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Partie I: Cadre conceptuel

2.5. Les tendances régionales: la régionalisation de l’élévation du niveau de la

Comme le souligne clairement l’UNESCO/COI (2010), l’élévation du niveau de la mer est une question qui se doit d’être envisagée à l’échelle régionale car c’est à cette échelle, voir même à l’échelle locale que le phénomène - en association aux mouvements de la terre -

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affecte le plus directement la société et l’environnement (Braconnot et al, 2007 ; Meyssignac, 2012).

Si les variations du niveau actuel de la mer ne sont pas spatialement uniformes, de la même manière les variations futures ne pourront être uniformes. Bien qu’il y ait des différences au niveau des projections, les différents modèles de climat s’accordent globalement sur les grandes structures régionales du niveau futur de la mer (Figure 2.5.1). Ces grandes structures sont les suivantes:

(i) Dans l’océan Indien, les projections prévoient en général une augmentation du niveau de la mer légèrement plus grande que la moyenne.

(ii) La moyenne des projections montre également une augmentation du niveau de la mer dans l’océan Arctique plus grande que celle du niveau global. Ceci est dû à l’augmentation du flux d’eau douce dans cette région suite à la fonte des glaces de mer et de la glace venant du Groenland ainsi qu’à l’augmentation du débit des neufs affluents.

(iii) Dans l’océan Antarctique autour de 60°S, on observe une baisse du niveau de la mer par rapport à la moyenne alors qu’un peu plus au Nord (autour de 45°S) on observe une bande zonale pour laquelle le niveau de la mer augmente. On parle en effet de comportement dipolaire qui est duaux changements du courant Antarctique circumpolaire car on observe autour de 50°S une augmentation des vents. Cette augmentation du vent intensifie la convergence et la subduction des eaux modales et intermédiaires au Nord vers 40°S,ce qui augmente le niveau de la mer. Par contre, au Sud vers 60°S, elle génère plus de divergence, diminuant ainsi le niveau de la mer (Sen Gupta et al, 2009).

89 Figure 2.5.1 : Moyenne des projections (scénario A1B) de la variabilité régionale du niveau de la mer en

2091-2100par rapport au niveau de la mer en 1991-2000, sur la base de 12 modèles utilisés pour le 4eme

rapport du GIEC

Source: Yin et al. [2010].

Note: a) Moyenne des projections du niveau de la mer dynamique en m. b) Ecart type des projections en m. Les régions hachurées sur la indiquent les zones pour lesquelles le rapport de la moyenne à l’écart-type est >1.5.

Hormis les effets stériques, d’autres facteurs génèrent de la variabilité régionale quant au niveau de la mer. Il s’agit en particulier des effets gravitationnels et de la déformation des bassins océaniques induits par la réponse visqueuse et élastique de la Terre aux redistributions - présentes et passées - des masses d’eau. Ce n’est que très récemment que ces facteurs ont été pris en compte dans les modèles d’analyse de la variabilité régionale. Slangen et al. (2011) sont les premiers à les introduire dans leurs projections des différents scenarios de réchauffement climatique. La Figure 2.5.2 reprise de l’article de Slangen et al. (2011) montre la contribution de chacun des facteurs retenus dans leur modèle pour expliquer la variabilité régionale du niveau de la mer pour la décennie 2090-2099 par rapport à 1990-1999 dans le cas où se réaliserait le scénario A1B (réchauffement global de 2.8°C et hausse du niveau global de la mer de 50 cm en 2090-2099). Ces cartes sont basées sur la moyenne des 12 modèles de climat utilisés pour les projections retenues dans le 4ème rapport du GIEC. Elles

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montrent une variabilité régionale du niveau de la mer excessivement importante, allant d’environ -4 m (au voisinage des calottes polaires) à +80 cm.

Figure 2.5.2 : Contributions de chaque facteur à la variabilité régionale du niveau de la mer en 2090-2099 par rapport à 1990-1999

.

Source : Slangen et al. [2011].

Notes : Les figures représentent la moyenne des projections du scénario A1B obtenues par 12 modèles de climats.

a) Contribution des calottes polaires. b) Contribution des glaciers. c) Contribution des effets stériques. d) Contribution de la réponse de la Terre solide à la dernière déglaciation (GIA).

La Figure 2.5.3 tirée elle-aussi de Slangen et al. (2011), présente la variabilité régionale totale obtenue par somme des 4 contributions représentées à la figure précédente, en considérant trois scenarios différents: A1B, B1 et A2. Dans ces projections, la variabilité stérique reste le facteur dominant dans les estimations du niveau régional de la mer, tout comme cela était le cas dans les projections antérieures réalisées pour le 4ème rapport du GIEC. Mais localement, au voisinage des régions qui ont perdu ou qui perdent aujourd’hui de la glace, les effets de la Terre solide produisent une forte contribution négative aux variations du niveau de la mer. Dans certaines régions de l’Arctique par exemple, ils compensent l’augmentation du niveau de la mer due à la baisse de la salinité. Il en résulte que la variabilité régionale attendue en 2090-2099 est très forte, comparée au niveau global pour les trois scenarios A1B, B1 et A2.

91 Figure 2.5.3: Variabilité régionale du niveau de la mer en 2090-2099 par rapport à 1990-1999

(Moyenne de 12 modèles de climat) due à la somme des facteurs retenus à la Fig. 2.5.2.

Source : Slangen et al. [2011].

Notes : Le résultat est donné pour 3 scénarios différents à l’horizon 2100: a) scénario A1B (+2.8°), b) scénario B1 (+1.8°), c) scénario A2 (+3.4°). Pour le niveau global de la mer global, correspondent respectivement 50 cm pour A1B, 40 cm pour B1 et 55 cm pour A2.

En définitif, l’origine des incertitudes quant à la variabilité régionale de la mer reste quelque peu floue. Cela explique en partie que les divers modèles climatiques fournissent pour les dernières décennies et surtout pour le futur, une variabilité régionale du niveau de la mer stérique qui est significativement différente d’un modèle à l’autre, spécialement lorsqu’il s’agit des moyennes et hautes latitudes. Comme l’expliquent les spécialistes, à de telles latitudes, le signal des eaux profondes et abyssales est plus fort mais les modèles climatiques n’ont en général pas une bonne représentation de ces eaux et de leur signature stérique (dérive des modèles dans les couches profondes). De plus, la contribution de la fonte des glaces dépend fortement de son amplitude et de sa localisation. De plus, il faut ajouter un autre

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facteur d’incertitude à savoir que les modèles de climat n’arrivent pas à simuler avec précision les échanges d’eau entre les réservoirs continentaux et l’océan. En conséquence de quoi, les projections de la variabilité régionale du niveau de la mer sont particulièrement incertaines car elles souffrent, comme le souligne Meyssignac (2012) d’une connaissance très imparfaite des échelles spatio-temporelles qui la caractérise et des processus qui la gouvernent.

Il est clair qu’au-delà de l’enjeu scientifique, l’enjeu pour la population mondiale est évident dans la mesure où une part importante de celle-ci vit en bordure des océans tandis que le niveau économique de ces régions conditionne leurs capacités à s'adapter. Parmi les régions particulièrement vulnérables, on cite bien souvent le Bangladesh dont un quart de la superficie pourrait disparaître sous les flots. D’autres régions sont également très fortement exposées, il s’agit plus particulièrement des deltas du Gange et du Nil tout comme ceux de nombreux autres fleuves du Sud et de la Chine. Les Iles Maldives, les Bahamas et certains atolls du Pacifique comme les îles Marshall sont souvent cités comme régions les plus exposées aux conséquences de la hausse du niveau de la mer. De la même façon, diverses villes côtières et non des moindres courraient de grands risques telles Alexandrie, New York ou encore Bangkok. On peut imaginer qu'à New York, où les gratte-ciels sont reconstruits quasiment tous les trente ans, de nouvelles digues devront être construites au fur et à mesure de la montée des eaux.

Selon les données de la NASA40, les régions les plus vulnérables à l’élévation - à hauteur de 1 mètre - du niveau de la mer seraient en Europe, les régions côtières des Pays-Bas (Rotterdam, Amsterdam, Groningen), de la Belgique (Brugge), de l’Allemagne (Brème, Hambourg), du Portugal (Lisbonne, Setubal), de l’Espagne (sur les côtes atlantiques: El Puerto de Santa Maria-Jerez de la Frontera, Parque Nacional de Donana-Séville ; sur les côtes méditerranéennes: Torrevieja, Santa Pola, Pobles del Sud-Valence, Castello de la Plana, Parque Natural del Delta del Ebro, Sant Père Pescador), de l’Italie (Livorno, Pisa, Ravena, Ferrara, Venise) entre autres.

En France métropolitaine, selon les mêmes sources, les principales zones à risque et communes concernées en cas d’une montée des eaux de 2 mètres sont retranscrites à la Figure 2.5.4. Soulignons que la Gironde, zone sur laquelle la deuxième partie de notre travail porte, est l’une des principales zones à risque en cas d’une telle élévation du niveau de la mer.

93 Figure 2.5.4 : Le littoral français sous la menace d’une montée des eaux

Source : http://flood.firetree.net/, publiée dans Le Figaro, le 02/03/2010.

La Figure 2.5.5 met en évidence, selon les mêmes sources et toujours pour une montée des eaux de 2 mètres, les principales zones à risque de Grèce, à savoir : Thessalonique, Arta, Lamia, Pyrgos. Soulignons que notre zone d’étude (Thessalonique) est une des principales zones à risque en cas d’une montée des eaux.

Figure 2.5.5 : Le littoral grec sous la menace d’une montée des eaux

Source : http://flood.firetree.net/ FRANCE Thessalonique Arta Lamia Pyrgos GRECE

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2.6. Conclusion

Selon les projections (GIEC, 2007), l’élévation du niveau de la mer entraînera un accroissement des risques auxquels sont exposées les côtes, notamment en matière d’érosion. Ce phénomène sera amplifié par la pression croissante qu’exerceront les activités humaines sur les zones littorales. D’ici à 2080, le groupe des experts de GIEC prévoit que plusieurs millions de personnes supplémentaires subiront chaque année les conséquences d’inondations dues à l’élévation du niveau de la mer. Les basses terres très peuplées des grands deltas d’Asie et d’Afrique seront les plus touchées, les petites îles étant particulièrement vulnérables. Les effets de la hausse du niveau de la mer seront évidemment autrement plus intenses dans les régions côtières soumises à un affaissement naturel ou anthropique, phénomène qui semblerait ne toucher que certaines zones bien spécifiques. Elles vont ainsi conduire à des déplacements de population du fait (a) soit des inondations côtières plus fréquentes rendant la résidence sur ces zones impossibles ou au moins, largement risquée (a) soit des conséquences inévitables sur le fonctionnement normal de certaines activités économiques du fait de la perte des marais salants et des mangroves ou encore par la disparition de plages et de falaises meubles (tourisme) et la salinisation des eaux de surface (lacs et fleuves) et des nappes phréatiques.

Au-delà de cette conséquence directe, il ne faut certainement pas négliger les conséquences indirectes qui fragilisent en particulier les zones de delta. Dans ce cas-là, ce n’est pas tant l’immersion de terres qui est à prendre en compte que les risques d’inondation plus fréquents et les conséquences naturelles (par exemple salinisation accrue) qui remettent en cause le fonctionnement durable des activités économiques propres aux zones côtières.

Cependant, certains analystes insistent sur le fait que l'élévation prévue serait suffisamment progressive pour être naturellement compensée, dans un certain nombre de cas, soit par la croissance des coraux dans le cas des atolls coralliens du Pacifique - plusieurs mm par an - soit par l'apport d'alluvions dans le cas du delta des grands fleuves.

En parallèle néanmoins, l'influence de l'homme peut à nouveau remettre en cause ces processus: les coraux voient leur croissance ralentir à cause de la pollution des océans et en général, les alluvions des grands fleuves ne parviennent plus jusqu'à leur delta car ils s'emmagasinent dans de gigantesques barrages construits en amont. La masse d'alluvions charriées par l'Ebre en Espagne a diminué de 95% suite aux barrages construits sur ce fleuve depuis vingt ans. Cette multiplication des barrages a un double effet: absence d'alluvions à

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l'embouchure mais aussi absence d'eau. De nombreux grands fleuves restent à sec à leur embouchure lors d’une grande partie de l'année ce qui fragilise la végétation des deltas amplifiant ainsi l'effet dévastateur des grandes marées, des inondations ou des cyclones. Les inondations sont accentuées par les déforestations en amont (ce fut le cas en Chine durant l’été 1998) et la fréquence des cyclones augmenterait avec le réchauffement mondial.

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Chapitre 3. Les changements climatiques: un enjeu en matière de migration et