• Aucun résultat trouvé

[4] Inégalités écologiques : analyse spatiale des impacts générés et subis par les ménages belges

6. Tentative de synthèse

Avec l’ensemble des variables retenues de l’Enquête socioéconomique 2001 (y compris celles concernant la perception de l’environnement) nous avons réalisé une analyse par composante principale (ACP) afin de dégager les tendances lourdes.20 L’ACP est une méthode qui permet d’organiser les variables afin de faire apparaître les associations de variables qui contiennent le plus d’information. Ainsi, la composante principale est l’axe qui reprend le plus d’informations sur les variables, c’est-à-dire la plus grande variance. Le second axe, perpendiculaire au premier, contient le plus d’information qui reste. Et ainsi de suite.21

Dans notre cas, les 2 premières composantes représentent plus de la moitié de la variance (voir aussi le tableau 9).

La figure 6 présente les deux axes principaux de notre ACP. Pour faciliter l’interprétation, nous avons projeté sur le graphique le revenu médian (revmeddecl) et le niveau d’éducation (partdiplsup), ainsi que la part des ressortissants des pays limitrophes (partD, partF, partN, partL).

20

Toutes les analyses statistiques ont été effectuées avec le logiciel libre R, la cartographie avec le SIG libre GRASS. 21

Fig. 6. Les deux axes principaux de l’analyse par composante

La composante principale (CP1) oppose les ménages qui ont une mauvaise perception de leur environnement (propreté, air, tranquillité) à toutes les autres variables, mais avant tout à la possession de jardin. La figure 7 montre la spatialisation de cette composante. On observe que cette composante oppose principalement les ménages qui habitent dans des communes plus pauvres ou urbaines aux communes rurales ou plus riches. Ce résultat indique donc que les inégalités écologiques, telles que nous avons pu les appréhender au travers des variables retenues,

vont en deux sens : les plus pauvres vivent dans un environnement qu’ils perçoivent comme de piètre qualité ; les plus riches jouissent d’espaces verts privatifs.

Fig. 7. Représentation spatiale de la composante principale

La deuxième composante (CP2) est plus intéressante car elle oppose d’un côté les personnes qui ont un chauffage central, qui ont isolé les tuyaux de chauffage et qui ont installé des panneaux solaires (ménages à diplômes supérieurs et à revenus relativement élevés), aux ménages qui se chauffent à l’électricité et qui ont un jardin. La figure 8 indique la logique territoriale de cette composante. Trois types de zones ressortent du coté positif de l’axe : les zones urbaines, les zones relativement riches et celles limitrophes de l’Allemagne et des Pays-Bas. Les zones avec des scores négatifs sont probablement celles où les ménages ont construit des maisons à quatre façades depuis les années 1970. En effet, ces communes sont caractérisées par un bâtit récent, avec une plus grande proportion de toits isolés. Cette deuxième composante est intéressante pour nuancer le tableau de la première opposition entre riches et pauvres, puisqu’elle révèle qu’une partie des ménages qui ont un capital financier et un capital culturel relativement élevés font des gestes

(isolations des tuyaux) et des investissements (panneaux solaires) qui tendent à limiter leur impact sur l’environnement. En outre, la distribution spatiale et la projection des variables concernant les nationalités montre qu’il y a une corrélation positive entre les communes dont les ménages isolent les tuyaux de chauffage et la présence de Néerlandais, de Luxembourgeois, d’Allemands, et une corrélation négative avec la présence de Français.

Figure 8. Représentation spatiale de la deuxième composante

La troisième composante, qui ne représente que 15 % de la variance est moins pertinente : elle représente essentiellement l’opposition entre, d’une part, ceux qui utilisent la biomasse pour se chauffer et qui ont isolé leurs tuyaux de chauffage et, d’autre part, ceux qui se chauffent à l’électricité et qui ont isolé le toit de leur maison. La dimension territoriale s’explique principalement par l’accès au bois de chauffage.

Figure 9. Tableau des variances des 3 composantes

CP1 CP2 CP3

Part de la variance de chaque composante 34% 21% 15%

Saturations des variables:

partisoltuy -0,243 0,526 -0,136 partisoltoit -0,003 0,310 0,633 partsolaire -0,238 0,307 0,010 partelec -0,188 -0,205 0,645 partcc -0,020 0,646 -0,019 partpastranq 0,465 0,157 0,121 partpaspropre 0,484 -0,036 -0,123 partpollutair 0,458 0,111 0,123 partjardintot -0,393 -0,188 0,062 partenaltautres -0,185 0,024 -0,341 en gras: significatif à 95%

7. Conclusions

Les différentes analyses ci-dessus ne sont qu’une approximation rudimentaire des réalités vécues par les ménages. Nous avons voulu réaliser un exercice d’exploration pour montrer les possibilités d’analyse quantitative et pour lancer des pistes de réflexion et d’études plus approfondies sur base des possibles liens démontrés. Néanmoins, nous pouvons déjà tirer certaines conclusions.

Dans la littérature existante, les inégalités écologiques ont principalement été étudiées sous l’aspect des pollutions subies par certaines catégories de la population d’un territoire donné. L’originalité de notre approche réside dans la tentative d’étendre l’analyse des inégalités écologiques aux impacts générés par les ménages. Pour rapprocher les impacts subis des impacts générés nous

avons dû multiplier les hypothèses — ce qui est normal pour un article dont le but avoué est une exploration méthodologique — afin de pallier les lacunes des données.

En résumé, nous pouvons identifier deux classes de ménages : ceux qui vivent dans un environnement relativement dégradé et ceux qui utilisent une proportion plus grande de ressources environnementales (renouvelables ou non, surfaces au sol,…) et qui polluent relativement plus. La question de l’environmental justice nous montrait déjà que ces deux classes de ménages ne sont pas identiques.22

L’opposition entre ménages riches et ménages pauvres domine les résultats, tant statistiques (consommations par déciles de revenu) que territoriaux (nouvelles résidences versus anciens centres urbains ou industriels). Nous pouvons conclure que ce sont en moyenne les classes supérieures qui produisent le plus de nuisances mais en subissent le moins. Notons d’ailleurs que cela a des implications au niveau des politiques de sensibilisation menées, puisque ce sont en moyenne les plus riches qui sont aussi les plus sensibilisés aux problèmes environnementaux.23

L’approche territoriale permet cependant de nuancer ce constat : la conjonction d’un capital financier et d’un capital culturel permet à certains ménages de réduire leurs impacts sur l’environnement. Nous avons également observé un phénomène de « contamination culturelle » depuis les frontières avec les pays du nord, dont les mécanismes restent à expliquer.

Sur le plan méthodologique, il est évident qu’il reste beaucoup à faire pour récolter des données permettant de construire des indicateurs fiables à propos des impacts générés et subis par les ménages. Les données directes sont rares et partielles. Les consommations d’énergie et d’eau s’analysent statistiquement mais pas territorialement. En raison de la protection de la vie privée et du caractère stratégique des données pour des entreprises privatisées, il est en effet impossible aujourd’hui en Belgique d’obtenir via les distributeurs des données individuelles sur ces consommations. Les études épidémiologiques sont très rares. La seule source générale sur les émissions de polluants (EPER) résulte d’une obligation européenne. Mais cette base de données est partielle en regard des inégalités écologiques car toutes les substances n’y sont pas mentionnées et elle ne comprend que les sources d’émissions dépassant un certain seuil.

Les données indirectes sont un peu plus nombreuses, mais nettement plus difficiles à interpréter. Les enquêtes de perception de l’environnement semblent être de bons indicateurs, mais

22

Voir, par exemple, P.S. Wenz, Environmental Justice. Albany: State University of New York Press, 1988. 23

Nous développons cette idée dans : Grégoire Wallenborn & Joël Dozzi, « Du point de vue environnemental, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé ? », op. cit.

ceux-ci devraient être corrigés par des facteurs culturels en les croisant avec des données mesurées — songeons aux cartes des nuisances sonores qui sont en cours de réalisation. Les équipements de chauffage et l’enveloppe des habitations sont des indicateurs plus difficiles à interpréter car deux facteurs vont en sens opposé : le revenu donne accès à de plus grands volumes à chauffer, mais combiné à l’instruction, le revenu permet de mieux isoler son habitation, voire de placer des panneaux solaires. L’indicateur de possession de jardin est encore plus compliqué à évaluer puisque les pratiques de plantation et d’entretien sont pratiquement inconnues (même si on peut supposer qu’elles ne favorisent en général pas la biodiversité). De même la consommation de viande est indiquée en termes monétaires, ce qui n’a qu’un lien indirect avec l’utilisation de ressources et l’impact sur l’environnement.

Nous avons essayé de pallier ces difficultés d’interprétation en croisant les méthodes statistiques avec les représentations spatiales. Et nous avons en effet constaté que les inégalités écologiques ont des dimensions territoriales fortes, bien que les mécanismes qui génèrent ces inégalités soient compliqués, et pas toujours facilement analysables avec les données existantes. Par ailleurs, les données de consommation ne sont aujourd’hui pas spatialisables. Et si elles l’étaient, d’autres aspects devraient être pris en compte, comme les différents « styles de vie », dimensions également difficiles à mesurer. C’est pourquoi il nous semble qu’il est aujourd’hui plus facile de voir les inégalités environnementales sous les aspects d’impacts subis (les riches évitent les sites pollués, peu agréables et délétères) que les inégalités d’accès aux ressources (les aspects de consommation sont très variés et dépendent beaucoup des infrastructures, mais aussi du revenu, de la culture, de l’effet rebond, …).

Le domaine des études sur les inégalités écologiques en est à ses balbutiements. Outre la collecte de données fiables et comparables, de nombreuses pistes restent à explorer.

Repères bibliographiques