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c’est investir dans l’avenir

Dans le document RECUEIL DE RÉCITS DE PRATIQUE (Page 39-44)

INFORMATION NON-DISPONIBLE

Cependant, à notre école, il n’était entouré que de personnes qu’il n’arrivait pas à comprendre. Pour lui, c’était une nouveauté d’être confronté à nos règles et à nos demandes. Nous pouvions voir son inconfort. Il communiquait beaucoup d’informations à travers son non verbal. Il pleurait énormément et sans arrêt.

Nous avons donc rapidement eu à rencontrer les parents, ce qui nous a permis de comprendre que les journées étaient trop longues pour lui. Il demandait à partir.

Avec cette information en main, l’équipe-école s’est mobilisée et nous avons mis des mesures en place. J’avais avec moi dans la classe une préposée pour le soutenir au niveau physique ainsi qu’une technicienne en éducation spécialisée (TES). Nous avons fait des pictogrammes à l’aide de photos de lui pour lui montrer la routine.

Par exemple, nous avions une photo de lui en train de s’habiller, de prendre sa collation ou de se laver les mains. Les visuels de cet outil nous permettaient de lui montrer ce qu’il avait à faire en arrivant à l’école. De plus, nous avons convenu avec les parents de raccourcir ses journées pour faciliter son intégration.

Nous avons étendu cette mesure sur trois mois, y allant un mois à la fois, en nous concentrant sur le moment présent. Nous avons commencé par le recevoir en classe uniquement le matin. Les parents ont été résilients. Ils venaient le chercher tous les jours, malgré le fait que ce n’était pas toujours facile pour eux de s’organiser avec les transports. Après un certain temps, il a gagné en confiance. Lorsqu’il a mieux compris la routine, nous avons rencontré les parents et nous avons allongé le temps de présence à l’école en le gardant à dîner. Toutefois, il quittait l’école tout de suite après. Cela a duré quelques semaines. Il a fallu attendre la mi-novembre pour qu’il soit prêt à passer toute la journée avec nous. Un autre moyen que nous avons mis en place pour faciliter son intégration fut la présence d’une interprète dans la classe pendant une ou deux semaines. Elle nous permettait de le comprendre et de nous assurer qu’il nous comprenne en retour. Durant son passage, nous avons noté quelques mots en arabe pour pouvoir continuer de communiquer avec lui par la suite. Nous avons vu son anxiété baisser. Cette mesure a été positive et a réussi à le mettre en confiance.

Avec cet élève, nous avons essuyé beaucoup de pleurs. C’était sa manière de réagir et d’exprimer qu’il ne comprenait pas ou que quelque chose l’affectait. Nous ne savions pas ce qui se passait, mais nous constations qu’il extériorisait une émotion.

Pour essayer de le comprendre, nous avons utilisé des pictogrammes représentant les émotions. Plus nous mettions en place des outils et des mesures, plus nous voyions qu’il arrivait de jour en jour à passer un peu plus de temps en classe. Nous avons aussi instauré un système de minuterie. Cela le rassurait beaucoup de voir le temps s’écouler et de voir approcher la fin. Il était de plus en plus souriant et son anxiété baissait. Néanmoins, il persistait parfois à réagir sans raison apparente et se remettait à pleurer. Dans ces situations, je sentais chez lui beaucoup d’incompréhension. Il semblait désemparé devant ce que nous lui demandions.

Parfois, nous appelions son père grâce à la vidéoconférence. Il pouvait alors expliquer à son père ce qui se passait. Le papa, de son côté grâce à Google Traduction, nous traduisait sa compréhension de la situation. Ils se parlaient pendant un moment, puis nous essuyions les larmes et nous nous remettions au travail.

Je me rappelle d’un matin en particulier. Il est arrivé à l’école et ça allait mieux.

Nous étions très optimistes! Finalement, il s’est mis à pleurer sans arrêt. Nous ne comprenions pas ce qui se passait. Nous nous sommes donc résolues à appeler les parents, car il était inarrêtable. Son père, très disponible, s’est présenté tout de suite à l’école. Par hasard, l’interprète est arrivée au même moment. Nous étions

donc le père, l’interprète, la technicienne en éducation spécialisée, la préposée et moi à essayer de comprendre ce qui se passait. Finalement, le père nous a expliqué que son fils avait peur du nouvel élève que nous venions de recevoir et qui avait la peau noire. Sa crainte semblait associée à une expérience qu’il avait eue avec un médecin à la peau noire dans un autre pays. Voir ce nouvel élève lui faisait revivre ce mauvais souvenir. Nous comprenions maintenant son émotion. Il nous restait à trouver quoi faire pour que ses pleurs cessent, sachant que le nouvel élève était là pour rester.

C’est à ce moment que la beauté de la collaboration nous a permis de vivre un moment magique. Le père est allé chercher les crayons de couleur de son fils et une feuille de papier. Il a pris le crayon beige et le crayon brun et il s’est mis à dessiner.

En même temps, il disait à son fils : « Ce sont deux crayons de couleurs différentes.

Toutefois, les deux crayons sont pareils. Ce sont des crayons. Nous avons besoin des deux pour faire notre dessin. Ils sont égaux. » Il a ensuite fait le transfert aux enfants. Il disait à son fils de regarder la couleur de sa peau et de la comparer à celle du nouvel élève. Il lui expliquait que malgré la différence, les deux étaient ici, présents dans la classe, ensemble. Malgré leur différence, ils étaient pareils.

Il a ensuite pris ma main et dit : « Tu vois, même si l’enseignante et moi nous ne sommes pas pareils, nous sommes amis. » Puis, il a demandé à son fils de prendre la main du nouvel élève et il lui a dit qu’ils étaient eux aussi amis. La situation s’est alors résolue. J’ai trouvé cette initiative du père vraiment chouette. Pour moi, cela représente bien la richesse d’utiliser les parents et une interprète et de prendre le temps pour intervenir.

Comme intervenantes, cette situation nous a fait passer par toute la gamme des émotions, de vraies montagnes russes! J’ai vécu un peu de désarroi parce que je ne comprenais pas ce que l’enfant voulait dire et d’où provenait son émotion.

Régulièrement, comme enseignante, je me sens un peu désemparée et déroutée. Il y a des moments où je suis au plus bas. Je me demande quoi faire. Je ne sais plus où je m’en vais. Cela m’amène à me remettre beaucoup en question. Je me demande si j’ai provoqué cette réaction. Est-ce que j’aurais dû intervenir différemment? Dans la situation de cet élève, je me demandais quel était son besoin et qu’est-ce que je pouvais mettre en place pour y répondre. Je ne me suis pas sentie en contrôle. C’est un sentiment que je suis habituée de ressentir en travaillant en classe d’accueil.

Il faut aussi se rappeler que l’enfant devant nous n’est pas en contrôle non plus.

La priorité du moment, c’est l’émotion de l’élève. C’est quelque chose qu’il faut accepter. Cela nous permet de vivre des moments « wow »! Ce ne sont pas des choses que nous pouvons programmer.

Pour ce qui est des parents, la situation devait sûrement être déroutante.

C’est toujours confrontant de voir son enfant si triste. Je pense que cela devait les atteindre. Néanmoins, je crois qu’ils étaient aussi reconnaissants que nous prenions le temps avec leur fils au lieu de le laisser pleurer. Je pense que le père préférait venir passer une demi-heure à l’école et soutenir son enfant. Et même si, au départ, ils pouvaient être déroutés, en voyant la place que nous leur accordions dans la gestion de la situation, je crois qu’ils s’en sont trouvés rassurés. Le père repartait plus calme, son fils était plus calme et donc nous aussi. Ils ont réagi de manière très compréhensive et ont toujours été très disponibles. Toutefois, je ne crois pas que ces qualités soient spécifiques aux parents de cet élève. Je connais les parents de tous mes élèves. J’ai toujours des réponses rapides de leur part et je garde un très bon contact avec eux. Ils savent que si j’appelle, ce n’est pas pour

rien. Cela provient de la relation de confiance que j’établis avec eux. Lorsque je les rencontre, je mets beaucoup d’emphase sur le fait que nous travaillons en équipe.

C’est important que l’enfant sache que nous faisons un suivi avec ses parents et que nous travaillons ensemble. Cela implique de prendre le temps de se comprendre, de se connaître en communiquant. Cela fait partie de mes valeurs. Je crois que les parents le ressentent. L’été, par exemple, nous faisons des pique-niques avec les familles durant la fin de semaine. L’automne, nous allons cueillir des pommes. Je prends donc des moments en dehors des heures d’école pour créer ce lien.

De l’histoire de cet élève, j’ai retenu l’importance de s’arrêter et d’essayer de comprendre ce qui se passe. Même si nous ne la connaissons pas, il existe bel et bien une raison pour laquelle il réagit de cette manière. Il vit une émotion qui est motivée par quelque chose. Il faut donc creuser et mobiliser les parents qui, eux, connaissent bien l’élève. Cela vaut la peine de prendre le temps d’analyser et de prendre en charge la situation. J’ai aussi conscience du fait que pendant ce temps, le reste de la classe est mis sur pause. C’est toutefois la beauté du travail en classe d’accueil.

Nous pouvons sortir du cadre scolaire; c’est d’ailleurs ce que j’aime de mon travail.

Cela correspond à ma personnalité. Cette possibilité de prendre notre temps nous permet d’aller à la rencontre de l’autre et l’autre, c’est autant la famille que l’élève et ses besoins que soi-même. Pouvoir prendre le temps, pour moi, c’est un cadeau.

Même si je suis en train d’enseigner de la matière, je n’hésiterai pas à m’arrêter pour faire une intervention de 15 minutes pour gérer une situation. Je vais amener l’élève à extérioriser son émotion et prendre le temps d’enseigner le savoir-être. Les enfants sont en classe d’accueil justement parce qu’ils ont besoin de temps pour s’adapter, pour comprendre, se découvrir et découvrir l’autre. Je sais que lorsque nous nous faisons expliquer les choses, les manières de faire, cela nous permet d’être plus calmes et donc plus réceptifs. C’est une manière d’aborder les choses qui provient de ma vie personnelle et de mes dix ans d’expérience de vie à l’étranger.

Prendre le temps nous permet aussi d’expérimenter et de faire les choses différemment. Cela correspond à la réalité des enfants en classe d’accueil. Ils expérimentent une nouvelle vie, de nouvelles valeurs, un nouveau contexte et rencontrent de nouvelles personnes qui viennent de partout à travers le monde. Ils sont en processus d’intégration et l’intégration, ça prend du temps.

Ce processus est fait de deuils, de chocs, d’apprentissages et d’acceptation. Ce sont des montagnes russes qui nous font passer de l’euphorie à la déprime. Les découvertes que nous faisons en avançant dans le processus nous fait vivre des émotions positives. Avec le temps, les hauts et les bas s’adoucissent. Les émotions deviennent moins extrêmes. Elles ne disparaissent jamais complètement, mais on apprend à les gérer. C’est pourquoi, parfois, je sens que mes élèves sont réticents.

Je sais alors qu’ils ont besoin d’espace. Même si je voulais aller plus vite, ils ne seraient pas en mesure d’avancer à un autre rythme. Il faut aller au rythme des élèves. Chaque enfant le vit vraiment différemment. Ils passent tous par les mêmes étapes, mais pas au même moment. Il faut respecter ce que leur tête et leur corps sont en mesure d’absorber. Sinon, on finit par y arriver, ils vont s’adapter, mais nous allons nous buter à davantage d’obstacles. De ceux-ci, nous pourrions compter la famille. Dans le cas que j’ai choisi, si la collaboration n’avait pas été aussi grande, je crois que l’élève aurait été moins disponible. De ce fait, il n’aurait pas appris aussi vite. Comme nous avons misé sur son bien-être, aujourd’hui, il est pratiquement capable de lire. Je suis convaincue que tout finit par se placer avec le temps. Cela n’arrive peut-être pas au moment que nous avions choisi, mais cela finit toujours par se faire. Il faut garder confiance. Prendre le temps, c’est investir dans l’avenir.

Après un certain temps, Issam a plafonné dans ses apprentissages. Cela a duré quelques mois. Nous trouvions qu’il n’avançait plus. Puis, la COVID-19 est arrivée.

Nous avons donc choisi au début de cette année de le garder en classe d’accueil. Il n’avait pas assez progressé l’année dernière. Je craignais qu’en début d’année, il ait régressé pendant l’été. Toutefois, c’est avec plaisir que j’ai constaté que nous avons pu reprendre où nous nous étions arrêtés. Même que j’ai l’impression que son cerveau est en ébullition! Il progresse énormément au niveau académique.

Aucun de mes élèves n’est revenu en classe au printemps dernier après le confinement associé à la COVID-19. Tous les parents ont décidé de garder les enfants à la maison. Cela nous a permis de vivre de très beaux moments. Toutes les semaines, la TES et moi allions dans les familles porter les trousses de travail imprimées sur papier. Nous avons décidé de fonctionner de cette manière car beaucoup de familles n’avaient pas d’ordinateur ou d’imprimante. Cela nous a permis d’entrer dans l’univers des familles. Cela changeait la dynamique. Cette fois, c’était elles qui m’accueillaient chez elles, alors qu’habituellement, c’est moi qui les accueille à l’école. Depuis que j’ai eu accès à leur univers, je me sens plus à l’aise avec les parents. Je crois que ce sentiment est réciproque et que la relation est plus détendue entre nous. Ils ont eu accès à nous en-dehors du cadre et ont vu les humains derrière les intervenantes.

Par exemple, si je me concentre sur la famille d’Issam, cela nous a permis de découvrir un aspect tout nouveau de la personnalité de sa mère. Avant la COVID-19, lorsqu’elle nous rencontrait à l’école, elle était toujours très sérieuse et formelle. Elle portait son voile et était toujours très couverte. Lorsque nous nous sommes présentées chez elle au printemps pour aller porter les trousses de travail, elle s’est présentée à nous sans voile, en camisole et très chaleureuse.

Elle débordait d’énergie! Elle pouvait nous recevoir de cette manière, car elle était chez elle et que nous étions deux femmes. Cela nous a donné accès à une femme tout à fait différente de celle que nous avions rencontrée par le passé. Semaine après semaine, elle était toujours très contente de nous recevoir et de partager les travaux réalisés par son fils. Son fils, pour sa part, même s’il était content de nous voir, restait peu expressif. À la base, ce n’est pas un enfant très physique. Il faut dire aussi que sa mère insistait pour qu’il soit présent lorsque nous les visitions. Elle voulait qu’il nous parle en français, qu’il nous montre ses choses. Je crois que c’était un peu contraignant pour lui.

Pour finir, j’aimerais ajouter que je ne crois pas qu’il existe des qualités spécifiques qui font en sorte que l’adaptation d’un enfant se passe plus ou moins bien. Je pense que cela dépend surtout de sa personnalité et de son parcours. La manière dont les parents vivent le changement a aussi un impact sur l’enfant. Finalement, je pense aussi que la capacité de l’enfant d’extérioriser ce qu’il vit a une influence. Certains enfants cumulent les émotions et les extériorisent d’un seul coup. C’est à couper au couteau! À un moment, ça ne va pas du tout. Le moment suivant, tout est redevenu normal. Certains autres absorbent et extériorisent à petite dose. Tous ces éléments font en sorte que certains enfants sont plus résilients que d’autres. Néanmoins, je crois qu’à partir du moment où quelqu’un décide de porter des lunettes positives, il peut s’en sortir et voir les gains qui émergent de ce cheminement.

Julie

Sarah est une enfant réfugiée qui vient du Congo. Sa famille s’est d’abord réfugiée au Brésil puis au Canada, où elle se trouve en ce moment. Sarah a dix ans. Elle a commencé à aller à l’école de façon régulière à partir de l’âge de neuf ans.

Cette année est très particulière à cause de la pandémie. Sarah a eu moins de temps pour étudier et pour apprendre. En plus, elle est sous-scolarisée et ses parents ne peuvent pas l’aider puisque sa mère ne parle pas français. Son père parle français, mais il travaille la nuit. Ils ont aussi d’autres enfants. Je ne sais pas combien au total, mais je sais que ce n’est pas une enfant unique. J’ai parlé avec son père. Il est au courant de la situation. Il a des regrets parce qu’il sait que, quand il fallait envoyer Sarah à l’école, ils étaient plutôt en train de traverser des frontières. C’est une triste réalité qui réduit les chances de cette élève de réussir.

J’ai fait beaucoup de rattrapage avec elle et je vois qu’elle fait des progrès, mais, malheureusement, le temps manqué ne peut pas être comblé.

Sarah est en classe d’accueil. Elle a un plan d’intervention depuis novembre, je pense. En moyenne, cela prend deux ans pour apprendre le français, pouvoir écrire, lire et après, être capable de continuer d’apprendre le français au régulier.

C’est la deuxième année en accueil pour cette enfant. Elle a l’âge de la 4e année, mais elle lit comme si elle était en 2e année. Et pour ce qui est de répondre aux questions, ce n’est pas donné! En mathématiques, c’est la même chose :

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