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Terrain de recherche et cadre méthodologique

Nous avons construit l’activité évaluative de trois enseignantes françaises expérimentées lors de six séances de production écrite ayant eu lieu dans chacune des classes au cours d’une année scolaire au Cours Préparatoire (CP – élèves de 6-7 ans). Lors de ces séances, nous avons focalisé notre recueil de données sur les temps d’interactions de ces enseignantes avec trois de leurs élèves qu’elles considéraient comme en difficulté en production écrite en début d’année.

Toutes les séances ont été filmées. Sur la base du film de chaque séance, un entretien d’autoconfrontation a été mené avec les enseignantes et un relevé de la dynamique des comportements et des interactions a été réalisé par le chercheur (Theureau, 2006). Ces données ont permis la construction du cours de valuations des enseignantes lors de ces séances (environ 4400 valuations construites). Ces cours de valuations ont été représentés dans des diagrammes et ont été analysés.

Résultats

Dans cette partie, nous discuterons la question des contextes, thématique de ce symposium telle qu’elle nous paraît apporter des clés pour comprendre l’activité évaluative des enseignantes de notre étude et ce, plus particulièrement, par le biais des référents mobilisés lors de cette activité évaluative.

Tout d’abord, nous exposons dans la figure ci-dessous (Figure 1) les catégories des différents référents repérés dans notre étude en soulignant leur grande hétérogénéité ce qui nous permet d’argumenter la notion de multiréférentiel (Dechamboux, 2018). Ce qui est frappant au regard du questionnement de ce symposium est de regarder les sources des différents référents qui le compose. Les contextes dont ces référents sont issus sont pour certains très distaux, liés à un niveau institutionnel (le plan d’études), à des expériences passées (savoirs professionnels) et d’autres, plus nombreux, proviennent de contextes beaucoup plus proximaux (la classe, l’élève, les aides disponibles, l’état actuel de la progression pour cette classe, etc.). Ce sont d’ailleurs ces derniers référents qui sont les plus opérants, les plus actifs dans les valuations étudiées.

Figure 1: les différents référents convoqués lors des valuations par les enseignantes au sein du multiréférentiel.

Mais voyons plus précisément cette action des référents à l’aide d’un exemple, emblématique de ce que nous avons pu constater dans notre étude quant au rôle du contexte.

Dans cet exemple, Gaby16, lors de la 4ème séance de production écrite, constate que Léonard, un de ses élèves, a écrit la phrase suivante (Figure 2).

Figure 2 : Phrase écrite sur le cahier de Léonard (transcription)

Lors de valuations successives, elle repère les référés pointés par des flèches rouges (présence d’une majuscule, la manière dont est encodé le verbe faire, la graphie de la lettre K qui est mal exécutée, l’absence de point) mais elle ne relève pas l’absence de C cédille dans le mot garçon (flèche verte). C’est grâce au jeu des différents référents mobilisés lors de son activité évaluative que nous pouvons comprendre pourquoi garson* ne constitue pas un référé pour Gaby. En effet, elle mobilise régulièrement le référent suivant : lorsqu’un mot ne fait pas partie des mots-modèles de la classe, seule la correction phonologique est exigée. Or, à ce stade de l’année (référent « relatif au travail et à la progression de la classe »), d’une part le graphème « C cédille » codant le phonème [s] n’a pas encore été étudié et d’autre part garçon ne fait pas partie des mots-modèles. Ainsi, nous pouvons, grâce à la mobilisation des

16 Les prénoms ont été anonymisés

Référents relatifs au plan d’études Référents relatifs aux savoirs didactiques Référents relatifs aux savoirs professionnels Référents relatifs aux normes de la classe Référents relatifs aux contraintes de la tâche et de la situation Référents relatifs aux aides disponibles Référents relatifs au travail et à la progression de la classe Référents relatifs aux connaissances à propos de l’élève VALUATIONS Le garson fé du ski

référents lors des valuations pointer une distinction cruciale dans l’activité évaluative des enseignant·e·s : celle entre un référé et une erreur. En effet, ici, il y a bien une erreur d’orthographe lexical mais pas de référé dans l’activité évaluative de Gaby.

Nous constatons donc des éléments contextuels qui interagissent, par référents interposés : telles correspondances graphème/phonème ont déjà été étudiée ou non, telle norme de correction est exigée dans la classe. Cela forme un « contexte » qui, dans la situation, permet de comprendre l’émergence ou non d’un référé.

D’autre part, nos analyses ont permis de mettre en évidence que l’activité évaluative des enseignantes pouvait être décrite comme une enquête formative. Enquête au sens de Dewey (1993) : pour l’enseignante, la situation « apaisée »17 est celle où ses élèves produisent. Cette situation devient « problématique » lorsque l’un d’entre eux s’arrête d’écrire. Il s’agit dès lors pour l’enseignante de déterminer ce qui a pu générer ce « trouble » et de passer ainsi à une situation « problématisée », généralement identifiable dans notre recherche par un référé didactique pouvant expliquer l’arrêt de la production écrite, ce qu’il faudrait modifier avant de reprendre l’écriture. C’est à ce « moment de problématisation » que correspond l’exemple présenté plus haut. L’enseignante peut ensuite tenter de « résoudre l’enquête » selon l’hypothèse effectuée et espérer voir la production écrite de l’élève reprendre. Enquête

formative car les « moyens » de résolution mis en œuvre sont en relation avec une «

fin-en-vue », une visée de soutien à l’apprentissage : il ne s’agit pas pour l’enseignante de donner simplement la réponse correcte mais bien plutôt de modifier l’environnement de manière subtile pour que l’élève perçoive dans sa situation ce qui pose problème et que, pour l’instant, il n’identifie généralement pas. Une fois que l’élève a construit une signification similaire à celle de l’enseignante quant à sa production écrite (et peut donc éventuellement la corriger puis poursuivre), l’enquête peut se terminer, la situation tendant à redevenir « apaisée ». Mais la subtilité de l’enseignante ne se définit pas dans l’absolu mais bien au regard du référé considéré comme problématique (et sa signification « contextualisée ») puis des réactions de l’élève lorsqu’elle modifie l’environnement. Ainsi, suite par exemple à un geste de sa part désignant une affiche représentant une relation graphème-phonème qui peut être utile à l’élève, elle sera attentive à la manière dont l’élève se saisit de cela et comprend (ou non) en quoi cette affiche lui sera utile. Si l’élève ne comprend pas, elle pourrait refaire le même geste « augmenté » d’une parole supplémentaire pour que, cette fois-ci, l’élève comprenne. Elle prend donc acte de « l’échec » de sa tentative précédente pour sa nouvelle tentative de modification de l’environnement afin que l’élève perçoive ce qui pose problème dans sa production. Nous pouvons, systématiquement constater dans notre étude que les valuations opérées par les enseignantes se construisent sur la base des valuations précédentes qui forment alors un contexte précédent la situation actuelle et permettant de la comprendre. De la même manière que dans l’exemple présenté plus haut, nous retrouvons le rôle du « contexte » au sein de chaque valuation. Mais dans le processus mis à jour, nous pouvons observer comment des éléments issus de valuations passées forment un contexte pour la valuation actuelle (Figure 3) bien que l’espace réservé à ces Actes ne nous permettent d’en développer un exemple.

Figure 3 : les valuation passées (temps T-n) forment le contexte de la valuation actuelle (temps T)

Pour conclure, tel qu’attendu finalement dans la perspective située, le contexte joue un rôle central dans la compréhension de l’activité évaluative et il se construit véritablement sur la base des valuations passées.

Nous retrouvons dans cette activité évaluative le contexte tel que correspondant aux différentes acceptions de ce terme trouvées dans Lalande (1926 / 2013) : « C. Par métaphore, et très généralement : ensemble des circonstances, liées entre elles, dans lesquelles s’insèrent un fait donné. » (p. 181), ce qui correspond à ce qui a été exposé lors du premier exemple. Mais encore : « B. enchaînement d’idées que présente un texte ; et spécialement, ensemble du texte qui entoure une phrase citée, et d’où dépend la vraie signification de celle-ci. […] « Une expression change de sens suivant le passage où elle se trouve : on doit donc interpréter chaque mot et chaque phrase non pas isolément, mais en tenant compte du sens général du morceau (le contexte). C’est la règle du contexte, règle fondamentale de l’interprétation. » LANGLOIS et SEIGNOBOS, Introd. aux études historiques, p. 124. » (p. 181). Nous retrouvons ici ce qui semble présider au processus d’enquête comme interprétation de la situation, comme construction de signification.

Mots-clés

évaluation formative – enquête – multiréférentialité

Références bibliographiques

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Barbier, J.-M. (1985). L’évaluation en formation. Paris : Presses Universitaires de France.

Dechamboux, L. (2018). L’enquête formative dans le paradigme de l’évaluation située : une modélisation enactive de l’activité évaluative d’enseignantes lors de séances de production écrite au CP. Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Université de Genève, Suisse. Dewey, J. (1993). Logique, la théorie de l’enquête. Paris : Presses Universitaires de France. (Original

publié en 1938)

Dewey, J. (2011 / textes traduits par A. Bidet, L. Quéré, G. Truc). La formation des valeurs. Paris : La Découverte.

Activité Evaluative

T

T-n

Dolz, J., Gagnon, R. & Vuillet, Y. (2011). Production écrite et difficultés d’apprentissage. Genève : Carnets des Sciences de l’éducation.

Figari, G. (1994). Evaluer, quel référentiel ? Bruxelles : De Boeck-Wesmael.

Figari, G. & Achouche, M. (Ed.). (2001). L’activité évaluative réinterrogée. Bruxelles : De Boeck Supérieur.

Lalande, A. (1926 / 2013). Vocabulaire technique et critique de la philosophie. Paris : Presses Universitaires de France.

Mottier Lopez, L. (2007). L’impact des communautés de pratique dans les entretiens de coévaluation. In A. Jorro (Ed.), Evaluation et développement professionnel (pp. 153-167). Paris: L’Harmattan.

Mottier Lopez, L. (2008). Apprentissage situé : la microculture de classe en mathématiques. Bern: Peter Lang.

Mottier Lopez, L. (2015). Evaluations formative et certificative des apprentissages. Bruxelles : De Boeck.

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Communication 235.2 : La conscience évaluative : exploration didactique