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1. Une démarche inspirée de la Grounded Theory pour appréhender les enquêtés

1.4 Les étapes de la mise en œuvre

Certains auteurs de référence117 de la Grounded Theory ont défini six grandes étapes pour analyser les données récoltées. En ce qui me concerne, je vais décrire la démarche en trois étapes principales118. Les données de mes corpus se rapportent essentiellement à des transcriptions d’entretiens et à des observations in situ (notes de « terrain »). Mais avant la récolte et le traitement de ces données, il a fallu rendre possible cette production en choisissant des questions pour les entretiens et en sélectionnant à l’aide des enseignants des lieux adaptés pour m’entretenir avec eux ou avec leurs élèves. Les choix de mes questions dans les entretiens et des lieux retenus seront présentés dans les parties méthodologiques (focus group et entretien d’explicitation).

1.4.1. Le codage : sélectionner des passages

Selon mon expérience de cette approche inductive de traitement de données, la première phase a consisté à sélectionner des passages. Le mot « passage » est fondamental. Ce n’est pas comme dans l’analyse thématique de contenu119

qui fonctionne de façon plus serrée,

116 Dans la troisième partie de la thèse, la démarche est en partie collaborative avec deux professeurs même s’il

n’existe pas de « contrat » avec une dimension explicite par lequel ces enseignants produiraient du savoir et, en retour, bénéficieraient de cette production.

117 Comme Pierre Paillé (Paillé, 1994).

118 Paillé distingue la codification, la catégorisation, la mise en relation (étape où l'analyse débute véritablement),

l’intégration (moment central où l'essentiel du propos doit être cerné), la modélisation (où l'on tente de reproduire la dynamique du phénomène analysé) et la théorisation (qui consiste en une tentative de construction minutieuse de la « multidimensionnalité » et de la « multicausalité » du phénomène étudié) (Paillé, 1994).

119 L’analyse de contenu est une technique née aux États-Unis au début du XXe siècle. Elle peut être définie

comme « un ensemble de techniques d'analyse des communications visant, par des procédures systématiques et

objectives de description du contenu des énoncés, à obtenir des indicateurs (quantitatifs ou non) permettant l'inférence de connaissances relatives aux conditions de production/réception (variables inférées) de ces énoncés » (Bardin, 1977, p. 43).

104 c’est-à-dire où le thème, l’unité de sens va être de quelques mots, au plus une ligne ou une ligne et demi. Ici, ce qui est important, c’est de découper des extraits qui peuvent aller de trois à dix lignes. Ce découpage a consisté à prendre non seulement une unité de sens mais finalement une démonstration, une explication, une description, un passage qui est un discours présentant une certaine cohérence et qui va se rapporter à un thème, par exemple, dans mon cas, l’importance du ressenti pendant la sortie chez les élèves ou l’importance du choix des lieux quand on sort. La sélection a concerné un grand passage et en même temps, en découpant, c’est bien le mot, l’expression ou les quelques mots emblématiques du passage qui ont été recherchés. Parfois, je n’ai pas trouvé tout de suite. Mais comme je l’ai fait sur plusieurs entretiens, c’est souvent après relecture, en revenant la deuxième ou la troisième fois, que des mots ont commencé à émerger, soit des mots presque identiques ou bien des espèces d’oppositions structurales. Cette phase de codage se retrouve dans l’ouvrage de Françoise Lantheaume, La souffrance des enseignants (Lantheaume, 2008).

Pour réussir à identifier et à thématiser le discours des acteurs à l'intérieur du corpus, je me suis livré à une lecture attentive de la transcription que j’ai interrogé en posant par exemple des questions du type : « Qu'est-ce qu'il y a ici ? Qu'est-ce que c'est ? De quoi est-il question ? »

(Paillé, 1994, p.154). Ces questions permettent de se raccrocher à la surface des mots sans qu’il faille chercher à comprendre, à ce stade, ce que les élèves ont voulu dire. Il ne s’agit pas de faire d’inférence mais plutôt de dégager le plus fidèlement possible du témoignage livré lors des entretiens une qualification par des mots, des expressions ou de très courtes phrases. Le codage, qu’on peut comparer à un découpage, permet de voir émerger des grands thèmes d’abord et dans l’évocation des thèmes, j’ai commencé à voir apparaître des argumentations d’acteurs. À ce moment, on entre dans la deuxième phase de la démarche qui correspond à la catégorisation.

1.4.2. La catégorisation

Une fois les passages choisis, j’ai essayé de mettre en évidence les mots clés qui semblaient organiser le discours des personnes sur un thème. Cette phase de catégorisation correspond à un temps où les aspects les plus importants du phénomène étudié commencent à être nommés (Paillé, 1994, p.153). Comme pour la phase de codage, il est possible de poser des questions au corpus : « Qu'est-ce qui se passe ici ? De quoi s'agit-il ? Je suis en face de quel phénomène ? »

105 Lorsqu’on fait la synthèse sur un thème, soit ils sont mis en exergue parce qu’on les retrouve tout le temps, soit ils se trouvent fondus dans une catégorie un peu plus grande. Cette phase a pour but de regrouper les fragments qui semblent cohérents entre eux. C’est également un moyen de repérer dans la lecture des données une « saturation théorique », c’est-à-dire que plus aucune catégorie n’émerge des données.

Les intuitions du chercheur peuvent influencer les catégories. J’ai donc essayé de mettre à distance mes intuitions comme mes explications propres ou au moins essayer de les domestiquer. La démarche de la Grounded Theory est justement censée prémunir contre cet écueil en indiquant le « bon chemin » à suivre. D’où la transcription, le découpage, les copier- coller des passages, le rapprochement, la mise de titres. C’est-à-dire que quand je mets des titres qui rassemblent des passages, cela signifie que je m’appuie sur la parole des acteurs et pas sur ce que j’en dirais ou ce que j’en pense.

La difficulté la plus sérieuse et la plus centrale de l’utilisation des données qualitatives vient du fait que les méthodes d’analyse ne sont pas clairement formulées. Pour les données quantitatives, il existe des conventions précises que le chercheur peut utiliser. Mais l’analyste confronté à une banque de données qualitatives dispose de très peu de garde-fous pour éviter les interprétations hasardeuses. (Miles, 1979,

p.591).

La démarche est justement un moyen de domestiquer sa pensée spontanée, son sens commun voire même sa pensée qui se voudrait un peu plus réfléchie. C’est un peu du bricolage qui se traduit par un travail d’organisation des données : on découpe, on classe, on hiérarchise vraisemblablement parce qu’on voit qu’il y a des grands titres et des titres en dessous. C’est un travail d’élaboration de catégories à partir des paroles des acteurs. Les termes que j’ai retenus pour les catégories sont venus de moi, mais aussi des participants. Dans ce dernier cas, on parle de codes in vivo.

Précisons que les deux phases de codage et de catégorisation sont presque itératives. Quand on découpe et on classe, les catégories commencent à se fabriquer quasiment en même temps. La catégorisation est aboutie quand on a stabilisé les grandes têtes de chapitres (par exemple

découvrir, savoir, apprendre) et à l’intérieur, on va procéder à nouveau à des découpages ou

des articulations qui permettent de rendre raison de la façon dont les élèves juxtaposent ou mettent en relation, différencient ces catégories. Cette phase de catégorisation correspond à

106 une sorte de synthèse dont les titres pourraient être « découvrir, savoir, apprendre » avec des sous-ensembles. On retrouve ces catégories dans mon travail.

À partir de là, une interprétation commence à se construire dans ce travail même si on met ses intuitions en arrière. L’interprétation, sans qu’on le sache vraiment, est en train de se construire dans cette organisation.

1.4.3 L’interprétation

La phase suivante a consisté à essayer, dans un texte qui met en relation les catégories, d’interpréter ce que j’avais pu observer. C’est la phase qui va vers une théorisation des résultats au sens d’un processus plus que d’un aboutissement. La formalisation des résultats se présente tout au long de mon travail de recherche sous la forme de nombreuses citations, de morceaux choisis avec des paragraphes que j’ai écrits qui les précèdent et qui les concluent. Le travail d’interprétation est dans ce « jeu » intellectuel d’écriture pour mieux comprendre un phénomène en s’appuyant sur les discours recueillis.