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2. Présentation des données

3.1. Hypothèses et contraintes sous-jacentes à l’usage des traits fonctionnels en bioindication

3.1.1. Structures fonctionnelles des peuplements et redondance des traits

La première étape du développement d’un indice multimétrique (MMI) suppose de sélectionner des métriques représentatives de la région d’intérêt (Karr 1991, Angermeier et al. 2000). Par conséquent, l’étendue de cette région ainsi que la richesse spécifique conditionnent le choix des métriques candidates pour un indice.

Idéalement, les métriques sélectionnées doivent permettre d’évaluer les peuplements indifféremment de l’environnement dans lequel ils vivent. La diversité des conditions environnementales et des cours observés dans les différentes régions en Europe (Koster 2005, Tockner et al. 2009), constitue le premier défi du développement de l’indice poisson européen. Les métriques doivent être utilisables dans des conditions climatiques, hydrologiques et géomorphologiques très contrastées. Elles doivent pouvoir évaluer la condition écologique de cours d’eau méditerranéens, alpins, côtiers, scandinaves, etc.

La diversité de la faune piscicole européenne constitue le deuxième défi majeur de l’indice poisson européen. Cette diversité s’exprime à la fois par le nombre d’espèces présentes en Europe, un peu plus de 500 selon Kottelat & Freyhof (2007), et par la disparité des pools d’espèces régionaux (Reyjol et al. 2007). En regroupant les grands bassins hydrographiques selon leur similarité faunistique, Reyjol et al. (2007) ont défini sept

ichthyorégions. La richesse et la composition faunistique de ces régions sont très variables et dépendantes de l’aire de répartition des espèces.

La niche des espèces (Hutchinson 1957, Pont et al. 2005), la structuration spatiale de l’environnement (Huet 1954, Grenouillet et al. 2004), la géographie (Hewitt 2004), les trois grands processus évolutifs que sont la spéciation, l’extinction et la migration (Stearns 1992), sont les principaux facteurs naturels responsables de la distribution actuelle des espèces. Une espèce ne peut être présente dans une région que si les conditions environnementales nécessaires à son existence sont réunies (Hutchinson 1957). Or, à l’échelle d’un continent, un facteur environnemental clé comme la température varie avec la latitude, l’altitude et la continentalité (Ward 1985, Figure 1.5A de Tockner et al. 2009).

La formation des bassins hydrographiques et les dernières glaciations sont les deux événements géologiques les plus récents qui ont le plus contribué à la répartition actuelle des espèces. L’isolement géographique des populations qui a suivi la formation des bassins hydrographiques a favorisé des processus de spéciations allopatriques. C’est notamment le cas de la péninsule ibérique où des espèces du même genre (ex. Luciobarbus, Kottelat & Freyhof 2007) sont présentes dans des bassins hydrographiques différents (Gomez & Lunt 2007, Filipe et al. 2009). Les limites des bassins sont des barrières géographiques infranchissables. Chaque bassin peut être considéré comme une île biogéographique (Hugueny 1989). Seules les espèces anadromes (Tableau 3) ou supportant des eaux saumâtres seront à même de migrer d’un bassin à un autre.

La dernière période glaciaire du Pléistocène (entre –110 000 et –10 000 ans) constitue une période clé pour la répartition actuelle des espèces (Hewitt 1999, 2000, Kontula & Vainola 2001, Koskinen et al. 2002, Hewitt 2004, Griffiths 2006). Le recouvrement d’une grande partie des terres émergées européennes par la calotte glaciaire (Banarescu 1992, Keith 1998, Clark et al. 2009) a entraîné une forte extinction d’espèces (Hewitt 2000). Au maximum de l’expansion glaciaire, la calotte recouvrait le nord de l’Europe, l’Islande, les îles britanniques, et s’étendait plus au sud jusqu’en Allemagne et en Pologne. Seules les régions les plus au sud, telles que le bassin du Danube et la région ponto-caspienne, la péninsule ibérique, ont constitué des zones refuges pour la faune piscicole (Banarescu 1992, Hewitt 1999, 2004). Les phases d’expansion glaciaire correspondent à des phases de contraction des aires de répartition (Qian & Ricklefs 2000). A l’inverse, le retrait des glaciers correspond à une phase d’expansion des aires de distribution de certaines espèces (Hewitt 2000). Les zones

glacées ont été recolonisées par les espèces présentes dans les zones refuges (principalement la région ponto-caspienne) via différentes voies migratoires (Banarescu 1989, 1992, Hewitt 1999, Nesbo et al. 1999, Hewitt 1999, 2000, 2004, Kontula & Vainola 2001, Koskinen et al. 2002, Hewitt 2004, Griffiths 2006). Le bassin du Danube a été le principal foyer de dispersion pour la recolonisation. D’immenses lacs d’eau froide formés suite à la fonte des glaces ont établi des passages entre des bassins hydrographiques adjacents (Banarescu 1992, Griffiths 2006). Les espèces d’eau froide, généralistes, avec une forte capacité de dispersion, ont été les plus à aptes à recoloniser les zones glacées (Griffiths 2006). Les chaînes de montagnes, véritables barrières géographiques, ont isolé les régions les plus au sud, telle que la péninsule ibérique, et empêché toute recolonisation à partir de ces zones (Hewitt 2000, 2004).

Les conséquences les plus visibles de ces événements sur la faune piscicole européenne actuelle sont : la présence d’un gradient latitudinal et longitudinal de la richesse spécifique (Griffiths 2006), aini qu’un nombre plus élevé d’espèces endémiques dans les zones non attenteintes par les glaces (Bianco 1995, Reyjol et al. 2007). L’Europe de l’Ouest présente peu d’espèces endémiques et une faune plus pauvre, constituée majoritairement d’espèces originaires d’Europe Centrale (Reyjol et al. 2007).

Par conséquent, à large échelle, les patrons dérivés de l’analyse de la composition faunistique des peuplements reflètent principalement le rôle des facteurs historiques et géographiques sur la distribution actuelle des espèces (Van Sickle & Hughes 2000, Heino 2005, Bremner et al. 2006a, Hoeinghaus et al. 2007). L’usage de métriques basées sur la composition (présence-absence, abondance relative d’une espèce ; Alcorlo et al. 2006, Pollard & Yuan 2009) pour développer un indice à l’échelle de l’Europe ne semble pas pertinent. L’étendue spatiale de l’utilisation de ces métriques est limitée par l’aire de répartition de chaque espèce.

L’utilisation de métriques qui regroupent au sein d’une même variable les espèces ayant des traits biologiques et écologiques similaires (Usseglio-Polatera et al. 2000, Melville et al. 2006, Hoeinghaus et al. 2007, Noble et al. 2007) permet de comparer des peuplements faunistiquement différents (Moyle & Herbold 1987, Wiens 1991, Kelt et al. 1996, Smith & Ganzhorn 1996, Reich et al. 1997, Statzner et al. 1997, Winemiller & Adite 1997, Bellwood et al. 2002, Lamouroux et al. 2002, Vila-Gispert et al. 2002, Goldstein & Meador 2004, Statzner et al. 2004, Melville et al. 2006, Bonada et al. 2007, Hoeinghaus et al. 2007, Irz et al. 2007, Ibañez et al. 2009). Par conséquent, dans le cadre du projet EFI+, seules les métriques basées sur les traits biologiques et écologiques des espèces ont été considérées (voir le chapitre 2.4). En plus de leur couverture spatiale, l’utilisation de ces traits a été recommandée

(Statzner et al. 2001, Bonada et al. 2006) et utilisée avec succès en bioindication, notamment à large échelle (Pont et al. 2006, 2007, 2009).

L’analyse de l’association des 41 modalités de traits (88 espèces, Tableau 3) au sein de 849 peuplements piscicoles européens peu ou pas impactés (P2) démontre une certaine redondance entre les catégories de traits. Elle se traduit par la proximité des projections associées à chaque catégorie sur le premier plan factoriel de l’ACP (Figure 5a).

Deux gradients principaux sont observés : un gradient de tolérance et un gradient de reproduction. Le premier axe (48,3 % de l’inertie) oppose les peuplements dominés d’une part par des individus sténothermes (STTHER), intolérants vis-à-vis de l’hypoxie (O2INTOL) et d’une dégradation de l’habitat (HINTOL), aux peuplements dominés par des individus eurythermes (EUTHERM), avec une tolérance intermédiaire quant à l’oxygènation des eaux (O2IM) et tolérants la dégradation de l’habitat (HTOL). Le premier axe représente aussi un gradient trophique et d’habitat. Il oppose les catégories « insectivore » et « rhéophile » aux catégories « omnivore » et « eurytope ». Le deuxième axe (15,4 % de l’inertie) oppose les peuplements composés d’individus peu mobliles (RESID), sans préférences d’habitat de ponte (EUPAR) et ayant des reproductions fractionnées (FR) à des peuplements d’individus potamodromes pondant préférentiellement en eau courante (RHPAR) et ayant une seule ponte annuelle (SIN). L’orthogonalité observée entre ces deux gradients révèle leur relative indépendance. Des communautés dominées par des individus tolérants pourront tout aussi bien l’être par des individus à ponte unique ou à ponte fractionnée.

INSV OMNI EURY RH EUPAR RHPAR HIM HINTOL HTOL POTAD RESID NOP PROT LITH PHLI FR SIN EUTHER STTHER O2IM O2INTOL O2TOL INSV OMNI EURY RH EUPAR RHPAR HIM H HIMIMM HINTOLO HTOL POTAD RESID NOP PROT LITHTH L L LI LI PHLI PHLI FR SIN EUTHER STTHER O2IM O2INTOL O2TOLLLLL

Figure 5 : Ordination de l’abondance relative des catégories de traits (aux contributions > 0,5 %) sur le premier

Implication de ces résultats pour le développement d’un indice multimétrique.

La forte redondance de certaines catégories de traits limite le nombre de métriques disponibles pour le développement de l’indice. Les catégories fortement liées comme STTHER, O2INTOL et HINTOL, fourniront a priori la même information sur l’état des peuplements, ce qui est contraire à la théorie des MMI (Karr & Chu 1999). Dans le cas où ces métriques passent les différentes phases de sélection (Hughes et al. 1998, Hering et al. 2006, Pont et al. 2006, Stoddard et al. 2008) et permettent de mesurer l’effet des pressions anthropiques, il conviendrait de n’en retenir qu’une. En plus de leur capacité de détection des pressions, la distribution géographique des métriques doit être un critère de sélection.

Dix-neuf catégories sur les 41 ne contribuent que très faiblement au premier plan factoriel (contribution relative inférieure à 0,5 %) et n’ont pas été représentées sur la Figure 5a. Parmi ces catégories, certaines sont peu fréquentes au sein des peuplements et donc participent très peu à l’analyse. La reproduction ostracophile (OSTRA), les régimes alimentaires parasitaires (PARA) et herbivores (HERB) sont présents dans moins de 10 % des sites. Les métriques rares sont peu représentatives des peuplements et sont donc peu utiles pour le développement d’un indice. Elles peuvent être utilisées pour le développement d’outils additionnels spécifiques à certains types de peuplements ou de cours d’eau.

Certains traits peuvent varier indépendamment des deux gradients majeurs et contribuer à la construction d’autres axes. C’est le cas de l’habitat d’alimentation dont les modalités sont principalement représentées sur le troisième axe de l’ACP. Ces catégories sont très intéressantes puisqu’elles intègrent une information complémentaire sur la structure des peuplements. De même des catégories relativement stables entre les peuplements, qui ne participent que très faiblement à l’analyse, sont potentiellement intéressantes pour le développement des MMI (Charvet et al. 2000, Statzner et al. 2001, Hering et al. 2006).