• Aucun résultat trouvé

Chapitre II : Techniques expérimentales

II.4. Matériels et méthode en écotoxicologie

II.4.2. Test micronoyau amphibien

Le test micronoyau amphibien mis au point par Jaylet et al. [197] et normalisé sur le pleurodèle [198] puis étendu au xénope [199, 200], est à ce jour le seul test de génotoxicité in vivo existant sur vertébré aquatique qui soit validé au niveau national [190] et au niveau international [191]. De nombreux travaux ont montré la pertinence de son application pour étudier le potentiel génotoxique de substances pures [201-211], d’agents physiques [203, 205, 212], d’eaux de surface ou d’eaux potables ou en cours de potabilisation [213-216], de milieux liquides naturels complexes comme des effluents industriels et domestiques [217- 219], de lixiviats de matrices solides (sol, sédiments,…) [220-222], de boues de stations d’épuration, de mâchefers d’incinération d’ordures ménagères et de déchets industriels [208, 209, 223-225] et enfin de divers matériaux comme les cendres de farines animales [210, 226, 227].

II.4.2.1. Principe

Le test micronoyau évalue le potentiel génotoxique de substances ou de mélanges de substances (matrices complexes) présentes dans le milieu d’exposition des animaux. En effet, il a été montré dans des études préalables que les agents génotoxiques induisent la formation de micronoyaux dans les érythrocytes de larves de pleurodèles [197, 212], d’axolotl [206] et de xénope [228, 229]. Ces micronoyaux (Figure II.7) sont de petites masses intracytoplasmiques de chromatine ayant l’apparence de petits noyaux. Il s’agit de fragments de chromosomes ou de chromosomes entiers n’ayant pas migré à l’un des pôles du fuseau lors de l’anaphase de la division cellulaire.

Figure II. 7 : (a) Illustration de la formation d’un micronoyau (b) Visualisation de micronoyaux sur un frottis sanguin de xénope, MN = micronoyaux.

Les micronoyaux peuvent se former à la suite :

- de cassures chromosomiques : les fragments chromosomiques dépourvus de centromères ne peuvent plus contracter de liens avec le fuseau de division

- et/ou d’une altération de la structure et/ou du fonctionnement de l’appareil mitotique : des chromosomes entiers sont susceptibles, dans ce cas, de ne pas migrer aux pôles au moment de l’anaphase.

Une substance capable de provoquer la formation de micronoyaux peut correspondre à un agent clastogène (susceptible de rompre un chromosome en plusieurs segments) et/ou à un poison fusorial. Cet essai micronoyau permet donc de déceler des agents induisant des cassures chromosomiques ainsi que des agents aneuploïdisants (l'aneuploïdie caractérise une cellule qui ne possède pas un nombre normal de chromosomes).

II.4.2.2. Protocole

Le protocole mis en œuvre dans cette étude est celui indiqué dans le fascicule de recommandations AFNOR T90-325 [190] et ISO 21427-1 [191].

• Stade larvaire d’exposition :

Le stade larvaire pour le début de l’exposition est le stade 50 (Figure II.8 (a)) de la table de développement du xénope [230] qui correspond à une période d’érythropoïèse (processus de production des érythrocytes) intense (index mitotique élevé (nombre de cellule

en cours de division cellulaire)), nécessaire à la formation de micronoyaux.

Ce stade 50 est repérable par la présence d’une constriction morphologique à la base du bourgeon des membres postérieurs (Figure II.8 (b)). La larve atteint le stade 54 à la fin de l’exposition, juste avant la métamorphose (Figure II.8 (a)) au delà de laquelle l’érythropoïèse devient insuffisante pour induire la formation de micronoyaux.

Figure II.8 : (a) Photographie en vue dorsale de larves de xénope (1) au stade 50, (2) au stade 54 et (3) en début de métamorphose – (b) Détail du membre postérieur d’une larve au stade 50.

• Exposition des larves :

Des lots de 5 ou 13 larves (dans le cas de l’axolotl) et de 20 larves (dans le cas du xénope) sont constitués à partir d’une même ponte afin d’éviter des variabilités génétiques. Ces larves sont exposées pendant 12 jours en béchers de 1 L (expérimentation axolotl) ou en cristallisoirs de 2 litres (expérimentations axolotl et xénope) contenant 100 mL de milieu d’exposition par larve [190, 191].

Durant ces 12 jours, les larves sont nourries quotidiennement avec des larves de chironomes pour les axolotls et avec des paillettes déshydratées préalablement réduites en poudre (Tétraphyll) pour les xénopes.

• Milieux d’exposition :

Le milieu d’exposition doit avoir un pH de 7 environ (compris entre 6,5 et 8,5) et une concentration en oxygène de 5 mg d’O2/L, correspondant aux conditions optimales de la vie

larvaire. Les essais d’exposition sont conduits dans de l’eau déminéralisée à laquelle sont ajoutés des sels minéraux (Tableau II.1). Cette eau est appelée eau déminéralisée reconstituée et sera notée EDR par la suite.

Tableau II.1 : Composition de l’eau déminéralisée reconstituée (ISO 2006).

Chlorure de calcium (CaCl2, 2 H2O) 294,0 mg/L

Sulfate de magnésium (MgSO4, 7 H2O) 123,25 mg/L

Hydrogénocarbonate de sodium (NaHCO3) 64,75 mg/L

Chlorure de potassium (KCl) 5,6 mg/L

Pour chaque essai de toxicité et de génotoxicité, plusieurs lots ont été systématiquement constitués :

- un lot témoin négatif (noté T-) : les larves sont maintenues dans le volume d’EDR

nécessaire uniquement.

- un lot témoin positif (noté T+) : les larves sont exposées en EDR à laquelle est rajoutée une substance génotoxique de référence, le cyclophosphamide monohydraté (CP), à 20 mg/L [190, 191].

- des lots aux différentes concentrations de NTC dans le volume d’EDR nécessaire - si d’autres éléments (tensioactifs, contaminants) sont ajoutés aux NTC, des lots

Un des objectifs de ces expérimentations en présence de NTC consiste à rechercher les conditions d’exposition les plus compatibles avec une évaluation écotoxicologique des NTC. D’essai en essai, les conditions d’exposition ont été modifiées.

Deux types d’exposition ont été mis en œuvre selon les essais :

- exposition statique : le milieu d’exposition n’est pas renouvelé durant toute la durée d’exposition

- exposition semi-statique : le milieu d’exposition est renouvelé quotidiennement (conditions normalisées, ISO, 2006).

• Toxicité :

Durant les 12 jours d’exposition, différents signes de toxicité sont recherchés chez les larves. La toxicité des NTC a été évaluée visuellement lors des premiers essais, en observant des paramètres de taille, d’anémie, de prise de nourriture et de perturbation de la nage [191]. Ces paramètres étant qualitatifs, un paramètre quantitatif complémentaire a été étudié, chez le xénope, pour évaluer cette toxicité: la mesure de la taille (en début et en fin d’exposition). Pour mesurer leur taille, les larves sont préalablement anesthésiées (méthane sulfonate de tricaïne: MS 222, Sandoz) puis photographiées individuellement sur une échelle graduée. Un essai préalable a donc dû être réalisé afin de vérifier si les manipulations et la solution anesthésiante (MS 222) n’impliquait pas de toxicité et/ou de génotoxicité. Ce pré-essai (données non montrées) est constitué d’un lot témoin de 15 larves non mesurées donc non anesthésiées au préalable (groupe contrôle), et de trois lots de 15 larves anesthésiées puis photographiées. Pour ces trois lots, chaque larve est mesurée en début et en fin d’exposition (T0 et T12). Ce protocole de mesure quantitative des larves ne montre pas de différence significative du nombre de cellules à micronoyaux entre les différents lots. L’évaluation quantitative de la toxicité par cette méthode est donc validée.

 Protocole :

Chaque larve est déposée dans un récipient transparent (boîte de pétri) contenant l’anesthésiant vétérinaire (MS 222, Sandoz). Dès l’immobilité totale de la larve, la boîte de pétri est positionnée sur une règle graduée en centimètres puis photographiée (Figure II.9).

Figure II.9 : Mesure de la longueur d’une larve de xénope.

Les photographies sont traitées à l’aide du logiciel MESURIM [231]. La taille des larves (en cm) permet le calcul du taux de croissance par rapport au témoin selon l’équation suivante :

[((moyXT12 – moyXT0) – (moyT-T12 – moyT-T0)) / (moyT-T12 – moyT-T0)] × 100

Avec : moyXT12 ; moyXT0 : taille moyenne des larves de la condition X à T12 ; T0

moyT -T12 ; moyT -T0 : taille moyenne des larves de la condition T - à T12 ; T0

 Expression et interprétation des résultats :

Dans les cas où la toxicité a été évaluée visuellement, au cours des 12 jours d’exposition, trois différents niveaux de toxicité ont été distingués :

- la toxicité létale (mortalité) : le pourcentage de mortalité (ou le taux de survie) est calculé après 12 jours d’exposition.

- l’intoxication : un retard de croissance après les 12 jours d’exposition est observé (les larves à l’essai sont plus petites que les larves témoins), une absence ou une réduction de prise de

nourriture, une absence de pigmentation ou un comportement anormal pendant la durée de l’exposition.

- l’absence de toxicité : les larves ne présentent ni mortalité ni signes d’intoxications particuliers pendant et après les 12 jours d’exposition, par rapport aux larves témoins.

Dans les cas où les larves sont mesurées, le traitement statistique des données relatives à la taille est réalisé à l’aide du logiciel Sigma stat 3.1. En début et fin d’exposition (T0 et T12), les tailles des larves (en cm) sont comparées afin :

- de confirmer qu’il n’y a pas de différence de taille significative à T0 entre les larves d’un même lot et entre les différents lots,

- d’étudier la différence significative éventuelle de croissance à T12 entre les différents lots par rapport au T-,

- d’étudier la différence significative éventuelle pour un même lot entre T0 et T12.

• Génotoxicité :

A la fin de l’exposition, la génotoxicité chez les larves exposées en présence de NTC ou de toute autre substance étudiée est déterminée par l’évaluation du taux de micronoyaux présents dans les érythrocytes du sang circulant des larves. Pour réaliser les prélèvements sanguins, des ponctions intracardiaques ventriculaires sont réalisées sous loupe binoculaire chez les larves exposées.

 Protocole :

A la fin des 12 jours d’exposition, chaque larve est immobilisée par immersion dans une solution de MS 222. La peau des larves est ensuite incisée en position ventrale avec des pinces fines afin de dégager le muscle cardiaque sous loupe binoculaire. Le sang est prélevé à l’aide d’une micropipette de 100 µm de diamètre. La pointe, taillée en biseau puis héparinée

(200 µg d’héparine solubilisée dans du chlorure de sodium (NaCl) à 7 g/L), est introduite dans le ventricule. L’autre extrémité de la pipette est reliée à la bouche de l’expérimentateur par l’intermédiaire d’un tuyau souple muni d’un embout en plastique. Le cœur de la larve, en se contractant, permet au sang de monter dans la micropipette du fait de la pression sanguine.

Figure II.10 : Ponction intracardiaque de larve de xénope en vue ventrale.

Le sang prélevé est déposé à l’extrémité d’une lame histologique dégraissée, puis étalé à l’aide d’une lame rôdée. Les frottis sont immédiatement séchés sous air frais. Ils sont ensuite fixés au méthanol non anhydre pendant 5 minutes, colorés à l’Hématoxyline de Groat (solution équivolume de 10 g d’Hématoxyline de Groat pour 1 L d’alcool à 95° et de 20 g d’alun de fer ammoniacal pour 1 L d’eau à 1,6% d’acide sulfurique concentré) par immersion pendant 30 minutes, puis rincés à l’eau courante pendant 5 minutes.

La lecture des frottis sanguins est réalisée à l’aide d’un microscope optique avec un objectif à immersion (x100) et un oculaire (x10) pour les urodèles et (x15) pour les anoures présentant des érythrocytes de plus petite taille. Les érythrocytes contenant des micronoyaux sont dénombrés visuellement en examinant 1000 érythrocytes par lame. Pour chaque larve, le taux d’érythrocytes présentant un, deux, trois ou davantage de micronoyaux est compté et noté EMN ‰. L’index mitotique (nombre de figures de mitoses rencontrées pour 1000 érythrocytes comptés) est également pris en compte afin d’évaluer le niveau d’hématopoïèse chez les larves.

 Expression et interprétation des résultats :

La méthode statistique utilisée pour analyser les résultats est la méthode de McGill [232], recommandée dans le fascicule de la norme [190, 191]. Basée sur les rangs de la médiane (valeur qui permet de partager une série numérique en deux parties de même nombre d'éléments) et des quartiles (partagent la population en quatre parties de même effectif), elle permet en particulier le traitement des résultats obtenus sur de petits échantillons (n ≥ 7) dont la distribution n’obéit pas à la loi normale. Un échantillon est constitué par n valeurs qui correspondent au nombre de frottis réalisés par lot (c'est-à-dire au nombre de larves).

Pour chaque échantillon (ou lot), le protocole utilisé pour le traitement statistique des données est le suivant :

- Classement des valeurs par ordre croissant

- Détermination des rangs de la médiane M, des quartiles inférieur et supérieur (QI et QS)

- Déduction des valeurs de M, QI et QS. Les valeurs des EMN ‰ étant classées par ordre croissant et les rangs de M, QI et QS étant déterminés, les valeurs de M, QI et QS correspondent aux valeurs des EMN ‰ de rang correspondant.

- Détermination de l’intervalle de confiance IC de la médiane, avec un seuil de sécurité de 95% selon la formule :

M ± 1,57 x EIQ/√n

où M est la valeur de la médiane, n le nombre de frottis (ou de larves) par lot et EIQ l’écart interquartile (QS – QI).

La différence entre les médianes de deux échantillons est significative si leurs intervalles de confiance n’ont pas de points communs. Pour qu’un test micronoyau soit validé,

la médiane du lot témoin négatif doit être statistiquement différente de celle du lot témoin positif. Après traitement statistique des données, le milieu d’exposition est considéré :

- Génotoxique, lorsque la médiane du lot à l’essai est supérieure à celle du lot T- et que les intervalles de confiance de sécurité à 95 % ne se chevauchent pas.

- Non génotoxique, lorsque l’intervalle de confiance du lot traité n’est pas distinct de celui du lot témoin (au moins une valeur commune entre les deux lots).