Les premières questions auxquelles nous devons répondre concernent le contenu général des projets d'établissement :
— observe-t-on un réformisme poussé du côté de l'aménagement de différents cursus scolaires ?
— remarque-t-on une ouverture du collège aux entreprises ?
— la centration sur l'élève est-elle subordonnée à un projet d'orientation professionnel ?
L’analyse de contenu des projets voulait distinguer les collèges qui faisaient certains choix de ceux qui ne les faisaient pas (code 1 et 2 / code 0), et plus finement ceux qui exprimaient leurs choix fortement (code 2) de ceux qui le faisaient moins (code 1)122. Les tris à plat montrent que l’opposition la plus forte se réalise entre
les codes 2 et 0, c'est-à-dire que la majorité des projets se distribue soit par des choix fortement exprimés soit par l’absence de choix. La lisibilité de l’opposition est donc saisissable surtout à ce niveau de l’analyse. Néanmoins pour entamer la mise en oeuvre de notre hypothèse sur la transparence des discours nous regarderons si certains choix « délicats » à expliciter sont exprimés plus discrè- tement et donc apparaissent en code 1 de l’analyse. Et nous regarderons plus loin dans quelle mesure ils sont corrélés à d’autres choix plus médiatiques.
122 Sont enregistrés en code 2, les choix qui occupent une part supérieure ou égale à 10% du total des lignes concernant une rubrique. Sont enregistrées en code 1, les choix qui occupent une part strictement inférieure à 10% du total des lignes concernant une rubrique.
La description des résultats de l'analyse de contenu des discours des projets doit répondre à plusieurs objectifs. L'objectif principal concerne la lecture trans- versale des discours et la recherche de corrélations entre différentes options éducatives afin d'approcher les logiques sous-jacentes. Mais d'autres lectures demeurent intéressantes pour connaître l'expression générale des projets. Ainsi en est-il pour la place donnée aux différentes rubriques, et au sein de celles-ci la place donnée à des options plus nouvelles pour l'école.
Nous considérons tout d'abord l'expression des projets d'établissement par rubrique, pour connaître au sein de chacune d'entre elles les choix les plus impor- tants. Pour chacun des items de la rubrique, on observe le pourcentage occupé soit par un choix fortement exprimé ou moins exprimé, soit par l'absence du choix sur l'effectif d'ensemble des 125 collèges de l'échantillon123. Nous décrivons avant tout
l'expression des choix des collèges, bien que les absences du choix soient très fréquentes.
CLASSIFICATION DÉCROISSANTE DES CHOIX ÉDUCATIFS DANS LES DISCOURS DES PROJETS.
RUBRIQUE ORIENTATION : choix absent
— Groupes de niveau 41% 59%
— Classes de niveau hors cycles aménagés 41% 58% — Cycles d'observation en 3 ans 40% 60% — Classes technologiques 4ème-3ème 37% 63% — Information générale sur l'orientation 36% 64%
— Orienter en secondaire court 36% 64%
— Projet d'orientation de l'élève 34% 66% — Cycles d'orientation aménagés 33% 66%
— Dépistage en CM2 32% 68%
— Orienter en secondaire long 30% 70%
— Information sur le secondaire long 28% 72%
— Information sur l'entreprise 26% 74%
123 Annexe 4, Tris à plat des choix des collèges. Un travail identique a été réalisé sur le sous-échantillon des 48 projets.
— Information sur les lycées professionnels 25% 75% —Information des parents sur l'orientation 24% 76% — Aide à l'orientation de l'élève 24% 66% — Classes à options langues vivantes ou sport 19% 81%
— Classes passerelles 18% 81%
— Réduire l'écart entre voeux des familles 14% 86% et affectation
— Information des classes technologiques 10% 90% sur l'entreprise
— Classes à options technologiques 2% 98%
Pour la rubrique orientation, plus du tiers en moyenne des collèges centre le projet d’établissement autour de l’aménagement de la structure, aussi bien au niveau du cycle d’observation que du cycle d’orientation, avec des classes particu- lières pour les élèves en difficulté, ou encore des classes de niveau non inscrites au titre d’un cursus aménagé, le développement des classes de 4ème et 3ème tech- nologiques et, pour 19% des collèges, la mise en place de classes à options langues vivantes ou sport. Il semble bien que l’interprétation faite par de nombreux collèges de la loi d’orientation aille plutôt dans le sens d’une différenciation des cursus scolaires que dans celui d'une diversification. Autrement dit, on peut repérer à ce niveau une tendance à la ségrégation scolaire. Cette hypothèse a pu être vérifiée : la fréquence des collèges optant pour les structures de différenciation (cycles d’observation aménagé, cycle d’orientation aménagé, classes de niveau hors aménagement d'un cycle, classes à options, classes technologiques) est significati- vement plus forte que la fréquence des structures de diversification (classes hété- rogènes à organisation mobile, groupes de niveau).
RUBRIQUE ENSEIGNEMENT : choix absence
— Soutien modulaire 85% 15%
— Modernisation des enseignements 61% 39%
— Concertation 59% 41%
— Soutien spécifique aux classes de niveau faible 39% 61% — Renforcement des enseignements technologiques 30% 70% — Pédagogie par objectifs disciplinaires 30% 70%
— Tutorat 26% 74%
— Tests, brevets blancs 18% 82%
— Pédagogie conçue pour des classes hétérogènes 17% 83%
— Unités de valeurs 15% 85%
— Augmentation des exigences scolaires 12% 88% — Pédagogie conçue pour des classes de niveau 9% 91% — Options pour classes de bon niveau 9% 94% — Diversification de l'offre des options 9% 91% — Options spécifiques classes de niveau faible 4% 96% — Développement des enseignements scientifiques 5% 95%
— Diminution des exigences 3% 97%
Dans la rubrique enseignement, une majorité de collèges choisit le soutien modulaire bénéficiant à toutes les classes (85%), et deux tiers optent pour la modernisation des formes des enseignements (61%). Cependant, le soutien spécifique des classes de niveau faible (39%) et le renforcement des enseignements technologiques (30%) ont une part importante, soit environ un tiers des collèges.
La concertation (59%) et la pédagogie par objectifs disciplinaires (30%), sont également deux options fortes. Le renforcement des enseignements technologiques (30%) est nettement plus évoqué que le développement des enseignements scientifiques (5%). C’est dire que la notion de filière technologique est préférée à celle déjà évoquée par Louis Legrand124,soit l’idée d’un enseignement poly-
technique pour tous.
La différenciation de la pédagogie conçue pour des classes hétérogènes (17%) est plus évoquée que la pédagogie différenciée par classe de niveau (9%), ce qui ne peut étonner puisque cela va dans le sens du discours pédagogique moderne.
Néanmoins on peut remarquer, en confrontant les observations réunies sous les rubriques Orientation et Enseignement, que les collèges choisissent massivement les formules de différenciation des cursus scolaires et déclarent en même temps opter pour une pédagogie différenciée au sein de classes hétérogènes. Si au premier abord cela peut sembler contradictoire, notre hypothèse est que, une fois les élèves en difficulté d’une part et d’autre part les meilleurs placés dans des classes de niveau, il convient de différencier la pédagogie, de moderniser les enseignements, de travailler par objectifs pour des publics rendus homogènes. Nous avons pu le vérifier et nous y reviendrons plus loin : les collèges mettant en place des classes de niveau sont aussi ceux qui optent pour la pédagogie différenciée au sein de classes hétérogènes.
Tout ceci semble définir une certaine cohérence; pour lutter contre l’échec scolaire et les redoublements, les sorties sans formation du système éducatif, nombreux sont les collèges qui prévoient d'orienter les élèves dans des classes de niveau grâce au dépistage en CM2 et de développer la filière technologique. Bien entendu les élèves concernés ne sont pas des laissés-pour-compte, puisque tout le discours du projet d’établissement leur est consacré. Et il est vrai qu’on ne lésine pas sur les moyens : organisation de cycles aménagés, groupes de professeurs chargés de travailler en concertation et interdisciplinarité, modernisation des enseignements et pédagogie par objectifs, efforts en moyens horaires que cela implique. L’ensemble de ces hypothèses doit être vérifié. De plus il serait abusif sinon faux d’induire que tous les projets expriment cette logique; les résultats montrent qu’il s’agit d’une tendance, les choix sont néanmoins suffisamment divers pour que l’on examine par la suite, les différentes politiques scolaires.
RUBRIQUE OUVERTURE choix absence
— Échanges- voyages 56% 44%
— Stages en entreprises 48% 52%
— Veiller à l'image de l'établissement 46% 54% — Augmentation des contacts avec les parents 35% 65%
— Contacts avec les entreprises 33% 67%
— Participation des parents au projet 29% 81% — Participation d'intervenants extérieurs 28% 71% — Contacts avec les instances culturelles 25% 75% — Sollicitation des collectivités locales 24% 76% — Coopération avec les écoles primaires 23% 77%
— Contacts avec les instances d'aide sociale 19% 81% — Participation des entreprises au projet 8% 92%
— Veiller à un bon recrutement scolaire 2% 98%
Les résultats concernant les thèmes de l’ouverture du collège sur l’extérieur et de la socialisation de l’élève montrent que : pour plus du tiers, les collèges s’ouvrent sur l’entreprise en multipliant les contacts (33%) et les stages des élèves (48%). Ils s’attachent à développer l’image de l’établissement (46%), les échanges et les voyages (56%). Dans 35% des cas, les projets évoquent les contacts divers non spécifiques à l’orientation avec les parents, ensuite de façon moindre (29%) leur participation directe au projet de l'établissement.
RUBRIQUE SOCIALISATION : choix absence — Ateliers, clubs, foyer socio-éducatif 70% 30% — Activités d'insertion des jeunes et amélioration 55% 45% du cadre de vie
— L'élève doit se responsabiliser pour mieux s'intégrer 35% 65% — Développement des activités de délégués d'élèves 31% 69% — L'élève doit adapter son projet à ses possibilités 26% 74%
— Accueil des élèves de CM2 25% 75%
— Suivi psychologique pour l'intégration 24% 76% — L'élève doit élaborer son orientation 10% 90%
Pour la socialisation, les collèges privilégient les actions d’insertion des jeunes ou l’amélioration du cadre de vie et de l’accueil (55%), les ateliers ou clubs (70%). En deuxième lieu, ils s’attachent au comportement de l’élève, lequel doit adapter son projet d’orientation à ses possibilités (26%), se responsabiliser pour mieux s’intégrer (35%). Ils prévoient un suivi psychologique des élèves (24%), et une proportion à peu près équivalente (31%) choisit de mettre l’accent sur l’activité de délégué d’élèves.
Sur ces deux rubriques, ouverture du collège et socialisation de l'élève, on s’aperçoit là encore que la tendance générale de la politique des collèges consiste à préparer l’orientation des élèves en difficulté vers la voie du professionnel. Le réalisme que doit acquérir l’élève tourne autour de l’auto-évaluation de ses capaci- tés, et de la connaissance de l’entreprise.
Le souci manifesté par les collèges d'améliorer leur image est d’une certaine façon attendu dans le cadre de la désectorisation, mais la recherche d’un « bon » recrutement scolaire n’est explicitement évoqué que par 2% des collèges.
L’ensemble de nos hypothèses concernant le repérage du discours des projets d’établissement s’organise plus particulièrement autour de la question de la défi- nition des cursus scolaires plus ségrégatifs ou plutôt diversifiés.