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Suspicions de biais

Dans le document Fundraising : un accord entre deux mondes (Page 119-121)

Les 6 premières Cités sont considérées comme des Cités « complètes » par Boltanski et Thévenot, et depuis longtemps « stabilisées » par un ensemble de règles communément admises par tous Elles

3.1 Suspicions de biais

Il nous semble que la perception par Boltanski et Thévenot de l’engagement des entreprises pour une cause d’intérêt général à travers les pratiques de mécénat est susceptible d’être biaisée. En effet, à l’époque de la rédaction de DJ, à la fin des années 1980391en France, le mécénat était quasiment inexistant et largement confondu avec les pratiques de « sponsoring » et de partenariat (Kosianski, 1992). Il existait uniquement dans le domaine de la culture et était réservé aux plus grandes entreprises (Denoit, 2002). Le mécénat d’entreprise était alors un acte de magnificence réservé à l’élite. Aussi, aucun des manuels qui ont servi de support à Boltanski et Thévenot ne parlaient spécifiquement de mécénat et ou de RSE. Aujourd’hui l’engagement pour l’intérêt général, la RSE et la citoyenneté de l’entreprise sont dans tous les esprits. Les manuels dédiés au mécénat et destinés à l’entreprise se multiplient.

Le m éc éna t : un acco rd ent re d eux m onde s: De la ju st ifi ca tio n

Le manuel392choisi par Boltanski et Thévenot pour analyser plusieurs dispositifs utilisés dans la collecte de fonds (gala, etc.) est un manuel sur les relations publiques écrit par un « agent » qui vend l’image de personnalités du monde du sport, de marques d’organisations cultuelles (Vatican, etc.) et de fondations mondialement connues (Fondation Nobel, etc.). Le métier d’agent est à mi-chemin du Monde marchand et du Monde de l’opinion393. Or, s’il existe des similarités dans la forme, un gala de promotion d’une marque (ou d’une personnalité) n’a, dans le fond, rien à voir avec un gala de bienfaisance. De même, bien qu’ils aient des objectifs complémentaires, la promotion d’une OIG n’a rien à voir avec la sollicitation d’un engagement pour une cause. De fait, le métier d’« agent » est différent de celui de « fundraiser ». Le fundraiser n’a pas pour objectif de « vendre une image » (même si une bonne image aide à solliciter un don), il propose aux personnes et organisations de s’engager pour une cause directement (par exemple en devenant bénévole au sein d’une OIG) ou indirectement (en soutenant financièrement une OIG). S’il ne faut pas bien sûr écarter, dans cet appel à l’engagement, l’existence de modes de coordination faisant référence au Monde de l’opinion, nous pensons que le choix d’un guide de relation publique est susceptible d’impliquer probablement une surreprésentation de la Cité de l’opinion dans l’analyse des dispositifs associés à la générosité des entreprises.

De plus, le fait que l’auteur de l’ouvrage retenu soit nord-américain renforce la suspicion d’un biais. En effet, dans les pays anglo-saxons, nous l’avons vu, il existe des liens forts entre intérêt individuel privé et intérêt collectif. Sans nier l’existence d’un intérêt souvent sous-jacent, mais non révélé dans le mécénat394, il nous semble que cette proximité, particulièrement forte outre atlantique (cf. p. 45), renforce les situations de compromis avec le Monde marchand identifié par les auteurs, alors que ces compromis ne sont peut-être pas représentatifs des situations mécènes en France (et plus largement, nous l’avons vu, en Europe).

Quant aux OIG, la vision du monde associatif de Boltanski et Thévenot se fait à travers le prisme du syndicalisme. Cela s’explique par le choix d’un manuel destiné à des cadres syndicaux et qui sert de référence pour la caractérisation de la Cité civique. Ce choix oriente vers un rapprochement entre l’engagement au bénéfice de l’intérêt collectif et l’engagement au bénéfice de l’intérêt général alors qu’il nous semble, au contraire, qu’il faudrait distinguer ces deux notions. En effet, les termes de nature civique (« public » « collectif » « commun » « intérêt collectif », « collectivité ») ne nous semblent pas correspondre au même Monde que celui d’« intérêt général ». Il nous semble en particulier voir une différence dans ce qui « lie » entre l’« intérêt collectif » et l’« intérêt général ». Ainsi l’intérêt général nous semble porté par une dynamique (la circulation du hau395de Mauss ?) que nous ne retrouvons pas dans l’intérêt collectif. Dans l’ « intérêt général » nous voyons une création de lien, une projection vers un « vivre ensemble » basé sur la réciprocité de tous. Au contraire, dans l’« intérêt collectif », le lien nous apparait établi, acquis, constaté et devant être entretenu, conservé, géré et protégé. A chaque collectif, à chaque groupe, son intérêt, sa lutte. Avec l’intérêt collectif nous sommes entrainés dans le réel d’un futur proche. A l’opposé, l’intérêt général nous réfère au monde des valeurs morales et idéales. D’autres chercheurs, tel Nathalie Heinich, ont dénoncé « l’agrégation entre intérêt général

392La liste des guides utilisés par les auteurs est reprise p. 99. Pour le Monde de l’opinion, le manuel choisi est : Principes et techniques des

relations publiques de C. Scheinder, 1970.

393« L'auteur s’emploie à faire affaire(marc)avec des noms connus(opi)dont il s'occupe du marketing et du management » (DJ393). 394Voir la notion de tabou de l’intérêt, p. 14 et suivantes.

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et égalité » au sein du Monde civique. (2009, p. 88) suggérant que l’intérêt général n’est pas réductible à ce que représente le collectif.

Ces premiers éléments nous suggèrent de vérifier plus avant si le contexte dans lequel ont été construites les Cités permet bien de cerner l’ensemble des modes de coordinations à l’œuvre dans notre Société actuelle. En effet, il semble qu’il existe dans les pratiques mécènes des références à des valeurs (par ex. l’engagement pour une cause, le désintéressement, etc. cf. p. 70 et suivantes), qui ne cadre pas avec le choix des guides retenus par Boltanski et Thévenot.

3.2 Critiques de situations mécènes et éléments en faveur de l’hypothèse d’une nouvelle

Dans le document Fundraising : un accord entre deux mondes (Page 119-121)