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Positionnement & réflexivité: des considérations nécessaires

Chapitre 3 : Méthodologie

3.4. Positionnement & réflexivité: des considérations nécessaires

la recherche. À certains moments, je me sentais comme un imposteur alors qu'à d'autres occasions, j'étais très motivé par mon désir d'en savoir plus. C'est principalement un questionnement et un doute personnel; les participants n’ont pas formulé de demande ou commentaire spécifiques à cet égard. Je tentais toujours d'exprimer mes réels objectifs et de demeurer le plus transparent possible. Cette insécurité a d’ailleurs fait place à plusieurs conversations, autant lors d'entrevues qu'avec mes amis, ces derniers me rassurant que mon intérêt est « valide » et qu’il n’y a aucune raison d’en douter. Le fait d'avoir demeuré sur place

quelques mois sur l’échelle de plusieurs années et séjours a d'une certaine façon confirmé mon réel intérêt à comprendre les dynamiques d'utilisation du gayle et le sérieux de mon projet, mais a surtout témoigné de mon désir de m'entourer et de me lier d'amitié de près ou de loin avec les individus de cette communauté. J'avais l'habitude de fréquenter presque toutes les fins de semaine le même club qui, en plus d’être mon favori, était considéré comme celui qui répond le mieux aux intérêts (musicaux, de divertissement et de diversité notamment) des communautés

queer coloured et noires. Habituellement, cet établissement constituait le dernier arrêt d'une

série de bars, où tous se regroupaient pour finir la soirée, danser et passer du temps en bonne compagnie, parfois même jusqu'à 5 heures du matin. Cela étant dit, j’ose croire que ma présence continue dans cet espace a su entre autres à me rendre visible tout en témoignant de mon intérêt envers les pratiques, désirs et intérêts de ces communautés, au-delà du milieu académique et de mon étude.

Toutefois, cela a pu avoir pour effet, à plusieurs occasions, de brouiller les frontières entre amitié et informateurs, entre vie sociale et recherche. Sur place, je ne voulais pas seulement être un « chercheur » ou apparaître ainsi, mais bel et bien tenter de m’intégrer et de créer des liens solides ressemblant davantage à une amitié qu’à tout autre type de relations. Ainsi, les entrevues, en plus d’être une riche source de données et de documentation d’expérience diverses, sont devenues un moyen de rencontrer les gens issus de la communauté. De ce fait, souvent, elles rendaient possible la germination d’une relation plus forte et plus grande que celle qui lie un semble informateur et chercheur, puisque que je gardais souvent contact avec eux. Ainsi, au- delà du rôle de participants, plusieurs d’entre eux ont eu une implication dans ma vie personnelle. Puisque l’entrevue n’avait rien d’un confessionnal - les questions et discussions portant sur la pratique et leur idéologie et non pas sur des sujets personnels pouvant s’avérer sensibles - il n’y avait donc aucun malaise à se revoir à d’autres moments et dans des contextes différents. La majorité du temps, l’entrevue a servi de tremplin pour le développement d’une amitié, ou du moins d’un réseau de contacts, tous étant ouvert à me revoir.

Je crois qu'il m’est possible d’affirmer que le fait que je m’identifie et me présente moi-même comme étant un homme gay a eu un impact sur la réception de ma présence, me permettant ainsi de naviguer plus facilement au sein de la communauté. Cela a laissé place, entre autres, à une

plus grande acceptation, non pas seulement de ma personne, mais aussi une certaine légitimation de mes intérêts de recherche envers le gayle, validant peut-être ainsi les motivations derrière mes questionnements. Puisque nous partagions une même orientation sexuelle - aussi semblable ou différente l’expérience et l’expression soient-elles - cela a peut-être eu pour effet de mettre les participants à l’aise, sachant qu’ils pouvaient se laisser aller dans un espace de non-jugement, même si le sujet de conversation n’était pas forcément lié à leur vie personnelle ou leur propre expérience sexuelles. En fonction des commentaires récoltés en entrevue, la même situation en présence d’un homme hétérosexuel n’aurait sans doute pas abouti à la même réaction, la même ouverture. Toutefois, cette affirmation sur la dynamique d'interaction est vraie et varie pour toutes personnes ou chercheur, indépendamment de leur sexualité et de leur genre. Jusqu’à présent, la littérature récente sur la pratique linguistique est majoritairement l’œuvre de femmes sud-africaines (C. E. Van der Merwe 1996; T. L. McCormick 2009; Hendricks 2014; Plato 2017, Mulligan 2018), ce qui témoigne de l’accessibilité et la possibilité d’une proximité pour celles- ci. Je désire enrichir et contribuer aux écrits avec une perspective différente, influencée par mon identité sexuelle et de genre, en plus de mon statut externe.

Cependant, ce même positionnement aurait pu aussi altérer la dynamique de recherche et de collecte de données, et ce, spécialement en entrevue. Ces moments de rencontre entre deux individus auraient pu courir le risque de devenir un rencart, lorsque les intentions de l’un ne sont pas les mêmes que celles de l’autre. Puisque je n’avais pas les moyens de compenser financièrement leur participation dans le projet (outre l’achat d’un café ou d’un repas), les informateurs auraient pu espérer quelque chose en retour, peu importe la forme, même si les détails de leur implication ont été explicités de vive voix, lus et signés. Cela est arrivé une fois au cours du terrain avec un participant alors que ms intentions étant claires, à savoir, orientées vers mes objectifs d’étude. Quelques jours plus tard, j’ai croisé le participant au club et celui-ci a commencé à me faire des avances que j’ai dû refuser, ce qui a pour effet de créer une légère tension, un malaise. Le lendemain, sur WhatsApp je lui ai expliqué ma situation et lui ai proposé d'effacer l’enregistrement de l’entrevue s’il ne se sentait plus à l’aise et désirait retirer sa participation au projet. Après une discussion où il m’a expliqué qu’il s’attendait à une contrepartie de quelconque nature, il m’a autorisé tout de même à garder le matériel enregistré durant l’entrevue. Par la suite, notre relation est redevenue saine.

De plus, je pense qu'il est important et nécessaire pour moi de reconnaître ma position extérieure, un fait dont je suis conscient et m’assure de déclarer lorsque je présente une communication dans le cadre de conférences. En aucun cas, malgré mon désir d’intégration, je ne prétends pas faire partie de la communauté avec laquelle je travaille. De plus, même si je continue d’approfondir mes connaissances sur le gayle et d’élargir mon vocabulaire au gré de mes rencontres, je préfère ne pas l’utiliser dans mes interactions quotidiennes lorsque je suis au Cap. Ce choix est motivé par mon désir de respecter la pratique qui est significativement proche de mes amis et participants, non pas dans le but de garder une distance avec ceux-ci. De toute façon, je ne crois pas avoir en moi l’attitude ou l’autorité nécessaire pour en faire une utilisation adéquate et authentique.

Pour terminer, puisqu’il n’y a aucun point de vue sans origine, « no gaze that is not positioned » (Irvine et Gal 2000, 36), je n’ai pas la prétention de croire que ce mémoire dresse un portrait complet de l’ensemble de la communauté à l’étude ou même de manière prétendument objective. Puisque je m’intéresse aux idéologies, ma compréhension du gayle et mon interprétation du phénomène linguistique sont inévitablement situées et teintées de mes observations quotidiennes, de mes rencontres, de mes discussions avec mes amis et participants, qui, chacun à leur façon, ont influencé la manière dont j’approche ce travail. L’articulation de ce projet est davantage une tentative de trouver un sens à mes expériences, de comprendre la pratique et de l’analyser à travers un angle académique, à partir d’un terrain ethnographique. Ainsi, les idéologies présentées ici sont le résultat d’interprétation de données, de perceptions, d’expériences et de rencontres, toutes localisées dans un espace, un temps et un contexte donné. De toute façon, mon objectivité fut depuis longtemps déjà remise en question, puisque le projet a pris forme à la suite de décisions, d’intérêts personnels et académiques, ainsi que de rencontres qui, par accumulation, résultent en l’écriture de ce mémoire.