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Au début du XXème siècle, les travaux princeps de Tolman (1925) montraient que les comportements de rats de laboratoire persistaient jusqu'à l'atteinte du but poursuivi, i.e., obtenir de la nourriture. Atkinson (1964) distingue ensuite un conflit entre tendances d'approche et d'évitement chez l'être humain. La Théorie des Buts d'Accomplissement s'est surtout développée depuis une trentaine d'années dans la littérature (Dweck, 1992 ; 1999 ; Nicholls, 1984 ; 1989), notamment dans les domaines de la psychologie, des sciences de l'éducation et des sciences du sport, mais aussi dans des perspectives plus appliquées au monde professionnel, comme le management par exemple.

Cette Théorie des Buts d'Accomplissement (« Achievement Goal Theory ») explique principalement les raisons d'un engagement dans des activités d'apprentissage. Trois types fondamentaux de buts sont ainsi recensés :

– les buts de maîtrise (implication dans la tâche ou dans l'activité) où l'individu cherche avant tout à progresser, ceux-ci conduisent à faire plus d'efforts pour les apprentissages et un traitement des activités en profondeur.

mieux que les autres, qui conduisent à un traitement plus en surface des apprentissages. L'influence de ces buts sur les réussites est positive pour certains chercheurs (Harackiewicz, Barron & Elliot 1998 ; Harackiewicz, Barron, Tauer & Elliot, 2002) et négative pour d'autres (Brophy, 2005 ; Midgley, Kaplan & Middleton, 2001 ; Kaplan & Middleton, 2002).

– le troisième type de but correspond aux buts de performance-évitement (Elliot & Harackiewicz, 1996) où l'individu essaye de ne pas faire moins bien que les autres. Cela amène la plupart du temps à des performances basses (Elliot & Moller, 2003), un intérêt faible pour les tâches proposées, voire l'adoption de stratégies d'auto-handicap ou de résignation.

Plus récemment, des buts de maîtrise-évitement ont été identifiés (Elliot, 1999) qui correspondent à la crainte de ne pas maîtriser une activité. Ceux-ci se développent particulièrement avec l'âge, lorsque les capacités physiques et intellectuelles tendent à décroître (Elliot, 1999). Ces différents types de buts sont des représentations cognitives qui doivent être considérées comme indépendantes les unes des autres (Pintrich, 2000), ils précisent une focalisation selon les liens d'approche et d'évitement avec l'objet-cible ainsi que l'utilisation de certains standards cognitifs, personnels pour les buts de maîtrise et normatifs pour les buts de performance (Tableau 4).

Ces buts d'accomplissement ont été différemment labellisés dans la littérature, par des buts d'apprentissage « learning goals » ou des buts de tâche « task goals », liés à l'activité pour les buts de maîtrise ; des buts de capacités « ability goals », ou des buts orientés par l'ego « ego-oriented

goals » pour les buts de performance4. Ils sont tous proches de buts de compétence, où l'individu s'estime selon une valence construite positive (réussite) ou négative (échec) associée aux buts

4 D'autres opérationnalisations des buts, plus éparses, existent également selon les études comme les buts d'amélioration de soi (« self-enhancing goals ») (Skaalvik, 1997), les buts de résultats (« outcome goals »), ou les buts normatifs (« normative goals » (Grant & Dweck, 2003) qui correspondent aux buts de performance-approche et entraînent de nombreux débats sur la validité des variables mesurées (voir Brophy, 2005). Pour une revue exhaustive, voir la méta-analyse d'Hulleman, Schrager, Bodmann & Harackiewicz (2010).

Tableau 4. Etats d'approche et d'évitement selon l'orientation des buts (Pintrich, 2000)

Etat d'approche Etat d'évitement Orienté vers la maîtrise Cherche à maîtriser la tâche, à

apprendre, à comprendre Utilisation de standards d'auto-amélioration, de progrès, de

compréhension profonde de l'activité

Cherche à éviter le malentendu, à éviter de ne pas apprendre ou de ne pas maîtriser une activité

Utilisation de standards pour ne pas avoir faux, ne pas faire

incorrectement par rapport à l'activité

Orienté vers la performance Cherche à être supérieur, surpasser les autres, être le plus intelligent, le meilleur dans l'activité en

comparaison aux autres

Utilisation de standards normatifs tels qu'obtenir les meilleures notes, être en tête ou être dans les meilleurs élèves de la classe

Cherche à éviter l'infériorité, ne pas paraître stupide ou bête en

comparaison aux autres

Utilisation de standards normatifs pour ne pas obtenir les plus mauvaises notes, être parmi les moins bons élèves de la classe

d'accomplissement (Elliot & Dweck, 2005). Ainsi, dans les buts de performance, la compétence s'oppose à l'effort, alors que dans les buts de maîtrise, compétence et effort sont en synergie, l'erreur étant alors résoluble par un engagement supplémentaire.

Les conséquences de l'adoption de ces buts sont assez divergentes. Ainsi, par exemple, les buts de maîtrise sont plus reliés que les buts de performance à des intérêts intrinsèques, mais les buts de performance sont plus liés aux notes scolaires que les buts de maîtrise (Harackiewicz, Barron, Carter, Lehto & Elliot, 1997). Il faut aussi considérer que les buts peuvent être multiples (Barron & Harackiewicz, 2000 ; 2001 ; Darnon, Dompnier, Gilliéron & Butera, 2010 ; Harackiewicz et al., 2002 ; Meece & Holt, 1993), qu'un élève en classe peut à la fois endosser des buts de performance et de maîtrise lorsqu’il évalue ses capacités (en étant centrés sur les apprentissages) ou lorsqu’il fait face à des exercices scolaires (Darnon et al., 2010). Cependant, les études qui montrent des effets positifs des buts de performance-approche sur les résultats scolaires sont considérées par certains comme « contre-productives », car la mesure des buts de performance-approche reflèterait plus les réussites antérieures qu'un réel état motivationnel (Brophy, 2005). La validité de corrélations fortes entre les mesures des buts de performance-approche et de réussite

scolaire est aussi contestée dans une méta-analyse (Huang, 2012). Ces résultats vont dans le sens d'une hypothèse de confusion des variables du concept de soi et des buts de performance (Niepel, Brunner & Preckel, sous presse), mais ces critiques, même si elles doivent être entendues, ne sont pas clairement supportées empiriquement (Senko, Hulleman & Harackiewicz, 2011), 94 % des études montrent que les buts de performance sont liés à la réussite scolaire en contrôlant le niveau scolaire de base.

Diverses études ont montré l'influence que peuvent avoir les buts d'accomplissement sur la scolarité des élèves en fonction du niveau de la classe, des renforcements ou de l'identité associée au sentiment d'appartenance à son école. Des buts de maîtrise se développent par exemple plus à l'école élémentaire, et des buts de performance sont plus présents en collège (Anderman & Midgley, 1997 ; Eccles & Midgley, 1989). Ceci est corroboré par le fait que les enseignants encouragent plus l'utilisation de buts de performance-approche au collège qu'à l'école primaire (Midgley, Anderman & Hicks, 1995). Ces buts de performance ont même tendance à croître après l'école élémentaire et les buts de maîtrise à décroître (Anderman & Anderman, 1999 ; Linnenbrink-Garcia, Tyson & Patall, 2008). Les buts de performance sont aussi négativement associés au sentiment d'appartenance des élèves à l'école, alors que les buts de maîtrise sont positivement associés à ce même sentiment d'appartenance (Anderman & Anderman, 1999). Un programme d'encouragement des buts de maîtrise par rapport aux buts de performance a montré qu'ensuite les élèves sont moins motivés extrinsèquement pour expliquer leur présence à l'école (Maehr & Midgley, 1999). La motivation de certains élèves peut également diminuer lorsque les capacités sont à démontrer dans une compétition par les notes scolaires (Meece, Anderman & Anderman, 2006).

Ces études tendent à appuyer l'importance de la gestion de classe de la part des enseignants, et surtout du climat motivationnel, de maîtrise ou de performance, instauré dans la classe. Ainsi, un environnement scolaire qui promeut la coopération amène les élèves à apprendre pour maîtriser, alors que pour d'autres classes où la maîtrise n'est pas encouragée, les auto-évaluations de

compétence se font sur la base de comparaison sociales (Butler & Ruzany, 1993). Les distinctions théoriques entre les buts de performance et de maîtrise sont ainsi présentées selon les climats instaurés en classe (Ames & Archer, 1988) (Tableau 5). Le « style pédagogique » adopté par le professeur influence la motivation de l'élève, il est important qu'il puisse varier selon les contextes et les divers exercices proposés.

Tableau 5. Analyse des buts d'accomplissement selon le climat de classe (Ames & Archer, 1988)

Dimensions du climat scolaire But de Maîtrise But de Performance Succès défini comme...

Valeur placée sur... Raisons d'être satisfait... Professeur orienté vers... Erreurs considérées comme... Focalisation de l'attention sur... Raisons de faire des efforts pour... Critères d'évaluation...

Amélioration, progrès L'effort/l'apprentissage Travailler dur, le défi

Comment les étudiants apprennent Faisant partie des apprentissages Le processus d'apprentissage Apprendre quelque chose de nouveau Absolus, le progrès

Bonnes notes, haut niveau de performance Les grandes capacités

Faire mieux que les autres

Comment les élèves sont performants Sources d'anxiété

Sa performance relativement aux autres Bonnes notes, faire mieux que les autres Normatifs

La définition de buts sociaux (« social goals ») construits en référence au statut et au groupe des pairs prend en compte les jugements et les comportements d'autrui dans la compréhension des mécanismes motivationnels (Hicks, 1997). Elle considère que le statut social, qui réfère à l'appartenance à un groupe social par rapport à un autre groupe, a une influence sur l'adoption de buts, le genre ayant quelquefois des effets différenciés sur certains buts où les garçons endossent plus de buts de performance que les filles (Anderman & Midgley, 1997 ; pour une revue sur ce thème, voir Butler, 2014). La socialisation « externe », de par le rôle des pairs, des parents ou des professeurs, influence donc aussi les processus motivationnels (Wentzel, 1999). D'un point de vue théorique, dans le champ scientifique des buts d'accomplissement, les notions de variables sociales et de comparaison sociale sont introduites lorsqu'il est précisé que les performances d'autrui représentent un cadre de référence pour juger de ses propres capacités (Anderman & Anderman, 1999). Comme le soulignent Wheeler et Suls (2005), « il est étonnant que la comparaison sociale

n'ait pas été plus intégrée dans la littérature concernant la motivation à la réussite » (p. 567,