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1.4 Les sujets intermédiaux

1.4.1 Le théâtre, sujet de l’intermédialité

Le phénomène « théâtre » est constitué d’une longue série d’entre-deux. Il intègre normalement deux formes médiatiques ou plus (le corps, la voix, la musique). En général, la pratique théâtrale s’inscrit « entre deux "espaces", celui de l’acteur et du spectateur, du texte (ou du son) et du sens, de l’image et de sa réception, mais il s’immisce aussi entre un média et un autre média, ou même un art et un autre art, au cœur de la relation entre les deux, entre distance et illusion151 ». Pour cela, il est étonnant que le théâtre n’ait pas attiré l’attention des chercheurs intermédiaux avant le XXIe siècle. Larrue donne pour raison les modes de pensée liés à la pratique scénique : les théoriciens de l’intermédialité soutiennent la primauté des systèmes de relations sur les objets dans la genèse et la dynamique des médias et placent la matérialité au centre de leurs préoccupations, ce qui n’a pas attiré « la sympathie d’un milieu qui, depuis près d’un siècle, élabore un discours identitaire fondé sur l’acteur (sa voix, son corps) et son rapport immédiat au spectateur152 ».

Larrue explique par ailleurs que la notion de « présence » a tellement été liée à l’épistémè théâtrale qu’il est devenu difficile de l’en distinguer. Comme celui d’autres pratiques, la danse et le concert par exemple, le dispositif théâtral a reposé historiquement sur la coprésence d’un acteur et d’un spectateur vivants en un espace physique et temporel. Pourtant, « cela ne justifie pas d’ériger la présence en caractéristique nécessaire et irréductible – "essentielle" – de la médialité théâtrale153 », remarque avec justesse Larrue, surtout lorsque l’on est face à la reconfiguration provoquée par l’avènement de l’électricité. Mais le discours sur le théâtre persistait dans le sens opposé de la remise en question des essentialismes par l’approche intermédiale.

150 Ibid., p. 42.

151 Tatiana Burtin, « Interartialité et remédiation scénique de la peinture », Intermédialités, no 12 (2008), p. 90.

152 Jean-Marc Larrue, « Théâtre et intermédialité : une rencontre tardive », Intermédialités, no 12 (2008), p. 14.

153 Jean-Marc Larrue, « Du média à la médiation : les trente ans de la pensée intermédiale et la résistance

En considérant que tout nouveau médium ou changement technique est accompagné d’une nouvelle manière de percevoir, laquelle peut entrer en conflit ou coexister avec celles déjà existantes, la recherche intermédiale a commencé à relire l’histoire du théâtre, en particulier celui qui a su incorporer la technologie au début du XXe siècle. Ce qui est en jeu est la place occupée par l’appareillage technique dans la constitution ou la transformation du médium. Jean-Marc Larrue s’intéresse, par exemple, à la présence de phonographes sur la scène ou dans les coulisses des théâtres pendant cette période154.

Kattenbelt mentionne deux facteurs qui ont finalement suscité l’avènement de l’intermédialité dans les études théâtrales : la nature médiatique et performative de la culture contemporaine et le fait que les pratiques artistiques sont de plus en plus interdisciplinaires. Sur ce dernier point, il explique :

Les artistes œuvrant dans diverses disciplines travaillent maintenant les uns avec les autres. Leur rencontre n’est pas seulement métaphorique : ils se rencontrent sur la scène, parce que la scène fournit un espace où les arts peuvent s’affecter profondément les uns les autres. Nous pourrions même dire : lorsque deux formes artistiques ou plus se rencontrent, un processus de théâtralisation arrive. Ce n’est pas seulement parce que le théâtre est capable d’incorporer tous les autres arts, mais parce que le théâtre est l’« art du performer » et par là il constitue le modèle de base de tous les arts155.

Larrue relève l’importance des études de Moser, Boenisch et Kattenbelt dans la constitution d’une théorie de l’intermédialité théâtrale, ainsi que leur conclusion selon laquelle, par sa capacité d’incorporer tous les médias, « le théâtre n’est ni un art ni un média comme les autres, c’est un hypermédia156 ». D’après Kattenbelt, c’est la raison pour laquelle le théâtre a joué historiquement un rôle important dans les échanges entre les arts : le théâtre combine et intègre, à différents degrés, des médias de base tels que le texte auditif, l’image immobile et

154 Exemple cité par Rémy Besson, « Prolégomènes pour une définition de l’intermédialité à l’époque

contemporaine », op. cit., p. 9.

155 « […] [A]rtists who are working in different disciplines are today working with each other – particularly in

the domain of theatre – their creative work is "finding each other" – not only metaphorically but also literally on the performance space of the stage, and I suggest that this is because theatre provides a space in which different art forms can affect each other quite profoundly. Maybe we could even say: when two or more different art forms come together a process of theatricalization occurs. This is not only because theatre is able to incorporate all other art forms, but also because theatre is the "art of the performer" and so constitutes the basic pattern of all the arts. » « Intermediality in Theatre and Performance: Definitions, Perceptions and Medial Relationships », Cultura, lenguaje y representación, vol. 6 (2008), p. 20.

156 Jean-Marc Larrue, « Théâtralité, médialité et sociomédialité : fondements et enjeux de l’intermédialité

la performance corporelle. Dans le cas de la scène contemporaine, le numérique permet au théâtre de rendre possibles ces échanges à la manière d’une interface157. La scène, milieu où s’est développée la plus grande part de l’œuvre de Lepage, constitue donc le milieu adéquat pour l’approfondissement des propriétés performatives de l’intermédialité.

Comme Kattenbelt, Larrue considère qu’il faut prendre la notion d’« hypermédia » en son sens littéral de média fédérateur et non de média assimilateur ou transformateur. De ce point de vue, le théâtre devient « la pratique intermédiale par excellence dans la mesure où il est lui-même fait de médias interagissant les uns avec les autres – la musique, la scénographie, les pratiques plastiques, la danse et la gestuelle, la dramaturgie, etc. –, comme interagissent les différents éléments qui composent la page web158 ».

Nelson s’appuie sur Boenisch pour définir l’intermédialité au théâtre à partir du rapport entre la scène et le public : lorsqu’une création scénique recourt à différents médias sur la scène (des acteurs, des peintures, une bande sonore), ceux-ci interviennent au-delà de leur présence originale et pure : ils deviennent des signes. Cet effet performatif intervient dans la perception des spectateurs : « le théâtre multiplie ses objets en en faisant à la fois des objets présents sur scène et des représentations, et ils sont – par-dessus tout – présentés à quelqu’un qui les perçoit et les observe159 ».

Pour sa part, Kattenbelt relie les notions de performativité et d’intermédialité en considérant le phénomène intermédial « non seulement comme une redéfinition des effets qu’ont les médias les uns sur les autres et qui provoquent une resensibilisation de la perception, mais également comme une radicalisation de la performativité de l’art160 ». La performativité est une propriété inhérente aux arts, mais elle n’apparaît nulle part avec autant d’évidence que dans le théâtre. Une expression performative (images, gestes, mots, sons) est une action qui

157 Chiel Kattenbelt, « Intermediality in Theatre and Performance: Definitions, Perceptions and Medial

Relationships », art. cit., p. 23.

158 Jean-Marc Larrue, « Du média à la médiation : les trente ans de la pensée intermédiale et la résistance

théâtrale », art. cit., p. 40.

159 « As Boenisch summarises: “Theatre multiplies its objects in a remarkable way into objects on stage that

are present and representations at the same time, and – above all – they are presented to someone who is perceiving and observing them.” » Robin Nelson, « After Brecht: the Impact (Effects, Affects) of Intermedial Theatre », Intermédialités, no 12 (2008), p. 33.

fait exister ce à quoi elle renvoie : elle crée ce qu’elle présente. Il s’agit d’un événement « dont l’utilité pratique vient principalement de son déroulement dans l’ici et maintenant, de son besoin d’être mené à bien et d’être présenté et, par conséquent, de son besoin d’être perçu à un moment précis161 ». En outre, une expression performative est « une action intentionnelle, qui n’est pas simplement "performée" au sens (littéral) d’exécutée, mais qui est mise en scène162 », confirme Kattenbelt.

La performance théâtrale suppose l’existence d’un performeur, qui, en se présentant, construit son identité, et d’un spectateur qui collabore à la construction du performeur en y assistant. Il s’agit d’une situation perçue et ressentie selon un cadre esthétique. Cela veut dire que « le théâtre n’est pas constitué par la performativité de la situation en tant que telle, mais par l’orientation de la personne qui perçoit – le "percevant". Du fait que son expérience est principalement guidée par son intérêt spécifique, le percevant est avant tout un experiencer, tout en étant un sujet d’expérience163 ». L’approche performative considère la représentation théâtrale comme un processus intermédial

[…] qui rend manifestes les phénomènes audibles et visibles de manière à ce que nous puissions en faire l’expérience. Elle permet la participation du public, elle donne lieu à la co-constitution de l’événement théâtral. Dans le cadre d’une performance, les phénomènes sont toujours plus riches que les concepts que nous en retirons car elle excède ce qui est performé. Cet excès est intrinsèque à l’intermédialité artistique et caractérise la transaction entre le phénomène mis en scène et le phénomène perçu164.

Röttger propose pour l’analyse de l’œuvre théâtrale une méthodologie intermédiale qui récuse la notion de différence médiatique (c’est-à-dire la pensée identitaire appliquée aux médias) et vise la relation dynamique entre la performance de l’acteur et la perception du spectateur. Menée selon une perspective intermédiale, l’analyse de la représentation prend « en considération l’ensemble des relations entre les médias et entre les phénomènes rendus manifestes à travers les médias : l’interaction entre voir et parler, sons et images, mots et choses, entre le visible et l’audible165 ». Röttger renvoie à McLuhan, pour qui les sens ne

161 Ibid., p. 102. 162 Id.

163 Ibid., p. 104.

164 Katti Röttger, « Questionner l’"entre" : une approche méthodologique pour l’analyse de la performance

intermédiale », art. cit., p. 124.

constituent pas des circuits fermés et privés d’interactions ; tout au contraire, les sens sont reliés et ils ont la capacité de traduire des expériences perceptives de l’un à l’autre, ce qui déploie de nouvelles dimensions sensibles et empiriques dans une dynamique de coopération intermédiale. Dans le cas de la performance théâtrale, elle dépend autant de l’acte de présenter que de l’acte de recevoir ; elle s’appuie sur une capacité à traduire ou transmettre : la performance du théâtre « est semblable à celle des médias qui organisent ses éléments structurels en fonction d’un processus dynamique et continu de traduction de leurs différences166 ».

1.4.1.1 Le théâtre de l’image

La production scénique de Lepage a été reconnue comme un exemple de « théâtre de l’image », une forme scénique développée surtout à partir des dernières décennies du XXe siècle. Hébert et Perelli-Contos distinguent le théâtre de l’image (« un art en mouvement »), du cinéma (un « art du mouvement »)167, auquel le premier emprunte de nombreuses ressources. La distinction entre les deux réside dans la nature réflexive et transformative du théâtre de l’image, qui « cherche moins à faire voir le mouvement du monde réel qu’à poser le regard sur lui-même (pour ne pas dire sur la pensée) et, incidemment, sur ses propres mouvements et mécanismes obscurs168 », expliquent les auteures.

Marie-Christine Lesage emploie l’expression « technique de l’image » pour décrire tout ce qui relève de médias d’enregistrement du réel et des productions visuelles non référentielles que permet l’usage du film, de la vidéo (avec tous les procédés qui les caractérisent) et des écrans (moniteurs, grands écrans de formes et de matériaux divers, du plus opaque au plus transparent). Elle explique que certains metteurs en scène, dont Lepage, parviennent à mettre « la technique visuelle au service de l’imaginaire et d’un art scénique réinventé, en ce qui a trait tant au jeu de l’acteur (qui s’en trouve radicalement transformé) et aux configurations

166 Ibid., p. 119.

167 Nos italiques. « D’un art du mouvement à un art en mouvement : du cinéma au théâtre de l’image », Protée,

vol. 28, no 3 (2000), p. 71.

de l’espace scénique qu’à la relation, renouvelée, entre la scène et la salle169 ». Ces techniques « ne sont pas au service d’une inflation du visuel mais plutôt en quête d’une théâtralité remise en jeu sur le plan de l’imaginaire170 ».

Les notions de théâtre de l’image de Hébert et Perelli-Contos et de techniques de l’image de Lesage peuvent être reliées à celle de « cinématicité »171, développée par Luis Thenon dans le cadre d’expériences vidéoscéniques172 et sonores au Laboratoire des nouvelles technologies de l’image, du son et de la scène (LANTISS) à l’Université Laval. Selon Thenon, la cinématicité fait appel « à cette partie de la pensée scénique qui, en tant que discours, s’organise et se produit dans l’espace propre de la théâtralité, mais qui trouve ses racines dans l’ample univers du cinématographique, dans ses temporalités spécifiques, dans son organisation comme matériel créatif173 ». L’inscription de la cinématicité dans l’espace scénique s’appuie sur une écriture que l’auteur considère intermédiale. L’écriture intermédiale est « une forme de création textuelle ou scénique qui, de sa base conceptuelle, se constitue comme une série intégrée d’écritures médiales174 ». Il s’agit donc d’une intégration à l’origine même du processus créatif et non d’une addition postérieure de plusieurs médias.

169 Marie-Christine Lesage, « Théâtre et intermédialité : des œuvres scéniques protéiformes »,

Communications, 83 (2008), p. 142.

170 Ibid., p. 153.

171 Exprimé en espagnol par « cinematicidad », nous le traduisons par « cinématicité », et non par

« cinématographicité » parce que le terme ne se limite pas au cinématographique, mais au domaine plus ample de l’image, et en particulier, de l’image en mouvement et des narrations qui s’en dégagent. Luis Thenon, « La escritura intermedial en la escena actual », Diálogos, vol. 14, no 2 (2013), p. 192. Nous employons les deux

concepts à travers notre recherche : la cinématicité, comme Thenon le fait pour les pratiques scéniques, et la cinématographicité, pour la médialité du cinéma.

172 Nous appelons vidéoscène l’intégration de la vidéo dans la pratique scénique. Elle constitue un des

principaux éléments du théâtre de l’image.

173 « El concepto de cinematicidad […] remite a aquello específicamente inscrito en el dominio (o perteneciente

al) universo de la imagen. En el ámbito del teatro, bajo esta apelación incluimos aquella porción del pensamiento escénico que como discurso, se organiza y se produce en el espacio propio de la teatralidad, pero que encuentra sus raíces en el amplio universo de lo cinematográfico, en temporalidades específicas a este espacio creativo, a su organización como materia de creación ». Luis Thenon, « La escritura intermedial en la escena actual », art.

cit., p. 192.

174 « [E]scritura intermedial [:] una forma de creación textual o escénica que, desde la base conceptual, se

constituye como una serie integrada de escrituras mediales ». Luis Thenon, « La escritura intermedial en el texto postdramático », Escena, vol. 76, no 2 (juillet-décembre 2016), p. 135.

Le théâtre de l’image donne suite à des pratiques millénaires et en approfondit la trace : depuis l’Antiquité, le théâtre a employé des éclairages artificiels, des procédés de simulation (ombres chinoises, bruitage) ou des mécanismes produisant des effets spéciaux (fumée, disparition)175. La différence se trouve dans l’ampleur et la sophistication de l’emploi, ainsi que dans les questionnements qu’il déclenche. L’émergence du théâtre de l’image est aussi lié à l’essor de la technologie dans la vie quotidienne. Sirois-Trahan identifie un antécédent du théâtre de l’image dans les ressources techniques du XIXe siècle : « le "théâtre de l’image", compris comme l’utilisation des techniques cinématographiques au théâtre, doit être pensé comme la continuation de techniques imagières à la scène176 ». Ainsi, le cinématographe était déjà la remédiatisation de pratiques culturelles comme la « lanterne magique » et la « peinture perspective ».

Afin d’expliquer l’incorporation des technologies de l’image sur scène, Picon-Vallin distingue l’image et la vision177. La première est un phénomène optique qui commence et se termine dans le système oculaire. Par contre, la vision est un phénomène mental qui s’accomplit dans l’esprit. L’art théâtral serait donc « celui qui, né de la vision du metteur en scène, déclenche et déchaîne celle des spectateurs178 ». À cet égard, Bleeker considère que le caractère intermédial du théâtre renvoie à la performativité et à la perception, c’est-à-dire à la manière dont la perception participe de la production de ce qui apparaît comme l’objet de notre perception179.

Le théâtre de l’image est d’abord et avant tout un théâtre de la perception, dans lequel le voir entre en scène ; il « est aussi l’occasion d’explorer l’acte même de penser comme d’imaginer : par-delà le voir, c’est l’analyse, l’extrapolation, le lien, la dérive onirique, bref

175 Louise Poissant, « Présence, effets de présence et sens de la présence », dans Louise Poissant et Renée

Bourassa [éd.], Personnage virtuel et corps performatif, Presses de l’Université du Québec (Coll. Esthétique), 2013, p. 15.

176 « Les dispositifs mixtes théâtre/cinéma et leur mise en scène / film », dans Jean-Marc Larrue et Giusy Pisano,

Les archives de la mise en scène : hypermédialités du théâtre, Presses universitaires du Septentrion / Centre

culturel international de Cerisy-la-Salle, Villeneuve d’Ascq, 2014, p. 237.

177 Cette distinction nous intéresse, même si nous ne la reprenons pas plus que Hébert et Perelli-Contos en

parlant du théâtre de l’image.

178 Béatrice Picon-Vallin, « La mise en scène : vision et images », dans Béatrice Picon-Vallin [dir.], La scène

et les images. Les voies de la création théâtrale, Paris, CNRS Éditions (Coll. Arts du Spectacle), 2004, p. 17.

179 « Corporeal Literacy: New Modes of Embodied Interaction in Digital Culture », dans Sarah Bay-Cheng,

Chiel Kattenbelt et al. [éd.], Mapping Intermediality in Performance, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2010, p. 38.

le pouvoir de réflexion et d’imagination qui sont en jeu180 ». La scène y est ouverte à des combinaisons et des corrélations spatiales et visuelles alors que l’écriture scénique combine des éléments hétérogènes et inattendus. Cette écriture remet en cause notre espace de représentation et de connaissance : « Par sa capacité à transformer l’ordinaire et à jouer tant avec les objets mnémoniques stockés qu’avec les objets sensibles disponibles (que nous désignons par les termes suivants : éléments, ressources), le théâtre de l’image fouillerait les codes du visible à un moment où semble vouloir s’implanter un nouvel ordre visuel dégagé des contraintes de la mimesis traditionnelle181 ».

Le théâtre de l’image s’avère proche du mouvement de la pensée. La scène est une sorte d’écran sur lequel le créateur d’abord, et le spectateur ensuite, explorent une réserve d’images provenant de la possibilité ou du passé. La pensée devient objet de représentation, la mémoire revit à travers les images qui apparaissent sur la scène : le théâtre tient « le rôle d’une

chambre noire où il est donné au spectateur d’éprouver la représentation, c’est-à-dire de tirer

un certain nombre d’épreuves de ses représentations du monde182 ».

Dans sa réflexion autour de l’intermédialité et d’une nouvelle litéracie, Mariniello fait référence principalement aux médias électriques et électroniques – notamment le cinéma et la photographie. Néanmoins, nous considérons que son propos concorde avec les enjeux du théâtre de l’image, par exemple lorsque la chercheure de l’Université de Montréal explique que la technique audiovisuelle

[…] donne accès à la matérialité du quotidien, permet un être-dans-le-monde, une immanence au flux des événements qui représente un défi pour la connaissance (subjective et objective) du monde, qui exige une reconceptualisation de l’expérience et de la mémoire qui s’y inscrit ; qui questionne le langage − sa structure et son mode de signification − et rend la connaissance et la mémoire nouvellement accessibles à la pensée183.

Thenon reprend cette réflexion à propos d’une nouvelle litéracie reliée à l’intermédialité. Il explique que la cinématicité qui sous-tend la vidéoscène intègre des technologies dont les

180 Ludovic Fouquet, Robert Lepage, l’horizon en images, Québec, L’instant même, 2005, p. 85.

181 Chantal Hébert et Irène Perelli-Contos, « L’écran de la pensée ou les écrans dans le théâtre de Robert