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1.3. Enjeux théoriques et méthodologiques

1.3.2. Comparaison sociale : des limites théoriques aux limites méthodologiques

Tout d'abord, il faut reprendre la définition de la notion de comparaison sociale pour comprendre les raisons de l'évolution théorique de ce concept qui mène à considérer actuellement une « Théorie de la Comparaison néo-sociale » (Suls & Wheeler, 2000). Selon Wood (1996), il n'y a pas de comparaison s'il n'y a pas de lien avec une information sociale. Ceci constitue la cinquième et dernière application à sa définition de la comparaison sociale. Pour cette auteure, certains jugements comparatifs ne réfèrent pas à la comparaison sociale, puisque la comparaison se fait par rapport à un « individu moyen » et non à une représentation construite. Dans ce cas-là, il n'y a pas de réelle comparaison à un autrui spécifique, les individus voulant surtout maintenir une vue positive de soi, avec l'émergence d'un biais d'auto-complaisance (e.g., Bradley, 1978).

En effet, la plupart du temps, lors de ces diverses formes de comparaison, les individus s'évaluent souvent par rapport à la moyenne, comme meilleurs sur des attributs positifs et comme moins bons sur des attributs négatifs. Ceci illustre le phénomène nommé « Better Than Average

Effect » (Alicke, 1985 ; Alicke, Klotz, Breitenbecher, Yurak & Vredenburg, 1995 ; Kuyper, Dijkstra,

Buunk & Van der Werf, 2011) et pose des questions à la fois théoriques et méthodologiques. Notamment, la surestimation qui résulte des évaluations issues des comparaisons ne peut pas être considérée comme une évaluation exacte, réelle des aptitudes, et comporte donc certains biais de subjectivité (Biernat, 2003). Cette surestimation a d'ailleurs une influence, qui peut être positive, sur les comportements subséquents, puisque certains élèves, s'estimant supérieurs aux autres, réussissent mieux trois mois après, ce qui correspond alors à une auto-réalisation des prophéties attendues (Blanton et al., 1999 ; Dupeyrat, Escribe, Huet & Régner, 2011).

mesures auto-rapportées (« self-reported scales ») peuvent être sujettes à la désirabilité sociale et à certains stéréotypes sociaux (Feingold, 1994). L'utilisation récurrente d'échelle continue de type Likert amène ainsi souvent à des évaluations subjectives (Biernat, 2003 ; Biernat & Manis, 1994 ; Wood & Eagly, 2012). Pour éviter les biais inhérents à ces mesures, et obtenir des mesures plus objectives, il est alors préconisé que les études expérimentales se focalisent plus sur des comportements que sur des traits globaux (Lippa, 2010). Lorsque le niveau de comparaison sociale est mesuré, une échelle souvent utilisée par les chercheurs est la SCO (Social Comparison Orientation de Gibbons et Buunk, 1999) en 11 items avec des critères du type « J'aime toujours

savoir ce que les autres feraient dans une situation similaire » ou « Je me compare souvent aux autres concernant ce que j'ai accompli dans la vie ». Cette échelle SCO n'est pas une mesure de

compétition, elle est plus liée à des attitudes prosociales. Elle fait référence principalement à un soi interdépendant auquel elle est corrélée significativement (.45), elle est également liée négativement (-.35) à la mesure d'Ouverture d'esprit du Big Five (Buunk & Gibbons, 2006). Quant à une autre mesure de personnalité issue du Big Five comme le Névrotisme, elle est corrélée positivement avec l'échelle SCO (.31).

D'autre part, certains auteurs mettent en garde contre le risque de faible validité externe de certaines études lorsqu'il est demandé aux élèves de se comparer à d'autres élèves car la dimension de comparaison peut ne pas être pertinente (Dijkstra et al., 2008). De plus, si le choix de la cible de comparaison est « forcée », les réponses sont moins spontanées, elles peuvent être affectées et la généralisation des résultats devra être nuancée. En effet, la pertinence de la dimension évaluée a un rôle médiateur dans les effets de la comparaison sociale sur le concept de soi mais également dans le choix de la cible de comparaison (Tesser, Millar & Moore, 1988).

Ces problèmes méthodologiques relatifs aux échelles utilisées ont été particulièrement signalés en psychologie interculturelle. « L'effet du groupe de référence » (« Reference-Group

plusieurs points. L'exemple qui illustre cet effet est aisé à comprendre : si vous mesurez 1,69 mètres et que la comparaison de la taille s'applique à des enfants ou à des femmes japonaises, vous penserez être quelqu'un de grand, mais si la comparaison s'applique à des basketteurs ou à des hommes néerlandais, la perception de la taille risque d'être toute autre, vous penserez être petit. Selon la norme de comparaison choisie, l'auto-évaluation peut être biaisée, et c'est pourquoi, selon ces auteurs, certaines comparaisons intragroupes n'amènent pas à de différences à l'inverse de comparaisons intergroupes où les différences sont plus exacerbées. Les auto-évaluations s'effectuent en référence à un standard que les individus s'appliquent à eux-mêmes, les japonais ne se comparent pas à des canadiens par exemple lorsque leur taille est estimée (Heine et al., 2002). Ainsi, certaines conclusions sont faites que si les individus issus de cultures égalitaires émettent plus de comparaisons intergroupes par rapport à ceux issus de cultures inégalitaires qui favorisent des comparaisons intragroupes, ces plus larges estimations de différences liées au genre dans les sociétés développées seraient alors les plus exactes (Lippa, 2010). Il est donc là aussi suggéré d'utiliser des mesures objectives, plus proches de la réalité, dans les expérimentations, voire de se focaliser sur les attitudes ou comportements pour contrecarrer les effets du groupe de référence.

Cependant, il existe une pensée alternative à l'explication de ces différences de genre selon les contextes et les cibles de comparaison. Elle prend son sens dans l'existence d'identités différentes et dans le changement des niveaux de soi qui affectent l'auto-évaluation : lorsque l'identité est sociale, la comparaison est intergroupe, alors que lorsque l'identité est personnelle, la comparaison est intragroupe, le concept de soi est alors fonction de l'auto-catégorisation sur ses dimensions agentique et relationnel (Guimond et al., 2006). Il en résulte dans cette étude une influence différente du genre selon le contexte de comparaison sur le Soi, mais aussi sur les notes rapportées en Français et sur une mesure plus comportementale, comme l'attitude générale de perception d'inégalités entre groupes sociaux (mesurée par l'échelle SDO de Sidanius & Pratto, 1999).

étude présentera ici les effets d'une mesure provoquée de la comparaison sociale. Cette comparaison sociale intergroupe ou intragroupe, inductive d'un certain niveau d'auto-catégorisation, permettra d'expérimenter son influence sur des mesures du concept de soi scolaire, mais aussi sur des variables considérées comme objectives comme les notes scolaires, et une variable plus attitudinale comme les choix d'orientation scolaire. Si les différences de genre perdurent chez les élèves pour un concept de soi scientifique ou littéraire dans un contexte de comparaison intergroupe et s'estompent dans un contexte de comparaison intragroupe, en sera t-il de même pour une mesure des notes en Mathématiques et en Français, et pour des intentions d'orientation mesurées par le choix d'une orientation vers une Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles ?

1.3.3. Article 1 : « Personal self and collective self: when academic choices