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Test de la convergence des communautés de la péninsule ibérique et de l’Europe de l’Ouest

2. Présentation des données

3.1. Hypothèses et contraintes sous-jacentes à l’usage des traits fonctionnels en bioindication

3.1.3. Test de la convergence des communautés de la péninsule ibérique et de l’Europe de l’Ouest

La convergence de la structure des communautés vivant dans des environnements semblables est prédite par la théorie du déterminisme local (Ricklefs & Schluter 1993, Ricklefs 2006). Cette théorie considère que l’environnement est le déterminant principal de la structure des communautés (Tonn et al. 1990, Townsend & Hildrew 1994, Weiher & Keddy 1995, Poff 1997, Diaz et al. 1998, Bellwood et al. 2002) et que l’évolution est unidirectionnelle. Les mêmes stratégies, ensemble de traits, seraient sélectionnés pour faire face aux mêmes conditions environnementales. La théorie du déterminisme local prédit la convergence des communautés vivant dans des environnements similaires, indépendamment de la proximité géographique et de l’histoire évolutive des régions.

Deux types de convergence, quantitative et qualitative, peuvent être observées (Hugueny et al. 2010). La convergence quantitative correspond à des réponses identiques à l’environnement entre les deux régions (Figure 8a ; Irz et al. 2007). Le même modèle peut être utilisé pour prédire la structure des peuplements quelle que soit la région. Dans le cas d’une convergence qualitative, les réponses à l’environnement dans les deux régions sont analogues mais pas identiques (Figure 9b, c et d). Des modèles spécifiques à chaque région sont nécessaires pour prédire la structure des peuplements.

A l’inverse, des facteurs spéciaux (Ricklefs 2006) comme des facteurs historiques (Ricklefs & Schluter 1993, Smith & Ganzhorn 1996, Samuels & Drake 1997, Lobo & Davis 1999, Qian & Ricklefs 2000, Tedesco et al. 2005, Vitt & Pianka 2005) tels les effets séquences (Samuels & Drake 1997) ou la coévolution entre espèces (Smith & Ganzhorn 1996), peuvent conduire à des divergences entre les régions (Figures 8e, f ; Wiens 1991, Smith & Ganzhorn 1996, Irz et al. 2007).

La variabilité environnementale interrégionale est une source attendue de divergence entre les communautés. Des peuplements évoluant dans des milieux différents devraient présenter des structures différentes (Wiens 1991).

Catégorie de trait

Environnement

a b c

d e f

Figure 9 : Relation entre une catégorie de trait et l’environnement dans deux régions, droite noire ou grise : a)

convergence quantitative (le même modèle pour les deux régions) ; b), c) et d) convergence qualitative, les relations varient dans le même sens dans les deux régions ; e) et f) non convergence entre les régions, en e) la catégorie de traits varie avec l’environnement dans une région mais pas dans l’autre et en f) les relations à l’environnement sont opposées.

La convergence de la réponse des structures des communautés aux gradients

environnementaux a été testée en comparant les peuplements de la France et de la Belgique

(FB) avec les peuplements ibériques (IP). Ces deux régions présentent des histoires évolutives (Banarescu 1992, Hewitt 2000, 2004) et des faunes relativement différentes (Ferreira et al. 2007a, Reyjol et al. 2007). La péninsule ibérique n’ayant pas été affecté par les dernières glaciations (Hewitt 2004) et présentent de nombreuses espèces endémiques (Reyjol et al. 2007). Parmi les 57 espèces recensées dans les deux régions, seules 10 sont communes aux deux régions.

Trois modèles avec des hypothèses différentes ont été définis par catégorie de trait. Le premier modèle considère une convergence quantitative entre les régions (Figure 8a). Le deuxième modèle considère que les réponses à l’environnement sont parallèles entre les régions (convergence qualitative, Figure 9b). Le troisième modèle permet que les réponses à l’environnement des traits peuvent être : similaires mais avec des amplitudes variables selon les régions (Figures 8c,d), opposées entre les régions (Figure 8f), et visibles dans une région et absentes dans l’autre (Figure 8e).

Les résultats de la comparaison des modèles deux à deux (Tableau 4) montrent que les réponses à l’environnement de la structure des peuplements, sont globalement convergentes (Bellwood et al. 2002, Lamouroux et al. 2002, Tedesco et al. 2005, Hugueny et al. 2010) entre les deux régions. Parmi les 17 métriques testées, trois présentent des convergences

quantitatives, 11 des convergences qualitatives (dont huit des réponses parallèles) et trois présentent des réponses non convergentes (Tableau 4). Ces résultats tendent à démontrer que les structures des peuplements, provenant de pools d’espèces régionaux différents, peuvent avoir des réponses similaires aux variations environnementales (Bellwood et al. 2002, Lamouroux et al. 2002, Hoeinghaus et al. 2007). L’environnement peut être considéré comme une force majeure de la sélection sur les traits des espèces (Tonn et al. 1990, Keddy 1992, Townsend & Hildrew 1994, Weiher & Keddy 1995, Poff 1997, Townsend et al. 1997, Diaz et al. 1999, Cornwell et al. 2006, Cornwell & Ackerly 2009). Ces résultats sont cohérents avec ceux de la RDA (chapitre 3.1.2).

Tableau 4 : Statistiques et p-valeur ajustées des tests, F pour les métriques en densité (Ni), de 2 pour les métriques basées sur la richesse (Ns), de comparaison des modèles emboités. La méthode de Benjamini et Yekutieli (2001), qui contrôle le taux de mauvaise erreur « false discovery rate » (FDR), a été utilisée pour ajuster les p-valeurs du fait des comparaisons multiples (Dudoit & van der Laan 2008). L’effet régional est non significatif (ns) si aucune des comparaisons n’est significative ; additif si la comparaison entre les modèles 1 et 2 est significative mais pas la comparaison entre les modèles 2 et 3 ; et interactif si la comparaison entre les modèles 2 et 3 est significative. Les métriques peuvent être soit non convergentes, présenter une convergence quantitative ou qualitative.

Métrique Modèle 1 vs Modèle 2 Modèle 2 vs Modèle 3 Effet Convergence

Statistique P-valeur Statistique P-valeur régional

DENS 4,023 0,309 4,522 0,008 interactif non

Ni_EURY 1,545 1,000 4,729 0,006 interactif qualitative

Ni_INSEV 0,196 1,000 5,586 0,002 interactif qualitative

Ni_LITH 2,576 0,617 3,184 0,068 ns quantitative

Ni_OMNI 0,964 1,000 1,854 0,610 ns quantitative

Ni_POTAD 13,897 0,004 6,191 0,001 interactif non

Ni_RHEO 12,288 0,007 5,454 0,002 interactif non

Ni_TOLE 9,897 0,018 0,470 1,000 additif qualitative

RICH 27,039 < 0,001 13,150 0,154 additif qualitative

Ns_BENTH 19,022 < 0,001 1,157 1,000 additif qualitative

Ns_EURY 1,777 0,983 16,880 0,041 interactif qualitative

Ns_INTOL 33,438 < 0,001 4,506 1,000 additif qualitative

Ns_LITH 16,342 0,001 4,556 1,000 additif qualitative

Ns_POTAD 0,819 1,000 15,563 0,068 ns quantitative

Ns_RHEO 31,059 < 0,001 10,230 0,439 additif qualitative

Ns_TOLE 9,604 0,018 9,560 0,540 additif qualitative

Ns_WATE 9,633 0,018 14,862 0,081 additif qualitative

La majorité des métriques convergentes entre les régions, présentent des convergences qualitatives (Irz et al. 2007, Hugueny et al. 2010). Parmi ces onze métriques, huit présentent des réponses parallèles et trois présentent des patrons de réponses similaires mais avec des amplitudes de variation différentes (Figure 10 et Figure 11). Seuls le nombre d’espèces potamodromes (Ns_POTAD, Figure 11), la densité d’espèces lithophiles (Ni_LITH, Figure 10) et la densité d’espèces omnivores (Ni_OMNI, Figure 10) présentent des convergences

quantitatives. Il est probable que les différences observées entre les régions (écart constant ou amplitude de la réponse différente) soient les conséquences de processus géographiques ou historiques (Ricklefs & Schluter 1993, Lobo & Davis 1999, Qian & Ricklefs 2000, Lamouroux et al. 2002, Johnson et al. 2004, Tedesco et al. 2005, Ricklefs 2006, Irz et al. 2007, Hugueny et al. 2010).

TEMP log(SLOP) log(DIS) 0 1 2 3 4 5 6 8 10 12 14 16 -2 2 6 6 7 8 6.5 7.5 8.5 1 2 3 4 -2 2 6 6 7 8 5 -2 2 6 8 8.5 9 9.5 1 3 5 0 2 4 6 0 2 4 6 -1 0 1 2 3 4 log(DENS)* log(Ni_EURY)* log(Ni_INSEV)* log(Ni_OMNI) log(Ni_POTAD)* log(Ni_RHEO)* log(Ni_TOLE) log(Ni_LITH) c s 1 2 3 4 2 4 6 7 8 9 6 7 8 9 5 c s c s ns ns IP FB IP & FB c s

Figure 10 : Effet marginal (Fox

1987, 2003) de la température (TEMP), de la pente (SLOP) et de la distance à la source (DIS) sur les 8 métriques basées sur la densité totale de poisson (DENS), sur la densité d’eurytopes (EURY), d’insectivores (INSEV), de lithophiles (LITH), d’omnivores (OMNI), de potamodromes (POTAD), de rhéophiles (RHEO) et d’intolérant (INTOL). Seules les variables ou les interactions entre variables et région avec un effet significatif ont été représentées (drop in deviance F-tests, Chambers & Hastie 1993). La réponse commune est représentée en pointillés (modèle 1), la réponse de la région IP en noir et de la région FB en gris. Les métriques avec des interactions significatives (modèle 3) sont indiquées avec un astérisque. Les environnements calcaires (c) et siliceux (s) sont différenciés si l’interaction entre la géologie et la région (GEO × REG) est significative. ns est ajouté sur le graphique si la variable environnementale avait un effet significatif, mais pas l’interaction avec la région.

TEMP log(SLOP) log(DIS) 6 8 10 12 14 16 -1 0 1 2 3 4 0 2 4 2 6 10 1 3 5 7 2 4 6 1 1.5 2 2 4 6 2 3 4 5 1 3 5 RICH Ns_BENTH Ns_EURY* Ns_INTOL Ns_LITH Ns_POTAD Ns_RHEO Ns_TOLE Ns_WATE 2 6 4 1 2 3 0.5 1.5 2.5 0.4 0.8 1.2 1 2 3 4 1 1.5 2 2.5 0.2 0.6 1 IP FB IP & FB

Figure 11 : Effet marginal (Fox

1987, 2003) de la température (TEMP), de la pente (SLOP) et de la distance à la source sur les 9 métriques basées sur la richesse spécifique locale (RICH), sur la richesse (Ns) de poissons benthiques (BENTH), eurytopes (EURY), intolérants (INTOL), lithophiles (LITH), potamodromes (POTAD), rhéophiles (RHEO), tolérants (TOLE) et vivant et se nourrissant dans la colonne d’eau (WATE). Seules les variables ou les interactions ente variables et région avec un effet significatif ont été représentées (drop in deviance 2-tests, Chambers & Hastie 1993). La réponse commune est représentée en pointillés (modèle 1), la réponse de la région IP en noir et de la région FB en gris. Les métriques avec des interactions significatives (modèle 3) sont indiquées avec un astérisque.

A taille égale, la richesse locale des cours d’eau méditerranéens ibériques est plus faible que celle des cours d’eau de l’Europe de l’Ouest (Reyjol et al. 2007) et que celle des cours d’eau méditerranéens français (Ferreira et al. 2007a). Un maximum de six espèces a été observé pour les peuplements méditerranéens, conformément à des observations antérieures (Godinho et al. 1997, Carmona et al. 1999, Pires et al. 1999, Godinho et al. 2000, Magalhaes et al. 2002a,b, Mesquita & Coelho 2002, Clavero et al. 2004, Pires et al. 2004, Clavero & Garcia-Berthou 2006, Mesquita et al. 2006, Ferreira et al. 2007a, Ferreirai et al. 2007b), contre un maximum de 20 espèces pour les cours d’eau français et belges. Les écarts des réponses aux gradients environnementaux des métriques basées sur la richesse spécifique (Figure 11) sont donc pour partie dus à la différence de richesse locale entre ces deux régions (Reyjol et al. 2007, Leprieur et al. 2008b). La richesse spécifique locale est elle-même dépendante de la richesse spécifique régionale (Hugueny et al. 2010). Une part des convergences quantitatives est donc probablement due aux différences régionales de la taille des pools d’espèces (Hugueny et al. 2010).

Limites de ces résultats : poids des introductions dans la faune ibérique Les introductions d’espèces originaires de l’Europe centrale ou de l’ouest (Clavero & Garcia-Berthou 2006) peuvent avoir brouillé les résultats des tests de la convergence (Leprieur et al. 2008a). Parmi les 10 espèces communes aux deux régions, trois sont natives de FB et pas d’IP (Kottelat & Freyhof 2007) : le goujon (Gobio gobio, L.), le chevaine (Squalius cephalus, L.) et le vairon (Phoxinus phoxinus, L.). Ces espèces sont présentes dans 46,7 % des sites IP et représentent entre 1,5 et 98,5 % des individus quand elles sont présentent (Figure 12). Cette homogénéisation peut avoir favorisé la convergence des traits portés par ces espèces.

20 40 60 80 100 0 Abondance relative (%) MED Figure 12 : Abondance relative du goujon, du chevaine et du vairon au sein des 35 peuplements IP lorsqu’ils sont présents.

Perspectives : quelle est l’influence de la phylogénie sur la structure des communautés et la convergence ?

La convergence entre les communautés de deux régions est plus facilement observée quand les espèces de ces deux régions, bien que différentes, appartiennent aux mêmes lignées (Bellwood et al. 2002, Lamouroux et al. 2002). A l’inverse, des régions composées d’espèces appartenant à des lignées différentes présentent rarement des patrons convergents (Cadle &

Greene 1993, Smith & Ganzhorn 1996). L’évolution différente de lignées d’un même phylum et leur déploiement géographique différent, peuvent expliquer les divergences de structures des peuplements observées entre deux régions (Cadle & Greene 1993, Ricklefs & Schluter 1993). L’histoire évolutive d’une lignée peut jouer un rôle profond sur les caractéristiques actuelles des espèces (Vitt & Pianka 2005). Bien que seules 10 espèces soient communes aux deux régions, la grande majorité des espèces appartiennent aux mêmes genres, sous-familles ou familles. Cette proximité phylogénétique des pools d’espèces régionaux favorise probablement la convergence observée au sein de ces deux régions (Bellwood et al. 2002). De nouvelles techniques pour prendre en compte la phylogénie sont développées et devraient permettre à l’avenir de mieux appréhender cette question (par exemple, Pavoine et al. 2010).

Conséquence pour le développement de bioindicateurs

Ces résultats confirment l’importance de la prise en compte de l’environnement dans l’établissement des scores associés à chaque métrique (Joy & Death 2002, Oberdorff et al. 2002, Hughes et al. 2004, Pont et al. 2006, Bates Prins & Smith 2007, Pont et al. 2007, Roset et al. 2007, Hawkins et al. 2010).

Ils démontrent aussi que les variables environnementales, qui expliquent la variabilité des métriques, diffèrent d’une métrique à l’autre. Il est donc essentiel de sélectionner les variables environnementales qui expliquent le mieux la variabilité de chaque métrique (Oberdorff et al. 2002, Pont et al. 2006, Bates Prins & Smith 2007, Pont et al. 2009, Hawkins et al. 2010). Conserver l’ensemble des variables environnementales pour prédire les valeurs attendues entrainerait un problème « d’over-fitting » (Hastie et al. 2009). Plus le nombre de variables intégrées au modèle augmente, plus l’erreur de prédiction sur le jeu de données de calibration diminue, mais plus l’erreur de prédiction sur un jeu de données indépendant risque d’être élevée (voir la figure 2.11, p. 38, de Hastie et al. 2009).

Le faible nombre de métriques présentant des convergences quantitatives implique que la région doit être prise en compte lorsqu’on utilise des métriques basées sur la densité ou le nombre d’espèces (Oberdorff et al. 2002, Pont et al. 2006, 2009). L’utilisation d’un modèle commun pour prédire les valeurs attendues de ces métriques biaiserait l’estimation des valeurs attendues. Dans le cas d’une réponse parallèle entre les régions, un modèle commun surestimerait en moyenne, les valeurs attendues dans une région et sous-estimerait les valeurs attendues dans l’autre.

Néanmoins, les régions méditerranéennes abritent de nombreuses espèces endémiques (Reyjol et al. 2007), et des phylums spécifiques, par exemple le genre Iberochondrostoma (Kottelat & Freyhof 2007). Il est donc possible que la singularité de la faune méditerranéenne ait exacerbée les divergences fonctionnelles observées avec la France et la Belgique. A l’inverse, les différences spécifiques entre les autres régions de l’Europe sont beaucoup moins marquées (Reyjol et al. 2007). On peut donc supposer que les structures fonctionnelles des peuplements de ces régions sont relativement similaires. Par conséquent les mêmes métriques devraient être utilisables pour l’ensemble de ces régions (Pont et al. 2006, 2007). Les régions méditerranéennes constituent probablement un cas particulier en Europe. Ces hypothèses restent à tester.

Une possibilité pour surmonter les différences régionales est de considérer des métriques basées sur les ratios (Matzen & Berge 2008) du nombre d’espèces ou d’individus présentant une catégorie de traits donnés.

3.1.4. Développement de métriques spécifiques aux cours d’eau à faible richesse