• Aucun résultat trouvé

Cadre définissant la possibilité de Cités supplémentaires

Dans le document Fundraising : un accord entre deux mondes (Page 124-126)

Les 6 premières Cités sont considérées comme des Cités « complètes » par Boltanski et Thévenot, et depuis longtemps « stabilisées » par un ensemble de règles communément admises par tous Elles

3.3 Cadre définissant la possibilité de Cités supplémentaires

Nous avons vu que les 7 Cités peuvent être mobilisées, seules, ou en situation de compromis, pour déterminer les modes de coordination principaux utilisés dans les dispositifs mécènes. L’étude du contexte (époque de rédaction de DJ, choix des guides utilisés) dans lequel Boltanski et Thévenot ont identifié et décrit les Cités qui ont permis d’analyser des situations types que nous retrouvons dans le mécénat, nous a amené à suspecter l’existence possible de biais. L’analyse fine, de deux thèmes centraux du mécénat (les notions d’engagement et de liens) nous a permis de mettre en doute leur appartenance univoque à la Cité qui leur avait été attribuée, et de révéler des modes de coordinations sous-jacents non pris en compte dans les 7 Cités décrites jusqu’à présent.

Le m éc éna t : un acco rd ent re d eu x m onde s: De la ju st ifi ca tio n

Notre objectif est d’analyser les situations de mécénat à travers la grille d’analyse des Cités. Pour cela, il nous faut impérativement posséder un jeu de Cités complet, c’est dire permettant d’analyser tous les modes de coordination présents.

Les termes utilisés dans le cadre du mécénat étant étrangers à la grammaire des Cités auxquelles ils avaient été associés, il faut envisager l’existence (pour l’instant purement théorique) d’autres Cités auxquelles ils pourraient faire référence.

Boltanski et Thévenot ne prétendent en effet pas que les exemples de philosophie politiques retenus « couvrent la totalité des ordres de société qui ont pu être construits ». Ils laissent « provisoirement de côté la question de l'étendue de cet ensemble ». (DJ57). Boltanski et Thévenot affirment même dès la parution de DJ que la liste des principes supérieurs communs dont ils ont observé la mise en œuvre n'est pas fermée.

Le nombre de Cités n’est donc pas limité à celles décrites dans DJ. Dès leur premier ouvrage en 1991 Boltanski et Thévenot évoquent d’ailleurs plusieurs ébauches « non abouties » de Cités. Ces Cités n’ont pas été retenues car elles ne répondaient pas au modèle de la Cité qui suppose que 6 axiomes400soient vérifiés pour qu’une Cité soit considérée comme établie.

Il s’agit de :

- La « Cité hygiénique » qui aurait organisé le Monde du sport à travers l’épreuve sportive. Cette Cité n’a pas été retenue car, selon les 2 sociologues, l’accès à la valeur sportive « n'apparaît pas clairement ouverte à tous» (DJ175). Elle ne répond donc pas à l’axiome de « commune humanité ».

- La « Cité de la puissance » qui aurait ordonné les êtres par la puissance, et dont le principe de justice aurait été « la vitalité de la vie même » (DJ416-417) n’a pas non plus été retenue, pour les mêmes raisons.

- La « Cité collective », qui aurait maintenu la cohésion du corps social (à travers les conventions collectives, la protection sociale, etc.) (DJ352) a, quant à elle, été rejetée au bénéfice d’un compromis entre les Mondes domestique, civique et industriel.

Huit ans plus tard Boltanski et Chiapello (1999) vont proposer une septième Cité, qu’ils nomment « Cité par projet ».401

400Ces 6 axiomes sont : un « principe de commune humanité » (a1), un « principe de dissemblance » (a2), une « commune dignité » (a3),

des « états ordonnés » (a4), une « formule d’investissement » (a5) et, bien sûr l’existence d’un « principe supérieur commun » (a6) (DJ97- 99). Ces 6 niveaux logiques (Boltanski et Thévenot, parlent d’« axiomatique des Cités ») sont nécessaires à l’élaboration d’état de grandeurs. Sans eux il ne pourrait exister d’accord entre les sujets appartenant à une Cité. Ces axiomes permettent de distinguer les Cités légitimes des Cités illégitimes. Il faut en effet que les Cités satisfassent à la totalité des contraintes de constitution d’une Cité pour fonder des justifications légitimes. Ainsi, c’est parce que tous ces axiomes sont respectés, que l’ordre des états de la Cité est considéré comme légitime ce qui lui donne une reconnaissance universelle et une stabilité dans le temps.

401Une Cité « verte » ou « Cité écologique » a également été envisagée par Claudette Lafaye et Laurent Thévenot (1993, p256-263) (voir

aussi Barbier, 1992, Latour, 1995 et Thévenot, 1996). Cette Cité pose néanmoins le problème de l’équivalence entre les êtres qui composeraient ce Monde puisque tous les êtres vivants et d’autres éléments non vivants tels que l’eau le plastique, (etc.) y serait inclus (Lafaye et Thévenot, 1993, p. 513). Par ailleurs, dans une telle Cité il n’y aurait pas d’épreuve de jugement par absence de symétrie de jugement entre les êtres (ibid., p. 515). Godard (2004, p. 55) souligne quant à lui l’imprécision du concept de « durabilité ». Cette Cité verte a cependant été reprise par Thévenot, Moody et Lafaye, (2000). Elle est au final délaissée par Le Bot et Philip (2012) au profit d’un compromis entre les 6 Cités décrites dans DJ.

Le m éc éna t : un acco rd ent re d eux m onde s: De la ju st ifi ca tio n

Pour autant, comme le note François Eymard-Duvernay (2009, p. 175), les Cités ne peuvent pas non plus être en nombre illimité, car il ne serait alors pas possible de fonder des coopérations autour d’une infinité de justices possible. En fait, les Cités s’inscrivent dans un processus historique. « Les Cités sont constituées au cours de l'histoire. Leur nombre ne peut être défini a priori. Les grandeurs mises en œuvre pour agencer aujourd'hui des situations justes ont été stabilisées à des époques très différentes. » (DJ93). Ainsi, à chaque époque de l’histoire correspond un petit nombre de Cités jugées utiles et nécessaires pour juger les situations rencontrées dans la vie quotidienne des contemporains.

4 Proposition d’une 8èmeCité

Les Cités sont des systèmes de justice indépendants les uns des autres. Elles constituent une pluralité qui organise les différents Mondes dans lesquels nous vivons à un moment donné et un lieu donné. Pour un acteur, toute situation est donc susceptible de faire référence à un Monde (situation pure) ou à plusieurs Mondes (situation en compromis) permettant de dire ce qui est « juste ». Pour analyser correctement une situation, il est essentiel de posséder le jeu complet des Cités mobilisées pour juger cette situation donnée.

Nos analyses révèlent la possible existence d’autres Mondes contraints par d’autres Cités. Nous avons vu par ailleurs que les auteurs de la Théorie de la Justification avaient à plusieurs reprises envisagé cette possibilité et qu’ils ont mise en œuvre dans NEC. Pour notre part, il nous semble que les références aux liens personnels, à l’authenticité, à l’attachement, au désintéressement, à la confiance, (etc.) sont étrangères aux principes qui ordonnent la Cité par projet et que ces termes ne sont pas couverts par les autres Cités. Ces termes sont tous utilisés dans un même domaine : celui de la générosité (qui comprend la philanthropie, le mécénat, etc.). Il faut donc envisager l’existence (théorique, mais également ancrée dans le réel402), d’une nouvelle Cité.

Afin de définir les contours de cette 8ème cité nous sommes repartis des situations composites identifiées pour dégager les grandes lignes d’une grammaire nouvelle (2.6.1). Nous avons identifié son <principe supérieur commun> (2.6.2), choisi une dénomination (2.6.3), proposé une description complète de sa grammaire (2.6.4), et validé sa pertinence par rapport aux autres Cités (2.6.5).

Dans le document Fundraising : un accord entre deux mondes (Page 124-126)