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Le terme de socialisation

en train de rater en terme technique par rapport à leurs enfants et par rapport à l’appartenance à un groupe » (Responsable Santé Conseil Général).

On retrouve cette même hésitation chez une accueillante, qui évoque une acception restreinte du terme, insistant sur l’idée d’apprentissage (à distinguer d’une acception plus large de type sociologique), ce qui l’amène à une méfiance à l’égard de ce concept :

« Leur permettre de rencontrer d’autres enfants, de jouer, de rencontrer d’autres grandes personnes aussi, de se retrouver dans un espace aménagé qu’ils vont devoir découvrir et où il n’y a pas de commande particulière vis-à-vis d’eux, c’est libre jeux…

et puis, ils vont faire leur petite vie dans la maison. (…) La socialisation, pour moi, c’est très connoté apprentissage, je pense à l’école maternelle ou à d’autres petites communautés où on utilise beaucoup ce terme… disons qu’il y a des fois des choses de l’ordre du conditionnement, etc. qui ne sont pas dans mes… je dirais que l’hyper-éducation, ce n’est pas mon style, voilà, et je trouve que le terme de socialisation est un peu connoté de cet aspect de pédagogie… moi, je le trouve un peu connoté de cette manière, conditionnement, etc. qui n’est pas mon idée de l’éducation » (Accueillante, psychologue).

L’enquête qualitative a également permis de mettre en évidence, en faisant le relevé du champ lexical dans les discours recueillis, une véritable appropriation du concept de socialisation par les accompagnants. En effet, nous avons vu dans l’analyse des entretiens que bon nombre de parents ont énoncé le mot de « socialisation », et que d’autres l’ont très clairement évoqué sans le prononcer1.

Ainsi, ce mot revient de façon systématique pour évoquer quelque chose qui, pour parents et professionnels, s’apparente à l’habituation à la vie en société. Cette vision commune se représente donc la socialisation comme un élargissement à des sphères de plus en plus larges d’une éducation qui serait d’abord maternelle et familiale.

Rappelons tout d’abord l’approche synthétisée qu’en donne Gérard Neyrand2 dans son analyse de l’évolution des savoirs sur la petite enfance et la parentalité :

« Le terme de socialisation constitue ce que l’on appelle un mot-valise, en ce sens que plusieurs acceptions circulent sans que l’une soit véritablement prépondérante et que l’on se situe alors le plus souvent dans une sorte de consensus flou, allant de l’idée d’adaptation de l’enfant à la « société » jusqu’à l’acquisition des apprentissages. En fait, elle est le lieu d’une confrontation entre approches psychologiques et sociologiques et peut être appréhendée comme l’adaptation de l’individu à son environnement par des processus participant aussi bien de l’apprentissage de l’interaction relationnelle que de l’intériorisation des normes collectives et des codes sociaux, et de la constitution psychique de la personne. Perspective complexe       

1 Cette observation est à rapprocher de la diffusion des savoirs scientifiques, notamment par les médias, et d’une démocratisation des connaissances autour du petit enfant, de son éveil et de sa socialisation.

2 NEYRAND G., « L'enfant, la mère et la question du père. Un bilan critique de l'évolution des savoirs sur la petite enfance », Paris, PUF, 2000, pp.275-276.

obscurcie par le fait que dans le langage courant la socialisation est perçue comme l’ouverture relationnelle de l’enfant à d’autres personnes que le cercle familial. Selon le contexte on peut ainsi entendre dans le mot socialisation, le processus psychique d’apprentissage cognitif et relationnel, la seule partie concernant les normes et règles sociales, l’ouverture au monde extra-familial ou l’immersion dans la société globale, ses institutions et sa culture collective ».

Dans notre travail, nous entendons le terme de socialisation tel qu’il est défini par Eric Plaisance dans le Nouveau dictionnaire critique d’action sociale3 :

« Processus continu, tout au long de la vie, par lequel, d’un côté, l’individu intériorise les valeurs, les normes, les manières de faire qui lui sont transmises par les groupes sociaux où il est amené à vivre, et par lequel, d’un autre côté, il construit sa propre identité. La socialisation est ainsi inséparable de l’individualisation ».

Cette définition présente l’avantage d’envisager la socialisation dans toute sa complexité comme transmission d’un ordre social, sans postuler la passivité du sujet qui en bénéficie et qui reste acteur dans sa façon de s’approprier ses contenus. Elle met l’accent sur la diversité des supports de socialisation, qui ne sont pas seulement des membres de l’entourage de l’enfant puis de l’adulte.

Nous nous appuyons donc sur les indications suivantes, pour préciser notre utilisation du terme :

•La socialisation ne commence pas avec « l’entrée en collectivité » mais dès la naissance de l’enfant, par le prénom qu’on lui donne, et par le biais de tout ce qui constitue son environnement : « L’enfant a à découvrir une place qui lui est réservée bien avant sa naissance, à s’insérer dans un ensemble de réseaux signifiants qui vont déterminer son identité en tant que membre de la société particulière où il est né, de la famille particulière qui est la sienne »4 (Hurstel, 1996).

En outre, si le rôle de la famille est essentiel, il n’est pas unique. La dimension éducative et socialisatrice est vue, de plus en plus, comme devant être largement partagée et combinée entre la cellule familiale et les différents modes d'accueils. La socialisation est donc d’emblée plurielle : crèches, environnement social, lieux d’accueil enfants parents y concourent aussi.

« Toujours est-il que désormais est reconnu que peuvent coexister pour le bébé plusieurs figures d’attachement, que le père est apte et souvent désireux d’occuper une place éducative concrète dès la naissance de son enfant, que les autres enfants constituent des instances primordiales de socialisation réciproque, que les accueillants et éducateurs ont un rôle significatif, qui n’est pas concurrentiel à celui des parents, et       

3 Eric PLAISANCE, « Socialisation » dans J.-Y. BARREYRE et B. BOUQUET (Dir.), dans « Nouveau dictionnaire critique d’action sociale », Paris, Bayard, 2006, p. 549

4 HURSTEL Françoise, « La déchirure paternelle », Paris, PUF, 1996

que de multiples formes de vie familiale sont désormais possibles sans être d’emblée délégitimées »5 (Neyrand, 2006 p.86).

•Elle continue tout au long de la vie. C’est un processus de construction, par l’incorporation de valeurs et de normes sociales issues non seulement de la famille et du groupe d’origine, mais de l’ensemble des situations traversées par l’individu au cours de son existence. La socialisation est le produit d’influences multiples.

•Il s’agit d’un processus dynamique, où l’individu est sujet actif de sa propre socialisation, dans un double mouvement d’absorption du monde et d’affirmation de soi, un compromis entre les besoins et les désirs de l’individu et les valeurs des différents groupes rencontrés.

La problématique de la socialisation apparaît donc centrale dans le processus d’hominisation ou, pour reprendre le terme privilégié par la clinique, d’accession à la position de sujet. Le jeune enfant participe activement à sa propre socialisation, comme le soulignent parents et professionnels. Ils décrivent alors le processus selon lequel l’enfant « s’est ouvert aux autres », est devenu « moins timide », « plus actif », s’est aussi « détaché de sa mère » et a gagné en « autonomie ».

Les entretiens menés aussi bien dans plusieurs lieux se référant à la Maison Verte qu’auprès de LAEP moins référencés au modèle psychanalytique nous permettent de dire, comme nous allons le voir dans ce qui suit, que ce type de lieu est partie prenante dans le processus d’édification du nouveau-né comme être social et participe à la subjectivation de l'individu en chaque enfant, le reconnaissant ainsi comme être humain.

Si l’on se réfère au tableau brossé par l’enquête quantitative et confirmé dans les différents entretiens, on constate des lieux très diversifiés, avec en point commun une grande attention portée à l’accueil, à l’écoute, et à l’accompagnement des parents dans leur propre cheminement. Ces lieux décrits par certains comme « en creux », permettent à chacun, enfant et adulte, de venir pour les raisons qui leur sont propres, hors de toute injonction ou stigmatisation, dans un espace de rencontre toujours renouvelé.

Les uns et les autres nous ont parlé de ces rencontres, tout comme de l’accès à l’autonomie pour les petits, des échanges entre parents pour les grands… donc de socialisation. Les entretiens approfondis menés dans 5 lieux avec des accueillants, des parents et des partenaires, montrent bien que quel que soit le type de lieux, se produisent des effets de socialisation tant des enfants que des adultes.

      

5 NEYRAND Gérard, « Renouvellement des perspectives psychologiques sur le petit enfant », in « Eléments pour une sociologie de l’enfance », SIROTA Régine (dir.), Presses Universitaires de Rennes, 2006