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La sortie scolaire correspond, sous certains aspects, à ce que les géographes appellent traditionnellement la sortie de « terrain ». Cette section s’attache à expliciter le sens du mot terrain en tenant compte de ses différentes acceptions, du sens commun aux sens admis aujourd’hui en géographie et plus particulièrement en m’appuyant sur l’intérêt épistémologique que le problème du terrain soulève et les questions qu’il suscite dans la communauté des géographes.

La réflexion théorique et méthodologique sur le terrain en géographie est très récente. Initiée par Yves Lacoste dans deux numéros de la revue Hérodote21 (où il est question du rapport entre l’enquête et le terrain sans que la place du terrain dans la construction des savoirs scientifiques propres à la géographie soit véritablement remise en cause), elle s’est prolongée, a été mise en débat et s’est renouvelée ensuite seulement depuis les années 2000 dans la communauté francophone des points de vue théoriques et épistémologiques grâce aux travaux précurseurs d’Anne Volvey (Volvey, 2003) sur l’esthétique du terrain et ceux en histoire et en épistémologie de la géographie de Yann Calbérac (Calbérac, 2010), sans oublier des colloques notamment ceux qui se sont tenus à Arras22 et à Vevey23 en 2008, des journées d’étude24

et des publications25.

2.1 Le sens commun et son histoire

Au sens commun, le mot terrain revêt de multiples significations. Initialement26, il se rapporte à la terre. Dans le vocabulaire militaire du XVIIe siècle, il correspond au « lieu où se déroule

un combat »27 et par conséquent le lieu où l’on doit se rendre pour s’affronter. Par extension, il prend le sens figuré général actuel d’aller sur place. Puis, il exprime l’idée d’une étendue de terre considérée dans son relief (terrain plat ou accidenté) et ses qualités (terrain fertile…) ou

21 (Lacoste, 1977 ; 1978). 22

« À travers l’espace de la méthode. Les dimensions du terrain en géographie », Université d’Artois, 18 au 20 juin 2008 (http://terrain.ens-lsh.fr).

23 « Questionning the Field ». Colloque international organisé par l’École doctorale C.U.S.O., Vevey, 28-30 mai

2008.

24 « Le terrain, hier et aujourd’hui », journée de l’Association de Géographes Français, Paris, 8 décembre 2006.

« Le terrain », forum des doctorants de l’École doctorale de géographie de Paris, 16 avril 2010.

25 Hugonie (dir.), 2007, « Le terrain pour les géographes, hier et aujourd’hui ». Bulletin de l’association de

géographes français. 4 ; Collignon, B. et Retaillé, D., 2010, « Le terrain », L’information géographique, vol. 74 ; Carnets de géographes, n°2, mars 2011, Rubrique Carnets de terrain ; Numéro thématique de la revue Annales de géographie, nº687-688 (5-6/2012) ; Robic (éd.), 2006 ; Baudelle et al., 2001.

26 Le terme apparaît dans la langue française au XIIe siècle en se formant à partir du latin « terrenum ».

27 D’où « aller sur le terrain », « reconnaître le terrain, le perdre (1654), […] gagner du terrain (1646) »

34 à partir de 1830, comme élément de la lithosphère, c’est-à-dire comme portion de l’écorce terrestre. À la même époque, on attribue en plus au terrain le sens d’« emplacement aménagé

pour servir de piste, de lieu d’exercice », sens développé au XXe siècle dans d’autres domaines, le sport (1901), l’aviation (terrain d’atterrissage, 1918)28

.

2.2 La notion de terrain en géographie : état des lieux

Le sens commun recouvre des significations qui considèrent le terrain essentiellement comme un objet. Les géographes ont repris à leur compte cette acception mais envisagent également le terrain comme une pratique et comme une expérience. Il est important d’examiner avec soin ces différentes acceptions du terrain en prenant en compte les questions les plus récentes suscitées par l’épistémologie de la géographie vis-à-vis de cette notion pour comprendre des pratiques et concevoir des scénarios de sortie en géographie scolaire. Cette dernière est encore largement une discipline réaliste (Audigier, 1993 ; Tutiaux-Guillon, 2008, p.119) dont les pratiques scolaires de longue durée ne sont pas nécessairement ancrées à des références disciplinaires universitaires. Pour ma part, je souhaite au contraire prendre appui sur les démarches et les résultats mis en lumière par les travaux d’épistémologie de la géographie en privilégiant clairement le terrain comme relation, position qui pourrait m’ouvrir des possibilités dans l’exploration du réel par les élèves.

2.2.1 Le terrain au sens d’objet scientifique

Les géographes de la fin du XIXe siècle29 jusqu'à l’après-guerre (la Seconde Guerre mondiale) prêtent au terrain un sens géologique30. La géomorphologie est alors encore dominante et le terrain est pensé comme un « terme général désignant tout ensemble de roches qui affleure à

la surface du globe et qui constitue un relief »31. Au-delà de ce sens restrictif, le terrain correspond à un fragment d’espace étudié par le géographe. C’est le sens canonique encore largement retenu aujourd’hui dans la discipline géographique où le terrain est abordé dans sa dimension spatiale. Le terrain est un objet d’étude dont les géographes cherchent à comprendre le fonctionnement à partir de l’ensemble de ses composantes. Il correspond au

28 Ibid. p.3798.

29 « La mise en place de la géographie universitaire à la fin du XIXe siècle s'est faite au moment où la botanique,

la géologie, l'entomologie étaient au sommet de leur gloire [...] » (Guérin, dans André et al., 1989, p.3).

30 L’utilisation du terrain en géologie fait son apparition dès la fin du XVIIIe siècle et se révèle donc précurseur

dans le vocabulaire scientifique.

35 mot anglais field qui se rapporte au lieu étudié. Le terrain est donc, au départ, une portion d’espace préalablement choisie surtout en géographie régionale (Rougier, 2007, p.475). Objet d’étude pour le géographe, il doit remplir des conditions relativement normées :

[…] un terrain doit être tangible, c’est-à-dire qu’il doit pouvoir être touché du doigt,

ou plutôt du pied dans le cadre d’une discipline qui a toujours valorisé la pérégrination comme mode d’appropriation cognitive. Cette fiction définit ainsi des normes canoniques de définition des espaces que la discipline peut légitimement étudier : des espaces d’échelles variées, mais toujours bien délimités et dans lequel on peut se rendre et circuler. (Calbérac, 2010, p.351).

Objet d’étude, le terrain est également utilisé en géographie pour désigner, traditionnellement, le lieu où se déroule physiquement l’acte de la recherche. On doit donc pouvoir s’y rendre à pied et par un contact direct, c’est-à-dire que la taille de l’espace doit être relativement réduite pour être exploré concrètement et physiquement32. C’est le cas de toutes les excursions interuniversitaires du début du XXe siècle caractérisées par de longues marches à pied fatigantes : « durant cinq ou six jours, l’excursion33 parcourt la région environnante, sous la conduite d’un grand maître chargé des « leçons » relevant tant de la géographie physique que de la géographie humaine […] » (Puyo, 2001, p.323). Le terrain du géographe ainsi défini

rejoint celui de l’ethnologue caractérisé lui aussi par sa circonscription spatiale. Mais à la différence du géographe qui étudie un espace, l’ethnologue examine par immersion des groupes ethniques d’ici (occidentaux) et d’ailleurs (un ailleurs plus ou moins lointain) qui peuplent une portion de la terre.

En somme, le terrain a été appréhendé par la géographie classique comme une étendue- support que l'on parcourt, comme « le substrat où se lit la relation homme-milieu qui devient

à partir du début du XXe siècle la problématique de la géographie humaine française »

(Robic, 1996, p.362) et non comme un système de relations. Le terrain compris comme étendue, comme support d'un système naturel (celui des données naturelles : la pente, la température, l'humidité...) est valorisé pour sa dimension matérielle et les données y sont

32 Les possibilités de mobilité actuelles changent la donne pour cette question eu égard aux géographes qui

travaillent ou qui ont travaillé sur la mondialisation (Carroué, Dollfus…) ou sur le cyber-espace (Beaude, 2012).

33 « Excursion, caravane ou enquête sont employés en géographie classique. Le terme excursion a une

connotation pédagogique : l’excursion se fait en groupe, et la caravane circule sur un itinéraire balisé et s’arrête en des points judicieusement choisis pour écouter la parole du maître » (Lévy & Lussault, 2003).

36 étudiées pour elles-mêmes (Gumuchian, dans André et al., 1989, p.31). C'est le terrain d'une géographie classique proche des sciences de la nature.

Depuis une cinquantaine d'année, la géographie est une science humaine et sociale qui s'est éloignée, dans ses objets d'étude, des sciences de la vie et de la Terre. Le discours géographique actuel doit donc dépasser une acception du terrain envisagée comme une réalité spatiale, comme espace objet neutre. Le terrain est bien plus qu'une étendue/support matériel. Il « n'existe que par le sens qu'il acquiert pour un groupe social considéré, dans un contexte

particulier [...]. [Il] n'est pas quelque chose qui existe "là-bas" indépendamment de nous. C'est notre pensée qui crée la réalité spatiale, qui lui donne forme et sens » (Gumuchian, dans

André et al., 1989, p.29-30).

2.2.2 Le terrain au sens de pratique

2.2.2.1 Aux origines du terrain comme pratique

Le terrain, en pratique, ce sont, à l’origine, des excursions géographiques interuniversitaires qui ont été organisées à l’échelle nationale à partir 1905 à l’initiative d’Emmanuel de Martonne. La géographie moderne qui émerge sous l’influence de Paul Vidal de la Blache cherche alors à s’émanciper d’une « géographie historique, géographie de cabinet […]. Elle

veut se démarquer de l’histoire pour se rapprocher des sciences naturelles, d’où la valorisation du terrain et de la carte qui le représente. Pour une science de terrain, l’excursion est une nécessité » (Wolff, 2001, p.330). La géographie se veut alors « une géographie de plein air » (Dupuy, 1905, cité par Robic, 1996, p.357), « une géographie de

plein vent » (Febvre, 1922 cité parRobic, 1996, p.357). En géographie, la première moitié du XXe siècle concorde avec une période où le terrain comme pratique correspond à une dimension essentielle de la discipline. Les excursions interuniversitaires se prolongeront jusqu’au milieu des années 1970 (Calbérac, 2010). L’excursion, c’est-à-dire « ce qui fait "

courir " hors de », est une pratique dont les géographes de l’époque font usage en particulier

dans leur formation. Elle incarne la spécificité de leur démarche :

L'excursion géographique a longtemps eu ses rites établis, avec ascension de points hauts, descente dans des carrières, visites de lieux clés (parfois même d'usines) et temps de décompression. Très pratiquée par les sciences de la nature, l'excursion l'est peu par les sciences sociales, qui lui préfèrent de plus longues immersions. (Brunet

37 Le terrain est donc appréhendé par la géographie classique vidalienne du début du XXe siècle comme « le lieu de la pratique et de la mise en œuvre de savoir-faire en s’appuyant au départ

sur deux méthodes de production de données : l’observation et l’enquête » (Vieillard-Baron,

2006, p.135-136).

2.2.2.2 Le terrain comme pratique : une définition géographique contemporaine

Le terrain est donc de ce point de vue une méthode, c’est-à-dire un ensemble de pratiques qui consistent à recueillir des données in situ ou pour le dire autrement « une méthode permettant

la collecte de données relatives à un espace dont il faut élucider l’organisation et le fonctionnement (à charge ensuite pour le géographe d’exploiter, de traiter ces données) »

(Calbérac, 2010, p.353). C’est ce que sous-entend l’expression « faire du terrain » et qui correspond dans la langue anglaise au terme fieldwork, c’est-à-dire la pratique du terrain. La géographie partage avec d’autres sciences humaines comme la sociologie et l’ethnologie cette spécificité d’avoir un terrain d’enquête dans lequel le chercheur doit se rendre pour mieux l’investiguer34

. Mais à la différence des géographes, « les sociologues mettent l’accent sur la

méthodologie, et non sur l’espace où elle se déploie » (Calbérac, 2010, p.350)35 .

2.2.2.3 Les méthodes de terrain employées par les géographes et leurs critiques

Quelles méthodes sont utilisées par les géographes dans leurs pratiques de terrain ? Il n’est pas aisé de répondre à cette question parce qu’elle n’a paradoxalement pas été traitée en détail par les géographes : « Ainsi, alors que son importance est constamment rappelée par les

géographes, cette méthode n’est-elle quasiment jamais décrite et explicitée dans les éditions successives du Guide de l’étudiant en géographie (Cholley, 1942 ; Meynier, 197136) »

(Calbérac, 2011b, p.2).

Quelques éléments de réponses sont cependant envisageables grâce aux apports méthodologiques des ethnologues notamment. Tout d’abord la pratique de terrain s’opère par recueil de témoignages par l’intermédiaire d’entretiens individuels et/ou collectifs. Il s’agit la

34 « Tous les anthropologues […] considèrent que ce qu’il est convenu d’appeler le terrain constitue l’une des

dimensions essentielle de la démarche anthropologique » (Pulman, 1988, p.22). Outre ces disciplines de sciences

humaines, le terrain est aussi un marqueur identitaire en géologie.

35 D’ailleurs, il n’existe pas de manuel méthodologique pour faire du « terrain » en géographie à la différence des

sociologues qui en possèdent au moins deux (Beaud & Weber, 1997 ; Arborio & Fournier, 1999).

38 plupart du temps d’extraire37

des données qui sont collectées in situ (Calbérac, 2010, p.353). Ces matériaux prélevés peuvent être classés en trois catégories38 :

- ceux qui relèvent de la performance, c’est-à-dire « ce qui met en jeu le corps et que

l’on peut observer » (Calbérac, 2010, p.354). Par exemple, les observations filmées.

- ceux qui relèvent de l’énonciation, c’est-à-dire des énoncés figés qui délivrent une information et qui renvoient « aussi bien aux paroles qu’aux textes recueillis » sans que celui qui fait du terrain ne puisse intervenir sur ces données : des carnets de terrain avec des notes par exemple,

- ceux qui sont en rapport avec l’interaction entre le chercheur sur le terrain et ses informateurs, par exemple les entretiens.

La pratique de terrain n’est possible que pour des espaces de faible étendue que l’on explore directement et concrètement en se rendant sur place. À l’échelle et la délimitation du terrain, il faut également associer le problème de l’accessibilité de l’espace étudié (Calbérac, 2010, p.260). Le contact direct est une nécessité et une marque de fabrique pour la géographie classique. « On attribue à M. Vidal de Lablache [...] une réflexion [...] : “Avec les livres, on ne

fait que de la géographie médiocre ; avec les cartes on en fait de la meilleure ; on ne la fait très bonne que sur le terrain” » (Ardaillon, 1901, p.285 cité dans Robic, 1996, p.359).

La pratique de terrain évoquée ici est propre au géographe « post-vidalien » dont les méthodes reposent sur « une appréhension visuelle directe des milieux humanisés, qui était ensuite

méthodiquement abstraite et vulgarisée au moyen de généralisations descriptives et graphiques privilégiant l’échelle régionale » (Mendibil, 2006, p.58).

Ensuite, les méthodes de collecte des données nécessitent des déplacements nombreux pour aller observer directement et/ou avec du matériel qui permet d’enregistrer des images et du son. Le terrain s’appréhende alors dans sa composante matérielle. Il se donne à voir pour celui qui sait le voir (géographe est bien un métier !). Le contact avec le réel se fait prioritairement par la vue. Elle correspond à la démarche habituelle du géographe. « Pour la géographie

classique l'objet d'étude est « un quelque chose entre ciel et terre » parfaitement visible, observable et évident. La géographie, enfermée dans l'évidence de l'objet, autrement dit plus

37 Calbérac distingue deux modèles de données : l’extraction et la projection. La sortie telle que je l’envisage est

caractérisée par une matérialité qui exclut de fait des données collectées non pas in situ mais projetée sur l’espace étudié. Je ne retiens donc ici que la collecte par extraction.

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attentive à la nature des choses qu'aux relations entre elles, a longtemps privilégié l'œil comme instrument d'investigation » (Raffestin, 1989, p.27).

Il faut cependant nuancer ici l’idée selon laquelle la géographie vidalienne aurait appréhendé le monde dans une incursion visuelle naïve. « Le regard du nouveau géographe39 n’est ni naïf ni immédiat : selon une expression récurrente, il faut « savoir regarder », donc dégager des principes de cette méthodologie de l’observation savante » (Robic, 1996, p.359).

Néanmoins, « la suprématie du visible » (Daudel, 1992, p.93) ou « le totalitarisme de l'œil » (Raffestin, 1989, p.27) ont été dénoncés. Plusieurs courants de la géographie ont en effet contesté la prédominance de la vue et le rapport concret au monde par le terrain. Calbérac (2010) et Retaillé (2010) ont bien montré que la géographie s’est fourvoyée comme science du concret à partir de l’après Vidal de la Blache et jusque dans les années 1950-1960, comme si pour savoir, il suffisait de voir.

De son côté, Olivier Orain a décrit la posture épistémologique que les géographes postvidaliens « ont mise en scène dans leurs écrits réflexifs, de façon incidente et quelquefois

involontairement » (Orain, 2000, p.95). Cette posture, qualifiée par l’auteur de « réaliste », se

définit comme « un sentiment de plain-pied au monde, ce dernier étant implicitement conçu

comme directement saisissable c’est-à-dire sans médiation, de sorte que l’on pourrait en acquérir une connaissance directe et fiable » (Orain, 2000, p.95). Le plain-pied au monde,

c’est croire qu’on peut appréhender le monde directement alors que c’est une erreur scientifique de penser qu’on va le découvrir à partir du moment où on est en contact avec lui, dans un rapport immédiat. Comme si le savoir ou la connaissance passait par magie du monde à soi. Cette posture épistémologique de la géographie classique a plusieurs conséquences, à la fois sur le rôle du géographe et sur la relation entre le monde et la connaissance qu’il peut en avoir. D’abord, son rôle consiste à collecter des données sur le monde, données qu’il cartographie ensuite ou qu’il transforme en d’autres unités discursives (représentations graphiques, textes…). À ce sujet, l’écrit, en particulier le texte, pose problème du point de vue de cette posture épistémologique.

Pour un réaliste convaincu, le texte est une contingence désagréable, voire un défi : à la différence de l’expérience de terrain, il crée une interférence entre le géographe et

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le monde, et la nécessité d’utiliser un langage conventionnel fait encourir le péril de plaquer sur le réel des sophismes artificieux. (Orain, 2000, p.98).

Les géographes postvidaliens font comme si rien ne s’interposait entre le récit et le monde. Pour y parvenir, ils tentent de rendre compte du monde de la manière la plus « transparente » possible. Les textes géographiques laissent penser qu’ils sont écrits de façon à placer le lecteur en situation « d’immersion dans les réalités géographiques » (Orain, 2000, p.98) avec pour trait caractéristique de tenter de décrire le réel le plus finement possible. Ainsi, le discours du géographe postvidalien prétend correspondre à la réalité et ses mots sont les « choses ». Dans une certaine mesure, sa parole est le monde.

La deuxième conséquence concerne les apprentissages en géographie. La posture réaliste fait du monde un objet directement saisissable sans intermédiaire, une réalité objective qui existe sans la médiation d’un sujet, de concepts et de langages. « Le réalisme, ou être réaliste,

consiste à croire en l’existence donnée des objets à connaître, indépendante de la connaissance que peut en développer un sujet connaissant » (Ruby, dans Lévy & Lussault,

dir., 2003, p.765). C’est le point que je vais développer dans la partie suivante qui traite du réalisme dans la géographie scolaire.

2.2.2.3.1 La posture réaliste en géographie scolaire

Dans sa thèse, François Audigier (Audigier, 1993) a élaboré la notion de réalisme, caractéristique de la géographie scolaire. Selon lui, le dualisme qui existe entre le concret et l’abstrait doit être relié au réalisme. Le réalisme épistémologique consiste à dire que l’accès au réel passe par le concret sans qu’il y ait d’effet lié à la médiation des langages, des concepts ou de la pensée. Le réalisme évacue l’abstrait en prétendant qu’on peut accéder au savoir sur le monde sans passer par ces médiations. La géographie scolaire est, à ce titre, et d’une manière générale dans son enseignement, d’abord une discipline « réaliste » au sens où elle est présumée « dire la réalité du monde […], la donner à voir » (Tutiaux-Guillon, 2008, p.119). « Dire la réalité du monde » signifie que le discours géographique fonctionne comme un énoncé fidèle à la « réalité » du monde. « La donner à voir » veut dire que le contact direct et visuel avec la « réalité » la rendrait transparente. Cette position cognitive laisse penser que connaître est « un simple mécanisme de copie ou d’enregistrement du « réel » (Ruby, dans Lévy & Lussault, dir., 2003, p.765). Le problème est que la posture réaliste n'est pas propre à la géographie scolaire enseignée entre les murs. On peut tout à fait être réaliste en sortie, au

41 dehors. D’une certaine façon, quand on sort le risque est même encore plus grand d’être