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Les différences de genre dans la construction de soi : une question de niveau de comparaison ?

1.3. Enjeux théoriques et méthodologiques

1.3.1. Les différences de genre dans la construction de soi : une question de niveau de comparaison ?

L'étude des différences de genre a suscité un grand intérêt pour les chercheurs depuis de nombreuses décennies, mais elle a cependant peu fait cas du rôle de la comparaison sociale pour expliquer ces différences (Guimond & Chatard, 2013). Dans les évaluations de soi, les femmes s'estiment différemment des hommes, elles montrent plus de sensibilité alors que les hommes sont plus dans la compétition (Roberts, 1991). La Théorie des rôles sociaux (Eagly, 1987 ; Eagly & Wood, 1999) présente une explication des différences de genre inhérente aux sociétés occidentales et orientales. L'objectif de cette Théorie des rôles sociaux est de démontrer que les différences de comportement des hommes et des femmes sont dues aux rôles assignés à ces hommes et à ces femmes dans la société. C'est pourquoi les hommes ont le plus souvent des rôles ou des métiers centrés sur les choses, tandis que les femmes font des métiers plus sociaux, en lien avec d'autres personnes (Lippa, 1998). Les hommes occupent alors plus de postes à responsabilité par rapport aux femmes, dans une société qui fournit différents modèles de comportements selon que l'on soit une fille ou un garçon. Cependant, pour la Théorie des rôles sociaux, ces différences liées au sexe, fonction des attributions de personnalité et des rôles attribués aux hommes et aux femmes, diminuent dans les sociétés égalitaires. En effet, avec le temps, comme la notion d'égalité entre les

genres est promue dans ces sociétés et augmente, les différences de genre perçues devraient s'atténuer et disparaître (Eagly et al., 2004 ; Eagly & Wood, 1999). Ainsi, plus certaines nations défendent la notion de parité hommes/femmes, et plus les différences entre les sexes sont moindres concernant le choix d'un partenaire idéal (Zentner & Mitura, 2012).

Les conséquences de cette socialisation amènent donc à penser que les différences de genre sont plus importantes dans les sociétés inégalitaires par rapport aux sociétés égalitaires. Pourtant, la compréhension de ces différences interculturelles trouve un écho divergent pour les tenants d'une approche « personnologique ». Les différences de personnalité selon le genre sont ainsi plus fortes dans les sociétés égalitaires par rapport à des sociétés plus traditionnelles (Costa, Terracciano & McCrae, 2001). Et ceci en référence à une attribution causale différente, plus interne dans les sociétés dites modernes par rapport à des sociétés traditionnelles où l'attribution est affectée aux rôles sociaux. Ces différences de genre se retrouvent aussi concernant les valeurs des hommes et des femmes (Schwartz & Rubel, 2005), plus la société est égalitaire et plus ses valeurs, de pouvoir et de bienveillance, sont extrêmes entre les sexes. Pour ces auteurs, ceci serait dû au fait que les femmes sont motivées à exprimer des valeurs différentes par rapport aux hommes (voir aussi Crosby, 1982).

L'explication de différences de genre plus grandes dans les sociétés égalitaires par rapport aux sociétés égalitaires peut aussi être toute autre (Guimond et al., 2013). En effet, en référence aux Théories de la Comparaison sociale (Festinger, 1954) et de l'Identité Sociale (Tajfel & Turner, 1986), les cibles de comparaison ne sont pas les mêmes selon la culture d'origine. Dans les sociétés égalitaires, ou « modernes », les comparaisons intergroupes sont possibles alors que dans les sociétés inégalitaires, dites traditionnelles, les comparaisons intergroupes sont plus rares, elles sont plus intragroupes, à l'intérieur même des groupes (Guimond et al., 2007). Comme les différences de genre sont aussi liées au concept de soi de chacun, le niveau de comparaison, intergroupe ou intragroupe, devrait influencer la construction de soi, vue comme flexible et dépendante du contexte. Cette approche spécifique se distingue donc en cela de théories de la personnalité

décrivant des caractéristiques personnologiques, génétiquement ou biologiquement construites, stables à travers le temps et peu variables selon les cultures (McCrae & Costa, 1997 ; 1999 ; 2006). Elle se différencie aussi de la Théorie des rôles sociaux car elle postule que les différences de genre dans les sociétés égalitaires ne sont pas infimes mais élargies, au contraire des sociétés plus traditionnelles où les différences de genre sont perçues comme faibles (Costa et al., 2001 ; Guimond, 2008). Ces données sont étayées avec des recherches mesurant l'individualisme et le collectivisme des états-nations selon le degré de pouvoir distant (Hofstede, 1980) ou le développement économique issu d'indices des Nations Unies (Schmitt, Realo, Voracek & Allik, 2008). Ainsi, plus le degré de pouvoir distant est faible dans une société et plus des comparaisons intergroupes sont possibles (Guimond et al., 2007), parce que la hiérarchie sociale est plus facilement perçue comme illégitime. C'est surtout le cas dans des sociétés dites égalitaires, mais où les différences de genre sont les plus exacerbées. Dans des sociétés plus inégalitaires, les comparaisons intergroupes sont moins permises et les différences de genre beaucoup moins présentes (Watkins, Adair, Akande, Chen, Fleming, Gerong, Ismail, McInerney, Lefner, Mpofu, Regmi, Singh-Sengupta, Watson, Wondimu & Yu, 1998).

Cette pensée alternative prend donc son sens dans le changement des standards de comparaison qui affectent l'auto-évaluation. Lorsqu'une comparaison est intergroupe, les différences liées au genre sont accentuées, alors qu'une comparaison intragroupe diminue et même annihile ces différences, sur les dimensions agentiques et relationnelles du concept de soi (Guimond et al., 2006). Les filles représentent un groupe au statut social inférieur à celui des garçons (Eagly & Wood, 1982). Sur des dimensions particulières, comme les compétences perçues en mathématiques, on peut penser qu'elles devraient s'évaluer plus négativement par rapport aux garçons lorsqu'une identité sociale est saillante. Au contraire, pour un domaine scolaire considéré historiquement comme plus favorable aux filles comme par exemple les matières littéraires (Deaux, 1985), la comparaison sociale aux garçons, en fonction d'une identité sociale activée, devrait leur être plus

bénéfique. Lorsque la comparaison sociale s'effectue avec des individus d'un même groupe, il ne devrait pas y avoir de différences liées au genre.