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Chapitre 3 : Méthodologie

3.2. Le terrain ethnographique

Le terrain ethnographique et la collecte de données furent réalisés dans la grande région du Cap, une zone urbaine et côtière densément peuplée de la province du Cap-Occidental, en Afrique du Sud. C’est dans cette aire géographie que le gayle a pris naissance, pour ensuite évoluer et se transformer afin de devenir le phénomène linguistique que l’on connait aujourd’hui. La ville est connue pour sa scène LGBT active, diverse et créative. Au total, j’ai passé six mois sur le terrain lors de deux séjours de recherche entre juillet 2018 et juin 2019.

Figure 1. Carte de la grande région du Cap,

3.2.1. Premier séjour de recherche

En juillet 2018, l’opportunité de m’installer au Cap pour une période de cinq semaines s’est offerte à moi. Ayant été invité à prendre part à la conférence de l’International Gender and Language Association Biennal Conference à Gaborone au Botswana à la fin juin pour y présenter les premiers balbutiements de mon projet de maîtrise, j’ai saisi cette occasion en combinant ce déplacement avec une période de collecte de données dans le pays voisin, l’Afrique du Sud. Ainsi, durant ces cinq semaines je me suis installé au cœur du centre-ville du Cap, dans un studio du quartier de Zonnebloem (point A, Figure 1), anciennement District Six, à plus ou moins 100 mètres du club gay le plus fréquenté par la communauté. Sans aucun plan méthodologique concret, j’avais le simple désir de rencontrer des locuteurs du gayle afin de discuter et d’explorer les potentiels intérêts de recherche, de brosser un bref portrait actuel de la pratique linguistique, ainsi que de confirmer ou infirmer certains éléments que j’avais lus dans la littérature. Le but de ce court séjour était donc d’obtenir des informations générales pour encadrer, orienter et nourrir le projet en cours ainsi que le travail à venir.

Après avoir approché quelques amis et contacts, j’ai commencé à mener des entrevues avec les individus qui avaient démontré un intérêt pour ma recherche. Les questions étaient ouvertes et pouvaient couvrir plusieurs champs afin d’encourager et de favoriser la discussion. J’ai également profité de la proximité du club pour y réaliser quelques séances d’observations et tenter de prendre connaissance de l’utilisation du lexique dans un tel espace. Durant le séjour et quelques semaines après mon retour à Montréal je m’affairais à transcrire les entrevues pour ensuite coder les données recueillies en différents types de sujets et catégories d’informations – vocabulaire, stéréotype, historique, géographie, etc. – dans le but d’organiser le contenu, mais surtout d’identifier les pistes viables, intéressantes et pertinentes à explorer.

3.2.2. Deuxième séjour de recherche

Le second séjour a débuté en janvier 2019. Cette fois, je me suis installé pour une période de cinq mois pour réellement prendre le temps de socialiser, d’établir des relations avec mes participants, de prendre part à des événements, bref, de me donner l’opportunité de faire une collecte de données plus exhaustive et structurée. Le temps de mon séjour, j’été invité par le Professeur Christopher Stroud à joindre le Centre for Multilingualism and Diversities Research (CMDR) affilié à l’Université du Cap-Occidental. En plus de participer aux activités du centre – conférences, séminaires, projets – cette opportunité m’a permis d’avoir un espace de travail ainsi qu’un accès à des services fort utiles, tel que le prêt de livres à la bibliothèque du campus. La valeur ajoutée de cette invitation a été l’engagement académique, la rencontre de chercheurs locaux de renom, avec qui j’ai eu l’occasion de passer du temps et discuter de ma recherche, notamment à la suite de ma présentation dans le cadre de la série de séminaires organisés par le CMDR.

Afin d’être à proximité de l’université, je me suis installé à Ravensmead dans la banlieue nord du Cap (point B, Figure 1), non loin de certains de mes amis situés dans le quartier voisin d’Elsies Rivier, deux zones résidentielles historiquement coloured. Bien que ce quartier soit un peu éloigné du centre-ville, il m’y était accessible par transport communautaire. C’est à cet endroit que j’ai loué une chambre dans la maison d’une quinquagénaire où résident deux autres étudiants; tous sont coloured et on l’Afrikaans comme langue maternelle. Ce lieu deviendra mon endroit de repos, de vie et de réflexions le temps de ce séjour.

L’une des plus grandes différences entre mes attentes et la réalité du terrain a été sans doute sa nature non constante et non linéaire, puisque ponctuée de nombreuses interruptions. Je n’étais pas toujours en présence de personnes s’identifiant comme gaies ou qui utilisent le gayle dans leurs interactions quotidiennes. La communauté n’étant pas fermée, les individus ont des occupations et des responsabilités, sont mobiles, libres et intégrés à la société sud-africaine; leur identité sexuelle et leur connaissance du lexique ne sont que des éléments parmi d’autres qui façonnent leur identité. En ce sens, puisque l’immersion complète est presqu’impossible, je ne vivais donc pas précisément au sein même de la communauté à l’étude. Cependant, j’étais plongé dans le quotidien des banlieues coloured, ce qui diffère grandement de la réalité du

centre-ville. Cela fut une expérience profitable de socialisation dans un environnement afrikaans et représentatif du groupe d’intérêt, tout simplement à une échelle plus grande.

Au fil des mois, j’ai rencontré et socialisé avec une foule de gens, parlé de mon projet et navigué au travers de l’espace urbain. J’essayais de prendre des notes au quotidien afin de documenter mon expérience. J’ai continué à mener des entrevues individuelles, mais cette fois-ci, en planifiant également des entretiens de groupe, afin d’enrichir ma collecte de données et de voir si une dynamique différente pouvait faire ressortir de nouvelles informations, questionnements ou discussions. J’ai profité de ce plus long séjour pour créer des liens et socialiser de manière plus fréquente avec quelques-uns de mes participants.