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Chapitre 2 : Mise en contexte de la pratique

2.3. Littérature sur le gayle

2.3.1. Les premières approches

En 1995, dans ce qui semble être la première publication sur le sujet, Gerrit Olivier décrit l’existence d’un lexique utilisé par les homosexuels. Il explique que celui-ci se base principalement sur l’utilisation de noms féminins ou de mots individuels auxquels on attribue de nouvelles significations dans des contextes particuliers de manière à transmettre un message codé et gai (Olivier 1995, 219). Il rejette de le définir comme un sociolecte ou une langue ce qui impliquerait une certaine homogénéité dans la communauté. Le « vernaculaire gai », comme il l’identifie, donne à la communauté de locuteur un sentiment de solidarité et d'unité et permet aux membres de ce groupe de s'identifier les uns aux autres par le biais d'un code exclusif et mutuellement compris (Olivier 1995, 223). À partir de son expérience, il reconnait que son usage est davantage fréquent au sein de la communauté coloured. Olivier (1995, 224) ajoute que l’utilisation de pronoms et une nomenclature féminines se retrouvent dans le spectre linguistique des hommes gais: « one could see it as a playful assertion by gay males of their feminine identity. It may also indicate that the social attitude and role-play of gay males are still conceptualised with reference to heterosexual models ».

Cinq ans plus tard, Ken Cage publie son travail de maîtrise duquel découlera un livre en 2003. Selon cet auteur, le gayle est un type de langage qui a été créé pour répondre à certains besoins de communication des homosexuels dans un contexte historique et sociopolitique particulier. Cage documente la variété du point de vue d'un utilisateur et d'un initié au sein de la communauté gaie; il obtient ses données par le biais d’amis et de connaissances, notamment au travers de questionnaires (1999, 13). Ainsi, il s’est concentré uniquement sur des participants partageant un profil similaire au sien, à savoir des hommes blancs anglophones âgés de 30 à 40 ans, avec une référence limitée aux autres groupes de l’époque, bien qu’il situe l’origine du lexique parmi la communauté coloured (1999, 14).

Pour Cage (2003, 1), il convient de définir le gayle comme un argot; un ensemble de termes, principalement des noms de femme, pour remplacer en tant que synonyme des mots de l’anglais ou de l’afrikaans. Celui-ci n’a pas de syntaxe ou de phonologie propre, mais est dépendant de la langue au sein de laquelle il est mobilisé. Il représente un outil grâce auquel les homosexuels peuvent se reconnaître et s'identifier entre eux et avec le groupe dans son ensemble (2003,

36). Le gayle est également utilisé comme une technique de révélation puisque son usage permet aux locuteurs gais de signaler de manière subtile leur sexualité ou lorsqu'ils tentent de découvrir la sexualité d'une autre personne. Autrement dit, la prononciation d'un ou deux mots du lexique pendant une conversation peut produire une réaction qui révélera la sexualité d’un destinataire ou d’une tierce personne (2003, 36).  Il précise que dans l’interaction « the speaker and listener generally both have to be male and both have to be gay, and to have to be known (by each other) to be gay » (2003, 27). Selon lui, la dimension secrète n'est plus nécessaire dans le contexte contemporain (2003, 35). Il affirme cependant que les hommes homosexuels utilisent encore le gayle pour transmettre des informations secrètes, mais qu’il est couramment utilisé pour prononcer quelque chose de « bitchy » à propos d'une autre personne ou pour commérer et potiner. Son affirmation théorique la plus marquante sera de l’aborder comme une anti-langue, dans le sens où Halliday (1976) l’a développé, puisqu’elle a grandement influencé la série de travaux qui l’ont suivi.

Dans son projet de maîtrise, Kathryn Luyt (2014) explore les attitudes envers le gayle et les connaissances du lexique d’un vaste nombre de participants, dans le but d’offrir une mise à jour des travaux de Cage, paru plus d’une décennie plus tôt. Pour ce faire, elle s’intéresse au même échantillon démographique que ce dernier. Elle discute des attitudes, de l'histoire et de l'utilisation de gayle par des locuteurs dans la ville du Cap. Pour ce faire, elle utilise des méthodes de recherche qualitative et quantitative, principalement un questionnaire en ligne qu'elle diffuse sur les réseaux sociaux. Dans son analyse, elle note que le gayle n'est plus seulement parlé par des hommes gais blancs et coloureds, mais par un groupe intégré de personnes qui ne sont pas nécessairement homosexuel (2014, 32). Elle remarque aussi l’aspect litigieux du lexique, certains craignent qu’il représente une source de marginalisation supplémentaire (2014, 9). Luyt vise également à documenter si les termes les plus populaires dans le dictionnaire de Cage datant de 1999 sont toujours en usage au moment où elle effectue sa recherche : certains demeurent et d’autres ont changé ou sont passé à l’oubli. Il est aussi intéressant de mentionner la suggestion de Bronwyn Louise Hendricks (2014, 21) qui en prenant en compte la centralité de l’alternance de code qui marque l’utilisation linguistique et l’agilité des locuteurs, suggère d’aborder le gayle comme une pratique de languaging.

Bien que cela n’ait peut-être pas été intentionnel, les écrits précédents sur le gayle ont effacé la communauté coloured de leurs études. En revanche, Tasneem Plato (2017) dans son travail pour l’obtention du grade de Honours en linguistique appliquée rectifie le tir en s’intéressant aux locuteurs de cette communauté. Elle définit le gayle dans la même lignée que Cage (2003) à savoir comme une anti-langue, mais elle y ajoute une dimension inspirée des théories queer. À ce sujet, elle l’identifie comme une forme linguistique de performance identitaire qui aide les locuteurs à formuler et construire qui ils sont ainsi que la manière dont ceux-ci désirent se représenter socialement et culturellement (Plato 2017, 42). Ensuite, ses autres constats concordent avec les conclusions de Cage (2003) et de (Luyt 2014), puisqu’elle soutient également que l’appartenance au groupe et la solidarité sont des fonctions importantes du gayle. Elle remarque toutefois des attitudes contradictoires à propos de l’autorité autour du gayle et de qui peut l’utiliser (2017, 40), dans un contexte où de plus en plus de personnes hétérosexuelles commencent à le comprendre et à l’incorporer à leur vocabulaire.