• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : Analyse des données

4.2. Stéréotypes et idéologies linguistiques

4.2.4. Au-delà des stéréotypes : critiques et réactions

Il est maintenant établi que les participants émettent des réserves et expriment un certain malaise face à ce que représente le stéréotype et comment celui-ci crée un portrait erroné du phénomène linguistique. Toutefois, plusieurs autres personnes prennent un pas de plus et critiquent directement les constructions idéologiques et tente de les démystifier, de les prouver fausses. Si l’association avec la communauté coloured semble cohérente avec les observations et la manière dont les individus rencontrés traitent de la pratique, les stéréotypes qui orientent directement l’utilisation du lexique vers une identité homosexuelle et efféminée sont quant à eux contestés, non pas en tant que stéréotypes, mais en tant que représentations de la réalité. Ils

insistent pour dire qu’il y a une mécompréhension du phénomène, surtout lorsqu’il est question de la figure du locuteur. Bien qu’il soit parlé par une majorité de personnes s’identifiant comme homosexuel, l’utilisation du lexique ne leur est aujourd’hui plus exclusive. Celui-ci s’est répandu et son expérience s’est diversifiée, puisque tous s’entendent pour dire que la variété est désormais parlée, ou au moins connue d’un bon nombre d’hétérosexuels dans la communauté coloured. Pour Nicolene, elle-même une femme hétérosexuelle, le gayle n’est pas et n’est plus « quelque chose » d’homosexuel. Une réflexion semblable se retrouve dans le commentaire de Chad, un homme gai.

« we are all the same, it's just language, doesn’t mean cause you gay, and I'm not gay, you know, we can't connect in other ways, do you know what I mean? So, it's not a gay thing, it’s not (2), okay it used to be a gay thing, but it's just out there for everyone that just connected to gay people, cause that's when you use it the most. » (Nicolene)

« I don't mind if you use it, just because you use it does it make you gay then if you heterosexual? No, it does not, hm even if you use the language when you gay, does it make you gay? No, it does not. Does Afrikaans make you gay? Does English, Dutch, any language can’t make you gay, so Gayle is the same for me. Just because you use the language does not mean that you are gay, just because you don't use the language doesn't mean that you are heterosexual too! » (Chad)

Pour les deux participants, il n’y a pas de valeur « gaie » intrinsèque à la variété, au même titre que le sont les autres langues comme l’anglais. Du même coup, Nicolene se positionne et affirme que le gayle est pour tout le monde, peu importe l’orientation sexuelle, quoiqu’il s’agît principalement de quelque chose d’intérêt pour les individus qui socialisent avec les cercles

queer. Il y aurait donc une mauvaise compréhension du phénomène au travers des constructions

idéologiques, puisque la diversité des locuteurs est beaucoup plus grande et variée qu’on ne peut l’entendre dans ces représentations, c’est ce que soulève Maxine dans son entretien avec James.

Extrait 4: Attentes et réalités

1 2 3

MAXINE : Definitely, so like I said, it originated mainly with older District Six queens, so it's always a thing where people expect every fem gay person and every fem, hm queen to drag hm to=

4 JAMES: =To gayle= 5

6 7 8

MAXINE: =To gayle, hm but there can be this butch guy, this butch gay guy and no one would ever know he's gay, but he gayles and I don't think that it's suppose, I don't think that, well I do think that there's a huge hm misunderstanding by who

9 10 11

gayles and who can't gayle or who should gayle, so hm I just think yeah it's always seen that the fem ones gayle and the straight ones, straight acting=

12 JAMES: =Straight acting ones yeah=

13 MAXINE: =Don't gayle

Dans ce passage, elle révèle que contrairement à ce que le stéréotype laisse entendre, ce ne sont pas seulement que les homosexuels efféminés qui parlent le gayle. Au contraire, nombreuses sont les situations où il est possible d’être surpris par le profil d’un locuteur comme dans le cas évoqué, un « butch gay guy », à savoir un gai plus « masculin », qui performe l’hétérosexualité (straight acting) et tente de « passer » en tant qu’hétérosexuel. Cela semble démontrer encore une fois qu’il n’y a pas de caractéristique inhérente à la variété, mais seulement des constructions idéologiques qui associent différents éléments et catégories sociales à celle-ci. Ces jugements de relations semblent être inspirés et influencés par l’histoire du gayle, de son origine parmi les drag queens et les moffies de District Six, comme l’explique Maxine dans les lignes 1 à 3. Comme nous avons vu, le phénomène, à la différence de son stéréotype s’est transformé et adapté aux nouvelles réalités et conditions dans lequel il évolue. Cela se reflète majoritairement dans l’étendue hétérogène des portraits de ses locuteurs. Aujourd’hui comme avant, quoique moins ignoré, une bonne partie de la population qui gayle est composée de personnes hétérosexuelles et les exemples et anecdotes ne cessent de s’accumuler; allant des amies hétérosexuelles de Caleb aux collègues de travail de AS en passant par les compagnons de danse de Chanel. Une histoire similaire vaut la peine d’être abordée puisqu’elle illustre bien la dynamique actuelle. Alors que Riaan entre dans un taxi communautaire, le co-pilote – « boeta »7 – l’interpelle en disant « Hello Gertie8 ». Un jeune homme qui prenait place au même moment dans le véhicule s’offusque en pensant que c’est à lui qu’on s’adressait. Riaan explique:

« Can you see now, misinterpretation? Here we form a diverse community with a language that has been seen has just the moffies or the gays, but me and this older boeta who was probably 52 or something, talking gayle in a taxi full of heterosexual people for instance and that’s beautiful and I said to the young man “listen brother, the boeta praat met my,

7 « Frère » (traduction de l’afrikaans, vernaculaire et familier)

he is talking to me, I am a Gertie”, it’s okay, because the way he said it, it was so soft, it was so beautiful and it was more respectful so I think the gayle hm sort of really it’s for me it’s almost pulling people together if you allow people, straight guys love chatting with the gays because they get that, and there’s some power in it somehow, so it has become a very diverse colloquial language. » (Riaan)

Cette anecdote de Riaan démontre que la pratique est désormais plus vaste et diversifiée que le prétend le stéréotype qui, sur la base de contingences historiques, continue d’associer le gayle avec la figure du moffie, de l’homosexuel coloured et efféminé. Encore une fois, l’argument que le gayle agit comme une force pour rassembler les personnes, refait surface.