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Les régimes d’engagement

Dans le document Fundraising : un accord entre deux mondes (Page 104-107)

En 10 ans, la législation fiscale a donc opéré un changement de perspective Les associations qui étaient au centre de la polémique sur l’intérêt général sont désormais une structure parmi d’autres.

2/ le cadre qui impose aux OIG de restreindre leurs recettes marchandes protègerait l’OIG contre elle même et le possible désir de marchandiser ses services pour avoir accès à plus de ressources, et contre

1.2 Les régimes d’engagement

Selon Thévenot (2006, 2009), il existe 3 niveaux d’engagements dans l’action : l’engagement intime (dit « familier »), normal (ou « en plan ») et public. Ces 3 régimes « caractérisent la modalité d'un ajustement réaliste au monde » et le « genre de bien […] qui permet d'évaluer cet ajustement. » (Thévenot 2009, p. 40).

Le « régime du familier » correspond à un « engagement familier dans le plus proche » (Thévenot, 2009, p. 46). Cet engagement repose sur les « entours » de la personne, c'est-à-dire ses « effets personnels ». Aussi, « toute exposition de ces entours tend à l'affecter en personne » et « le soin qui lui est consacré est ainsi soin à ses entours ». L’engagement à travers ce régime repose sur une « garantie gagée sur les attachements ». En effet, sous ce régime, « l'offre d'un engagement [auprès d’une personne] livre en gage une part de la personnalité [de celle-ci], et prend le risque d'une lésion de la personnalité blessée au cas où l'offrande reste sans suite » (ibid.). Ce mode d’engagement est un préalable (un point d’appui) à un engagement plus impliquant qui est celui qui lie les personnes par

365Pour distinguer les assertions communes du mot « monde » et « cité » de celles utilisées dans DJ, nous utiliserons une majuscule pour

les « Mondes » et les « Cités » au sens de Boltanski et Thévenot (1991).

366La rédaction de DJ se situe entre 1984 et 1987.

367DJ est l’acronyme de De la justification de Boltanski et Thévenot 1991. Compte tenu du nombre de citation issu de cet ouvrage nous

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« amour, amitié, soin, ou sollicitude » (ibid.). En d’autres termes le régime du familier correspond à un engagement intime de l’individu. Cet engagement mobilise sa personnalité. On retrouve cette forme d’engagement dans le bénévolat, le militantisme et la philanthropie des individus. Le bien mobilisé ici est l’entour de l’individu. Il s’agit d’un mode d’engagement qui engage physiquement les personnes. Le « régime du plan », à travers un projet, offre une garantie temporelle et fonctionnelle constituant le « préalable des engagements avec autrui impliquant des biens de plus large portée tenus dans la promesse, la responsabilité, le contrat » (ibid.). En d’autres termes le régime du plan correspond à la dimension stratégique et raisonnée de l’engagement dans une action. Il correspond aux calculs préalables à l’action, c’est-à-dire, dans notre cas, aux « motivations » des organisations mécènes. Enfin le « régime conventionnel », ou « public », ancre les capacités d’une personne dans la communauté en lui attribuant notamment un état de grandeur. Ce régime d’engagement correspond à la justification publique des actions. L’engagement public est celui qui s’exprime par exemple lorsqu’une organisation mécène s’engage publiquement à soutenir une cause d’intérêt général. C’est ce type de régime d’engagement que nous mobiliserons, ci-après, à travers la Théorie de la Justification, pour étudier l’action mécène et la construction d’un accord mécène.

Pour Laurent Thévenot « l’engagement étend l'idée de promesse » (Thévenot 2009, p. 53). Il permet aux personnes de se lier à elles-mêmes, aux autres et au monde. En ajoutant à l’individu (qui se vit dans la permanence) une dimension temporelle, l’engagement permet de lui donner une « consistance ». L’engagement est un appui qui passe par la reconnaissance par autrui du « propre » engagé par l’individu.

Résumons-nous. Dans le « régime familier » de l’engagement, il s’agit d’un engagement qui n’a pas besoin d’être formulé, mais qui contient « une promesse à l'égard du maintien de sa personnalité » (Thévenot 2009, p. 53). L’amitié ou l’amour correspondrait dès lors à la reconnaissance de la prise en charge par un autre individu de cette promesse. Dans le « régime du plan d’action », l’engagement est une promesse attestée par le projet qui, en échange de l’engagement de l’individu, garantit la « reconnaissance par autrui de son avenir, et prépare des engagements contractuels mutuels » (Thévenot 2009, p. 53). Dans le « régime public », l’engagement permet d’assurer la reconnaissance publique de la personne en échange de sa participation au bien commun.

Le m éc éna t : un acco rd ent re d eux m onde s: De la ju st ifi ca tio n 1erniveau d’engagement 2èmeniveau d’engagement 3émeniveau d’engagement

Type de régime Régime du familier Régime du plan Régime public (ou

conventionnel)

Etat initial Personne Individu Citoyen

Bien sur lequel l’engagement s’appuie (dépendance matérielle)

personnalité, effet personnel projet participation au bien commun Type d’engagement en jeu gage/offrande de la personnalité garantie temporelle et fonctionnelle du projet

qualification dans un état de grandeur.

Accès à des biens de plus large portée (promesse)

l‘amour, l’amitié, le soin, la sollicitude

la responsabilité, le contrat la reconnaissance publique de la personne (de l’organisation mécène ici)

Bénéfices maintien de la personne fiabilité légitimité

Capacité de projection acquise (Etat final)

Individu (La « personne » devient un « Individu », potentiellement porteur de plan)

par son engagement, l’« individu », devient un « Citoyen »

Accès à l’état de « Grand »

Figure 12 : Les 3 régimes d'engagement de Thévenot et les promesses qui leur sont associées

Laurent Thévenot avance ainsi que « les dépendances d'une personnalité à l'aise dans l'usage de ses entours constituent un préalable au cheminement vers des formes plus publiques de rapport au monde » (Thévenot, 2009, p. 46). Il montre par là aussi que l’engagement public (le « bienfait public ») repose sur les relations de l’individu à ses entours : son « authenticité », son « intimité », et ses « attachements de proximités ».

Daniel Cefaï ne semble pas dire autre chose lorsqu’il écrit que « penser l'engagement public requiert […] de comprendre comment il émerge sur fond de confiance dans le monde » (Cefaï, 2009, p. 211). Pour autant Daniel Cefaï met en garde sur le fait que l’on ne peut pas accéder à des régimes d'engagement sans tenir compte qu’il existe de fait un « ballet entre motifs autoattribués [par l’acteur à ses actions] et motifs attribués [par l’observateur à des actions] », et « une simultanéité des motifs de s'engager » qui « n'ont de cesse de circuler et de hanter plusieurs Mondes368» (ibid. 2009, p. 209). Selon lui, l’engagement se justifie en « se coulant » dans des « répertoires discursifs » où sont « puisés les bons motifs et des règles normatives à respecter pour bien formuler les motifs » (ibid. p. 210). Il note par ailleurs que les « motifs » évoqués sont également contraints par la situation qui, elle-même, s’inscrit dans un territoire, dans une relation et un historique spécifique avec les interlocuteurs, et « dans une orientation stratégique en ce qu'ils visent à qualifier l'action, à en configurer une version narrative et à convaincre un auditoire de destinataires » (ibid. p. 210). Au-delà, la rhétorique les motivations avancées pour une action constitue la « partie émergée des matrices d'expérience et d'activité, d'identification de personnes et de choses, d'accommodation à des milieux et de coordination entre acteurs, de passage d'épreuves, de qualification de preuves, et de formulation d'arguments qui constituent des Mondes ». (ibid. p. 209).

Les régimes d’engagement, les biens et promesses auxquels Thevenot et Cefaï se réfèrent, rendent bien compte de l’engagement pluriel relevé au cours de notre étude de la littérature sur l’engagement des entreprises en faveur de l’intérêt général : engagement intime des personnes (salariés bénévoles, entrepreneurs de morale), valorisation des actions soutenues (mécénat stratégique, cause-related

marketing, etc.), communication et justification publiques de l’engagement mécène (motivation,

avantages attendus). Ainsi, l’action et le discours subjectif sur l’engagement qui sous-tend cette

368C’est nous qui mettons une majuscule à « Monde », (cf. note 365, p. 94).

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action sont liés. Nous allons nous attacher au régime d’engagement public, à son appel sous-jacent au régime du familier et au régime de l’action en plan.

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