attitudes et nos actions sont des réponses. C’est donc un modèle causaliste et déterministe qui présuppose le caractère rationnel, puissant et univoque de la cognition humaine qui dicterait en quelque sorte les conduites et structurerait nos comportements, indépendamment du contexte et de l’activité. Ces modèles évacuent les contraintes et les contradictions propres à l’activité telle « qu’elle se

fait ». Ils ne tiennent pas non plus compte de la communauté sociale et des pratiques d’usages

pré-établies dans lesquelles ces technologies s’inscrivent.

Toutefois, il faut aussi considérer que c’est le choix épistémologique de ces approches de vouloir se cantonner à un moment du processus d’acceptabilité (en amont de l’usage réel) et de s’appuyer pour cela sur des théories et des méthodes qui servent cet objectif.

Malgré tout, elles nous paraissent à la fois insuffisantes et inadaptées pour aborder l’acceptation dans l’activité et ce, dans la perspective de notre champ disciplinaire en psychologie du travail et psychologie-ergonomique, qui cherche à appréhender l’individu en situation. Pour ces raisons, il est nécessaire d’élargir la compréhension de l’acception aux situations effectives d’usage afin d’être plus à même de comprendre les processus qui s’y jouent.

30 Précisons toutefois, que des tests utilisateurs permettent aussi de prédire l’utilisabilité du dispositif (et son acceptabilité) en plaçant l’individu dans une situation de quasi-usage réel.

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4 L’ACCEPTATION SITUEE : DANS L’USAGE ET PAR L’ACTIVITE

L’objectif de cette partie est de montrer que l’acceptation des technologies ne peut se réduire à une logique purement intentionnelle -dont l’acceptabilité sociale serait l’émanation- et qui pourrait être pré-déterminée a priori, dans une temporalité finie et dans un contexte désincarné. Dans le même ordre d’idées, il ne s’agit pas non plus de considérer la technologie comme extérieure à l’individu et hors de tout processus de médiatisation humaine, sociale et située. Bien au contraire, c’est un artefact sur lequel l’individu peut agir, transformer, développer, et par là même se développer lui-même.

Trois niveaux d’analyse se dégagent dès lors pour rendre compte de la relation de l’homme à la technologie.

− Elle peut être analysée du côté de la conception, comme étant une finalité (conception pour l’usage) ou un moyen (conception par l’usage) d’élaborer et d’adapter le mieux possible les objets techniques aux contextes d’utilisation (Béguin & Cerf, 2004). Ce sont principalement les perspectives et modèles en ergonomie de la conception que nous avons déjà pu évoquer auparavant au travers de l’acceptabilité opératoire, et sur lesquels nous ne reviendrons pas ici.

− Elle peut être appréhendée au niveau de son contexte d’implémentation en se focalisant sur les impacts des technologies : sont-ils intrinsèquement liés aux dispositifs techniques qui les déterminent ou dépendent-ils plutôt des usages et de l’appropriation qui en est fait ? Cela fait référence à la construction sociale de l’usage que nous aborderons plus spécifiquement dans la prochaine partie.

− Elle peut enfin être envisagée d’un point de vue plus situé et systémique, au travers des modèles de l’activité pour lesquels la nature et le sens de chaque artefact technique ne peut être comprise que dans le contexte de l’activité humaine réelle. Il s’agit alors d’identifier la façon dont les gens utilisent cet artefact, les besoins auxquels il répond et l’histoire de son développement.

En s’appuyant sur ces différentesapproches, nous voulons surtout montrer que l’acceptation d’une technologie ne peut se limiter à la « seule » représentation de ses avantages et de ses inconvénients attendus dans un contexte possible d’usage. Elle débute dès la conception, par la prise en compte de l’usage et de l’usager. Elle se poursuit dans l’implémentation, par les capacités d’appropriation et de détournement du dispositif, qui se manifestent dans l’usage. Et elle se renouvelle aussi dans et par l’activité qui se développe, et qui façonne par là-même l’usage des technologies. Les différents travaux de recherche que nous avons menés viendront nourrir cette réflexion.

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4.1 L’inscription sociale des usages : pour une constrution sociale de