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Bilan sur une méthode

Chapitre III. LES RÉSEAUX DE CHOIX

3. Bilan sur une méthode

Nous n'avons pas rencontré le type réformateur qui se serait caractérisé par des choix de changement de la norme scolaire associés au modèle d’une formation centrée sur la réalité du groupe social d’appartenance des élèves en difficulté. Les unités de valeur capitalisables pour l’égalisation des chances d’accéder en seconde d’enseignement général y auraient été centrales pour un public très défavorisé. Dans le passage des types idéaux aux types observés141, il s'est opéré un écrasement

de l'axe qui voulait distinguer des projets industriels, des projets modernisants et des projets réformateurs. L'ensemble réformateur a disparu de la distribution réelle des projets, déplaçant ainsi l'axe de la distinction qui se réalise en fait entre des projets industriels et des projets plus ou moins modernisants. Il en résulte une figuration peu contrastée d'un univers de projets très conformes au modèle dominant de l'école.

Pour le travail de nos étiquettes nous avons tenter de repérer dans un ensemble de relations peu contrastées, des logiques éducatives différentes. A la fois cela tenait au nombre de variables de discours retenu, et à l'organisation effective des

141 Annexe 7, Classes hypothétiques : recherche de logiques "pures" pour dégager les paradigmes des politiques scolaires.

réseaux de corrélations. Nous avons pourtant fixé cinq étiquettes, chacune présentant un certain nombre d'inconvénients :

— industriel : cela fait référence à un type d'organisation économique et technique de la société qui peut paraître impropre à l'univers scolaire, mais présente l'avantage de stigmatiser le modèle social libéral;

— compensatoire : cela peut faire référence de façon abusive à l'échec des programmes pédagogiques de compensation anglo-saxons et aux critiques de l'idéologie du handicap socioculturel, mais permet cependant de repérer ce type de représentation de l'échec scolaire dans le collège actuel, et ses affinités cachées avec le modèle social libéral;

Ces deux types de projet constituent un ensemble qui s'oppose (sur l'axe vertical) au suivant par un pôle de valeurs que nous qualifions d'utilitariste. En effet dans ces deux cas, l'école rempli essentiellement un rôle de remédiation. Le pragmatisme et le fonctionnalisme scolaire prennent une place importante; en témoignent des choix comme la socialisation de l'élève pour une meilleure adaptation de son projet professionnel à ses aptitudes, le renforcement des enseignements technologiques, le projet d'orientation de l'élève, l'intérêt pour l'orientation en secondaire court.

— conservateur : cela présente l'inconvénient d'évoquer immédiatement une idéologie libérale, mais aussi l'avantage de remarquer que des absences de choix ne sont pas neutres et qu'elles peuvent s'apparenter à une volonté de conservation d'une définition de l'école antérieure à la réforme,

— élitiste : cela présente l'inconvénient d'évoquer peut-être abusivement l'idéologie méritocratique et l'idée de la sélection d'une élite républicaine, mais

donne l'avantage d'intégrer assez bien les items observés par opposition aux items utilitaristes,

— modernisant : cela présente l'inconvénient d'une étiquette "creuse" ou peu discriminante et peu explicite socialement, mais permet au mieux de distinguer des choix modérés, intermédiaires.

Ces trois types de projets constituent un ensemble opposé au pôle utilitariste (axe vertical), et nous le désignons par un pôle de valeurs humanistes. Le terme humaniste est restreint ici à l'idée d'un absolu de la valeur académique , et à la neutralité sociale de cette valeur. P. Bourdieu et H. Haacke, au cours de leur échange, décrivent finement les ressorts de cette conception de la culture "pure" et "désintéressée"142.

Nous avons travailler à partir de ces étiquettes essentiellement pour leur intérêt pratique; synthétiques et évocatrices elles permettent de lire et d'interroger les observations sur les résultats des élèves. Cependant, nous sommes conscients de leur état d'imperfection.

Contrairement à la typologie proposée par V. Isambert-Jamati sur les pédagogies du français où l'échantillon avait été choisi sur les critères pertinents de différences, nous avons travaillé à partir de projets quelconques, ce qui explique que les projets se distinguent par des choix relativement peu contrastés. Mais il faut bien voir que si nous avions effectué l'analyse uniquement à partir des options, sans intégrer les absences de choix, alors des options minoritaires, telles que les unités de valeur capitalisables auraient acquis un statut parmi les autres options, et nous aurions observé quelques collèges réformateurs. En somme, parce que nous voulions considérer des formes communes, nous ne nous sommes pas donnés les

moyens de mettre en valeur les formes très minoritaires. Le fait de travailler sur l'ensemble des choix éducatifs, qu'il s'agisse de la structure des scolarités, de l'enseignement, de l'ouverture du collège sur l'extérieur ou de la socialisation, permet de distinguer cinq types de projets au lieu des trois types révélés par les seules rubriques sur la structure des scolarités et l'enseignement. Ce qui veut dire que sur ces deux rubriques les discours sont peu différents, mais en même temps cela nous a permis de voir qu'il y avait des choix plus démocratiques comme les unités de valeur capitalisables et la diminution des exigences. Donc il est clair que toutes ces postures méthodologiques mettent en lumière des phénomènes et par la nécessité du choix, laissent dans l'ombre un certain nombre d'autres phénomènes. Mais on remarque aussi qu'il ne s'agit pas d'observations contradictoires, mais au contraire éclairantes les unes par rapport aux autres sur la complexité de la réalité sociale.

D'autre part, prendre le parti de ne pas sélectionner d'emblée les critères devait nous assurer une objectivation des types; il fallait vérifier si le poids de certains choix était significatif ou marginal comme c'est le cas pour les collèges qui ont choisi de développer les unités de valeurs capitalisables, vérifier le poids de l'audience d'un type par rapport à l'ensemble. Il fallait regarder également si l'explosion des diversités avait lieu ou pas. De même ne pas typer d'entrée les établissements selon leur public scolaire permettait de tester l'importance de la relation du discours au public.

En plus d'objectifs opposés, sans doute faut-il considérer le matériau d'enquête qui n'est pas non plus complètement étranger aux choix méthodologiques. Dans le cas des pédagogies du français, les données sont tirées d'entretiens auprès des enseignants et d'observations de leurs classes de première, il s'agit donc de discours

expressifs sur l'éducation et des exemples en sont donnés. Pour les projets d'établis- sement, le moins que l'on puisse dire est qu'il s'agit d'un discours stéréotypé, standardisé et sans relief; il fallait donc faire varier les catégories du discours les unes par rapport aux autres pour atteindre des logiques dont l'intentionnalité, les finalités pourraient être déduites. Nous rappelons que dès que l'on a tenté de synthétiser quelques variables proches dans les discours, toute différence entre les projets disparaissait.

L'unité d'analyse joue aussi beaucoup dans cette affaire. En effet, nous ne travaillons pas sur l'expression des enseignants observés individuellement, mais sur une expression collective saisie au niveau des collèges. C'est-à-dire que le résultat collectif reflète des positions plus conformistes que ce que donnerait sans doute l'analyse des positions de chacun des enseignants. En effet, il est peu vraisemblable que le projet fasse l'unanimité, cependant ce que le projet donne à voir "fait comme si" cela avait été le cas. Ce que nous observons, c'est donc le résultat d'un rapport de force au sein des équipes enseignantes, entre des positions conformistes sur l'école et des positions plus démocratiques. Il est donc parfaitement logique de rencontrer au niveau de l'établissement un conformisme plus grand qu'au niveau des enseignants.

Cet ensemble de choix méthodologiques trouve sa contrepartie dans l'aspect complexe, non univoque et parfois contradictoire des relations. On est alors très loin de la cohérence, de la beauté esthétique même du modèle des pédagogies du français. On ne retrouve pas avec les projets traités de cette façon la satisfaction que donne une typologie comme celle que l'on rencontre aussi chez R. Ballion sur la diversité des collèges. Mais une fois balisées les limites objectives de la représentativité de chacun des indicateurs il est possible d'extraire du modèle les éléments les plus saillants. L'intérêt de cette entreprise est de rendre plus lisible une

réalité complexe et cette fois de mettre en relief non la complexité mais la structure. En effet seule la figuration des traits extrêmes peut réellement rendre compte des enjeux. C'est ainsi que nous traduisons l'ensemble de ces choix divers par une logique industrielle, compensatoire, modernisante, élitiste, ou conservatrice.

Enfin il nous semble que pour donner quelque vie aux projets d'établissement, la présentation d'extraits serait assez inefficace. La structure des discours ne permet pas seulement d'atteindre les principes qui règlent les positions sociales, elle n'est pas une simple abstraction du monde sensible, elle est justement compréhensive par excellence, par opposition à une définition de l'approche compréhensive restreinte aux anecdotes. Les types "sont plus vrais que nature" parce qu'ils dévoilent tout ce qui est sensible mais diffus, tout ce qui fait qu'une anecdote a un sens. Nous avons pu montrer qu'une analyse structurale peut offrir des qualités d'approche au moins autant nuancée qu'une étude compréhensive.