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Dynamiques identitaires liées aux comparaisons sociales intergroupes et intragroupes : quand l'auto-catégorisation explique les perceptions et conduites scolaires

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-02862484

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Submitted on 9 Jun 2020

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intergroupes et intragroupes : quand

l’auto-catégorisation explique les perceptions et

conduites scolaires

Sebastien Chazal

To cite this version:

Sebastien Chazal. Dynamiques identitaires liées aux comparaisons sociales intergroupes et intra-groupes : quand l’auto-catégorisation explique les perceptions et conduites scolaires. Psychologie. Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand II, 2015. Français. �NNT : 2015CLF20029�. �tel-02862484�

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U.F.R. Psychologie, Sciences Humaines et Sociales, Sciences de l'Education Laboratoire de Psychologie Sociale et Cognitive – LAPSCO – UMR CNRS 6024

Ecole Doctorale des Lettres, Sciences Humaines et Sociales – ED 370

Dynamiques identitaires liées aux comparaisons sociales intergroupes

et intragroupes : quand l'auto-catégorisation explique les perceptions

et conduites scolaires

Thèse de Doctorat en Psychologie

présentée par Sébastien CHAZAL

Directeur de Thèse

:

Professeur Serge GUIMOND Co-Directrice : Céline DARNON

Membres du Jury :

Pr. Céline DARNON, Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand & Institut Universitaire de France Pr. Serge GUIMOND, Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand

Pr. Nicolas MICHINOV, Université Rennes II - Rennes - Rapporteur

Pr. Pascal PANSU, Université Pierre Mendès France - Grenoble - Rapporteur

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Résumé

Fondée sur les Théories de la Comparaison sociale (Festinger, 1954), de l'Identité Sociale (Tajfel, 1970) et de l'Auto-Catégorisation (Turner, 1987), cette Thèse défend l'idée de l'influence du contexte de comparaison dans la construction des perceptions et des conduites scolaires. Particulièrement, et selon le genre, le niveau d'auto-catégorisation (intergroupe vs intragroupe) modifie le concept de soi scolaire, scientifique et littéraire, le rappel de notes mais aussi les choix d'orientation (Article 1). Les filles s'évaluent comme plus douées en lettres que les garçons et les garçons comme plus doués en sciences que les filles dans un contexte intergroupe par rapport à un contexte intragroupe. Avec des mesures plus « objectives », ce pattern de résultats est identique pour les notes et s'inverse pour les choix d'orientation. Ces différences de genre se retrouvent également pour les sois agentique et relationnel dans un contexte collectif et s'estompent là aussi dans un contexte plus individuel (Article 2). Ainsi, pour des élèves en France, les différences de genre ne sont pas amoindries (Eagly & Wood, 1999), mais perdurent lorsqu'une identité collective est induite. L'auto-stéréotypie ou l'adhésion au stéréotype de l'endogroupe explique alors ces différences de genre sur les concepts de soi agentique et relationnel. De plus, dans cette étude réalisée en école d'ingénieur, la position sociale modifie les auto-perceptions des filles sur un soi scientifique dans un contexte collectif, illustrant des effets de contraste par rapport au groupe d'appartenance. Le soi collectif et non le soi individuel est guide des attitudes d'inégalités envers les groupes sociaux, mesurées par la dominance sociale et le sexisme moderne (Article 2).

Les liens entre comparaison sociale et buts d'accomplissement sont alors étudiés et précisent qu'une comparaison intergroupe implique plus l'adoption de buts de performance-approche qu'une comparaison intragroupe alors que l'inverse se produit pour des buts de maîtrise (Article 3). Ces résultats seront enfin discutés au regard des questions entourant l'existence de réelles différences de genre liées au contexte, et d'identités multiples influençant différemment les cognitions et attitudes.

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Abstract

Based on the Social Comparison Theory (Festinger, 1954), the Social Identity Theory (Tajfel, 1970) and the Self-Categorization Theory (Turner, 1987), this Thesis presents the influence of social comparison context on academic perceptions and behaviors.

Particularly, the level of categorization (intergroup v. intragroup) affects academic self-concept (scientific v. arts), self-reported marks but also career choices, according to gender (Article 1). Women evaluate themselves as more gifted in French than men and men evaluate themselves as more gifted in science than women in an intergroup context compared to an intragroup context. With more “objective” measures, these results are similar for marks and even become inverted for academic choices. These gender differences are conspicuous for an agentic and a relational self in a group context, and fade too in a more individual context (Article 2). Thus, for French students, gender differences do not decrease (Eagly & Wood, 1999), but persist when a collective identity is induced. Self-stereotyping, or adherence to an ingroup stereotype, explains these gender differences on agentic and relational self-concepts. Furthermore, in this study which was conducted in an engineering school, social position change the scientific self-perceptions of women in a collective context, highlighting contrast effect related to group membership. The collective self but not the individual self guides attitudes toward social inequalities, with certain measures of social dominance and of modern sexism (Article 2).

The links between social comparison and achievement goals are then studied and suggest that an intergroup comparison involves the adoption of performance-approach goals more than an intragroup context while the opposite effect occurs for mastery goals (Article 3). These results will finally be discussed according to questions surrounding the existence of real gender differences tied to context and multiple identities influencing differently cognitions and attitudes.

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Table des matières

Avant-propos...6

Introduction...8

Chapitre 1. Comparaison sociale et identité : quand le contexte de comparaison

influe sur les cognitions et les attitudes...11

 1.1. La Comparaison sociale...11

• 1.1.1. Définition du concept de comparaison sociale...11

• 1.1.2. A partir de quel âge se compare t-on ? ...13

• 1.1.3. Pour quelles raisons se compare t-on ?...14

• 1.1.4. Le concept de soi : structure stable ou malléable ?...18

• 1.1.5. Sens de la comparaison (ascendante et descendante) : une question de contexte ?...21

• 1.1.6. Des effets de la comparaison sociale sur les performances scolaires ?...26

 1.2. La Théorie de l'Auto-Catégorisation...28

• 1.2.1. D'une identité construite selon les comparaisons...28

• 1.2.2. Présentation de la Théorie de l'Auto-Catégorisation...30

• 1.2.3. De l'importance des comparaisons intergroupes : la Théorie des relations intergroupes en cinq stades...33

• 1.2.4. L'auto-stéréotypie : une assimilation à l'endogroupe...37

 1.3. Enjeux théoriques et méthodologiques...40 • 1.3.1. Les différences de genre dans la construction de soi : une question de niveau

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de comparaison ?...40

• 1.3.2. Comparaison sociale : des limites théoriques aux limites méthodologiques....43

1.3.3. Article 1 : « Personal self and collective self: when academic choices depend on comparison context »...46

• 1.3.4. Le modèle d'accessibilité sélective...70

• 1.3.5. La Théorie de la Dominance Sociale ou comment les systèmes hiérarchiques reproduisent les inégalités sociales...74

• 1.3.6. Soi collectif et inégalités sociales : des conséquences sur les attitudes et les comportements...75

• 1.3.7. Article 2 : « Psychological differences between men and women: the case of the elites in an engineering school »...76

• 1.3.8. Discussion générale...107

Chapitre 2. Les buts d'accomplissement et la comparaison sociale : des liens

évidents ?...111

2.1. La motivation...111

• 2.1.1. Définition de la notion de motivation...111

• 2.1.2. La Théorie de l'Autodétermination...112

• 2.1.3. Le modèle hiérarchique de la motivation intrinsèque et extrinsèque...114

• 2.1.4. De la notion de motivation à celle de buts...115

• 2.1.5. La Théorie des Buts d'Accomplissement...117

 2.2. Enjeux théoriques...122

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• 2.2.2. Les liens entre buts d'accomplissement et construction identitaire...124

• 2.2.3. Article 3 : « Goals in contexts: How social comparison contexts favor the emergence of Performance and Mastery Goals »...127

• 2.2.4. Discussion générale...157

Conclusion...162

Références bibliographiques...167

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Avant-propos

Il fait bon aujourd'hui. Cette anodine constatation peut paraître surprenante lorsque le thermomètre affiche une température de 7 degrés Celsius. Pourtant, lorsqu'on sait que la veille le blizzard entourait la ville et la température était négative, cette remarque badine peut s'expliquer concrètement. Et pas seulement par la force du soleil réapparu. Elle implique la compréhension d'un processus fondamental du fonctionnement des êtres humains : la comparaison.

Le jugement porté sur un événement se fait en comparaison avec un autre événement. Pour ces considérations météorologiques, il appert que la sensation qu'il fait bon ne s'applique qu'à la situation présente. L'inférence d'un « beau temps », sorte de constat, n'aurait pas été la même si la température de 7 degrés avait été constatée un 14 juillet. Elle aurait même certainement été inverse.

Dans la discipline scientifique de la Psychologie Sociale qui est la nôtre, nous cherchons à comprendre les processus mentaux et comportements humains, l'accès à la connaissance s'effectuant en fonction d'autrui, des influences réciproques entre soi et autrui, des interactions sociales (Leyens & Yzerbyt, 1997). Plus particulièrement, les phénomènes de comparaison sociale s'attachent à montrer que la psychologie des individus ne correspond pas à une unicité innée et acquise dès la naissance, mais est plutôt régie par l'influence des autres et se construit selon les contextes (Turner & Reynolds, 2001). Les individus vivent en société, leur développement, leurs perceptions, leurs émotions se font en fonction des personnes qu'ils côtoient, les processus identitaires résultantes de ces comparaisons ont la capacité de changer la psychologie et le comportement des gens.

Les recherches menées durant ces années de Thèse s'inscrivent dans cette perspective interactionniste, c'est à dire de compréhension du système où les personnes et les situations

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constituent d'abord un ensemble dynamique. Les perceptions sociales des individus qui précèdent leurs conduites s'organisent en un tout, une forme globale qui a vocation à être détaillée ensuite (Koffka, 1935). Sans entrer dans un postulat gestaltiste pour lequel le tout est différent de la somme des parties et la perspective « top-down » prime sur l'approche « bottom-up », la perception en Psychologie n'est pas un huis clos mais s'intègre dans un schéma complexe de systèmes et de sous-systèmes. Chacun se construit alors en fonction des évaluations qu'il fait de son environnement, qui conduit à ce que l'individu devienne ce qu'il est ou ce qu'il pense être.

Au cours de l'élaboration de cette Thèse, l'objectif principal qui m'a guidé était celui d'accéder à une meilleure connaissance des processus psychosociaux sous-jacents à la réussite scolaire, comme les auto-perceptions ou la motivation. De par ma formation de Conseiller d'Orientation-Psychologue à l'Université des Sciences Humaines et Sociales de Lille III au début des années 2000, j'ai bénéficié d'une approche multidisciplinaire, principalement en psychologie du développement et psychologie clinique, mais aussi en psychologie sociale, en psychométrie, en psychologie du travail, en économie ou en sociologie. L'apport de la psychologie sociale est cependant considéré comme de moindre importance dans la profession que j'exerce actuellement, elle s'illustre toutefois par diverses théories liées à l'attribution de traits stéréotypiques, à la catégorisation sociale issue des représentations sociales, voire aux effets de la dissonance cognitive sur les représentations (Guichard & Huteau, 2006, pp. 83-84). L'engagement dans un travail de Thèse peut donc être vu comme un complément de formation professionnelle afin d'approcher les dynamiques psycho-sociales qui mènent à une meilleure adaptation scolaire des élèves. Les recherches qui seront développées ici s'inscrivent donc dans une problématique liée à l'Ecole, et spécifiquement la thématique étudiée présentera maintenant l'existence de plusieurs Théories appliquées et applicables sur un terrain éducatif.

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Introduction générale

Pendant le siècle dernier, la Théorie de la Comparaison sociale, développée initialement par Festinger (1954), présente l'influence de processus cognitifs permettant de réguler le concept de soi grâce aux informations apportées par autrui. Elle s'enrichit ensuite des connaissances apportées par la Théorie de l'Identité Sociale (Tajfel, 1970) qui précise l'importance des groupes sociaux dans la compréhension des relations intergroupes et de la construction identitaire, pour mener à une Théorie de l'Auto-Catégorisation (Turner, 1987 ; Turner, Hogg, Oakes, Reicher & Wetherell, 1987). Celle-ci prend en compte les dimensions personnelles et sociales des individus pour expliquer leurs réactions, leurs attitudes et leurs comportements. Selon les situations, les personnes peuvent donc se considérer en tant qu'individu, un être unique (le « Soi » ou le « Je »), ou en tant que membre d'un groupe social (le « Nous », selon le genre, l'ethnie ou l'origine sociale par exemple pour des groupes saillants). Les individus se perçoivent, s'évaluent et adoptent alors des comportements subséquents différemment selon les contextes dans lesquels ils sont ancrés. La problématique de ce travail de Thèse s'articule autour d'une question générale en rapport avec ce contexte théorique, à savoir dans quelles conditions l'auto-catégorisation peut-elle influencer le concept de soi scolaire et l'adoption de certains buts de motivation ?

Dans le cadre de plusieurs recherches expérimentales appliquées au domaine scolaire, cette question sera étudiée d'un point de vue empirique et théorique, et étayée à partir des Théories de la Comparaison sociale, de l'Identité Sociale et de l'Auto-Catégorisation. De ces trois théories émerge un postulat où l'identité personnelle est dépendante des comparaisons à autrui, tout comme la construction d'une identité sociale dépend des comparaisons entre groupes. Cependant, ces

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contextes de comparaison ne sont pas tout le temps considérés comme primordiaux pour expliquer, par exemple, les différences de genre sur les cognitions (Guimond, Chatard & Lorenzi-Cioldi, 2013). Même si le concept de soi des filles et des garçons est très divergent dans un contexte intergroupe et ne présente aucune différence significative dans un contexte intragroupe (Guimond, Chatard, Martinot, Crisp & Redersdorff, 2006), cette baisse s'expliquerait par un biais méthodologique (Biernat & Manis, 1994). Ce biais, appelé « effet du groupe de référence » (Heine, Lehman, Peng & Greenholtz, 2002), ne devrait plus avoir cours avec l'utilisation de mesures objectives et attitudinales du Soi (Biernat, 2003). On peut d'ores et déjà se demander si ces différences de genre sur les cognitions et les attitudes sont uniformes et continues ou si elles peuvent varier sous l'influence de certains contextes de comparaison ? Particulièrement, cette question sera examinée pour des perceptions et des conduites scolaires.

De plus, pour d'autres auteurs, les différences liées au genre ne seraient pas flagrantes dans les sociétés occidentales où la parité hommes/femmes est encouragée. Sous l'influence de facteurs sociétaux, ces différences auraient donc tendance à s'amenuiser (Eagly & Wood, 1999 ; Eagly, Wood & Johannesen-Schmidt, 2004 ; Zentner & Mitura, 2012). La question posée ici serait alors : les différences de genre sur le concept de soi et les attitudes sont-elles réellement infimes dans un système où la notion d'égalité hommes/femmes est importante ou sont-elles liées au niveau d'auto-catégorisation donc à l'identité engagée ? Enfin, les définitions de soi étant fortement imprégnées par les stéréotypes sociaux (Leyens, Yzerbyt & Schadron, 1999), elles influenceraient fortement les comportements subséquents de façon négative (Spencer, Steele & Quinn, 1999). Cette influence des stéréotypes sur les comportements pourrait aussi dépendre du niveau de soi activé, et entraîner dans un certain contexte des actions collectives visant à contester les inégalités sociales observées (Reicher, Spears & Haslam, 2010). Les identités collectives apparaissent ainsi comme des moteurs du changement social (Ellemers, 2012). L'identité sociale est-elle un moteur du changement social

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ou dans quelle mesure l'auto-stéréotypie associée au soi collectif remet-elle en cause les inégalités sociales ou les renforce-t-elle ?

Pour répondre à ces interrogations, plusieurs expérimentations ont été menées dans divers établissements publics d'enseignement en France, lycées et universités. Dans un premier article, publié en août 2012 dans la revue « Social Psychology of Education: an International Journal », sont présentés les effets d'une comparaison sociale intergroupe et intragroupe sur deux dimensions du concept de soi, scientifique et littéraire, le rappel « objectif » de notes scolaires en Mathématiques, mais aussi une variable attitudinale correspondant aux choix d'orientation scolaire. Dans le deuxième article, avec l'utilisation d'un autre paradigme, l'identité activée lors de la manipulation expérimentale sera collective (condition Groupe/Soi) ou individuelle (condition Soi/Groupe). Ici, pour des étudiants en école d'ingénieur, le concept de soi sera évalué sur des dimensions agentique et relationnel, et l'influence des stéréotypes sur ces variables sera étayée dans un contexte collectif. Une hypothèse particulière sera ensuite testée concernant le soi scientifique. Les liens entre le contexte et le concept de soi seront également analysés en référence à des attitudes liées aux préjugés, et ceci pour approcher la question du changement social.

Dans le second chapitre sera abordée la notion de motivation. Après un bref rappel historique de l'évolution de ce concept, seront présentés les développements théoriques récents visant à rapprocher les contenus issus des Théories de la Comparaison sociale et des Buts d'Accomplissement, mais aussi très récemment avec les notions liées au concept de soi et à l'identité. Le troisième article permettra dans un premier temps la réplication des résultats obtenus dans le premier article sur le concept de soi scolaire. Il essayera également de démontrer le rôle que peuvent avoir les comparaisons, intragroupe et intergroupe, sur l'adoption de ces buts d'accomplissement, et plus spécifiquement, les buts de performance-approche et les buts de maîtrise (Dweck & Leggett, 1988).

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CHAPITRE I

Comparaison sociale et identité : quand le contexte de comparaison

influe sur les cognitions et les attitudes

1.1. La comparaison sociale

1.1.1. Définition du concept de comparaison sociale.

En psychologie sociale expérimentale, Léon Festinger est le précurseur concernant l'étude des processus inhérents à la comparaison sociale. Poursuivant les travaux de son mentor Kurt Lewin, il publie en 1954 dans Human Relations un article où il décrit sa Théorie de la Comparaison sociale en précisant son importance pour la compréhension des comportements humains. « Dans la

mesure où les méthodes objectives, non sociales, ne sont pas disponibles, les gens évaluent leurs opinions et leurs capacités par comparaison, respectivement avec les opinions et les capacités des autres » (Festinger, 1954, page 118, traduction libre). Cette Théorie fait suite à certains travaux

préalables de Festinger engagés sur la communication sociale, décrivant l'importance d'autrui dans la formation de ses propres opinions. Le cap est ensuite poursuivi en incluant la notion de capacités, d'aptitudes, qui se forgent selon des comparaisons. En l'absence de critères objectifs permettant d'évaluer un objet ou une personne, la comparaison sociale est donc le moyen d'obtenir des informations sur un objet ou une personne. Les individus s'engagent dans la comparaison sociale pour une raison principale, obtenir de l'information sur soi en fonction de ce que pensent les autres (Gibbons & Gerrard, 1991). Cette comparaison sociale doit donc être diagnostique, c'est à dire qu'elle doit être utile à l'individu, en s'effectuant en référence à un standard pertinent. On ne

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compare pas, par exemple, son intelligence à celle d'Einstein, tout comme on ne compare pas sa rapidité à Usain Bolt, quadruple champion olympique. De plus, la comparaison sociale permet de réduire l'incertitude, lorsqu'une situation est plus ambigüe par exemple (Pepitone, 1972).

Cette définition situe d'emblée la comparaison sociale comme une cognition sociale permettant de simplifier la réalité environnante. Pour Festinger (1954), la première hypothèse de sa Théorie de la Comparaison sociale précise l'existence d'un « drive » ou « motivation », une tendance générale de l'être humain à comparer, à évaluer ses opinions et ses compétences. Dans les sociétés occidentales, qui valorisent la recherche de la performance, les principes de comparaison semblent bien ancrés dans les mentalités. La comparaison aux autres change ce que l'on pense de soi, l'auto-évaluation est modifiée en fonction de la cible de comparaison choisie (Morse & Gergen, 1970). Ainsi, lorsque l'estime de soi est mesurée spécifiquement préalablement à un entretien d'embauche, une comparaison descendante (envers un individu non présentable) amène les personnes à mieux s'évaluer qu'une comparaison ascendante (face à un individu plus présentable).

De même, lorsque les performances scolaires sont évaluées, une condition d'individuation ou de visibilité sociale fait baisser les performances des élèves par rapport à une condition neutre, sans comparaison sociale induite (Monteil, 1988). Les individus relient donc bien les informations obtenues sur les autres à eux-mêmes, la formation des impressions que chacun se fait sur autrui est fonction de ses propres attitudes ou comportements (Dunning & Hayes, 1996). Cette comparaison permet d'augmenter les connaissances que l'on a de soi, en référence à autrui, même sans instruction explicite, le concept de soi constitue alors la norme dans les jugements sociaux.

Léon Festinger (1954) distingue cependant l'influence de la comparaison sociale sur les capacités et les opinions dans sa quatrième hypothèse : « Il y a une motivation unidirectionnelle

ascendante pour les capacités qui est en grande partie absente pour ce qui concerne les opinions »

(p. 124, traduction libre). En ce qui concerne les capacités1, les comparaisons seraient donc pour lui

1 Le vocable anglais d'« abilities » sera traduit par « capacités ». Il pourrait l'être également par « aptitudes » ou « compétences ».

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ascendantes, vers le haut, et seraient soumises à certaines contraintes sociales, en fonction du réel, qui rendraient plus difficiles la possibilité de changer ses capacités. Pour les opinions, la contrainte sociale est moins présente, les comparaisons sont moins unidirectionnelles, les changements d'opinion sont plus fréquents.

Par la suite, Wood (1996) apporte un éclairage nouveau sur les processus de comparaison sociale. Selon elle, cette comparaison peut être une construction mentale, sociale, elle peut être imposée par les autres et non choisie délibérément. Elle se distingue en cela de l'approche princeps de Festinger, pour qui la comparaison sociale est plus une réaction à l'environnement, impliquant une action minimale de la part de l'individu. Elle permet surtout de considérer ces processus de comparaison comme empreints d'une certaine automaticité (voir paragraphe 1.1.3.).

1.1.2. A partir de quel âge se compare t-on ?

Les processus de comparaison sociale ont été repérés et confirmés dès les premières années de développement (Dumas & Huguet, 2011 ; Morris & Nemcek, 1982). Bien que Masters (1969 ; 1971) perçoit des signes de comparaison sociale dès la pouponnière avec l'influence de renforcements sur l'engagement dans des activités de nourrissons, l'étude du concept de comparaison sociale semble pertinent à l'issue des classes de maternelle, lorsque l'enfant est plus capable d'évaluer ses capacités.

Dans la psychologie développementale piagétienne, c'est tout d'abord la notion de catégorisation qui permet de « dater » chez les humains un début de processus de comparaison. C'est au stade des opérations concrètes que la logique s'acquiert, elle permet d'admettre la conservation, les opérations sont coordonnées et la sériation des objets en groupe d'ensembles est possible. La relation de comparaison est alors issue de la classification. Ensuite, cette notion est développée dans une dimension plus « psychologique » liée à l'égocentrisme, la centration sur soi, où le Soi, dans son acception la plus large, commande et dirige les jugements cognitifs. Cet

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égocentrisme prédispose à la comparaison sociale. C'est donc vers 5-6 ans que les processus de comparaison sociale émergent chez les enfants. Dès l'école primaire, ils sont capables de se comparer, pour obtenir de l'information sur eux-mêmes (Ruble, Boggiano, Feldman & Loebl, 1980 ; Ruble, Feldman & Boggiano, 1976 ; Veroff, 1969). Préalablement à l'entrée à l'école, les enfants peuvent s'engager dans des comparaisons, mais pour obtenir des informations correctes plus que pour acquérir des connaissances sur soi (Feldman & Ruble, 1977 ; Ruble et al., 1976). Ils sont alors moins attentifs aux performances des autres (Spear & Armstrong, 1978).

Lorsque les enfants atteignent l'école élémentaire, l'influence de la comparaison sociale est de plus en plus présente. Des effets de la comparaison sociale sur le concept de soi scolaire (i.e., en mathématiques et en lecture) émergent chez des enfants de 6 à 12 ans (Rogers, Smith & Coleman, 1978), où la réussite personnelle en lecture est liée au concept de soi uniquement dans le cas d'une analyse en groupes de classe. Il n'y a ainsi pas de lien entre le concept de soi et la réussite en lecture lorsque les enfants ne sont pas placés dans une salle de classe. Plus les élèves grandissent et changent de niveau de classes, et plus les évaluations de soi par des comparaisons sont fréquentes (Keil, McClintock, Kramer & Platow, 1990).

Il est donc établi qu'en début de scolarité obligatoire, à la maternelle, les enfants commencent par exercer certaines comparaisons intra-individuelles pour évaluer leur compétence, puis avec l'âge, les cibles de comparaison se multiplient, les comparaisons se font avec des élèves de leur classe à l'école élémentaire, et avec tous les autres élèves ensuite au collège (Stipek & MacIver, 1989). Ils sont ensuite capables d'effectuer des comparaisons dites ascendantes, vers des élèves d'un niveau supérieur, à partir de 10 ans (Dumas, Huguet, Monteil, Rastoul & Nezlek, 2005).

1.1.3. Pour quelles raisons se compare t-on ?

Lorsqu'on cherche à répondre à cette question du « Pourquoi se compare t-on ? », il est possible de se référer simplement à la réponse qu'en donnait Festinger, à savoir que les individus ont

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avant tout un besoin de maintenir une vue d'eux-mêmes comme stable et exacte.

Cependant, il convient actuellement de distinguer trois sortes de descriptions distinctes issues des processus de comparaison sociale, présentées depuis dans la littérature. Ces trois critères associés à la comparaison sociale correspondent au besoin d'auto-évaluation, au besoin de

protection de soi et au besoin d'amélioration de soi (Suls, Martin & Wheeler, 2002 ; Wood &

Taylor, 1991 ; Wood, 1989).

La première de ces assomptions, décrite dans la théorie princeps de Festinger, concerne donc le besoin d'auto-évaluation. Lors des diverses expérimentations menées dans le cadre de cette Thèse, nous privilégierons l'étude de ce domaine. Pour de nombreux auteurs, la comparaison sociale amène à une auto-évaluation (Ruble, Parsons & Ross, 1976 ; Scheier & Carver, 1983 ; Taylor, Wayment & Carrillo, 1996 ; Wayment & Taylor, 1995). Cette auto-évaluation permet à la fois de réduire l'incertitude et d'obtenir une évaluation sensée être correcte ou exacte de ses aptitudes (Bandura & Jourden, 1991 ; Wheeler, Martin & Suls, 1997). Cependant, la notion d'exactitude dans les représentations, d'évaluations non biaisées et rationnelles, est toujours sujette à débat (cf. Wood, 1989). Pour la Théorie de la Comparaison sociale, les conséquences de ce besoin d'auto-description montrent que les individus préfèrent la comparaison avec d'autres individus proches d'eux et sur une dimension pertinente pour le soi (Goethals & Darley, 1977 ; 1987). Par exemple, un sprinter évaluera ses aptitudes en course avec un autre sprinter de même niveau, surtout s'il suit le même type d'entraînement et possède le même âge.

Les individus acquièrent des informations sur eux-mêmes en se comparant, mais se compare t-on tout le temps aux autres ou y a t-il des situations où la comparaison sociale, interdépendante, n'intervient pas ?

Les travaux d'Helson (1964) présentent que la simple perception d'un objet physique invoque la comparaison avec un standard de la catégorie pertinent. Pour ce qui concerne les relations sociales, la comparaison sociale est soumise au diagnostic d'un événement, et semble

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empreinte d'une certaine automaticité (Gilbert, Giesler & Morris, 1995). Un événement diagnostique, surtout s'il constitue une première impression, induit un processus de comparaison. Dans leur première étude, Gilbert et ses collaborateurs montrent que les participants affectés à une tâche de distraction cognitive (de répétition mentale numérique) ont de meilleures performances quand le standard de comparaison montre un faible niveau de performance. Lorsque la comparaison est diagnostique, elle devient inévitable. Dans la condition de non surcharge cognitive, les participants ont évité la comparaison, la considérant comme non diagnostique de ce qu'ils sont, effectuée dans des conditions particulières désavantageuses pour eux. Une seconde expérimentation vérifiait l'influence directe de la comparaison, diagnostique ou non diagnostique, sur les réactions cognitives et affectives en enlevant la notion de surcharge cognitive. Les résultats montrent que la compétence perçue n'est pas la même selon la tâche effectuée : lorsque la tâche est identique entre les participants, les évaluations sont conformes au niveau de performance de la cible, supérieures pour une cible plus faible et inférieures pour une cible plus forte. Quand la tâche est différente, il n'y a pas de différences dans ces évaluations de compétence. Cette étude renforce l'idée de l'apparition de processus inconscients de comparaison sociale, lorsque le contexte de comparaison induit une récence, une proximité spatiale et temporelle des informations, en faisant appel à des jugements explicites.

Une autre étude, centrée sur les mécanismes cognitifs, montre que l'auto-évaluation dépend d'une comparaison sociale « automatique » : lorsqu'une amorce subliminale de cibles de comparaison est activée, les individus changent leur concept de soi, en fonction de la proximité de la comparaison, modérée ou extrême (Mussweiler, Rüter & Epstude, 2004a). Ainsi, dans le cas d'une comparaison modérée, les individus pensent être similaires à cette cible, ils déclarent être plus performants avec une cible subliminale forte (le pilote automobile Nicki Lauda) que faible (le président américain Bill Clinton). Dans le cas d'un standard de comparaison extrême, ils pensent être différents de celui-ci, les individus pensent être moins performants avec une cible forte (le

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joueur de basket Michaël Jordan) que faible (le pape Jean Paul II). Cette connaissance représente les jugements perceptifs de chaque individu qui peuvent être liés à la catégorie entière (ou groupe) ou liés à l'individu (Mussweiler & Strack, 2000c). Pour Fiske et Neuberg (1990), elle est plutôt liée au groupe, les catégories priment sur les exemplaires (voir paragraphe 1.2.3).

Le deuxième axiome lié à la comparaison sociale est le besoin de protection de soi («

self-enhancement »2). Ce besoin de protection de soi correspond à l'utilisation de la comparaison sociale dans un but d'évaluation favorable de soi (Wills, 1981). Ainsi, en réponse à une menace de l'ego, chaque individu peut avoir recours à certaines comparaisons dites descendantes (Hakmiller, 1966a), vers des personnes d'un statut plus faible, pour privilégier son estime de soi (Gruder, 1977), asseoir une certaine supériorité personnelle en quelque somme.

Pour Aboud (1976), ce besoin de protection de soi dans le cadre de comparaisons sociales peut aussi répondre à des stratégies intergroupes, pour maintenir un certain statut à son groupe, une identité sociale positive. Dans son étude, des enfants mexicains préféreront avoir recours à des comparaisons descendantes par rapport à des enfants américains, et à des comparaisons ascendantes pour des enfants du même groupe ethnique, des enfants d'origine mexicaine.

Enfin, le troisième besoin, d'amélioration de soi ou « self-improvement », est précisé dans la littérature pour des individus privilégiant des comparaisons ascendantes (Taylor & Lobel, 1989). Dans les sociétés occidentales, le besoin continuel d'amélioration de soi est proche d'une norme sociale, où chacun cherche à obtenir un statut supérieur (Ellemers & Van Laar, 2010). Ce besoin d'amélioration de soi amène aussi à vouloir mieux maîtriser son environnement (Butler, 1992). En utilisant dans ses recherches deux types de buts d'accomplissement, ou de motivation à l'action, l'un de maîtrise, et l'autre de performance, cette auteure présente la volonté pour chaque individu de se surpasser personnellement en adoptant l'un ou l'autre de ces buts. La question des buts d'accomplissement étant abordés ci-après (voir chapitre II), une définition rapide en sera faite ici.

2 La traduction en anglais de « self-enhancement » n'est pas exactement celle-ci. Elle pourrait être un besoin de « réhaussement de soi ». Cependant, la notion de « protection de soi », de maintien d'un soi positif, étant étroitement liée au concept de « self-enhancement » (voir Alicke & Sedikides, 2009), elle sera retenue ici.

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Les buts de maîtrise indiquent un souhait pour un individu de faire mieux qu'avant, alors que les buts de performance entraînent plus un objectif de faire mieux que les autres (Dweck, 1986). Ainsi, démontrer de meilleures performances qu'autrui s'intègre au cours de plusieurs étapes du développement cognitif des enfants (Veroff, 1969). Selon les environnements scolaires, les élèves s'évaluent en référence aux résultats de leurs camarades, soit pour obtenir de l'information sur eux-mêmes, soit pour mieux maîtriser les exercices (Butler, 1993 ; Butler & Ruzany, 1993).

Les processus de comparaison sociale amènent à une certaine efficacité, sans avoir recours à beaucoup de ressources cognitives (Mussweiler & Epstude, 2009), constituant par là-même une heuristique de jugement. En effet, lorsqu'une amorce de processus comparatifs est présentée par rapport à une amorce neutre, les participants sont ensuite plus rapides pour juger d'une cible inconnue, et engagent moins de capacités cognitives pour résoudre une activité subséquente. La comparaison sociale permet donc d'obtenir de l'information sur soi et autrui tout en simplifiant l'environnement (Mussweiler et al., 2004a). La définition de soi ne peut être considérée comme « absolue », mais relative à ces processus de comparaison (Mussweiler & Strack, 2000c).

En résumé, la comparaison sociale permet donc à la fois de mieux se connaître, par l'auto-évaluation, de défendre son ego, par l'auto-protection, et de chercher à progresser, mieux s'adapter, par l'auto-amélioration. Elle agit donc sur les représentations de soi, qui influencent ensuite les comportements, la notion de concept de soi est donc centrale pour la compréhension des mécanismes de comparaison sociale.

1.1.4 Le concept de soi : structure stable ou malléable ?

Le concept de soi est un régulateur fort des comportements (e.g., Markus, 1977 ; Markus & Wurf, 1987), c'est une représentation cognitive développée par les individus pour expliquer et comprendre leurs expériences sociales (Markus & Sentis, 1982). Les auto-évaluations qui lui sont associées sont prédictives, dans une étude longitudinale, à la fois des performances scolaires, de

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certains choix d'orientation et de certaines aspirations professionnelles, en contrôlant les aptitudes et les résultats antérieurs (Marsh, 1991). Le concept de soi revêt donc une grande importance dans les jugements, les attitudes et les comportements subséquents des individus ; dans un domaine scolaire, il est même plus important que l'estime de soi pour prédire les résultats scolaires (Marsh, 1992). Il se distingue de la notion de Sentiment d'Efficacité Personnelle, i.e., la croyance dans sa capacité d'organiser et d'exécuter la ligne de conduite requise pour produire les résultats souhaités (Bandura, 1977a), dans le sens où il correspond à une évaluation des compétences plus qu'à une description de celles-ci (Parker, Marsh, Ciarrochi, Marshall & Abduljabbar, 2013). Plus spécifiquement, les estimations de ses propres capacités spatiales et en mathématiques sont par exemple corrélées positivement à des choix d'orientation scientifique, alors que l'auto-évaluation de ses capacités verbales est liée à la réussite universitaire (Ackerman & Wolman, 2007). Les effets du concept de soi dans la sphère scolaire sont aussi démontrés avec des études longitudinales où le soi scolaire, ou académique, prédit à la fois l'intérêt pour les matières et les résultats scolaires en mathématiques, et ceci indépendamment du genre (Marsh, Trautwein, Lüdtke, Köller & Baumert, 2005).

Deux acceptions divergentes de cette notion de concept de soi doivent cependant être considérées. Pour certains tenants d'une approche biologique (McCrae & Costa, 2003 ; 2006), le concept de soi est stable, compris dans un schéma de soi, tandis que pour d'autres, le concept de soi est malléable, soumis à l'environnement écologique. Cette première approche est personnologique, au sens où elle présente des traits de personnalité ancrés individuellement comme préalables aux comportements. Elle s'inspire alors de la Théorie des Cinq Facteurs (« Big Five Theory » de Norman, 1963) pour décrire des facteurs d'origine génétique, qui par maturation intrinsèque déterminent quasi exclusivement le Soi (Bouchard & Loehlin, 2001). Ces cinq facteurs de personnalité, le Névrotisme, le Caractère Consciencieux, l'Extraversion, l'Agréabilité et l'Ouverture d'Esprit sont stables à travers le temps et entre les cultures (McCrae & Costa, 1999 ; Terracciano, Costa, & McCrae, 2006). Ils sont eux aussi prédictifs de nombreuses variables comme les notes

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scolaires (Chamorro-Premuzic & Furnham, 2003), la réussite scolaire (O'Connor & Paunonen, 2007) ou les aspirations professionnelles (McCrae & Costa, 2003). Le concept de soi est alors vu comme une caractéristique de l'unicité d'un individu, de son « je » ou de son « moi », défini par des traits précis et présentant certaines différences avec autrui qui constituent alors la particularité de la personnalité.

Pourtant, ces conceptions d'un soi fixe et unique, invariable, sont contestées par plusieurs études (Guimond et al., 2006 ; Guimond, Branscombe, Brunot, Buunk, Chatard, Désert, Garcia, Haque, Martinot & Yzerbyt, 2007), le concept de soi étant d'une part souvent bien différent selon les cultures, entre celles qui sont collectivistes (comme des sociétés orientales) et celles qui sont individualistes (comme les sociétés occidentales). D'autre part, il faut distinguer un soi personnel ou individuel d'un soi social ou collectif (Turner & Onorato, 1999), les partisans d'un schéma de soi, construit tout au long des expériences passées, considèrent donc le concept de soi comme une structure malléable.

L'approche théorique qui sera développée ici prendra en compte l'influence des processus de comparaisons sur les évaluations de soi, donc sur les cognitions sociales qui contribuent à la construction du concept de soi (Buunk & Mussweiler, 2001). Le concept de soi est une représentation cognitive dépendante du contexte (Onorato & Turner, 2004) : lorsque les identités sociales sont saillantes, les femmes se jugent comme « dépendantes » alors que les hommes pensent être « indépendants » même si ces schémas sont en contradiction avec leurs sois personnels respectifs. Le concept de soi est donc sensible à la fois aux processus de catégorisation et d'identification. Les individus qui sont perçus comme similaires, qui partagent une identité commune, familière, sont inclus dans le soi, alors que les individus qui ne partagent pas cette identité sont séparés du soi (Ryan & David, 2003). Ainsi, dans cette étude, lorsqu'il y a focalisation sur le groupe d'appartenance, l'auto-description est ici plus « connectée » à soi avec certains traits spécifiques, alors qu'une focalisation sur d'autres groupes amène à une description de soi avec des

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traits plus séparatifs, et ceci indépendamment du genre des participants.

Dans un domaine appliqué aux sciences de l'éducation, la notion spécifique de concept de soi scolaire est reliée aux processus de comparaison, elle reflète une comparaison interne de ses capacités et une comparaison externe de ses capacités à autrui (Byrne, 2002). Le déterminisme du concept de soi scolaire provient donc d'un système dit de comparaisons externes, de ses performances par rapport à celles d'autres personnes, et d'un système interne, de ses propres performances entre les matières. L'intérêt sera plutôt porté ici sur le premier point et les différents effets produits par la comparaison sociale sur le concept de soi, mesure plus reliée à la notion de comparaison sociale que ne l'est le Sentiment d'Efficacité Personnelle ou auto-efficacité (Marsh, Walker & Debus, 1991). Selon les situations et les comparaisons engagées avec autrui, différentes conséquences sur le Soi sont ainsi envisageables. Des processus d'assimilation engendrent certains effets bénéfiques avec des comparaisons à des standards proches (Lockwood & Kunda, 1997 ; Mussweiler & Strack, 2000a), tandis qu'un contraste entre soi et la cible semble amener plutôt à des évaluations de soi négatives après, par exemple, une comparaison à un standard élevé par rapport à un standard faible (Morse & Gergen, 1970).

Se comparer conduit à une efficacité cognitive accrue dans le traitement de l'information, les individus sont à la fois plus rapides et plus précis dans leur jugement, dans le cas notamment d’une tâche préalable de comparaison par rapport à une tâche de description, ils allouent également moins de ressources attentionnelles à une seconde tâche subséquente (Mussweiler & Epstude, 2009). Et ceci particulièrement lorsque les liens entre la cible de jugement et le standard de comparaison sont faciles à établir.

1.1.5. Sens de la comparaison (ascendante et descendante) : une question de contexte ?

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semble important à ce stade d'essayer de répondre aux questions suivantes : avec qui se compare t-on ? Quelle(s) cible(s) de comparaist-on est (st-ont) privilégiée(s) par les individus ?

Prioritairement, les individus ont tendance à se comparer à d’autres individus qui leur sont similaires (Festinger, 1954 ; Gastorf & Suls, 1978 ; Goethals & Darley, 1977). En effet, les individus trouvent des informations dans des attributs communs qu'ils lient à leur propre personne, c'est-à-dire qu’ils préfèrent se comparer à d’autres personnes ayant des caractéristiques similaires et saillantes, comme l’âge ou le genre. Certaines études ont montré que l'âge, l'expérience acquise ou le niveau d'entraînement, influent sur le choix de la cible de comparaison (Zanna, Goethals & Hill, 1975). Ce phénomène semble alors peu éloigné d’un mimétisme, stratégie adaptative assez primaire qu'on retrouve chez les animaux, et qui est également qualifié de comportement de « réflection » dans la littérature de la psychologie sociale (Gilbert et al., 1995 ; voir aussi Tesser, 1988). Cette reproduction mimétique évoque même un « effet caméléon » (Chartrand & Bargh, 1999), où le comportement actuel des autres est continuellement relié à soi. Particulièrement, les individus qui sont les plus enclins à se comparer préfèrent émettre des comparaisons avec d'autres personnes qui leur sont semblables, surtout lorsque les cibles de comparaison appartiennent à leur endogroupe et sont pertinentes dans l'évaluation de leur concept de soi (Michinov & Michinov, 2011).

Quelle peut alors être cette cible de comparaison ? Par exemple, concernant le genre, est-ce que l’on se compare véritablement toujours à un individu de même sexe, ou la comparaison peut-elle aussi s'appliquer à un individu d’un autre sexe ?

Le genre peut avoir un effet sur les comparaisons sociales, les filles semblant effectuer plus de comparaisons avec leurs camarades que les garçons dans des situations d'incertitude (Pepitone, 1972). Dans le monde professionnel, sur la question des différences de salaires entre hommes et femmes (Major & Testa, 1989), les travailleurs ont une volonté forte de comparaison avec des personnes de même sexe, les femmes et les hommes se comparent logiquement à leurs congénères exerçant le même métier (91 %). Comme les femmes ont aussi le sentiment d'être à leur place et ne

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se comparent pas au sexe opposé, elles ne pensent pas être sous payées par rapport aux hommes (Crosby, 1982). Pourtant, en référence à la Théorie de la Privation Relative (Runciman, 1966), à partir d’évaluations subjectives, le processus de comparaison de sa propre situation à une autre situation qui fait référence peut conduire à un sentiment d’injustice. Cette question des conséquences de la comparaison n’est pas dénuée d’intérêt pour notre propos, car elle amène à se poser à la fois les questions du changement social et de la dimension de comparaison. Ainsi, pour expliquer les différences de salaires entre hommes et femmes même pour un métier comparable, Crosby (1982) propose que les valeurs associées au travail sont divergentes. Même si des critères objectifs démontrent le contraire, les femmes ne se considèrent pas comme moins bien payées que les hommes, car elles infèrent des conséquences sur leurs capacités à partir des rétributions du groupe auquel elles appartiennent. Les femmes ne se sentiraient ainsi pas particulièrement lésées parce qu’elles se compareraient peu aux hommes, alors que les hommes hésiteraient moins à procéder à des comparaisons intergroupes, surtout dans des contextes où ces comparaisons leur sont favorables. Une série d’études illustre ce propos (Bylsma & Major, 1994 ; Major, 1994 ; Major & Forcey, 1985 ; Major & Testa, 1989), elles démontrent un « biais de similarité »3 où les comparaisons intragroupes sont acquises plus facilement et amènent à plus de satisfaction personnelle, les comparaisons intergroupes étant seulement possibles dans l'utilisation stratégique des informations de comparaison, pour protéger le soi.

Les individus préfèrent donc se comparer, majoritairement et « librement », à des personnes de même sexe (Blanton, Buunk, Gibbons & Kuyper, 1999 ; Crocker & Blanton, 1999 ; Huguet, Dumas, Monteil & Genestoux, 2001 ; Miller, 1984). Il semble en effet tout à fait logique de se comparer à des personnes qui présentent des similarités. Toutefois, dans certaines conditions, et notamment pour certains comportements d'aide, les individus peuvent plus « souffrir » de comparaisons ascendantes à une personne similaire par rapport à une personne différente (Brickman

3 Byrne (1997) propose également l'existence d'un « effet de similarité » caractérisé par une attitude d'attraction des individus pour d'autres personnes présentant des opinions similaires.

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& Bulman, 1977). Pour protéger l'image de soi et l'estime de soi, des comparaisons descendantes, vers des individus moins bien lotis, peuvent être privilégiées (Hakmiler, 1966a ; Wills, 1981).

Dans la théorie princeps de Festinger (1954), les comparaisons sociales impliquent une meilleure connaissance de soi et de ses capacités, et s'effectuent plutôt vers le haut (« upward

comparison »). Pourtant, les processus de comparaison peuvent tout autant se faire vers le bas

(« downward comparison »), et ceci principalement dans le but de maintenir une image positive de soi-même ou de son groupe (Wills, 1981). Il est maintenant pertinent de considérer qu'actuellement la comparaison sociale se fait vers des cibles tout aussi bien ascendantes que descendantes (Buunk, Zurriaga, Gonzalez-Roma & Subirats, 2003 ; Buunk, Zurriaga, Peiró, Nauta & Gozalvez, 2005 ; Taylor & Lobel, 1989). Ainsi, particulièrement, et dans une étude appliquée aussi au monde du travail, chez des médecins, le contexte social change le sens des comparaisons : un contexte coopératif rend satisfaisant des comparaisons ascendantes alors qu'un contexte où les comparaisons sont saillantes amène à des comparaisons descendantes et se manifeste, d'un point de vue affectif, par une meilleure sensation de bien-être (Buunk et al., 2005).

Ainsi, les sentiments ou affects à l'égard de sa propre personne ou de celle d'autrui amènent à diriger ces différents types de comparaison, ascendant ou descendant, conformément à certains modèles développés récemment (Buunk & Ybema, 1997 ; Smith, 2000). Le modèle d'identification/contraste (Buunk & Ybema, 1997) dissocie fondamentalement ces deux processus de traitement de l'information dans les conséquences qu'ils peuvent avoir sur les émotions. Ils dépendent alors du degré d'identification à la cible de comparaison : en cas d'identification forte, l'assimilation prévaut tandis que si l'identification est faible, des effets de contraste entre soi et la cible s'engagent. Le modèle de comparaison sociale basée sur les émotions (Smith, 2000) s'appuie ultérieurement sur ces travaux pour décrire les conséquences émotionnelles à cette comparaison. Lorsque la comparaison ascendante est portée sur soi, l'assimilation peut conduire à un état d'optimisme, désirable pour soi, mais aussi à un état d'admiration, désirable pour autrui. Cette

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comparaison ascendante peut tout autant mener à un contraste ou une différenciation de la cible, par la honte si le résultat n'est pas désirable pour soi, ou par un état de rancoeur si le résultat est désirable pour autrui. Les effets de la comparaison descendante peuvent aussi amener à un processus de différenciation en s'avérant désirables pour soi, avec un état de fierté, et indésirables pour autrui avec du mépris. Enfin, dans ce modèle de Smith (2000), la comparaison descendante peut amener à l'assimilation avec le sentiment de pitié lorsque le résultat est indésirable pour autrui ou à la peur lorsque le résultat est indésirable pour soi.

Concernant la dimension cognitive du concept de soi, pour l'amélioration de soi («

self-improvement »), les individus privilégieront des comparaisons ascendantes, alors que pour la

protection de soi (« self-enhancement »), des comparaisons descendantes seront plus utilisées (Dijkstra, Kuyper, van der Werf, Buunk & van der Zee, 2008). En effet, lors d'une comparaison ascendante, avec une cible de comparaison meilleure, les individus chercheront à s'améliorer, à progresser personnellement (Blanton et al., 1999). Dans le domaine scolaire, cela correspond à l'émulation, une motivation induite par la « rivalité » et les résultats d'autrui, qui poussent à faire mieux. La comparaison descendante, avec une cible de comparaison moins bonne, sera plus sécurisante, et suscitera moins d'efforts. Le choix d'une comparaison, ascendante ou descendante, peut donc se faire selon les aspirations de chacun, et possiblement aussi selon les contextes induits voire la personnalité d'un individu, le Soi en des termes psychosociaux (Locke & Nekich, 2000). Ainsi, les motivations à se comparer sont incluses dans certaines stratégies individuelles (Zagefka & Brown, 2006) où les types de comparaison choisis peuvent être intergroupes à un niveau groupal, du groupe d'appartenance en comparaison à un exogroupe, ou à un niveau personnel, du soi individuel avec des membres d'un autre groupe ; ces comparaisons peuvent aussi être intragroupes, avec d'autres membres de son groupe, ou temporelles. Le moteur du choix des cibles de comparaison est alors ascendant notamment dans une situation d'évaluation, ou descendant et intragroupe pour satisfaire un besoin de protection de soi, alors que les comparaisons

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intergroupes sont motivées par des préoccupations liées à l'égalité (Zagefka & Brown, 2006).

1.1.6. Des effets de la comparaison sociale sur les performances scolaires ?

Dans un milieu scolaire, l'influence de la comparaison sociale ascendante, d'un élève moins bon vers un élève meilleur, semble bénéfique pour les élèves (Blanton et al., 1999 ; Huguet et al., 2001). Des liens positifs existent entre le concept de soi scolaire et les comparaisons ascendantes, où les élèves « assimilent » les caractéristiques de leurs collègues légèrement meilleurs à leur contact (Huguet, Dumas, Marsh, Régner, Wheeler, Suls, Seaton & Nezlek, 2009). Ces comparaisons ascendantes permettent plus d'amélioration des performances par rapport à des comparaisons dites latérales, avec d'autres individus de capacités similaires, ou descendantes, d'un élève meilleur vers un élève moins bon (Bandura & Jourden, 1991). Dans cette dernière étude, les résultats pour les comparaisons ascendantes étaient les plus probants dans une condition de maîtrise progressive où les élèves se fixaient certains objectifs à atteindre. Ceci soutient l'idée que les effets des performances scolaires sont plus déterminés par des propriétés relatives que par des propriétés absolues, en plaçant la notion de comparaison dans un cadre plus général des théories de l'auto-régulation comme la Théorie Socio-Cognitive (Bandura, 1986). Les élèves ont donc la possibilité d'évaluer la marge de progression pour atteindre de meilleurs résultats que ceux qu'ils obtiennent (Ybema & Buunk, 1993). Ils progresseront mieux encore sous l'influence d'un modèle travailleur (Bagès & Martinot, 2011 ; Bandura, 1986). Cependant, les effets de la comparaison peuvent aussi quelquefois être démoralisants pour les élèves, amener à un déclin progressif des performances, particulièrement quand cette comparaison est latérale ou descendante (Bandura & Jourden, 1991).

La présence d'autrui et l'attention allouée à sa présence peut influencer les propres performances d'un individu (Butera, Darnon, Buchs & Muller, 2006). L'attention est ainsi perturbée lorsque la comparaison est défavorable, c'est à dire inférieure à un certain standard donc lors une comparaison ascendante (Muller & Butera, 2007). Les effets de cette comparaison ascendante

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peuvent se révéler menaçants pour l'individu (Muller, Fayant & Lastrego, 2011). Dans ces conditions, la diminution des ressources attentionnelles du fait de la simple présence d'un autrui supérieur change l'auto-évaluation de manière négative en abaissant l'image de soi. Ici, la comparaison ascendante, surtout si la différence perçue avec la cible est trop grande, peut avoir des effets délétères sur les performances avec un sentiment d'efficacité personnelle bas (Sanna, 1992). De plus, dans une situation de classe où la compétition est présente, les comparaisons peuvent être plus rédhibitoires pour des élèves déjà en situation d'échec (Monteil, 1989 ; Monteil & Huguet, 2001 ; 2002), ou lorsqu'il est précisé que l'ensemble des élèves de la classe est meilleur, ce qui est décourageant et affecte le concept de soi (Wheeler & Suls, 2005). Quand l'identité sociale est saillante, le contexte de comparaison amène à des effets délétères sur le concept de soi, foncièrement stigmatisants pour les personnes issues de groupes de bas statut (Crocker, Major & Steele, 1988).

Une série d'études de Rijsman (1974) montre des résultats différents selon la nature des comparaisons en fonction à la fois de la présence physique de la cible de comparaison (représentée par un co-acteur dans ses expérimentations), des attentes de réussite et du niveau d'identification (catégoriel ou individuel). L'expérience 6a montre des résultats inverses pour un niveau d'identification catégoriel (les hommes se comparant à des femmes) par rapport à une catégorisation individuelle (dans l'expérience 1) : les participants qui font preuve de comparaison ascendante, avec un autrui qui a des résultats très supérieurs, progressent le plus, alors que ceux qui effectuent des comparaisons descendantes ou équivalentes ont de moins bonnes performances. L'auteur conclue cet article en expliquant que les effets les plus bénéfiques pour les performances se situeraient avec des comparaisons descendantes ou latérales à un niveau individuel et avec des comparaisons ascendantes pour un niveau catégoriel. Ces résultats peuvent être contradictoires avec ceux exposés auparavant (voir Bandura & Jourden, 1991), mais certaines limites sont présentes dans ces expérimentations comme le fait qu'elles ne regroupaient que peu de sujets (une trentaine pour

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l'expérience 6) et exclusivement de sexe masculin, Au delà de ce problème méthodologique, ces études tendent à illustrer que les performances sont bien tributaires d'un climat de pression sociale, de compétition, et surtout du contexte de comparaison et du sens de ces comparaisons.

Les recherches sur la comparaison sociale prennent donc en considération les appuis à l'évaluation de soi que constituent les performances d'autrui. Comme le signale Bandura (1977a ; 1986), l'auto-efficacité perçue (i.e., Bandura, 2003) est fonction des comparaisons et entraîne par la suite la motivation des individus à l'action, la persistance dans la tâche en faisant des efforts. De plus, la comparaison à autrui est source d'information sur ses capacités ou ses performances, par l'observation des résultats de ses camarades et permet le jugement personnel sur sa propre réussite (Bandura, 1981). Les apprentissages sont ainsi vicariants, inhérents aux salles de classe, mais en référence à ce que l'élève apprend en dehors du discours du maître, en regardant faire ou en écoutant ceux qui savent faire. Dans ce contexte, la comparaison sociale joue un rôle important, par l'analyse individuelle des productions des autres. Lorsque les comportements et les résultats d'autrui sont observés, les conséquences pour soi sont ainsi traités cognitivement par les élèves.

Il ne faut cependant pas omettre que des variables de statut, comme le genre par exemple, sont des facteurs déterminants dans l'explication du sens des comparaisons (voir Guimond & Chatard, 2013), et que des comparaisons sociales peuvent s'effectuer tout autant à l'intérieur d'un même groupe (i.e., intragroupe) qu'à l'extérieur de ce groupe (i.e., intergroupe).

1.2. La Théorie de l'Auto-Catégorisation

1.2.1. D'une identité construite selon les comparaisons.

A partir d'un concept de soi construit sur la base des comparaisons sociales, et dépendant dans sa construction des groupes sociaux auxquels chaque individu appartient (Hyman & Singer, 1968), les bases sont posées pour l'introduction d'une théorie prenant en compte à la fois les notions de comparaison sociale, de concept de soi et d'identité, personnelle ou sociale.

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La Théorie de l'Auto-Catégorisation (Turner, 1987 ; Turner et al., 1987) s'est développée à la suite de la Théorie de l'Identité Sociale (Tajfel & Turner, 1979). La Théorie de l'Identité Sociale (TIS) explique comment les individus sont attachés à certaines appartenances groupales, et sont capables de comportements liés à cet attachement au groupe. De nombreuses croyances partagées sont internalisées dans l'identité sociale en fonction du groupe d'appartenance, et elles peuvent être guides des jugements et des comportements. Lorsqu'un individu appartient à un groupe social désavantagé en résulte pour lui une identité sociale négative (Tajfel & Turner, 1979). Pour restaurer cette identité sociale et la rendre plus positive, diverses stratégies peuvent être mises en oeuvre (van Knippenberg, 1989). Parmi celles-ci, on retrouve la mobilité individuelle, la créativité sociale et la compétition sociale (Tajfel & Turner, 1979). Une taxonomie un peu différente discerne ensuite des stratégies individuelles pour améliorer sa position personnelle ou des stratégies collectives pour améliorer la position de l'endogroupe dans une étude menée avec des ex-allemands de l'est se comparant à leurs compatriotes de l'ouest (Blanz, Mummendey, Mielke & Klink, 1998). Plusieurs pôles différents sont ainsi définis selon la nature de la cible, individuelle ou collective, avec des modes de réponse qui peuvent être cognitifs ou comportementaux (Tableau 1).

Tableau 1. Une taxonomie 2 X 2 des stratégies de traitement de l'identité à la suite d'une identité sociale négative (Blanz, Mummendey, Mielke & Klink, 1998)

Objectif de changement Individuel Collectif Mode de réponse Comportemental Mobilité individuelle

Assimilation (Hogg & Abrams, 1988)

Compétition sociale Compétition réaliste Assimilation (Tajfel, 1978)

Cognitif Individuation Ré-évaluation de la dimension de comparaison Nouvelle dimension de comparaison

Re-catégorisation superordonnée Re-catégorisation subordonnée Nouveau groupe de comparaison Comparaison temporelle Comparaison avec le standard

Par exemple, au niveau d'un pôle individuel/cognitif, c'est un processus d'individuation qui prévaut où les membres de groupe de bas statut ont tendance à ne plus se définir comme membres

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d'un groupe, mais comme individu unique (Turner et al., 1987). Ceux qui adoptent cette réponse cognitive ne sont plus affectés par les évaluations liées au groupe (Ng, 1989).

Toujours à un niveau cognitif, mais d'un point de vue collectif, la comparaison intergroupe défavorable peut amener à des changements dans une réévaluation de la dimension de comparaison ou dans le choix d'une nouvelle dimension de catégorisation (Tajfel, 1978). La réévaluation de la dimension de comparaison correspond à la tendance pour les membres du groupe désavantagé à dévaluer le rôle positif de cette dimension en changeant ses valeurs, tandis que le choix d'une nouvelle dimension de comparaison rejette les comparaisons sur une dimension négative en adoptant une autre dimension où l'endogroupe a un statut amélioré. Le changement entre les niveaux d'auto-catégorisation est possible par certaines stratégies de créativité sociale avec la catégorisation, qui conduit à la création d'un nouveau groupe commun par une « categorisation superordonnée », ou à la création de sous groupes de statut inférieurs par une « re-catégorisation subordonnée » (Blanz et al., 1998).

1.2.2. Présentation de la Théorie de l'Auto-Catégorisation.

Issue des travaux menés pendant plusieurs années par John Turner et son équipe, la Théorie de l'Auto-Catégorisation (TAC) permet de comprendre, expliquer et prédire comment les gens pensent, ressentent et agissent selon les circonstances (Turner & Reynolds, 2011). A travers le prisme d'un sens cognitif du Soi, elle explique comment les individus se définissent et définissent les autres en tant qu'entité individuelle ou collective ; en cela, cette théorie se situe au centre de la pensée humaine et de sa conception, en étant impactée par le fait que les êtres humains sont avant tout des animaux sociaux (Turner & Oakes, 1997). Il existe une certaine malléabilité dans la psychologie des individus, au delà d'une structuration purement fixiste du concept de soi, celle-ci étant développée dans la Théorie de l'Auto-Catégorisation (Reynolds & Turner, 2006)

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comparaison, c'est à dire du contexte dans lequel la comparaison est effectuée. Cette Théorie de l'Auto-Catégorisation distingue tout d'abord trois niveaux de catégorisation, un niveau superordonné où l'Homme est en face de la Nature, un niveau médian d'identité sociale où la différenciation entre membres de l'endogroupe et membres de l'exogroupe (« Nous » vs « Eux ») est primordiale, et un niveau bas d'identité personnelle, où l'individu est considéré comme unique par rapport aux autres membres de l'endogroupe (« Je » vs « Tu »). Même si ce dernier niveau de catégorisation représente la dimension du Soi la plus souvent étudiée, ces différents niveaux d'abstraction sont équivalents pour la compréhension des mécanismes identitaires (Oakes & Turner, 1990). Plus récemment, la définition du soi personnel s'est enrichie de la notion de comparaisons intrapersonnelles pour un niveau d'auto-catégorisation moins inclusif (Reynolds & Turner, 2006).

La TAC obéit au principe de méta-contraste, la catégorisation s'effectue entre plusieurs stimuli, où les différences intra-catégorielles entre ces stimuli sont minimisées alors que les différences inter-catégorielles entre ces mêmes stimuli sont accentuées. Chaque niveau d'auto-catégorisation peut être activé selon le contexte. Ainsi, chaque individu possède une multitude de concepts de soi et d'identités afférentes. Lorsque la comparaison se fait avec un membre d'un autre groupe, l'identité sociale est activée, tandis que lorsque la comparaison s'effectue avec un membre de son groupe d'appartenance, l'identité personnelle prévaut. Le concept de soi varie alors de contenu selon le niveau d'auto-catégorisation, ces types de jugement de soi dépendant également de la pertinence de la dimension étudiée (Turner, Oakes, Haslam & McGarty, 1994).

Considérée dès le départ comme une théorie des relations intergroupes, la TAC englobe une vision plus large du fonctionnement des individus, tant d'un point de vue cognitif que comportemental. Dans la pensée de Turner (1982), la catégorisation de soi régule les perceptions et les comportements, le concept de soi prend donc la plupart du temps la forme soit d'une identité personnelle, du « Je », soit d'une identité sociale, du « Nous ». En cela, la TAC se distingue de la Théorie de l'Identité Sociale (Tajfel & Turner, 1979 ; 1986) pour laquelle seul l'aspect social,

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groupal, est prépondérant ; pour la Théorie de l'Identité Sociale (TIS), chaque individu appartient à un groupe et partage les caractéristiques des autres membres de ce groupe social lorsqu'il s'identifie à celui-ci. Dans la Théorie de l'Auto-Catégorisation existe le concept d'identité personnelle qui correspond à une définition de soi comme un individu unique, différent des autres.

D'autres différences nuancent la Théorie de l'Identité Sociale. La Théorie de l'Auto-Catégorisation prédit notamment qu'une différenciation intergroupe augmente les différences perçues entre les groupes. De plus, pour la TIS, la résultante d'une différenciation entre les groupes amène à une évaluation plus positive de l'endogroupe, ce qui n'est pas le cas pour la TAC. D'une part, les comparaisons dépendent du niveau de catégorisation et peuvent être négatives pour l'endogroupe (cf. Guimond et al., 2006), et d'autre part, toutes les comparaisons ne sont pas intergroupes mais peuvent être temporelles ou intragroupes (cf. Zagefka & Brown, 2006).

D'un point de vue cognitif, le processus mental de catégorisation se développe selon les contextes (Barsalou, 1987 ; voir aussi Bruner, 1957). En amenant les stimuli à la pensée, il permet alors de comprendre et d'expliquer un grand nombre d'émotions, d'attitudes et de comportements des individus (Reynolds, Turner, Branscombe, Mavor, Bizumic & Subasic, 2010). Ces individus se définissent principalement selon deux niveaux d'abstraction menant à des sois différents, un niveau d'identité personnelle (i.e., soi individuel) et un niveau d'identité sociale (i.e., soi collectif).

Le passage d'une identité personnelle vers une identité sociale ou collective a comme résultante un processus d'auto-stéréotypie, ou de dépersonnalisation de soi (Hogg & Turner, 1987 ; Turner, 1982). Les personnes ne se perçoivent plus comme individu unique mais comme membres d'un groupe particulier. Ce changement de catégorie amène alors à considérer l'endogroupe comme homogène et permet d'appliquer à soi les stéréotypes de son propre groupe (Reynolds & Oakes, 2000). Les différences individuelles des membres de l'endogroupe sont alors minimisées, tandis que les différences par rapport aux membres de l'exogroupe sont accentuées. Il y a plus de conformisme aux normes de l'endogroupe et de comportements consistants au(x) stéréotype(s) de cet endogroupe.

Figure

Tableau 2. Taxonomie des préoccupations et des moteurs du soi social selon l'engagement dans le  groupe (Ellemers, Spears & Doosje, 2002)
Tableau 3. Niveaux de représentations du Soi (Brewer & Gardner, 1996)
Table 1 Mean responses and Standard Deviation for the scientific and arts self-concept, the reported marks in Math and in Arts (language) as a function of comparison between context and gender
Fig. 1 Intention to enroll in a Preparatory Course for Higher Education (PCHE) as a function of comparison context and gender
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Références

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