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Tester ses propres limites

Dans le document RECUEIL DE RÉCITS DE PRATIQUE (Page 27-34)

9 ANS / PHILIPPINES

recevoir dix par jours. « Il est arrivé cela… ». Je ne peux pas toujours regarder les filles; il y en a d’autres dans ma classe. Un enfant qui reçoit un ballon sur la tête, c’est normal dans une cour d’école. Cela arrive. « Elle est tombée, elle aurait pu mourir! ». Une fois qu’on a pris le beat dans la classe, j’ai été capable de prendre du recul pour voir comment s’est passé mon début d’année. Je me suis dit que ça m’a vraiment empêché de créer un lien avec les filles rapidement. Je me rends compte que toute mon énergie pour cette famille-là était énorme et, malgré tout ce que je donnais, je me sentais mal. Je savais que j’avais moins de patience, mais après coup, je me rends compte que j’en avais vraiment moins que je pensais. Je n’étais pas tant ouverte à eux. C’est quand même confrontant, après coup, parce que tu te dis « je n’aurais pas dû agir comme cela ». Mais toute mon énergie était tout le temps consacrée à répondre aux messages de la mère. À la récréation, je surveillais quand j’avais un message qui rentrait. C’était tout le temps : « Je vais garder les filles à la maison. Elles n’iront plus à l’école! » Cela a pris une grosse partie de mon énergie lors de l’ouverture de la classe.

J’ai trouvé cela dommage pour les filles parce que la situation leur a moins permis de créer un lien avec moi. Au final, nous en avons quand même créé un mais moi, j’étais moins attachée à elles au début. Maintenant, mon Dieu que je les aime…

Je les adore ces petites filles-là et je vais avoir de la peine de les quitter à la fin de l’année. Mais au début, c’était difficile et j’avais l’impression de les aimer moins que les autres. C’était super confrontant! Je trouvais cela plate car elles n’avaient pas de contrôle sur leur mère et c’est elle qui prenait toute la place. Les filles ont clairement payé pour, à l’école, parce qu’on avait moins de patience. On se disait :

« Non, il ne faut pas accepter et laisser de passe-droit parce que la mère va dire

“l’autre jour vous nous avez permis ça…” ». Il fallait tout le temps nous surveiller, moi, la direction, l’autre enseignante d’accueil, même la psychoéducatrice! Cela a vraiment mobilisé beaucoup de monde pour des situations qui, au final, n’étaient pas réellement problématiques. En plus, Karima se faisait tout le temps, tout le temps mal! Chaque jour, elle avait une blessure, toujours une glace, toujours

« je suis tombée ». À un moment, on se demandait : « Est-ce que c’est nous le problème? ». À toutes les récréations, on la surveillait. Même la prof d’éducation physique me disait des fois : « Je l’ai surveillée toute la récréation. Je me suis tourné la tête une minute et BANG! elle est tombée. » Il y avait toujours quelque chose.

C’était nouveau pour les filles d’être en contact avec d’autres enfants, mais Karima manquait vraiment de coordination. Des fois, elle marchait dans la classe et tombait. Je lui disais : « Je t’ai vue, tu marchais vers moi, tu étais toute seule.

Il n’y avait pas de chaise, pas de pupitre, rien. Tu marchais et BANG! » Et elle répondait : « C’est mes pieds! » Elle s’enfargeait dans ses propres pieds. C’était un peu inquiétant à la longue parce qu’elle tombait tout le temps. On avait l’air de la maltraiter à l’école. Et pour la socialisation, on a expliqué à la mère qu’elles devront continuer en accueil l’année prochaine parce que les premiers mois que les filles ont été ici, il a fallu leur apprendre à socialiser avec les autres enfants, à parler aux autres, à ne pas frapper… Elles ne le savaient pas parce qu’elles n’ont jamais eu à le faire, mais la mère non plus. Elle nous demandait plein de choses, mais sans politesse : pas de « Bonjour! », rien! Quand elle nous parlait, on se disait : « Ce n’est pas humain! ».

Après, l’école a réussi à rencontrer la famille avec un interprète qui parlait ourdou. Les parents parlent un peu d’anglais mais c’est vraiment de base. Moi, je parle anglais mais la psychoéducatrice, pas assez pour faire la rencontre avec eux.

Donc, ça prenait un interprète. Mais finalement, ils ne m’ont pas convoquée à la rencontre. Je l’ai un peu sur le cœur parce que je ne le savais même pas! Cela faisait des semaines que je demandais une rencontre avec la direction pour que la mère voie que quelqu’un m’appuie, que je ne prends pas les décisions toute seule. Mais finalement, une journée, on m’a dit : « On a rencontré la famille tantôt. » J’étais là et ils ne me l’ont même pas dit! J’ai passé par-dessus, mais ça m’a un peu déçue.

Quand j’ai rencontré la mère pour lui dire que les filles resteraient en classe d’accueil l’an prochain, je ne lui ai pas dit « comme on vous l’a dit lors de la rencontre

» mais bien « comme ils vous l’ont dit lors de la rencontre ».  C’est comme si on m’avait sortie de la situation! Au final, ce n’est pas grave parce que le message a quand même passé. Ce qu’ils ont expliqué aux parents, c’est qu’ils doivent faire confiance à l’école. « Imaginez comment vous allez être pris avec ça si vous vous dites toujours “s’il arrive quelque chose à mes filles. Est-ce qu’elles sont correctes?”

Il y aura toujours un peu de panique. » En fait, je pense que le problème, c’est qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de se déposer. Ce qui leur a été demandé, c’est de limiter le nombre de courriels qu’ils envoient à l’enseignante de leurs filles parce que s’ils envoient dix courriels dans une journée. C’est comme s’ils allaient cogner dix fois à la porte d’une personne pour lui dire : « Je dois te dire cela… » Ça ne se fait pas! Donc, ils leur ont expliqué qu’ils doivent tout écrire dans un courriel et qu’il faut qu’ils se demandent si c’est important avant de l’envoyer. Maintenant, c’est vraiment mieux. La mère m’envoie un courriel quand elle a besoin de me dire quelque chose. Depuis ce temps-là, les courriels, c’est genre : « Dear Andréanne… »,

« Great things », « Hope you’re doing good », « Best regards », « God bless you »

« Thanks for everything »… et ça n’arrête plus!

Finalement, la relation avec les parents des filles s’est améliorée. Maintenant, je sais qu’ils m’aiment. L’autre jour, le père est venu reconduire Karima après un rendez-vous à l’hôpital. Moi, je ne l’avais jamais vu. La secrétaire est venue me chercher et j’étais un peu stressée de ce qu’il allait me dire parce que, chaque fois, c’était négatif. Donc, je suis descendue pour le voir et il m’a dit : « Je suis tellement content de vous rencontrer! Les filles me parlent toujours de vous. Je ne sais pas ce que vous leur avez fait mais elles vous aiment tellement, ça n’a pas de sens! Je suis presque jaloux de vous! » Finalement, ça s’est bien passé, mais j’appréhendais le moment. Quelque part, on voit que quelque chose a changé, si on peut dire, mais ça a été long. Peut-être que leur perception de l’école, c’est que c’est négatif ou que c’est dangereux. Récemment, un élève m’a demandé : « Pourquoi il n’y a pas de mur autour de l’école? » Je lui ai dit « Parce que nous n’en avons pas besoin » Il m’a répondu : « En Colombie, il y a de grands murs tout autour de l’école et de grosses grilles à ouvrir pour sortir. » Je lui ai dit qu’ici, ce n’est pas le même niveau de danger.

Pour ce qui est des filles, en classe, maintenant, ça va. Mais au début, ça aussi c’était difficile. Elles n’avaient jamais été en contact avec d’autres enfants. Elles n’avaient pas d’habiletés sociales et elles mentaient. Tout était à développer de ce côté-là. Et c’était ça, le gros défi avec les autres élèves car eux, ils ont été à l’école auparavant. Ils n’ont pas de difficulté à ce niveau parce qu’ils ont beaucoup d’habiletés sociales. Quand on a ouvert la classe d’accueil, les filles étaient les seules réfugiées et les seules qui n’étaient jamais allées à l’école. Avec les autres, c’était

« je t’enseigne quelque chose, tu l’appliques et on passe à autre chose ». Mais pas avec les filles. Et les autres élèves le voyaient aussi. Les filles aussi devaient le sentir, sans le nommer. Mais clairement, ça ne devait pas être le fun pour elles.

Elles sont souvent exclues par les autres élèves parce que quand ils font un jeu, elles ne comprennent pas. Encore maintenant, ils jouent à la tague mais elles ne comprennent toujours pas que le but, ce n’est pas d’être la tague. Elles, elles courent toujours après celui qui est la tague donc, les autres se sauvent d’elles parce que ça brise un peu le jeu. Les filles se font ignorer et elles ne sont pas contentes. Ce sont des choses comme cela qui sont pourtant simples et que les autres comprennent dans la classe, mais pas elles. Ce n’est pas une question d’intelligence, c’est juste parce qu’elles n’ont jamais été en contexte scolaire. D’ailleurs, Najma a l’âge d’être en 4e année et sa mère voulait qu’elle aille en 4e, mais je leur ai fait comprendre qu’en mathématiques, elle est de niveau 1re année. Karima est au niveau du début de la 1re année. Je le répète depuis qu’elle est arrivée. L’école m’a dit que j’avais juste à expliquer qu’il est rare que les élèves arrivent en cours d’année et qu’ils passent au régulier l’année suivante, mais cette année, presque tout mon groupe fait le saut l’an prochain au régulier donc, c’est difficile à justifier.

Une autre chose, c’est que la mère ne veut plus qu’Nabil soit dans la classe de ses filles. Elle dit qu’il les empêche de progresser. Nabil est un élève qui est arrivé dans la classe après les filles et il y a eu beaucoup de conflits entre Karima. La mère des filles pense qu’on devrait employer des punitions corporelles lorsqu’il fait des choses pas correctes. On lui explique que ce n’est pas comme cela ici et qu’elle n’a pas à se mêler de l’éducation d’un autre élève. « Vous n’aimeriez pas qu’on parle d’une de vos filles avec un autre parent donc le contraire ne se produira pas non plus! » Quand je lui ai dit que les filles allaient être dans la classe de ma collègue l’année prochaine, elle a demandé s’il y avait des élèves qui arrivent n’importe quand dans l’année. « Ben oui, c’est le principe de la classe d’accueil! Vous étiez contents quand vous êtes arrivés et que nous avons pris vos filles tout de suite.

C’est comme cela avec les autres aussi! » « Mes filles sont concentrées sur leurs études et chaque fois que vous avez eu de nouveaux élèves, ça les a dérangées.

C’est une distraction! » Je lui ai répondu : « Oui, mais en même temps, ça fait partie de la socialisation d’accepter des nouveaux. »

Cette année, on a eu de nouveaux élèves juste deux ou trois fois. Ce n’est pas si mal! La première, Eva, fut une expérience très positive. Ensuite, Nabil, qui est réfugié lui aussi, est arrivé. Là, c’était plus mouvementé. Ensuite, il y a une troisième vague où quatre élèves sont arrivés, dont deux qui parlent la même langue que les filles, l’ourdou. Mais là, cela cause d’autres problèmes. La mère des filles est arrivée en disant : « Les filles ont entendu parler de mariage. Nous, on ne parle jamais de cela à la maison et je ne comprends pas pourquoi vous parlez de cela à l’école. » Je dois lui expliquer que moi, je ne parle jamais de cela mais que je ne sais pas de quoi ils parlent quand ils sont les quatre amis ensemble parce que je ne comprends pas la langue.

***

Nabil, un jeune garçon de 6 ans, est arrivé dans ma classe en octobre. Avant, pour aller à son ancienne école, il devait faire un long trajet d’autobus. Maintenant comme il y a dans son quartier une classe d’accueil ouverte et ayant de la place, ils l’ont envoyé dans ma classe. Quand il est arrivé à l’école, la psychoéducatrice et moi, nous avons rencontré la psychoéducatrice de l’autre école. Je n’ai pas parlé à son enseignante car elle n’était pas disponible. Il nous a été présenté de façon un peu « poche », comme si Nabil était un gros cas qu’ils nous envoyaient parce qu’ils ne voulaient pas le garder à l’autre école. La psychoéducatrice nous a dit : « Il n’est jamais dans la classe. Il ne fait jamais le travail! » Tout était négatif : « Arrangez-vous avec! »

La veille de son arrivée, j’étais tellement stressée! En plus, ils nous ont dit : « Chez nous, il ne s’est jamais sauvé mais il y a des chances que cela vous arrive. » Chaque jour, il sortait de la classe pour aller travailler avec la psychoéducatrice mais, chez nous, la psychoéducatrice n’est pas dans l’école tout le temps. Elle fait deux écoles donc elle n’est pas là à temps plein. Nous n’avons pas de technicienne en éducation spécialisée (TES) non plus. Déjà ça, c’était vraiment intense! Je me disais : « Il ne peut pas fiter dans ma classe! » Je n’ai pas d’autre élève en situation de grand retard scolaire à part les deux filles mais elles sont quand même capables de suivre. On s’est donc demandé si on pouvait envoyer Nabil dans l’autre classe d’accueil. On voulait que, dans le système, il soit inscrit dans ma classe mais que, physiquement, il soit dans l’autre classe. Cela se fait dans certaines écoles. L’autre enseignante d’accueil était d’accord mais sa classe était déjà pleine et elle ne voulait pas juste recevoir un élève comme ça, sans avoir d’aide. On n’a pas fait de demande officielle pour un TES. On a juste demandé si de l’aide allait suivre mais la demande a été refusée. Finalement, c’est moi qui ai reçu Nabil dans ma classe. Son ancienne enseignante, c’est une fille qui a un poste, qui a sa classe, et ils me l’ont envoyé à moi qui suis titulaire d’un groupe pour la première fois. J’ai trouvé cela dommage qu’ils me l’envoient sans aide.

La direction de l’école a tout de suite changé après l’arrivée d’Nabil à l’école.

Au début, tout allait bien. On se disait « Ce n’est tellement pas l’élève qu’on nous a décrit! » jusqu’à ce qu’il se sauve pour la première fois. Au niveau académique, c’était difficile. Je me disais : « J’ai déjà de la 5e et de la 6e. Là, je fais de la 1re et avec deux autres élèves qui sont dans deux autres niveaux. C’est impossible pour moi de faire cela! Je ne peux pas rajouter son niveau à lui qui, en plus, a besoin de « un à un ». Quand est-ce que je suis supposée lui enseigner ça, reconnaître les chiffres et les lettres? Mes autres élèves ne sont vraiment pas là! » Les autres élèves aussi venaient juste d’arriver. Ils n’étaient pas autonomes et ne comprenaient pas le français donc, je devais aussi m’occuper d’eux. Les besoins dans ma classe étaient grands et complètement différents les uns des autres. Cela a été vraiment difficile!

Je m’étais promis de respecter les limites de mon travail et du temps qui nous est alloué. Je ne peux pas rester après l’école pour enseigner à Nabil mais c’est la seule option. Finalement, c’est ma collègue de l’autre classe d’accueil qui le fait chaque soir. Pour moi, la charge de travail, c’est trop. Je suis exténuée! Je ne peux pas donner 15 minutes supplémentaires à faire avec lui tous les soirs après l’école quand je l’ai eu toute la journée dans ma classe et que je suis déjà fatiguée. Je ne serai pas capable, je le sais! Donc, finalement, cela a été la seule option.

Je me suis dit : « Ils attendent que je parte, que je dise que je ne suis plus capable.

Et là, quelque chose va se passer. » En fait, c’est ma collègue qui a fait les demandes pour un TES mais elle s’est fait répondre que, normalement, on n’en envoie pas en classe d’accueil car les profs n’en ont pas besoin. Mais que vu que cela fait trois fois que l’enseignante fait la demande… Je me suis vraiment sentie incompétente!

C’est comme si c’était moi le problème parce que je n’étais pas capable de gérer mon groupe. Quand Nabil était dans l’autre école, il sortait tous les jours — ils nous l’ont dit — et là, moi, je devais le garder dans ma classe car mon école n’avait pas les ressources pour m’aider. J’ai trouvé cela vraiment intense! Tu te remets toujours en question : « Est-ce que c’est moi qui ne suis pas assez bonne? »

Quand est-ce que je suis supposée lui enseigner à Nabil? Quand je ne lui réponds pas tout de suite, il se fâche. Donc, j’ai besoin de quelqu’un pour lui dire : « Elle est occupée et elle te répondra quand elle aura du temps. » Depuis trois semaines, on a finalement quelqu’un qui l’accompagne dans ma classe. Ils nous ont dit : « On n’a pas de TES mais on a quelqu’un à l’interne qui peut faire l’affaire. » Je me dis qu’au moins, maintenant, il y a quelqu’un. Mais, même si elle a presque terminé son bac en enseignement et qu’elle travaille au service de garde, Nabil a des besoins. Elle n’est pas formée comme TES. Elle intervient comme elle le pense mais il faut que je fasse avec, même si ce n’est pas toujours ce que j’aurais souhaité qu’elle fasse avec l’élève. Ce n’est pas ce à quoi je m’attendais et c’est délicat!

Dans cette situation, j’ai vraiment senti qu’il y a eu un manque de considération, que la seule option soit que je lui enseigne le soir, après l’école. J’ai demandé à ma collègue si elle voulait que je fasse une journée sur deux avec elle et elle m’a renvoyé la question : « Veux-tu le faire? » Je lui ai dit : « Non! Bien honnêtement, je n’ai pas l’énergie pour faire cela! » Je commence tout juste à enseigner et elle, elle enseigne depuis 16 ans en accueil. Elle sait où elle s’en va au cours de l’année mais moi c’est différent : mon matériel n’est pas monté et je me prépare au jour le jour.

Maintenant, je sais un peu plus où je m’en vais car on est à la fin de l’année, mais au début et avec des élèves en situation de grand retard scolaire en plus! Elle, elle a du matériel déjà préparé pour tous ces niveaux-là. Moi, je dois faire des préparations pour tous les niveaux que j’ai dans ma classe. C’est long! Il y a des moments où un

Maintenant, je sais un peu plus où je m’en vais car on est à la fin de l’année, mais au début et avec des élèves en situation de grand retard scolaire en plus! Elle, elle a du matériel déjà préparé pour tous ces niveaux-là. Moi, je dois faire des préparations pour tous les niveaux que j’ai dans ma classe. C’est long! Il y a des moments où un

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