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La Théorie de la Justification appliquée au mécénat d’entreprise

Dans le document Fundraising : un accord entre deux mondes (Page 114-119)

Les 6 premières Cités sont considérées comme des Cités « complètes » par Boltanski et Thévenot, et depuis longtemps « stabilisées » par un ensemble de règles communément admises par tous Elles

2.1 La Théorie de la Justification appliquée au mécénat d’entreprise

Nous avions émis l’hypothèse que la Théorie de la Justification serait une bonne grille d’analyse pour étudier comment s’élabore la relation et se conclut un accord mécène entre une OIG et une organisation mécène.

C’est une théorie de l’action particulièrement adaptée à l’étude des actions de l’homme « hypermoderne », cher aux sciences de gestion et à la GRH, car elle reconnait à l’acteur la capacité de juger d'une situation et de s'y ajuster (Livia 2011, p. 4). Cette théorie est issue du courant conventionnaliste qui considère que les actions sont intriquées dans des dispositifs technico-socio- économiques. Elle s’inscrit dans la lignée des travaux sur l’acteur-réseau développés par Latour, Callon et Akirch. A la notion d’action rationnelle prônée par l’économie classique, la « sociologie pragmatique » développée dans DJ oppose l’idée d’une action « raisonnable » qui est « le sens moral qui sous-tend l'engagement dans une coopération équitable. » (Eymard-Duvernay p. 181). Or, nous l’avons vu, le mécénat est avant tout une affaire de liens et de responsabilité. Il ne s’agit pas d’une action rationnelle mais bien raisonnable qui suppose une intrication dans la Société, une compréhension de ses enjeux, et une volonté de s’engager avec justesse en faveur d’une action légitime.

Par ailleurs, dans la Théorie de la Justification, la pluralité des pratiques est abordée à travers la question des valeurs. Nathalie Heinich parle ainsi de De la justification (DJ) comme d’un « effort de construction d’une sociologie des valeurs » (Heinich, 2009, p. 88). Boltanski lui-même parle d’une « sociologie morale » et d’un « effort pour réinsérer dans l'étude de l'action des personnes en société, les raisons d'agir et les exigences morales qu'elles se donnent ou voudraient se donner, ne serait-ce qu'à titre d'idéaux. » (Boltanski, 2009 p. 15). Or, ces valeurs ont bien une place centrale dans les discours des acteurs du mécénat d’entreprise, en tant que raisons d’agir, idéales, morales.

Il en va de même avec la notion de « faire le bien ». Dans son dernier ouvrage (Boltanski 2009, p. 32- 34) Boltanski précise que le Modèle des Cités permet de traiter les problèmes (et notamment les contradictions) liés à la référence au bien. Le Modèle des Cités est ainsi adapté à une Société dans laquelle le bien est attaché à des situations et non à différents types d’individus (comme dans le système des castes) car ainsi, « l'action orientée vers le bien se trouve affrontée à une exigence de justification ».

Enfin, grâce à l’étude des termes utilisés par les acteurs, la Théorie de la Justification permet d’identifier dans des situations, des références à des « biens communs » (attachés aux Mondes) et des <principes supérieurs communs> (attachés aux Cités). Elle paraît dès lors pertinente pour questionner la notion de bien commun, d’intérêt général et notamment d’engagement pour un projet d’intérêt général.

Parce qu’elle offre la possibilité de comprendre ce qu’est, pour un acteur, une action jugée juste et légitime, la Théorie de la Justification semble en effet particulièrement adaptée à l’analyse de la mise en place d’accords. Nous avons vu que les mondes de l’entreprise et des OIG s’opposaient sur bien des points. Dans ces conditions, la recherche d’un accord nécessite de concilier des Mondes différents organisés selon des Cités distinctes. Pour trouver un accord dans cette situation, les deux parties doivent choisir un principe supérieur commun ou recourir à un compromis permettant d’éviter la dispute en élaborant une situation composite qui permet de dépasser l’épreuve (DJ327). Boltanski et Thévenot distinguent l’« accord » stable (qui nécessite le choix d’une Cité commune aux 2 acteurs pour

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sceller l’accord), de l’« arrangement » (qui permet à chaque acteur de conserver le <principe supérieur commun> spécifique à la Cité qui organise son Monde) et du « compromis » (situation associant les Mondes de chacun des acteurs, parfois frayée mais souvent peu claire et potentiellement instable)383. Les enjeux du mécénat (enjeux diffus mais réels, essentiellement de l’ordre de la reconnaissance des parties prenantes) sont également susceptibles de bénéficier de la richesse de cette grille d’analyse à travers la notion d’<Etat de grand>. Nous avons ainsi émis l’hypothèse selon laquelle les « grandes » OIG, qui intéressent les entreprises, seraient celles pour lesquelles le capital d’engagement est le plus important. Il nous reste à déterminer qui sont les « grands » et les « petits » mécènes, comment se déroule l’<épreuve>, quels en sont les formes de l’<évidence>, etc.

La Théorie de la Justification serait donc tout à fait adaptée à l’étude du mécénat d’entreprise. Dans celui-ci, des acteurs sont capables de prendre des décisions, pas nécessairement rationnelles mais souvent raisonnées, pour rassembler autour d’un projet deux mondes que tout semble opposer ; les acteurs se référant à deux mondes se retrouvent pour faire le bien autour de valeurs communes et au service de l’intérêt général ; si leur engagement est jugé légitime, ils sont susceptibles de profiter en retour de la reconnaissance publique.

Afin de pouvoir opérationnaliser cette théorie sur notre terrain d’étude, il est cependant essentiel de vérifier si les termes utilisés dans le mécénat appartiennent bien aux répertoires des Cités déjà décrites et sont bien spécifiques à ces Cités (au sens où ils ne sont pas utilisés dans plusieurs Cités). 2.2 Le don et le mécénat dans la Théorie de la Justification

Dans DJ, Boltanski et Thévenot associent le don à plusieurs Cités. Nous allons vérifier la pertinence de cette mise en correspondance.

Selon Boltanski et Thévenot, le don unilatéral relèverait d’abord de la Cité inspirée. « L’abandon à la grâce conduit au détachement par rapport aux grandeurs domestiques » (DJ112). « La référence à [la Cité inspirée] demeure indispensable chaque fois que les personnes accèdent à la grandeur en se passant de la reconnaissance des autres et sans se préoccuper de l'opinion des gens. » (DJ113). Dans ce cas, le don est quelque chose qui est en soi et ne dépend pas de l’opinion des autres. Choisir la cause juste à soutenir nécessite une référence à la Cité inspirée : « L’évidence [dans le Monde de l’inspiration] prend la forme d’un état affectif, d’un sentiment intérieur et spontané […] [qui] ne réclame [pas] l’approbation des autres » (DJ205)

Le don qui appelle de la reconnaissance appartient au Monde de l’opinion. Ainsi l’établissement de « la Cité inspirée exige […] le renoncement à la gloire. [La Cité inspirée est] le lieu d'une tension permanente avec la grandeur d'opinion. » (DJ115) « La parole qui sort de la bouche et les actes qui arrivent à la connaissance des hommes contiennent l’une des plus dangereuses tentations ; elle vient de cet amour de la louange qui, pour une certaine excellence personnelle, amasse des suffrages mendiés ». (Confessions, Saint Augustin, vol 1’ p. 257 Cité par DJ115). « Les êtres à l’état de petit [du Monde de l’inspiration] sont définis par référence au Monde de l’opinion, en ce qu’ils recherchent la considération et attachent de l’ « importance » à la « position sociale et aux « signes extérieurs de

383« Le compromis demande que les différents biens en concurrence soient rapprochés de façon, […] à se limiter les uns les autres sans

qu’un bien l’emporte au point d’éliminer la référence à des biens alternatifs ». « Alors, les êtres et objets des deux Mondes peuvent demeurer en présence les uns des autres ». (CF316).

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réussite » (DJ206). Nous voyons donc là que, si le don anonyme appartient plutôt au Monde de l’inspiration, le don de magnificence appartient plutôt à celui de l’opinion. Boltanski et Thévenot notent (DJ131) que « dans la Cité de l'opinion, des litiges surgissent lorsque l’écart se creuse entre l'estime que l'individu a de lui-même et l'estime que les autres lui portent, qui est la réalité ». Selon la Théorie de la Justification, dans le monde de l’opinion, la « réalité » est ce que pensent « les autres ». Est-ce une possible explication de la critique que l’on fait du mécénat, critique qui subviendrait lorsque l’engagement de l’entreprise est coordonné par la Cité de l’opinion ? Cela suggère aussi que la Cité de l’opinion serait préférentiellement mobilisée lorsqu’une entreprise (ou un chef d’entreprise) souhaite réduire l’écart entre sa bonne opinion sur l’entreprise et celle portée par les parties prenantes (amour propre, différentiel entre estime de soi et regard des autres).

Les dons qui entretiennent des relations hiérarchiques appartiennent quant à eux au Monde domestique. Pour rapprocher les dons de prestige de la Cité domestique, Boltanski et Thévenot s’appuient sur la personne du Prince chez Bossuet384(DJ124) : « La "magnificence", qui pourrait être interprétée comme une manifestation égoïste d'attachement aux biens terrestres et au pouvoir n'en relève pas moins […] du sacrifice et du don de soi. Le Prince joint en effet "les grandes dépenses aux grands desseins". Il exprime sa grandeur par des "dons magnifiques". Aux "dépenses de nécessité" s'ajoutent les dépenses "de splendeur et de dignité" qui "ne sont pas moins nécessaires pour le soutien de la majesté" ». Il en va de même pour les dons destinés à signifier la considération d’une personne. Ainsi, les personnes « ont un même désir d’être reconnues [et] la passion d’être considérées. » « Le collaborateur veut pouvoir expliquer quel est son rôle [dans son entreprise] et, partout être considéré, une partie de la notoriété [de l’entreprise] dans laquelle il travaille rejaillissant sur lui » (DJ224). De même, « un subordonné est toujours très sensible à la considération […] qu’on lui porte. » (DJ215). « Dans le Monde domestique […], les petits cadeaux entretiennent l’amitié et lient parce qu’ils réclament un retour » (DJ212). Il en va de même pour les dons au sein de la famille : « tout ne s’achète pas. […]. Il ne faut pas donner [aux enfants] l'idée que tout s'achète. De même, l'argent nuit aux relations entre proches. On ne parle pas d'argent en famille, […] les biens patrimoniaux [circulent] par le don parce qu'ils sont attachés au domaine domestique » (DJ300). Enfin, selon les auteurs il en va de même pour les dons charitables qui créent une hiérarchie entre le donateur et le bénéficiaire (DJ66). Le don solidaire, quant à lui, appartient au Monde civique. Pour Boltanski et Thévenot « la satisfaction de l’aspiration des hommes », « le caractère humanitaire d’un travail », « les valeurs humaines qui dépassent les critères économiques » ou encore « l’effort collectif de solidarité », sont des valeurs qui expriment la dignité de l’homme dans le Monde civique (DJ400).

Le don raisonné appartient au Monde marchand. Nous avons vu que le don « moderne » était sollicité et que les projets soutenus sont, en quelque sorte, mis en balance. Le donateur compare les projets qu’il pourrait soutenir ; le sérieux d’une sollicitation, la réputation de la structure portant un projet, les montants demandés sont des critères d’évaluation. Le don devient ainsi un don « par intérêt », au sens où il se construit autour d’un désir calculé. Selon les auteurs de la Théorie de la Justification, l’intérêt est à relier au désir(marc)385: « l’intérêt est [une] vraie motivation, le propre de [l’] ego qui fait

384Bossuet, Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte, 1709.

385Lorsque cela sera jugé nécessaire, nous mettrons en exposant et entre parenthèse l’abréviation de la Cité associée à un terme. Par

exemple « désir(marc)» indique que le terme « désir » est associé à la Cité marchande

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être [soi]-même en désirant obtenir satisfaction. On réussit par la force de ce désir, parce que l’on aime. » (DJ246). Le don moderne, raisonné, véhicule donc aussi des valeurs marchandes.386

Selon les auteurs, le don entre particuliers relève ainsi tour à tour du Monde de l’inspiration, de l’opinion, domestique, civique et même marchand ! Selon ces mêmes auteurs, la demande, ou l’offre, d’un don peut être en fait justifiée dans plusieurs Mondes comme le montre l’exemple qu’ils donnent dans DJ333 : une cause à soutenir peut être argumentée sur le mode marchand, mais aussi dans le Monde de l’opinion, inspiré ou industriel.

Qu’en est-il du don entre organisations ?

Nous l’avons vu, le mécénat reste avant tout un don visant, comme le don des particuliers, à créer du lien. Dans une première approche, nous pouvons donc supposer que les actions de mécénat reposent aujourd’hui sur les différentes formes de coordination principale du don entre particuliers, à savoir :

- la Cité inspirée : mécénat guidé par l’engagement intime du chef d’entreprise ;

- la Cité de l’opinion : mécénat d’image cherchant à asseoir une réputation et ou une notoriété ; - la Cité domestique : actions de mécénat évoquant les traditions de l’entreprise ou une

responsabilité sociale envers la Société hérité d’une dette ; - la Cité civique : solidarité, engagement citoyen de l’entreprise ;

- la Cité marchande : obtention d’avantages concurrentiels, désir d’accéder à un capital sympathie ou un capital d’engagement, engagement à l’issue d’une mise en concurrence des projets, appels à projets.

A ces 5 modes de coordination, directement transposés de l’analyse par Boltanski et Thévenot des formes de don des particuliers, il nous semble nécessaire de rajouter :

- la Cité par projet : développement ou maintien de ses réseaux d’affaires ;

- la Cité industrielle : le mécénat organisé, planifié, optimisé tel que revendiqué dans la pratique de la « venture philanthropy ».

Ces premiers éléments suggèrent que, dans une situation de mécénat, l’engagement de l’entreprise est susceptible d’être évalué et jugé selon les 7 modes de coordinations (Cités) déjà décrits.

Boltanski et Thévenot dans DJ ont relevé un certain nombre de compromis qui s’appliquent à des situations de mécénat : le développement d’une bonne image, de relations publiques, les gestes spectaculaires, l’organisation de galas et de réception, etc.

Ainsi L’image d’un projet (d’une marque ou de l’entreprise, cf. DJ394) procède d’un compromis opinion-marchand (opi-marc) stabilisé dans le Monde industriel ou domestique 387 . Les gestes

spectaculaires procèdent d’un compromis inspiré-opinion(insp-opi). Ils « mettent les instruments de

386Boltanski et Thévenot notent par ailleurs (DJ252) que certains auteurs voient dans «la construction d’une sphère des relations

intéressées » l’existence possible de relations désintéressées. (les auteurs font notamment référence aux travaux de Silver, 1989).

387« Les relations publiques impliquent […] un compromis entre le Monde de l’opinion et le Monde marchand » (DJ195). Le sponsoring est

quant à lui analysé comme la « composition d’une grandeur marchande à partir d’une grandeur de l’opinion » (DJ393). Pour être stabilisé, le compromis opinion-marchand autour de l’image d’un projet nécessite de s’étendre à un troisième Monde. Ce troisième Monde peut être le Monde industriel lorsque la stabilisation se fait au vu de l’efficacité(indus)du projet soutenu (c’est le cas lorsqu’un fundraiser utilise

les outils du reporting pour rendre compte de l’usage des dons et des résultats obtenus). Ce troisième Monde peut être aussi le Monde

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l'opinion au service de causes collectives ». Ils « supposent […] la présence des autres, mais sans leur être explicitement destinés388. » (DJ366). Le fait de Mettre son nom au service d’une cause est un compromis opinion –civique « soutenu par des objets, des personnes ou des dispositifs ayant à la fois pour qualité d'être célèbres(opi) et, d'autre part, d'être au service du bien commun(civ)» (DJ388). Apporter une caution389à un projet ou une cause fait référence à « la grandeur dont les êtres grands dans le Monde de l'opinion peuvent bénéficier dans d'autres Mondes » (DJ391). Par le truchement d’une autorité compétente (scientifique, politique, artistique,) le cautionnement certifie la réalité (le bienfondé d’une cause par exemple). En effet « dans le Monde de l’opinion, l'apparaître et la réalité se confondent ». (DJ389). Il est donc légitime dans ce Monde de créer de toutes pièces un événement, comme faire venir un officiel(civ)par exemple. « Les officiels […] apportent leur caution ». [Ils s’agit de] personnalités, des personnes en vue(opi)envisagées dans des situations qui les relient à l'intérêt général (civ)». Les personnalités incarnent l’opinion du fait même qu'ils sont célèbres. « Dans les comités de

soutien, la réunion des individus célèbres est déterminée par le service d'une cause(civ)» (DJ389).

L'inauguration est une manifestation(opi-civ)qui consiste à « prendre un objet, produit de l'industrie, pont, édifice, vaisseau, etc., et à le détacher du Monde industriel pour le consacrer à l'intérêt général, le remettre à tous et le rendre public. Il est alors traité, le temps d'une cérémonie, comme un objet du Monde civique » (DJ390). La campagne fait quant à elle « appel à des thèmes mobilisateurs évalués au degré auquel ils sont accrocheurs(opi)et attirent l'attention dans l’objectif de créer un climat(opi) favorable à l'adhésion » (DJ392). Boltanski et Thévenot notent que dans une campagne « les dispositifs qui doivent susciter l'adhésion(civ)sont […] très favorables à la confusion des grandeurs civique et de l'opinion car, les aspirations de tous ne pouvant s'exprimer directement, doivent être traduites par une organisation qui, suscitant la prise de conscience des personnes, est chargée de les diffuser(opi). On parlera alors d’influence(opi)» (DJ392) (nous retrouvons dans le mécénat des dispositifs similaires comme les passeurs par exemple dont le rôle est selon nous de servir à traduire le projet). La réception (galas, etc.) est « purement domestique lorsqu'il s'agit de resserrer des liens d'amitié avec ses proches », mais elle « penche vers le Monde de l’opinion dès qu'il est question de relations et de connaissances ». Ce compromis domestique – opinion « s'affirme quand la réception est donnée pour un moyen de se faire des relations en côtoyant des personnes importantes » (DJ371). La « mobilisation » est analysée pour Boltanski et Thévenot comme un compromis entre l’« enrôlement pour une cause dans le Monde civique (la mobilisation consciente et active du plus grand nombre […]) et la captation des regards dans le Monde de l’opinion (trouver des sujets nouveaux susceptibles de mobiliser l'intérêt du public(opi)) » (DJ386).

De nombreuses situations relevées dans les pratiques mécènes apparaissent donc comme des compromis entre des Cités. Le processus permettant un accord entre les Mondes dont relèvent l’OIG et l’entreprise serait alors un ensemble de dispositifs composites390en situation de compromis. Les

388« Dans sa pureté naturelle, le geste inspiré est solitaire. Mais il n'exerce dans ce cas aucun effet direct sur autrui. Pour constituer un

instrument efficace de mobilisation, le geste doit être visible et saillant. Mais il risque alors d'échapper au monde inspiré pour basculer complètement dans le monde de l’opinion, ce qui lui fait perdre sa valeur démonstrative. » (DJ365) « Le geste ne peut susciter une mobilisation que s'il est connu des autres, sans qu'on puisse l'accuser pour autant d'avoir été accompli dans l'intention d'agir sur autrui. Si tel est le cas, il peut en effet être dénoncé comme « intéressé » et comme «instrumental » ; on parlera, par exemple, du « geste calculé » de quelqu'un qui veut se donner en spectacle(opi), se rendre intéressant, se faire bien voir ou se faire aimer du public. (DJ366).

389Donner sa caution se réfère, dans le monde où l'opinion fait équivalence, à l'opération par laquelle un être accroît sa puissance en

faisant d'un autre un allié dont le crédit lui apporte un surplus de force (voir Bruno Latour, 1983, les Microbes, Ed Métaillé, cité dans

DJ390).

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exigences communes à plusieurs Mondes favorisent en effet les passages et les compromis entre ces Mondes. Ainsi, la bonne gestion est une exigence commune aux Mondes civique, marchand et domestique. Engagées dans un compromis, ces exigences prennent des formes spécifiques : le suivi de l’affectation des dons par exemple dans le cas de l’exigence de bonne gestion de l’entreprise rencontre l’exigence de probité de l’OIG. Ainsi selon l’avis même des 2 sociologues, le mécénat apparait comme une situation mal stabilisée à cheval entre deux mondes.

Toutes ces situations mobilisées typiquement dans le cadre de la construction d’un accord de mécénat font apparaitre la forte représentation de compromis civ-opi. Dès lors, Boltanski et Thévenot décrivent le mécénat d'entreprise comme « pouvant » associer l' « intérêt national »(civ)à une action de « relations publiques ». Le mécénat est associé par ces auteurs à une situation de compromis « jetant un pont » (DJ388) depuis le Monde de l’opinion vers le Monde civique.

Dans le document Fundraising : un accord entre deux mondes (Page 114-119)